Il y a urgence à poser les fondements d’une “troisième voie à la française »

Inquiet de l’importance politique prise par les deux « blocs populistes » de gauche et de droite, le groupe de réflexion propose, dans une tribune au « Monde », de « réinventer une alternative sociale et libérale adaptée à notre pays ».

Les élections législatives vont s’inscrire dans la continuité d’un système institutionnel qui ne répondra pas au déficit de représentativité des élus dans le nouveau paysage politique français. Un renouveau démocratique s’impose. Tout aussi obsolète est le testament social-démocrate que les derniers survivants du Parti socialiste de gouvernement ont bradé depuis une décennie, ignorant les leçons du déclin avant de se désintégrer dans le populisme des « insoumis ». La droite du parti Les Républicains, depuis, a sombré de la même façon.

Les deux blocs populistes émergents affichent sans complexe leur radicalité contre tout ce qui leur échappe : l’économie, l’entrepreneuriat, la compétitivité, les nouvelles technologies, l’innovation, le marché, l’Europe… Avec un succès réel auprès des jeunes qui doit nous interpeller. Entre ces deux blocs, ne reste qu’un centre incarné par Emmanuel Macron, qui absorbe le reste de l’espace politique. Si sa personne a reçu le soutien d’une large majorité du pays, les propositions des partis rapidement réunis sous l’étiquette « Ensemble ! » sont empreintes d’un flou idéologique et programmatique qui pourrait ouvrir trop d’espace aux populismes.

Cela est d’autant plus préoccupant que le président élu ne pourra se représenter en 2027, à la différence des leaders des partis extrêmes qui, quoi qu’ils en disent, s’y préparent déjà. Il n’y a pas qu’en France que la dynamique du projet politique glisse vers les extrêmes. En Italie, la droite dure n’est pas loin de rallier la majorité des électeurs, tandis qu’une majorité radicale s’est imposée au sein du Mouvement 5 étoiles. Aux Etats-Unis, le trumpisme a conquis le Parti républicain, tandis qu’une gauche doctrinaire, de Bernie Sanders à Alexandria Ocasio-Cortez, gagne en influence chez les démocrates.

Les « jours heureux », promis par l’ex-candidat communiste à l’élection présidentielle, Fabien Roussel, oui, nous les souhaitons collectivement. Nous y aspirons avec ferveur mais aussi avec lucidité face aux programmes démagogiques qui ignorent les réalités de la situation économique et sociale du pays comme de l’environnement international. Mis en œuvre, ces programmes nous conduiraient à la déroute financière, comme Alexis Tsipras aggravant la crise grecque, en pire, et à la relégation en Europe.

Rétablir l’égalité des chances

Pour autant, les Français, peuple politique s’il en est, confrontés aux crises sanitaires et climatiques puis à la guerre en Ukraine, ont besoin d’espoir, d’une perspective de progrès collectif et individuel dans laquelle croire et pour laquelle s’engager, d’un récit auquel donner collectivement envie d’adhérer. Notre jeunesse, en particulier, attend plus d’écoute et de prise en compte de ses préoccupations dans le débat politique. Il y a donc aujourd’hui urgence à poser les fondements d’une « troisième voie à la française », à l’image d’Anthony Giddens ouvrant une alternative entre le conservatisme dur et la dérive gauchiste du Labour dans le Royaume-Uni des années 1980.

Le manifeste des Gracques, rédigé il y a quinze ans et qui fait référence dans les think tanks européens, peut être le creuset pour réinventer une alternative sociale et libérale adaptée à notre pays. Libérale parce que nous croyons en l’efficacité d’une économie de marché correctement régulée, comme à la défense des libertés individuelles et collectives dans un Etat de droit. Sociale parce que, pour nous, la finalité de la richesse créée est d’être mise au service de l’intérêt général et de permettre l’émancipation de chacun. Un aggiornamento est nécessaire pour offrir au débat public une vision politique globale en prise étroite avec les attentes de nos concitoyens, et qui renoue avec le débat d’idées indispensable à la réussite du nouveau quinquennat, comme de ceux qui le suivront.

