Moderniser l’Etat pour de vrai

Tant que l’Etat hésitera à se numériser, il refusera de fait de se moderniser… et les simples citoyens attendront. Jusqu’à quand demande Bernard Spitz ?

Il y a un impensé dans la politique en France depuis longtemps. C’est la réforme de notre Etat. Un angle mort paradoxal par rapport à la promesse d’une nouvelle génération au pouvoir, celle dont on aurait pensé qu’elle accélérerait la modernisation, notamment numérique, de la gestion publique, comme dans tant d’autres pays…

La campagne électorale de 2017 avec François Fillon s’était centrée sur le nombre de fonctionnaires à supprimer, une mauvaise entrée en matière. Un « comité action publique 2022 » fut bien créé pour penser la transformation, mais ses conclusions finirent dans les broyeuses de l’exécutif. La seule mesure, symbolique bien que sans portée profonde sur notre Etat, fut la suppression de l’ENA créée par le général de Gaulle, que personne ne réclamait.

Le second quinquennat sera-t-il l’occasion de boucher cet angle mort pour atteindre un Etat plus efficace et plus frugal ? C’est-à-dire qui encadre, soutienne, évalue et récompense ses serviteurs, comme toute organisation professionnelle.

Qui offre à nos concitoyens le niveau de protection sociale et de sécurité auxquelles ils aspirent, tout en les libérant d’une oppressante bureaucratie. Et qui desserre une contrainte financière d’autant plus insupportable que nous dépensons plus que les autres pour moins de résultats, au prix d’une dette qui finira par nous exploser, un jour pas si lointain, à la figure.

La priorité : les simples citoyens

Plus le temps passe, moins la promesse de l’Etat est tenue, une déception que confirment les sondages d’opinion. Santé et éducation souffrent. Les conditions de travail de la police et de la justice sont médiocres. La décentralisation est en rade, le logement sinistré. Et l’enfer réglementaire écrase ses usagers, comme les agriculteurs l’ont rappelé. Comment s’y attaquer ?

Au-delà d’un projet de loi de simplification pour les TPE et PME promis au printemps, la priorité devrait concerner les simples citoyens. Le permis de conduire dématérialisé a été un bon signal. Il y avait d’autres indices prometteurs dans la déclaration de politique générale de Gabriel Attal : simplification, réquisition, évaluation, pénalisation des incivilités (les rendez-vous médicaux non honorés), suppression des instances fantômes… Autant de principes concrets et de bon sens.

Il y manque hélas la seule action centrale qui permettrait de concilier efficacité, réduction de coûts et justice sociale. Celle qui mettrait les nouvelles technologies – dont l’IA – au service de tous. Celle qui supprimerait les milliers de procédures, formulaires et bureaux chargés de leur application, en les remplaçant par le transfert automatique des prestations sociales et de solidarité à leur bénéficiaire, sans démarches à accomplir ni normes incompréhensibles à respecter. Celle qui adopterait le principe « dites-le nous une seule fois », qui empêche l’administration de redemander une donnée qu’elle a déjà.

Mettre les nouvelles technologies au service de tous

C’est possible, cela existe déjà ailleurs comme en Estonie , grâce à l’identité électronique unique, universelle et obligatoire de chaque citoyen. Aussi simple que la carte vitale, aussi sécurisée que la carte d’identité, aussi banalisée que l’identifiant national de santé, elle pourrait rendre notre administration accessible, égalitaire et aussi efficace que les plateformes numériques de la vie quotidienne. Le personnel administratif ainsi libéré irait alors au contact des Français qui en ont besoin.

Conjuguée à un vaste plan de départs volontaires, cette réforme-là permettrait de moderniser notre Etat vite et bien, plutôt que d’attendre le moment où des coupes aveugles seront imposées par le poids de notre dette. Mais voilà, l’archaïsme a la peau dure. On en est encore à parler « d’expérimenter le préremplissage des formulaires » de demande de RSA. Ça fera bien rire les Estoniens ! Alors que comme eux, il faut faire l’inverse : automatiser les versements et supprimer les formulaires !

Tant que l’Etat hésitera à se numériser, il refusera de fait de se moderniser… et les simples citoyens attendront. Jusqu’à quand ?

Bernard Spitz

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2024, l’Europe face à son destin 

On connaît : « Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait. » Mais quand tout redevient possible, même le pire, que vont-ils faire ? « Ils », ce sont nous, les Européens, à quelques mois d’élections souvent perçues comme sans enjeu, mais qui seront pourtant cette fois cruciales pour l’avenir du continent.

