La seule question posée à l’Europe, le 9 juin, pour Bernard Spitz, était celle de notre réponse collective à un moment de bascule de l’équilibre du monde.

« Education européenne », premier roman de Romain Gary, se déroulait dans les maquis de la résistance polonaise face à l’envahisseur nazi. Presque un siècle plus tard, ce qui se passe à l’est de l’Europe nous rappelle que nous ne sommes plus à l’abri de rien avec, de surcroît, la menace nucléaire.

Au péril russe s’ajoutent les défis du Sud global, des démocratures, de l’islam radical, de tous ceux que réunit l’hostilité à l’Occident. Par ambition commerciale (les « routes de la soie » de la Chine), expansionnisme (la guerre en Ukraine), revanchisme anticolonial (les milices Wagner en Afrique) ou fanatisme totalitaire (le terrorisme islamique).

S’ajoute le risque de fracture atlantique avec Donald Trump. Car même si les Etats-Unis restent dans l’Otan, ce sera au prix de rudes concessions imposées aux Européens : en financement accru de l’effort militaire, ce qui s’entend ; mais aussi dans l’achat forcé de centrales nucléaires, de bons du trésor, etc. « America first ! »

A force de dépenses de court terme, nous voici, telle la cigale, incapables de financer ce qui fonde la souveraineté réelle : la défense, l’industrie, l’énergie, la technologie,…

Pour préserver l’avenir de nos jeunes, ce nouveau mandat doit être celui des grandes décisions. L’Europe est face à deux options, défensive ou offensive .

Repli national ou projet politique

La vision défensive, c’est celle du repli national. Cela ne signifie pas l’éclatement de l’Union qui restera un marché avec ses règles collectives. Mais une Union dans laquelle chacun des membres prendra des décisions conformes à ses seuls intérêts. Cela convient aux programmes populistes qui vendent le beurre et l’argent du beurre, c’est-à-dire qui prétendent qu’on peut garder les avantages de l’Union sans les disciplines qui vont avec, en cachant que la fin des contraintes signifie aussi la fin des aides et des protections existantes.

La vision offensive, elle, revendique le projet politique européen. Pour le faire évoluer, tant ses dysfonctionnements sont criants quand nous ne parvenons pas à produire assez de munitions pour l’Ukraine ou que nous accumulons les normes qui suscitent le mécontentement général. Mais un projet que nous devons aussi mériter, en lui consacrant les efforts nécessaires, puisque lui seul peut nous permettre de faire face aux défis du monde.

L’éducation européenne est tout autre chose que le cumul des politiques nationales : c’est le partage entre Européens d’une même vision face aux défis immenses que l’Europe ne peut affronter qu’unie. Quelles priorités ? Comment les financer ? Quelles réformes institutionnelles mener ? Autant de questions évitées pendant une campagne saturée dans la plupart des pays par les considérations de politique intérieure.

Les temps à venir seront agités. Il nous faudra une Commission forte et un Parlement rassemblé autour d’une majorité. Pour l’atteindre, on devra réunir bien plus que la moitié des députés plus un. Sinon, le moindre sujet sensible dans un seul pays peut tout paralyser.

Coalition nécessaire

Le centre de gravité du Parlement s’est déplacé à droite avec une fragmentation accrue . Pour qu’émerge une ligne claire et non la confusion de majorités changeantes au gré des sujets, s’imposera la nécessité d’une large coalition qui implique forcément des compromis. En excluant les extrêmes qui sont les sponsors du chaos ; et en étant prêts à rassembler, des sociaux démocrates au centre Renew, à la droite du PPE, jusqu’aux députés de Giorgia Meloni. Difficile, mais pas impossible tant il y a urgence.

A une Europe figée cinq ans dans l’impuissance, il ne resterait qu’à méditer la pensée du général McArthur qui résumait toutes les défaites en deux mots : trop tard. Que vienne au contraire se constituer une majorité avec des priorités partagées dans un contrat de législature au Parlement, alors – alors seulement – l’Europe pourra s’affirmer dans le grand fracas international. Ce serait la victoire de l’éducation européenne.

Une chronique de Bernard Spitz à retrouver dans Les Echos.