Nous viserons à définir un ensemble de fondamentaux à réunir dans un nouveau contrat social qui fixe un juste équilibre entre l’action à court terme face aux urgences et la prise en compte du long terme pour une croissance plus inclusive. Un contrat qui permettra à la société française de retrouver le sens de sa responsabilité collective et d’écarter les réflexes individualistes qui consistent à s’en remettre à l’Etat au prix de déficits intenables. Trouver la voie qui permette de remettre sur la route ceux qui sont restés sur le bas-côté, corriger les déséquilibres croissants en défaveur des jeunes, rétablir l’égalité des chances, redémarrer l’ascenseur social et financer les transitions environnementale et numérique.

Volonté de rassemblement

Nos objectifs sont multiples : compétitivité dans un marché mieux régulé, équité comme condition de l’efficacité, solidarité pour ceux sur qui pèsent les accidents de la vie et les discriminations de tous ordres, renouveau démocratique par la relégitimation des institutions et la réforme de l’Etat, accélération des transitions énergétique, agricole et numérique, justice plus proche des citoyens, promotion de la science, de l’industrie et de l’innovation technologique pour un progrès technique maîtrisé, éducation pour tous aux compétences de demain, nouveau souffle pour les politiques de création artistique, refondation du système de santé et préparation au choc démographique de la dépendance, dynamique entrepreneuriale, industrielle, technologique incluant l’abolition des rentes et préservation de l’identité culturelle et de la laïcité dans le respect des différences et des valeurs qui nous fédèrent. Tout cela, bien sûr, ne peut s’envisager qu’en adhérant au renforcement de la construction européenne et à l’exigence de réduction de nos déficits publics et commerciaux.

C’est ainsi que nous pourrons nous projeter ensemble dans une perspective désirable qui soit sociale, environnementale, numérique, démocratique et européenne. Les Gracques ouvrent dès à présent cette réflexion autour d’un nouveau manifeste pour une troisième voie française. Avec nos amis européens, nous voulons engager le débat intellectuel et politique d’un grand projet moderne de société capable d’accompagner les progressistes dans leur volonté de rassemblement. Pour construire la France d’aujourd’hui et de demain dans une Europe souveraine et solidaire.

Tribune à lire dans Le Monde

« Mini gouvernement, maxi efficacité »

Nicolas Sarkozy avait promis moins de 15 ministres. En 2012, le gouvernement Fillon III en comprenait 16, plus 9 ministres délégués et 8 secrétaires d’Etat. François Hollande avait fixé la même limite. Résultat : le gouvernement Ayrault II en comportait 20 et 17 ministres délégués. Rebelote pour Emmanuel Macron. Il avait promis 15 ministres mais le gouvernement Castex en comportait 16, plus 15 ministres délégués et 12 secrétaires d’Etat, portant ainsi l’effectif à 43.

Nulle part non plus la question de la parité ne se pose comme en France. Le gouvernement Draghi ne comprend que 23 % de femmes, le gouvernement Scholz 50%, le gouvernement Johnson 25%, sans que cela fasse polémique – pas plus qu’en Espagne où le gouvernement Sanchez est féminin à… 58%.

On nous promet la taille d’une équipe de rugby, et l’on se retrouve avec un effectif de football… américain. Le gouvernement français reste ainsi le plus pléthorique d’Europe, à l’image de son administration. Source de confusion, de rivalités, de couacs médiatiques, d’inflation normative, de gaspillage d’emplois qui seraient plus utiles ailleurs. Bref, le symbole d’un Etat qui perd du temps, de l’argent et, au bout du compte, de l’efficacité.

Les raisons invoquées ne manquent pas : représenter les partis de la majorité, récompenser les fidèles, nommer des femmes, représenter les diverses régions, attirer des « people » populaires… Tout cela est archi-convenu et ne fonctionne pas : nomination à des postes factices, ministres stars qui s’ennuient ou, inversement, «technos» qui savent parler à leur cabinet mais pas aux Français…

Passées nos frontières, la sobriété est la règle. Le gouvernement Draghi compte 13 ministres, un nombre stable en Italie depuis les années 1990. Les quatre gouvernements Merkel n’ont compté que 15 ministres, un étiage dont Scholz n’a que peu dévié, avec ses 16 ministres. Personne n’égale toutefois la Suisse et son gouvernement de la taille d’une équipe de… handball : 7 membres.

