Rencontre du 30 novembre avec Michel Rocard

Les Gracques auront le plaisir de recevoir Michel Rocard, en qualité de Grand Témoin mercredi 30 novembre de 19h15 à 21h00.

Cette rencontre se tiendra à Sciences-Po 27 rue St Guillaume 75006 Paris – Amphi Jacques Chapsal.

L’entrée est libre et sans inscription préalable.

Michel Rocard

 

Quand la Chine nous note!

Voici une slide présentée par Guillaume Hannezo lors de son débat avec Charles Gave : le monde vu par nos créanciers est bien différent de la vision occidentale de Standard & Poor’s. Et surtout, c’est S&P qui converge vers Dagong (l’agence chinoise), et non l’inverse.

Note Chine

Débat du 23 novembre Baverez/Spitz: Réformer notre Etat

A l’heure ou le désendettement de la France occupe tous les esprits, la question de la reforme de l’Etat redevient centrale. Peut être le mot est-il mal choisi. Pour avoir été si souvent utilisé dans le passé, il apparaît aujourd’hui usé. Mais la réforme de l’Etat ne s’use que lorsqu’elle ne sert pas.

Baverez - Spitz

En réalité peu a été fait, et essentiellement dans un cadre technocratique : la RGPP. Alors que la réforme de l’Etat est un choix politique. Ni la campagne présidentielle de 2002, ni celle de 2007 n’ont franchement traité du sujet. Maintenant que l’Etat est placé face au mur de la dette, cette stratégie d’évitement n’est plus tenable. Comment moderniser l’Etat ? Selon quelles priorités ? Avec quels clivages politiques ? C’est le débat auquel Les Gracques vous invitent entre Bernard Spitz, l’auteur avec Roger Fauroux de « Notre Etat » et Nicolas Baverez, l’auteur de « La France qui tombe ».

Economiste et historien, Nicolas BAVEREZ est également éditorialiste au Monde, au Point et l’auteur de plusieurs livres dont « Après le Déluge : essai sur la grande crise de la mondialisation », (Perrin 2009), « En route vers l’inconnu » (Perrin, 2008) « Que Faire ? Agenda 2007 ? » (Perrin, 2006), « Nouveau Monde, Vieille France » (Perrin, 2006), « Raymond Aron : penser la liberté, penser la démocratie » (Gallimard, Quarto, 2005), « La France qui tombe » (Perrin, 2003), « Raymond Aron, un moraliste au temps des idéologies » (Flammarion, 1993). Il est membre du Comité de direction de la revue Commentaire et du Comité directeur de l’Institut Montaigne.

Bernard Spitz a été successivement Rapporteur à la section du contentieux au Conseil d´Etat (1986-88), Directeur de cabinet de Lionel Stoléru (secrétaire d´Etat au Plan) et Conseiller au cabinet de Michel Rocard (Premier ministre) (1988-91), Maître des requêtes au Conseil d’Etat (depuis 1989), Directeur à la direction générale de Canal + (1992-96), Membre du conseil international de la Fondation Bertelsmann sur Internet (1999), Directeur de la stratégie du groupe Vivendi Universal  (2002-04); Fondateur du cabinet BS Conseil (2004) et Président de la FFSA (2008). Auteur de la Morale à zéro (Seuil, 1995), la Révolution numérique (Fondation Saint-Simon, 1999), Notre Etat, le livre vérité de la fonction publique (en coll., Robert Laffont, 2001), le Papy-krach (Grasset, 2006),

Le débat du 23 novembre aura lieu à Sciences-Po en Amphithéâtre Leroy-Beaulieu-Sorel (3ème étage) au 27 rue Saint Guillaume de 19h15 jusqu’à 21 heures.

Copyright Agence REA pour la photo de Bernard Spitz

27 têtes et pas de cœur: la gouvernance européenne à bout de souffle

Depuis quelques semaines, un constat s’impose : la crise européenne est tout aussi politique qu’économique. La gouvernance européenne est devenue brutale, désorganisée et son maintien en l’état paraît de plus en plus inacceptable pour les peuples européens. Comme toujours en Europe, c’est davantage d’intégration qu’il faudra rechercher pour remédier aux blocages institutionnels. Devenus préférables au statu quo, même pour les plus souverainistes, les Etats-Unis d’Europe sont désormais en ligne de mire.

En annonçant qu’il soumettrait l’accord européen de sauvetage financier de la Grèce à référendum, Georges Papandréou a achevé de dévoiler au grand jour ce qui transparaissait déjà avec les divergences du couple franco-allemand, la prise en otage du fonds européen de stabilité financière par le Parlement slovaque ou encore le chantage de certains membres de la coalition d’Angela Merkel au Bundestag : la crise qui frappe l’Europe est tout aussi politique que financière. Or à ce type de crise, l’Europe n’a jamais trouvé d’issue que par le toit : c’est en sortant par le haut, grâce à une intégration plus poussée et une fédéralisation progressive, que l’UE surmonte habituellement les blocages de sa gouvernance.

