Face à la crise financière: Résumé des débats de l’Université d’été

Daniel Cohenprofesseur d’économie à l’Ecole Normale Supérieure, membre du Conseil d’Analyse Economique (CAE).

Guillaume Hannezomembre fondateur des Gracques, ancien conseiller économique de François Mitterrand.

Ana Palacioancienne ministre des affaires étrangères d’Espagne, ancienne vice-présidente de la Banque Mondiale.

Animateur : Philippe Tibi

 

Ana Palacio :

(En réponse à La Barbe, Ana Palacio a insisté sur défi de la présence des femmes).

Le défi européen est un défi du centre (social-démocrate ou PPE) : avec la crise, les extrêmes sont dans une situation plus favorable que le centre.

Nous sommes confrontés à un changement de tempo, qui remet en cause les accords économiques établis dans le contexte relativement stable de la guerre froide. La légitimité politique initiale des pères fondateurs a été remplacée par une légitimité fonctionnelle (technocratie de la Commission Européenne), la participation aux élections européennes diminue, le moteur franco-allemand a volé en éclats, personne ne s’est tourné vers la Commission lors de la crise, les institutions ont fait la preuve de leur inefficacité : c’est le pouvoir qui prend le dessus, entraînant une hégémonie allemande. Les concessions allemandes ont été à chaque fois réalisées trop tard pour qu’elles soient efficaces, entraînant une crise de confiance entre le Sud et le Nord. Au débat politique s’est superposé un débat moral (Sud paresseux, Nord rigide). Le sentiment de pessimisme européen est encore plus poussé en France.

Il n’y aura pas d’Union bancaire sans cession de souveraineté.

Au niveau national, il faudra développer des Etats performants et faire le tri entre ce que nous pouvons garder et ce que nous devons réformer.

 

Daniel Cohen :

La crise nous fournit plusieurs enseignements. L’économie et le politique tirent dans des directions opposées. Les crises se propagent, sans aucune force de rappel car le politique a perdu trois moyens de les contrôler :

–        l’abandon de la politique monétaire nationale. Si l’indépendance de la banque centrale face au risque inflationniste n’avait pas été à la base de la construction européenne, nous aurions pu garder des moyens d’intervention. Une monnaie sans Etat ne fonctionne pas.

–        la place devenue trop importante du secteur financier rend le bail-out impossible. Avec la financiarisation de l’économie, les bilans des établissements financiers européens sont de plus de 100% du PIB. On ne peut pas sauver des banques que l’on n’a pas supervisées au préalable (on n’achète pas une police d’assurance quand l’incendie a lieu). Les Allemands ont compris qu’ils allaient financer les banques espagnoles.

–        l’absence de mécanismes fédéraux de péréquation. Aux Etats-Unis, quand la Californie est atteinte, elle peut compter sur des mécanismes fédéraux de péréquation. En Europe, ce n’est pas le cas pour la Grèce. Il aurait fallu penser à cela dès le départ.

Le pouvoir politique s’est enfermé dans ses prérogatives et n’a pas su se dépasser. Le chaos « Merkozy », incapable de gérer la crise, a ouvert la voie au FMI. La réunion de Rome a été un échec basé sur de faux semblants et une fausse prise de décision (10 milliards de recapitalisation de BEI déjà actés). La crise induit un besoin de mesures discrétionnaires. Le sommet européen d’hier a été une excellente surprise. L’accord vise à créer une union bancaire qui soutiendra les banques espagnoles notamment. Une instance de supervision européenne disposera des moyens de recapitaliser les banques en difficulté au niveau fédéral, sans déstabiliser les Etats (droit de tirage sur une caisse mutualisée de 700 milliards d’euros). Ceci va entraîner en retour un besoin de contrôle (d’où un besoin d’instances de légitimité) qui pourra renforcer le poids du Parlement Européen. Mais il faudrait pour cela un sous-groupe représentant uniquement l’Eurozone.

 

Guillaume Hannezo :

Nous nous retrouvons confrontés au vice de conception originel de l’union monétaire, qui a été accentué par le laxisme. L’Union monétaire devait n’être qu’une étape, mais la PECS a volé en éclat, notamment du fait des « laxistes » et des « cyniques ».  De plus, Contrairement à l’aspect budgétaire, la possibilité d’une crise bancaire n’avait pas été pris en compte (les banques avaient alors un poids moins important dans l’économie).
La crise actuelle est une Crise de balance des paiements: les déséquilibres de compétitivité se sont accentués sous le parapluie allemand. Cette crise des balances de paiements ne pourra être règlée que par une politique coordonnée.
En effet, L’Eurozone intégrée serait le seul triple A du monde. Mais elle doit être rééquilibrée: pas avec un président du pouvoir d’achat, mais avec un chancelier du pouvoir d’achat ! Sans cela, les anticipations des marchés, à savoir un éclatement de l’euro, se réaliseront.
Avec le sommet européen d’hier, les spéculateurs pourraient pour une fois perdre de l’argent pour avoir sous-estimé les dirigeants européens (jusqu’à présent, ils étaient continûment en dessous des attentes).

Philippe Tibi :

Y a-t-il une sortie par le haut possible ?
Ana Palacio :

L’Espagne a obtenu le découplement entre dette souveraine et sauvetage des banques. L’Espagne s’est développée très rapidement (à l’instar de Singapour, de l’Irlande), mais ce développement a aussi laissé des asymétries effarantes, en particulier, un Chômage structurel aberrant.

Trois pistes de réforme pour l’Espagne:

les syndicats. En Espagne, les syndicats sont financés par l’Etat, et non par les travailleurs. Ceci les a figé

l’emploi public. l’Espagne ne peut pas de permettre 3 millions d’employés publics, parmi lesquels beaucoup de doublons.

la formation professionnelle. Après Franco, la formation professionnelle avait été démantelée au profit d’une formation universitaire. Ce type de formation devrait être renforcé.
Malgré ces défis, L’Espagne reste un pays avec une vivacité extraordinaire et a les moyens de se redresser.

Philippe Tibi :

La dette va-t-elle tuer l’Etat Providence ?
Daniel Cohen :

L’Etat seul n’est pas responsable ni impacté : l’Irlande, l’Espagne avaient un faible endettement public, et ont pourtant été fortement touchées par la crise. L’Euro a renforcé la crise dans les pays fragiles et appuyé les pays forts.
Nous avons en Europe une Chine, qui accumule les excédents : l’Allemagne (son excédent va dépasser celui de la Chine cette année). L’Allemagne s’est imposée une purge salariale. La purge salariale va-t-elle s’imposer partout ou l’Allemagne va-t-elle augmenter ses salaires ?
Un autre immense danger nous menace : La Commission Européenne, parent pauvre de ces négociations, reprend la main avec des normes rigides (objectifs budgétaires intenables). Ceci renforcerait encore le caractère de plus en plus procyclique de la politique économique européenne.
Guillaume Hannezo :

Il faut d’abord restaurer la confiance. Il faudrait que l’Union Européenne puisse augmenter la TVA dans les Etats qui dérivent.