Pour compléter ces gouvernements resserrés, des personnes peuvent être désignées comme interlocuteurs privilégiés des parties prenantes. Les ministres allemands nomment des secrétaires d’Etat et des délégués qui n’appartiennent pas au gouvernement. En Italie, il y a des ministères sans portefeuille, sans autonomie budgétaire ni politique. Au Royaume-Uni, des junior ministers font leurs classes.

En France, nous sommes les champions dans la panoplie des titres : ministres d’Etat, ministres, ministres délégués, secrétaires d’Etat, hauts-commissaires… Ces derniers offrent toutefois l’avantage d’incarner la continuité, puisque à chaque changement de gouvernement ils restent, à la différence des ministres.

Un gouvernement de la taille d’une équipe de football est possible, avec le Premier ministre comme entraîneur et, placés directement auprès de lui, les ministres en charge des priorités du gouvernement, notamment environnementales. Un grand ministère des Affaires sociales couvrant tous les sujets du travail et de la protection ferait de son titulaire l’interlocuteur des syndicats et des corps intermédiaires. Politiquement, ce serait aussi l’affichage d’un ministre fort équilibrant le poids de Bercy.

Des postes de cette envergure nécessiteraient de l’expérience et un grand savoir-faire politique : une contrainte de casting qui aurait l’avantage de redonner au gouvernement une dimension plus politique que technique, rassurant les Français sur sa capacité à les entendre.

Tribune à retrouver dans l’Opinion

La dernière chance

Le titre de l’Express de cette semaine renvoie à celui de notre dernier livre. L’occasion de rappeler nos propositions de réformes pour les 100 premiers jours du quinquennat. Découvrez-les en 1 minute: https://www.youtube.com/watch?app=desktop&v=3jnZowjqUtg&t=2s

Les réformes du prochain quinquennat

Les Gracques, think tank social-libéral aspirant à dépasser le clivage gauche-droite, font de nombreuses recommandations et propositions. En particulier à l’occasion des élections présidentielles. Il y a dix ans, ils avaient publié un ouvrage manifeste titré « Ce qui ne peut plus durer ». Ils ont récidivé, pour 2022, avec « Le Manifeste de la dernière chance » (Albin Michel). Six parties font un état des lieux du quinquennat passé et, surtout, des propositions pour le quinquennat à venir. Sur la croissance, la protection sociale, la gouvernance publique, la citoyenneté, l’Europe.

Article complet à lire dans Les Echos

Propositions: Emmanuel Macron pioche chez Les Gracques

Il aura donc fallu que Marine Le Pen présente mardi à Vernon (Eure) sa vision de la pratique présidentielle, pour qu’Emmanuel Macron partage enfin, à douze jours du second tour de l’élection, ses « réflexions » sur les institutions.

Alors que la fracture démocratique a encore été confirmée par le taux d’abstention au premier tour de l’élection présidentielle (12,8 millions de Français ne sont pas allés voter le 10 avril, soit 26,31 % des inscrits), Emmanuel Macron ne voit qu’un défaut au système actuel : « Il faut sans doute un calendrier différent. » « Le fait de ne pas avoir de respiration démocratique pendant cinq ans n’est plus adapté à notre époque, estime-t-il sur le site lepoint.fr. Il faudrait peut-être avoir quelque chose qui ressemblerait à des élections de mi-mandat, comme aux Etats-Unis. »

Article à lire dans l’Opinion.

Un RSA vraiment automatique serait une percée majeure contre la précarité

La politique du « en même temps » suppose de combiner des logiciels politiques différents. Au point parfois d’être contradictoires ? C’est ce qui a été reproché au programme du président de la République en matière de minima sociaux : à ma gauche, la mise en place d’un versement automatique des aides sociales (à commencer par le RSA) ; à ma droite, le conditionnement du RSA à la réalisation par l’allocataire de « quinze à vingt heures hebdomadaires d’activité effective permettant l’insertion ». 

Peut-on vouloir simultanément automatiser le RSA et lui appliquer une condition supplémentaire, dont l’application ne manquera pas d’être un peu subjective ? 

On pourra d’abord rappeler que les conditions d’accès à une allocation sont distinctes des modalités de son versement. Donc, il n’y a pas de contradiction par nature à jouer sur les deux tableaux.  