Le passé récent nous apprend en effet que tout redevient possible. La guerre aux frontières de l’Union ; la menace nucléaire ; la victoire de l’extrême droite dans les pays fondateurs de la Communauté européenne ; la résurgence de l’antisémitisme au coeur de nos nations…

Ajoutons aux risques l’aggravation des conflits régionaux du Moyen-Orient à l’Asie, la conquête de l’Ukraine, les mouvements migratoires incontrôlés, la multiplication des actes terroristes, la rétorsion sur les métaux rares et, d’une façon générale, le retour au protectionnisme dans le commerce international.

(…)

Article complet à lire dans Les Echos

Les Gracques au congrès de la FPI

Jeudi 1er juin 2023, les Gracques étaient présents au congrès de la FPI pour une table ronde avec Pascal Boulanger, Thomas Cazenave, Marc-Philippe Daubesse et Etienne Langereau.

Principale préoccupation des Français car première dépense contrainte dans leur budget, le logement revient (enfin !) dans le débat public.

Nos propositions (objectifs chiffrés de relance de la construction, prêt à taux négatifs pour les primo accédants, reversement aux communes de 5% de la TVA perçue sur la construction, etc.) sont à retrouver dans notre dernier livre et dans notre note « En finir avec la politique malthusienne du logement« .

Macron s’inspire des Gracques

Le président multiplie ces jours-ci les consultations afin de proposer une réforme institutionnelle. Aux présidents de la République à la retraite (Sarkozy, Hollande) comme aux présidents des assemblées (Larcher, Braun-Pivet), Emmanuel Macron vante les avantages d’une rétablissement du septennat assorti d’élections législatives de mi-mandat (Midterms). Une manière d’inscrire l’action de l’Elysée dans le temps long et de proposer une respiration démocratique à m-parcours. L’idée lui a été suggérée avec insistance par les Gracques. Dès octobre 2021, les Gracques ont proposé cette réforme (mandat de 6 ans et midterms) dans « Le Manifest de la dernière chance » (Albin Michel), leur contribution au débat de l’élection présidentielle.

Article à retrouver dans l’Obs du 15 février 2023

Réforme des retraites: « Il faudra y revenir »

Pour les Gracques, think tank social-libéral, la réforme est indispensable, mais ne suffira pas. En outre, elle sacrifie les jeunes et n’abolit pas les privilèges.

A peine la réforme des retraites présentée, la France se prépare déjà à une nouvelle crise sociale dont notre pays est coutumier. L’ensemble de la gauche, l’extrême droite et les huit principaux syndicats sont vent debout contre un projet dont ils prétendent ne pas voir l’utilité.

Il y a déjà plus de trente ans, Michel Rocard écrivait dans son Livre blanc sur les retraites qu' »une démocratie comme la nôtre doit être capable de débattre à temps de ses problèmes et d’en traiter sereinement ». Il doit aujourd’hui se retourner dans sa tombe en regardant ce qui reste du Parti socialiste plaider pour un retour de l’âge légal de départ à 60 ans.

Article complet à lire dans Le Point.

Les Gracques au rendez-vous du Souffle Breton

Le 22 octobre dernier, nous étions à Saint-Brieuc pour le rendez-vous du Souffle Breton, à l’invitation de son fondateur, Loïg Chesnais-Girard.

Au programme de cette matinée: restitution des ateliers de travail lancés il y a un an et réunissant des élus et membres de la société civile, puis table ronde sur le thème « Redonner confiance ».

A l’occasion de cette table ronde animée par Fanny Chappé, maire de Paimpol, Bernard Spitz est intervenu aux côtés de Carole Delga, présidente de la région Occitanie et Malo Pinhouët, étudiant et membre du conseil régional des Jeunes.

Les Gracques au Sommet des progressistes 2022

Le 13 octobre 2022, nous participions au sommet des progressistes (#PGS22), organisé à Berlin par le think tank allemand et ami des Gracques Das Progressive Zentrum, fondé lui aussi en 2007.

Le #PGS22 rassemble des acteurs politiques de premier plan, du niveau local au niveau international, afin de travailler sur les principaux défis du moment et les nouvelles alliances progressistes pour y répondre.

A ce titre, nous avons présenté les propositions de notre Manifeste de la dernière chance et les grandes lignes de notre projet politique pour 2023/24, une alternative sociale et libérale adaptée à notre pays et à notre Europe.

PICC, l’acronyme du grand basculement

Le « basculement du monde » décrit par le président de la République a son acronyme. Après les Gafa et autres BRICS, bienvenue dans le monde des PICC ! Quatre lettres pour quatre chocs globaux qui remettent en cause nos fondements démocratiques. Si nous avons déjà rencontré chacun d’eux dans le passé, leur combinaison constitue un défi sans équivalent. Voici donc les quatre piliers du PICC.

