Un RSA vraiment automatique serait une percée majeure contre la précarité

La politique du « en même temps » suppose de combiner des logiciels politiques différents. Au point parfois d’être contradictoires ? C’est ce qui a été reproché au programme du président de la République en matière de minima sociaux : à ma gauche, la mise en place d’un versement automatique des aides sociales (à commencer par le RSA) ; à ma droite, le conditionnement du RSA à la réalisation par l’allocataire de « quinze à vingt heures hebdomadaires d’activité effective permettant l’insertion ». 

Peut-on vouloir simultanément automatiser le RSA et lui appliquer une condition supplémentaire, dont l’application ne manquera pas d’être un peu subjective ? 

On pourra d’abord rappeler que les conditions d’accès à une allocation sont distinctes des modalités de son versement. Donc, il n’y a pas de contradiction par nature à jouer sur les deux tableaux.  

On peut par ailleurs voir une complémentarité d’objectifs entre ces mesures, qui s’attachent aux deux visages du RSA :  

D’une part, le RSA est l’ultime filet de sécurité pour les personnes qui n’ont plus d’autre moyen de subsistance. Dans un rapport récent, la Cour des comptes souligne l’efficacité de cet instrument en dernier ressort de lutte contre la pauvreté. Le problème, c’est que 30% des Français qui auraient droit au RSA ne le demandent pas et donc ne le perçoivent pas. Un RSA vraiment automatique, en minimisant ce taux de non-recours, serait donc une percée majeure contre la précarité en France ! 

D’autre part, le RSA est censé être un palier de réinsertion vers l’emploi. Rappelons que tous les bénéficiaires sont censés avoir signé un « contrat d’engagement réciproque » avec l’Etat, portant sur une démarche d’insertion et de recherche d’emploi. Mais la Cour des comptes montre que le RSA remplit très mal cette mission de réinsertion, avec à peine un tiers des allocataires en moyenne ayant retrouvé un emploi au bout de sept ans. La principale raison en est la faiblesse du dispositif d’accompagnement mis en place dans les services sociaux et au sein de Pôle Emploi, qui ne sont pas armés pour prendre en charge des personnes parfois très éloignées de l’emploi. 

Les deux mesures proposées par Emmanuel Macron ne sont donc pas philosophiquement incompatibles : l’une, l’automatisation du versement des aides, vise à améliorer l’efficacité du RSA contre la pauvreté ; l’autre, le conditionnement à l’exercice d’une activité d’insertion, s’inscrit dans la logique tremplin vers l’emploi.  

144 allocataires par agent en Seine-Saint-Denis

Mais c’est dans la pratique que les choses se compliquent sérieusement. 

Disons-le franchement : les services d’insertion seraient aujourd’hui bien incapables, de trouver et proposer à tous les bénéficiaires du RSA des contrats d’activité de quinze heures par semaine. Dans un département comme la Seine-Saint-Denis, chaque agent des services d’insertion professionnelle gère en moyenne 144 allocataires… Il serait injuste de durcir les conditions de bénéfice du RSA sans améliorer très significativement les moyens de l’accompagnement : on mettrait alors en péril l’efficacité des minima sociaux contre la pauvreté ! 

De l’autre côté du spectre, le versement automatique des minima sociaux représente un gigantesque chantier de transformation numérique. Le partage de données entre administrations fiscales ou sociales est une nécessité absolue pour améliorer l’efficacité publique, notamment pour automatiser la gestion des droits sociaux. Cela demande du temps, de l’argent et de la volonté politique, mais c’est indispensable quand on réalise que la France n’est classée que 22ème sur 27 pays de l’Union par la Commission européenne en matière d’automatisation de l’utilisation des données par les administrations. 

Les pays mieux classés que nous, à commencer par le plus avancé, l’Estonie, ont totalement repensé leurs services publics grâce, par et pour le digital, allant jusqu’à simplifier la loi pour la rendre applicable par la machine. Il ne s’agit en effet pas seulement de numériser des démarches administratives telles qu’elles existent aujourd’hui, mais bien de les adapter à la gestion automatisée (ce qui est loin d’être le cas pour le RSA). Or la France n’a pas commencé ce travail, qui se fera dans la douleur : qui expliquera aux parlementaires qu’ils ne doivent voter que des textes assez clairs pour être « codables » ? 

Il ne faut donc pas sous-estimer l’effort que représente l’automatisation du RSA et des aides sociales, mais le jeu en vaut la chandelle sur tous les tableaux : justice sociale, lutte contre la fraude, mais aussi économies de fonctionnement. La gestion de ces allocations occupe aujourd’hui des centaines d’emplois publics, qu’il sera possible de redéployer… dans l’insertion professionnelle des allocataires ou dans l’accompagnement numérique des personnes isolées. 

Autrement dit, les deux mesures proposées par Emmanuel Macron sont liées. A condition de mettre en place un Etat plateforme avec des procédures numérisées qui permettront au A du RSA de signifier l' »automaticité » de la gestion des droits et de redéployer les ressources vers l’accompagnement des allocataires vers l’emploi. Même si l’on peut douter qu’un quinquennat y suffise, cette démarche est vertueuse et peut s’appliquer à beaucoup de services publics à condition de respecter l’ordre des facteurs : adapter la loi au numérique, automatiser le versement, redéployer les ressources vers l’accompagnement, et enfin seulement se montrer plus exigeant vis-à-vis des usagers. 

Une tribune à retrouver dans L’Express.