On peut par ailleurs voir une complémentarité d’objectifs entre ces mesures, qui s’attachent aux deux visages du RSA :  

D’une part, le RSA est l’ultime filet de sécurité pour les personnes qui n’ont plus d’autre moyen de subsistance. Dans un rapport récent, la Cour des comptes souligne l’efficacité de cet instrument en dernier ressort de lutte contre la pauvreté. Le problème, c’est que 30% des Français qui auraient droit au RSA ne le demandent pas et donc ne le perçoivent pas. Un RSA vraiment automatique, en minimisant ce taux de non-recours, serait donc une percée majeure contre la précarité en France ! 

D’autre part, le RSA est censé être un palier de réinsertion vers l’emploi. Rappelons que tous les bénéficiaires sont censés avoir signé un « contrat d’engagement réciproque » avec l’Etat, portant sur une démarche d’insertion et de recherche d’emploi. Mais la Cour des comptes montre que le RSA remplit très mal cette mission de réinsertion, avec à peine un tiers des allocataires en moyenne ayant retrouvé un emploi au bout de sept ans. La principale raison en est la faiblesse du dispositif d’accompagnement mis en place dans les services sociaux et au sein de Pôle Emploi, qui ne sont pas armés pour prendre en charge des personnes parfois très éloignées de l’emploi. 

Les deux mesures proposées par Emmanuel Macron ne sont donc pas philosophiquement incompatibles : l’une, l’automatisation du versement des aides, vise à améliorer l’efficacité du RSA contre la pauvreté ; l’autre, le conditionnement à l’exercice d’une activité d’insertion, s’inscrit dans la logique tremplin vers l’emploi.  

144 allocataires par agent en Seine-Saint-Denis

Mais c’est dans la pratique que les choses se compliquent sérieusement. 

Disons-le franchement : les services d’insertion seraient aujourd’hui bien incapables, de trouver et proposer à tous les bénéficiaires du RSA des contrats d’activité de quinze heures par semaine. Dans un département comme la Seine-Saint-Denis, chaque agent des services d’insertion professionnelle gère en moyenne 144 allocataires… Il serait injuste de durcir les conditions de bénéfice du RSA sans améliorer très significativement les moyens de l’accompagnement : on mettrait alors en péril l’efficacité des minima sociaux contre la pauvreté ! 

De l’autre côté du spectre, le versement automatique des minima sociaux représente un gigantesque chantier de transformation numérique. Le partage de données entre administrations fiscales ou sociales est une nécessité absolue pour améliorer l’efficacité publique, notamment pour automatiser la gestion des droits sociaux. Cela demande du temps, de l’argent et de la volonté politique, mais c’est indispensable quand on réalise que la France n’est classée que 22ème sur 27 pays de l’Union par la Commission européenne en matière d’automatisation de l’utilisation des données par les administrations. 

Les pays mieux classés que nous, à commencer par le plus avancé, l’Estonie, ont totalement repensé leurs services publics grâce, par et pour le digital, allant jusqu’à simplifier la loi pour la rendre applicable par la machine. Il ne s’agit en effet pas seulement de numériser des démarches administratives telles qu’elles existent aujourd’hui, mais bien de les adapter à la gestion automatisée (ce qui est loin d’être le cas pour le RSA). Or la France n’a pas commencé ce travail, qui se fera dans la douleur : qui expliquera aux parlementaires qu’ils ne doivent voter que des textes assez clairs pour être « codables » ? 

Il ne faut donc pas sous-estimer l’effort que représente l’automatisation du RSA et des aides sociales, mais le jeu en vaut la chandelle sur tous les tableaux : justice sociale, lutte contre la fraude, mais aussi économies de fonctionnement. La gestion de ces allocations occupe aujourd’hui des centaines d’emplois publics, qu’il sera possible de redéployer… dans l’insertion professionnelle des allocataires ou dans l’accompagnement numérique des personnes isolées. 