P comme pandémie

P comme pandémie. Les grippes asiatiques et espagnoles avaient endeuillé le XXe siècle… Si la découverte rapide d’un vaccin a été un succès scientifique, le Covid a bouleversé, depuis, notre rapport au travail – surtout pour les jeunes. Il a montré à quel point nous sommes vulnérables aux virus, dépendants d’autres régions du monde et a créé de nouvelles attentes difficiles à satisfaire par l’Etat providence.

I comme inflation

I comme inflation. Nous en avions oublié l’existence. Après des décennies de stabilité puis la drogue des intérêts négatifs, l’inversion est brutale. Les banques centrales ont beau augmenter les taux au risque d’une récession économique, l’inflation redevient un facteur majeur dans le comportement des ménages et des entreprises avec des conséquences économiques redoutables.

C comme conflit

C comme conflit. La brutalité de nations s’attaquant à leurs voisins est la trame de l’histoire européenne. Mais le cyber et les médias changent l’équation à l’ère nucléaire. Les démocraties savent que leur éventuelle faiblesse sera exploitée par les démocratures. Inversement, elles mesurent l’asymétrie entre des sanctions qui peinent à ralentir l’agresseur et des opinions publiques divisées, séduites par la vague populiste.

C comme climat

C comme climat. La vague de chaleur sur l’Europe – des températures prévues pour 2050 arrivées dans des villes nordiques non préparées – confirme que la lutte contre le changement climatique est une priorité absolue. Or les principaux responsables – la Chine, les Etats-Unis et l’Inde – ne s’engagent pas assez. Les sommes gigantesques englouties dans la pandémie manquent aujourd’hui cruellement pour financer la transition au rythme nécessaire.

Les rapports de force se sont modifiés

Les PICC menacent un monde de plus en plus fracturé entre démocraties libérales et régimes autoritaires. Ce n’est plus la guerre froide du siècle précédent, c’est un changement de rapports de force qui conteste la domination de l’Occident et teste sa résistance. Au moment où le monde aurait le plus besoin de coopération, puisque le changement climatique et les virus ignorent les frontières, le clivage dogmatique l’emporte : partout les démagogues promettent de rendre leur grandeur à leur pays non pas avec, mais contre les autres, et polarisent leur opinion publique.

L’Europe apparaît particulièrement fragile dans ce contexte. L’excédent de notre balance commerciale représentait 300 milliards de dollars annuellement. Il est tombé à zéro pour la première fois depuis trente ans avec un déficit allemand, un taux record de dette pour l’Italie et la France, la dégradation économique du Royaume-Uni post-Brexit et les craintes des pays voisins de l’Ukraine, comme la Pologne. Les Etats-Unis ne sont focalisés que sur la Chine et engrangent à court terme les bénéfices de la guerre de Poutine. Le blocus de la mer Noire et les obus tombant sur les champs de céréales ukrainiens sont dramatiques pour l’Afrique. Le Printemps arabe, on le sait, a commencé par la faim. Dans le contexte climatique, une nouvelle crise des migrants est probable. Les PICC pourraient ainsi être rejoints par un cinquième choc : le « S » de « social ».

Le monde a besoin d’un nouveau Bretton Woods

Le monde a besoin d’un Bretton Woods pour le XXIe siècle, une conférence qui jetterait les bases d’une collaboration plus inclusive entre nations et institutions internationales, permettant de lutter contre les pandémies, de réduire les émissions de CO2, d’améliorer l’éducation et de décourager les visées expansionnistes. Une telle perspective, soutenue par les syndicats de salariés et les employeurs des sept principaux pays occidentaux, avait été évoquée, il y a trois ans, par Emmanuel Macron avant le G7 de Biarritz. N’est-ce pas le moment d’une telle réinvention, pour répondre aux PICC ?

Bernard Spitz

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Giorgia-Marine, même combat

Dans sa course au pouvoir, Giorgia Meloni affiche bien des points communs avec la présidente du Rassemblement national, Marine Le Pen. Des stratégies communes, malgré quelques différences, décryptées par Bernard Spitz.

En France comme en Italie, les partis socialistes ont sombré, la gauche radicale – Mouvement 5 étoiles puis Nupes – a émergé, la droite traditionnelle – LR et Forza Italia – a été laminée au profit de la droite dure : Rassemblement national, Ligue et Fratelli d’Italia. 

Italie de tous les paradoxes… Avec une gauche de gouvernement dirigée par l’ancien démocrate-chrétien Enrico Letta, contraint à des concessions à gauche pour éviter le sort du PS français dépecé par les Insoumis, et se fragilisant du coup sur sa droite, comme les socialistes l’ont été par Macron, et menacé par un Mouvement 5 étoiles gauchiste mené par l’ancien Premier ministre Giuseppe Conte (autant imaginer Edouard Philippe succéder à Jean-Luc Mélenchon).

Article complet à lire dans Les Échos.

