Retraites: relire Michel Rocard
Les Gracques ont noté qu’en engageant la responsabilité de son gouvernement sur la réforme des retraites, la Première ministre a convoqué Michel Rocard et cité les propos qu’il tenait le 15 novembre 1990, lors du débat sur la loi créant la Contribution sociale généralisée, disant que « dans un scrutin où chacun voterait selon sa conscience, permettez-moi de dire que je suis sûr que ces dispositions réuniraient une majorité, peut-être même une large majorité ». Il est impossible de spéculer sur ce que Michel Rocard aurait dit ou fait dans une actualité qui n’est plus la sienne. Mais il est instructif de le relire. Le bulletin de l’association Michel Rocard revient sur son approche en soulignant dans son dernier bulletin deux passages de la préface qu’il avait rédigée pour le « Livre blanc sur les retraites » et qui constituent un véritable discours de la méthode sur le processus qui lui semblait indispensable pour aboutir à une réforme qui soit acceptée par le plus grand nombre.
« Ce Livre Blanc propose des perspectives chiffrées pour tous les régimes de vieillesse ; il distingue scrupuleusement les données, les hypothèses raisonnées et les projections. Il dessine deux horizons : l’un aux marges d’incertitude faibles vers 2010, l’autre sans doute plus aléatoire mais fondé aussi sur des tendances démographiques largement irréversibles vers 2040. Son ambition est de rechercher l’accord sur les données, sur les termes du débat, afin que chacun en fonction de ses valeurs et de ses options politiques puisse émettre des propositions et participer à la discussion.
Une démocratie comme la nôtre doit être capable de débattre à temps de ces problèmes et d’en traiter sereinement.
Une mission sera chargée d’animer ce débat, que j’espère le plus vivant et le plus ouvert possible. J’en attends une meilleure compréhension par tous des données et des enjeux, j’en espère une appréciation plus juste de la condition présente du retraité, j’en souhaite une explication des positions des uns et des autres. Ce sera pour les acteurs sociaux, les responsables syndicaux et professionnels, l’occasion de mettre en face de chacune de leurs propositions un chiffrage, un calendrier d’application, un mode de financement. La mission pourra alors rendre compte publiquement. Les évolutions possibles seront concertées, l’accord entre les parties recherché, après quoi le Parlement et le gouvernement prendront leurs responsabilités. (…)
(…) Le moment de débattre est maintenant arrivé. Je voudrais pour terminer faire trois remarques. La première est qu’une évolution de notre système de retraites ne relève pas d’une mesure unilatérale déterminée par un gouvernement. La confrontation des idées et des intérêts est nécessaire et légitime. Je rechercherai le plus large accord sur les données, les perspectives, les solutions. (…)
S’agissant de la procédure je tiens beaucoup au respect de quelques règles simples. L’avenir des retraites intéresse de manière directe et immédiate l’ensemble des forces politiques et sociales. Le rôle de la mission créée consistera à recueillir tous les avis, à tester les solutions, à faire procéder éventuellement à de nouvelles simulations. La procédure de consultation et de décision mise en place vise à permettre aux groupes intéressés de discuter et d’enrichir le débat sous le regard de l’opinion, avant que le Parlement n’ait, sur proposition du gouvernement, à donner une éventuelle traduction législative.
Bref, j’espère un débat qui partirait de données incontestables pour progresser vers des hypothèses raisonnées avant de déboucher sur le choix entre des solutions rigoureusement quantifiées. Si, au bout du chemin, l’accord sur les solutions est atteint, tant mieux, et si tel n’était pas le cas, du moins nous aurions illustré collectivement les vertus de la démocratie et nous aurons progressé dans la recherche du bien commun. (…) »