Autrement dit, les deux mesures proposées par Emmanuel Macron sont liées. A condition de mettre en place un Etat plateforme avec des procédures numérisées qui permettront au A du RSA de signifier l' »automaticité » de la gestion des droits et de redéployer les ressources vers l’accompagnement des allocataires vers l’emploi. Même si l’on peut douter qu’un quinquennat y suffise, cette démarche est vertueuse et peut s’appliquer à beaucoup de services publics à condition de respecter l’ordre des facteurs : adapter la loi au numérique, automatiser le versement, redéployer les ressources vers l’accompagnement, et enfin seulement se montrer plus exigeant vis-à-vis des usagers. 

Une tribune à retrouver dans L’Express.

Tous pour l’Ukraine: Meeting de solidarité mardi à Paris, en présence de Valérie Pécresse et d’Anne Hidalgo

Le philosophe Bernard-Henri Lévy tient mardi 1er mars à 17h « un meeting de solidarité » au Théâtre Antoine à Paris, en soutien au peuple ukrainien et à son président, Volodymyr Zelensky. Côté responsables politiques, François Hollande, Anne Hidalgo, Valérie Pécresse et Christophe Castaner sont attendus.

Article complet à lire dans le JDD.

«Après la présidentielle, cent jours pour des réformes de fond»

Le temps perdu au début d’un quinquennat ne se rattrape jamais, plaident les Gracques, groupe de réflexion social-libéral, qui compte de nombreux hauts fonctionnaires.

Le quinquennat qui s’achève, comme ceux qui l’ont précédé, aura rappelé la puissance du «triptyque de la réforme» qui s’impose à tout élu à la présidence de la République.

Règle n° 1: ce qui est difficile et qui ne se fait pas au début de la mandature, quand on peut s’appuyer sur la légitimité du suffrage et la dynamique de campagne, ne se fait plus.

Règle n° 2: pour que la réforme prospère – faute de quoi l’occasion perdue ne se retrouve pas -, elle doit avoir été parfaitement préparée avant, plutôt qu’élaborée ensuite au fil de l’eau.

Règle n° 3: la légitimité et la préparation ne sont rien sans une bonne exécution confiée à des responsables capables de commander, d’accompagner, d’expliquer, d’entraîner et finalement d’atteindre l’objectif qui leur a été fixé.

Article complet à lire dans le Figaro.

Notre agenda en 1 minute

Une minute: c’est le temps qu’il vous faudra pour regarder cette vidéo et découvrir notre programme des 100 jours. 

Des midterms à la française, un gouvernement resserré format équipe de foot, un service civique environnemental pour les jeunes…
Un programme de réforme clé en main et un calendrier d’exécution clair à retrouver plus en détail dans notre Manifeste de la dernière chance.

Jean Daniel , disparition d’un passeur

La disparition de Jean Daniel est aussi celle de l’un des derniers passeurs de notre temps. Passeur des idées progressistes qu’il aura incarnées tout au long de sa vie. Passeur de tolérance et de respect de la parole de l’autre. Passeur de paix, à chaque fois que celle ci était menacée. Passeur au sein de la gauche comme dans sa rédaction, passeur littéraire , passeur politique.
Passeur bienveillant entre générations.
Il a été l’un des premiers à soutenir la démarche des Gracques dans cet éditorial du Nouvel Observateur que nous republions ici avec émotion, gratitude et respect.

Voici le texte rédigé en septembre 2007 par Jean Daniel à l’occasion de la première université d’été des Gracques à laquelle participaient notamment Michel Rocard , François Chèrèque, Walter Veltroni, Anthony Giddens, Jorge Semprun, Erik Orsenna,  Jacques Juilliard, Olivier Ferrand, et beaucoup d’autres…
Un texte d’une grande hauteur de vue, à l’image de son auteur : lucide, tolérant, ancré dans l’histoire des idées, à la recherche d’un point d’équilibre entre efficacité économique et accompagnement d’un corps social fragile et fragmenté.

Message pour l’université d’été des Gracques – Jean Daniel

“Chers amis, 

J’ai déjà dit aux organisateurs de cette journée du 26 août à Paris combien était vif mon regret de ne pas être avec vous à ce moment-là, mais aussi combien j’étais heureux que vous nous ayez choisis comme partenaires et souhaités comme parrains. 