Ce que nous dit le départ de Draghi : “si l’on ne répond pas à l’angoisse démocratique, la voie sera ouverte aux populismes”

Le départ du président du conseil italien Mario Draghi est un nouvel exemple de la fragilité démocratique européenne alors que la guerre en Ukraine, l’inflation, la crise climatique ouvrent un nouveau cycle de note histoire, relève dans une tribune au « Monde » le dirigeant d’entreprise Bernard Spitz.

La démission de Mario Draghi est un coup dur pour les économies de l’Italie, de la France et de l’Union européenne. Chacun le comprend. Mais pas seulement. Dans un monde marqué par les peurs, elle est aussi le révélateur de la reprise en main de l’économie par le politique et de son glissement vers la droite radicale. Comment imaginer, face à tant de remises en cause, que nous allions poursuivre le voyage dans le petit train rassurant de Fukuyama sur « la fin de l’histoire » ?

Un nouveau cycle est ouvert, dont personne ne sait la durée et dont seuls nos enfants connaîtront un jour le nom. Ceux qui ont connu l’entre-deux-guerres ou les « trente glorieuses » n’avaient pas la moindre idée qu’ils vivaient ces époques de l’histoire. Il en va de même pour nous : le basculement s’est produit sous nos yeux, il ouvre une nouvelle période d’incertitude et de fureur.

Nous vivons quatre chocs : le retour de l’inflation qui n’est pas qu’un fait statistique mais un élément majeur des comportements des ménages et des entreprises ; la prise de conscience de l’urgence climatique enfin reconnue comme priorité absolue ; l’impact de la pandémie qui change le rapport au travail, notamment chez les jeunes et souligne notre fragilité face à la maladie ; enfin la guerre aux portes de l’Europe qui nous rappelle la tragédie des temps et la brutale logique des rapports de force…

La radicalité d’un camp entraîne la radicalité de l’autre

Face à ce tumulte, Mario Draghi est arrivé au pouvoir porté par une double évidence : il était le meilleur et le plus crédible aux yeux du monde économique, de la société italienne, du reste du monde ; et il ne venait pas du monde politicien d’avant. Exactement comme Emmanuel Macron. Ce que nous dit son départ, c’est que cela ne suffira plus à l’avenir, que cela ne suffit déjà plus.

En France comme en Italie, le glissement politique s’opère vers la droite dure et populiste, Rassemblement national ici, Ligue et Fratelli d’Italia là-bas. La radicalité d’un camp entraîne la radicalité de l’autre. En France, la Nupes a marqué la prise de pouvoir des « insoumis » sur les écologistes et les sociaux-démocrates.

En Italie, le Mouvement 5 étoiles a explosé en deux, la partie anarchiste et gauchisante s’abandonnant à Giuseppe Conte, devenu le premier adversaire de Draghi et le forçant à la démission. Même observation aux Etats-Unis : l’idéologie radicale d’un Trump a non seulement conquis le pouvoir mais a marqué d’une empreinte durable le Parti républicain au point que sa réélection – ou à défaut l’avènement du gouverneur de Floride sur sa ligne – fait partie des scénarios possibles. Parallèlement, la radicalité fait son chemin aussi chez les démocrates.

Plus que jamais un besoin d’espoir et d’un projet collectif

L’Allemagne est l’exception puisque la coalition actuelle est issue d’élections ayant marqué un net recul des extrêmes. Mais pour combien de temps, alors que l’hiver s’annonce difficile en raison de la crise énergétique et que l’inflation – mot maudit depuis la république de Weimar – réapparaît ?

En quelques semaines à peine : démission de Mario Draghi et de Boris Johnson, contestation de Joe Biden et d’Emmanuel Macron, assassinat de l’ancien premier ministre Shinzo Abe : cinq des sept membres du G7, cinq démocraties parlementaires ainsi affaiblies au moment où les démocratures russe, chinoise et turque plastronnent, indifférentes aux sanctions des tigres de papier occidentaux.

En ces temps de basculement et de menaces de tous ordres, les citoyens ont plus que jamais besoin d’espoir et d’un projet collectif qui les rassure. Hélas ce message n’est toujours pas incarné politiquement par l’Europe. Et il n’est plus porté par les partis dits « de gouvernement » de nos démocraties.

Être compétent, intelligent, honnête ne suffit plus. L’« en même temps » non plus. La force de l’utopie et le sens du progrès ont été abandonnés aux extrêmes. Même les jeunes, dans un sondage récent, disent qu’ils s’accommoderaient d’un despotisme éclairé. Ce que nous dit la démission forcée de Draghi, c’est que si l’on ne répond pas mieux à l’angoisse démocratique, la voie sera ouverte aux populismes.

Tribune à retrouver dans Le Monde