Ce n’est pas que, personnellement, je me sois trouvé d’accord avec toutes les analyses et avec toutes les attitudes de ce que j’appellerais votre  «groupe de réflexion et de pression» . Pourtant, dès l’émergence, non du calendrier de vos initiatives électorales mais de la définition de vos objectifs, je me suis senti en familiarité sinon en symbiose.

La longévité m’a permis d’assister à la naissance du Club Jean-Moulin, de la Fondation Saint-Simon et des clubs qui, dans le prolongement de la deuxième gauche et avec l’attentive caution de Pierre Mendès France, se déployaient entre Michel Rocard et Jacques Delors, comme entre Michel Crozier et Michel Albert. L’idée principale était d’épouser de manière vigilante et critique l’évolution de l’Europe, d’envisager l’éventualité de la fin du capitalisme rhénan et de s’interroger sur tous les signes d’une mondialisation en marche : en somme de mettre en route la réconciliation d’une large frange de la gauche avec la modernité. 

Politiquement, cela se traduisait non pas par des stratégies de rapprochement avec le centre – ce qui n’eût été qu’électoral -, mais par la suppression théorique comme élément de pensée du concept du centre tel que Valéry Giscard d’Estaing puis François Bayrou l’ont défini. Il s’agissait d’aborder de front, un par un, tous les problèmes dans leur singularité nouvelle, sans préjugés idéologiques et sans s’inquiéter à l’avance du fait que les éventuelles audaces révisionnistes puissent être considérées comme des reniements. 

Dans sa philosophie, cette démarche, si elle est bien la vôtre, est devenue aussi la mienne – ou la nôtre. Elle consiste, à mes yeux en tout cas, non pas à formuler une millième condamnation de la schizophrénie des socialistes, de l’incapacité où ils se sont trouvés et où ils se trouvent encore très souvent de s’adapter aux prodigieuses mutations du monde, ni de voir dans la social-démocratie – déjà dépassée aujourd’hui il est vrai – autre chose qu’une trahison libérale et un abandon des grands principes. Il s’agit de recenser – pour les vaincre ! – les motivations essentielles de l’immobilisme doctrinal et de constituer une force de propositions, et non de s’enfermer dans un statut d’opposition. 

Pourquoi les socialistes français sont-ils les seuls à avoir reculé devant la nécessité partout adoptée de faire leur aggiornamento dans le sillage du congrès de Bad Godesberg ? Pourquoi le mot de «réformisme» est-il si longtemps apparu comme une obscénité ? Pourquoi François Mitterrand, ayant à commenter le socialisme nordique, au lieu d’admirer que la Suède fût à la fois une réussite industrielle sans précédent (avec six grands groupes internationaux) et le pays au monde où la sécurité sociale était la plus attentive, efficace et omniprésente, oui, pourquoi le président socialiste français a-t-il cru nécessaire de dénoncer les compromissions des Suédois avec le capitalisme international ? Encore François Mitterrand formulait-il ce jugement mezza voce et avec un rien d’ironie. 

La question a été posée par mon ami Jacques Julliard de savoir si les socialistes français croyaient encore à leurs mythes. De même que le grand historien Paul Veyne avait prouvé que les Grecs n’y croyaient pas. Ma réponse personnelle à cette question, c’est que les gens ne sont jamais tout à fait détachés de leurs mythes, et que les légendes peuvent être tout à fait identitaires. Voltaire s’alarmait à l’idée que, prenant exemple sur lui-même, le peuple pût vivre sans religion. C’était, à son sens, lui retirer l’existence. 

Les mythes socialistes peuvent être des rites, mais ils sont très importants. On veut garder les mêmes ennemis, et la Maison du Peuple ne saurait frayer ni avec le Château ni avec l’Eglise. En tout cas, c’est ainsi qu’on a cru vivre pendant plusieurs générations, sans se rendre compte que les mythes devenaient de moins en moins identitaires, et en particulier que les classes populaires abandonnaient progressivement, un à un, tous les partis de la gauche. 

Nicolas Sarkozy a été élu par 46% d’employés et 42% d’ouvriers. Il n’a pas encore dépassé sa rivale mais, sur ce point précis, l’avantage de la droite est énorme. Comme l’écrit Christophe Guilluy à propos de la nouvelle géographie sociale et des vieilles oppositions héritées de la révolution industrielle :  «La France des ouvriers, des petits salariés du secteur privé, des revenus modestes, des précaires est aujourd’hui une France périphérique, dispersée, périurbaine et rurale. Ce ne sont plus les anciennes banlieues ouvrières qui structurent les nouvelles fractures sociales.» 

Cela est d’autant plus nouveau et grave que la démocratie française souffre d’un handicap insurmontable. Le syndicalisme y est désastreusement faible, et ne peut donc contribuer à rénover à gauche le concept de responsabilité. 

En tout cas, le jour est arrivé où la fidélité des socialistes à leurs mythes ne s’est plus révélée payante dans les consultations électorales. Tony Blair en a été conscient, avec sa transformation du Labour, mais il n’a pas été le premier. Ce sont les socialistes allemands qui ont été les plus révolutionnaires avec la pratique de la cogestion. Elle n’était possible qu’avec des syndicats très forts et tout à fait en mesure de contrôler leurs partenaires capitalistes. 

Ce qu’il y a de plus singulier, c’est que les longues cures d’opposition de la gauche (1958-1981 !) ont plutôt fait d’elle une institution où la vigilance était néomarxiste, tandis que l’on pouvait déceler dans le langage une signifiante évolution. Les «ouvriers» avaient remplacé le «prolétariat», qui lui-même avait remplacé les «travailleurs»; quant aux «patrons», ils étaient anoblis du titre de «chefs d’entreprise». Pour ce qui est des thèmes de la sécurité et de l’immigration, ils étaient traités d’une façon qui relevait d’un manichéisme idéologique et moraliste. Ce qui permet à Didier Peyrat d’affirmer que  «l’anti-sécuritarisme est un vecteur de la déprolétarisation de la gauche et que Ségolène en a fait les frais» . On a oublié, dit-il, qu’un acte révoltant n’est pas forcément un acte de révolte et que  «ce n’est pas le peuple qui est idiot en portant plainte contre l’insécurité, c’est l’idéologie négationniste qui est complètement stupide» 

C’est un grave problème qui sépare bien des experts de bonne volonté. J’ai moi-même été critiqué par mes amis quand j’ai affirmé depuis très longtemps, et je ne cesse de le faire, que la France précarisée et qui demande à être mise en mesure d’accueillir l’immigration comme à être protégée de la mondialisation n’était pas une France raciste. Permettez-moi de vous dire qu’ayant prévu et guetté depuis très, très longtemps les réactions des couches populaires sur ces thèmes, je n’ai aucunement été surpris par ce qu’on appelle la «droitisation». En un mot, je continue de penser que ce n’est pas la France qui se droitise, c’est le réel qui ne répond plus aux critères de jugement de la gauche traditionnelle. 

Le crime de Le Pen n’a pas été de soulever un débat mais de l’avoir bel et bien empoisonné. Car délivrés de leur insupportable caractère pétainiste et de leurs accents antisémites et chauvins, les discours de Le Pen rappelaient quasiment les mêmes questions que Mitterrand lorsqu’il évoquait le  «seuil de tolérance» , Giscard  «l’invasion» , Chirac  «les mauvaises odeurs dans l’escalier» , Rocard  «on ne peut accueillir toute la misère du monde mais on doit prendre notre part pour y remédier» , Balladur  «la préférence nationale n’est aucunement immorale» , sans parler de ce que Fabius avait dit le premier, au début :  «Le Pen formule de bonnes questions mais de très mauvaises réponses.» 

La droite ne s’est pas lepénisée, elle a  «défascisé» le problème, et si elle l’aborde mal, notamment avec son ministère de l’Immigration, de l’Intégration et de l’Identité nationale, c’est plus précisément parce que nous n’avons rien fait et que nous avons laissé à la droite, ce qui m’enrage, l’initiative de confier à des femmes issues de l’immigration des responsabilités ministérielles importantes. Et je ne pense pas, au contraire, que nous ayions tiré toutes les leçons de notre insuffisance lorsque je lis les commentaires sur les malheureux discours africains de Sarkozy. Après un procès irrécusable et sans nuances de la colonisation, il a eu l’agressif mérite de proposer un débat sur l’Afrique. Je suis en désaccord avec lui mais je trouve avantage à ce que les tabous soient levés, à ce que le problème soit posé. Il mérite qu’on ne lui réponde pas avec des seules indignations incantatoires. 

Je vous préviens que dire tout cela n’est pas encore devenu innocent. Le rassemblement des antisécuritaires a créé, à l’intérieur de la gauche, une véritable hégémonie intellectuelle et sectaire. D’ailleurs, sur tous ces problèmes, la compassion relève d’une cruelle irresponsabilité dont les premières victimes sont évidemment les immigrés eux-mêmes. J’ai toujours professé qu’il était plus fraternel de se soucier du sort fait aux immigrés que de les accueillir et de les abandonner. 

Maintenant, je n’ai pas l’intention de vous infliger une analyse des nouvelles données économiques, surtout dans une période où la financiarisation du capital montre que l’argent n’a plus rien à voir avec la production des richesses ni avec la création d’emplois. Vous êtes bien trop experts en ces matières, et je me contente de vous lire. D’ailleurs, le fait que vous vous opposiez souvent les uns les autres me console de mon incompétence, sans m’empêcher d’en tirer profit ! 

Vous observerez quand même, parce qu’il me semble que ça n’est pas relevé, que la politique économique et financière de Nicolas Sarkozy ne paraît pas bénéficier de l’adhésion des grands parrains qui l’ont sans cesse aidé. Il m’est revenu que MM. Pinault, Arnault, Bolloré, Lagardère et Bernheim ne croyaient pas du tout que l’on puisse agir sur la croissance par la consommation. Ce qui fait que Sarkozy est moins dépendant du grand capital que nous ne le pensions. Et j’aimerais bien que nous nous penchions sur ce problème. C’est d’autant plus important que chaque fois qu’une manifestation de l’opposition sur tel ou tel thème n’est pas accompagnée d’une proposition constructive, alors elle fait totalement le jeu de la droite. Or, si la gauche s’oppose, elle se répète. Si la droite réforme, elle se renouvelle. Nous devrions nous interdire de faire une critique sans la faire suivre d’une proposition réaliste, crédible et populaire. 

Mais je voudrais terminer par où d’autres commencent. A savoir le sens de la mobilisation civique qui a abouti à 84% de participation électorale à l’élection présidentielle. Les meetings des trois principaux leaders étaient archicomplets, et  «l’ambiance» , comme disent avec vulgarité les organisateurs, était partout la même, c’est-à-dire «électrique», j’en suis témoin. Les trois leaders ont senti et finalement compris l’intensité du besoin de rupture avec le passé. Mais aussi un besoin de croire, parce que le peuple français a senti qu’il était en danger, que le pays perdait ses moyens et la nation, son âme. 

Les trois leaders ont intégré tout cela. Ils ont dit  «ensemble tout est possible» , ou ils ont parlé du  «désir d’avenir» . Les analyses de Ségolène Royal étaient sans doute insuffisantes mais pas fausses. Elle a compris, au moins au départ, qu’elle pouvait tout dire, qu’elle aurait pu tout dire. Sur les 35 heures, la retraite à 60 ans, le service minimum, etc. Elle a vu s’opposer à elle cette coalition des rivaux, dont tous les sondages montrent que la majorité des électeurs la considèrent comme la principale responsable de la défaite de la gauche. Ségolène avait fait les mêmes analyses que Sarkozy. Mais il lui a manqué d’être préparée avec la patience stratégique, l’imagination bondissante et la détermination grâce auxquelles, pendant cinq ans, Nicolas Sarkozy a forgé sa victoire. 

Tout cela doit être présent dans nos échanges, avec une seule formule : si pessimiste que l’on puisse être, si désenchanté que l’on soit devenu, si sceptiques que nous nous abandonnions à l’être, nous ne pouvons plus nous contenter d’accuser le peuple français, en nous abritant derrière la dénonciation de ses singularités, ou plutôt comme l’on dit désormais de ses «modèles».”

Première Université d’été des Gracques

Voir aussi : “En rendant hommage au journaliste Jean Daniel, le chef de l’Etat envoie un signal à l’électorat qui l’a porté en 2017.”

https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/02/27/emmanuel-macron-tente-de-renouer-avec-la-deuxieme-gauche_6031019_823448.html