1. Une gouvernance européenne à bout de souffle

Plusieurs enseignements sont à tirer du sommet européen du 26 octobre. Le premier, qui nous occupe au premier chef, concerne le rôle du couple franco-allemand et la place de la France en son sein : il apparaît clairement qu’il n’y a plus de « directoire » franco-allemand. Il y a l’Allemagne et la BCE qui décident, et la France qui bénéficie du droit de plaider un peu plus longtemps ou en plus petit comité que les autres. Quand l’Allemagne et la BCE ne sont pas d’accord, comme en juillet sur le défaut grec, la France peut jouer un rôle d’intermédiaire utile pour rapprocher les points de vue ; mais quand elle essaie d’entrer en conflit avec les deux, comme dans sa tentative d’imposer une monétisation de la dette grecque par la transformation du FESF en « banque », elle n’est plus écoutée. Qu’en déduire ? Que c’est d’abord celui qui paie qui décide. La France est un important contributeur au FESF. Mais elle est allée au bout de son effort : elle ne peut plus rien offrir à la solidarité européenne sans risquer immédiatement la perte de sa note AAA. Elle n’a donc plus rien à exiger des Allemands et de la banque centrale, qui restent seuls capables de faire davantage sur le plan budgétaire ou monétaire.

Deuxième constat, les négociations européennes des dernières semaines ont été d’une incroyable violence symbolique. L’Italie a été la première à en faire les frais, à travers des humiliations inconcevables en temps normal : elle a été littéralement convoquée devant un tribunal franco-allemand où le français était un procureur d’autant plus impatient de rendre l’audience publique qu’il voulait que chacun réalise qu’on l’avait, encore cette fois, invité du bon côté de la table. Et à l’issue de ce procès, le premier ministre italien a été prié de revoir sur un coin de table le système de retraite national.

Face à cette dictature des créanciers, on ne peut guère s’étonner que de petits Etats menacent de tout faire sauter pour se faire entendre. Les épisodes de prise d’otages de l’accord par les parlements finlandais et slovaques en sont les plus topiques exemples. Et l’indécence de cette dissuasion du faible au fort (voire du fou au fort) en Europe est la troisième leçon à tirer de cette crise politique.

2. Pour des Etats-Unis d’Europe

Que peut-on en conclure ?

En ce qui concerne la France, la conclusion est simple : si elle veut continuer à peser en Europe, notre nation doit recouvrer ses marges de manœuvre budgétaires. A court terme, cela signifie s’en tenir au statu quo de ses engagements vis-à-vis du FESF et mener une politique de rigueur budgétaire intelligente, de manière à ne pas casser toute reprise de la croissance. C’est un exercice difficile, mais que nous avons les moyens de réussir, notamment grâce à notre fort taux d’épargne : les ménages ont les moyens de continuer à consommer en prélevant un peu de ressources dans leurs bas-de-laine. Pour qu’ils y consentent, il faudra en revanche les convaincre qu’il s’agit d’un sacrifice temporaire et que le gouvernement fait ce qu’il faut pour apurer les comptes et dynamiser la croissance.

En ce qui concerne l’Europe, les conclusions sont à double tranchant.

Côté pile, il semble évident que si l’Union ne change pas de gouvernance, elle est vouée à disparaître. Les peuples n’accepteront pas que s’installent les pratiques observées au sommet de l’Union depuis deux mois. En effet, les peuples peuvent comprendre qu’il y ait des règles constitutionnelles qui s’imposent aux finances des Etats, et même une surveillance mutuelle organisée des budgets avant qu’ils soient votés, voire des sanctions appliquées aux pays membres qui ne joueront pas le jeu. Mais ils n’accepteront pas qu’un groupe d’Etats prennent par surprise leur dirigeant, l’humilient et le moquent, lui imposant en un week-end, sans étude ni préparation, une réforme d’ampleur qui ne saurait décemment se mener qu’au terme de nombreuses consultations. Ils n’accepteront pas davantage qu’au moment de décider de l’avenir de la Grèce, et peut-être demain du Portugal ou de l’Italie, le Parlement allemand agisse comme une chambre basse du sommet européen et soumette à son bon vouloir un projet négocié entre 27 chefs d’Etat ou de gouvernement.

Mais côté face, les fédéralistes flaireront que cette crise est une chance pour davantage d’intégration européenne. Car nous en sommes au point où les peuples vont avoir plus de chances encore de rejeter l’Europe telle qu’elle existe, que de refuser des Etats-Unis d’Europe.

Chacun perçoit que cette Europe fédérale porte en germe des solutions immédiates aux problèmes que nous venons d’identifier. Au premier chef, le fédéralisme repose sur le vote à la majorité et non à l’unanimité : fédéraliser l’Europe économique et budgétaire serait donc mettre un terme aux hold-up tels que les Slovaques et les Finlandais ont menacé de les pratiquer. Le fédéralisme ouvre en outre la voie à un système de votes pondérés, dans lequel l’état des forces peut-être reflété (l’Allemagne doit avoir plus de poids que Malte dans la détermination de la politique économique européenne, c’est sûr) tout en demeurant encadré (l’Allemagne ne pourra pas décider seule avec la BCE, elle aura besoin de la majorité des voix). Enfin, fédéraliser les dettes fait sens économiquement : la zone euro présente un taux d’endettement tout à fait raisonnable si on l’envisage de façon globale et non pays par pays. Rationalisation, clarification, pacification : il faut proposer les Etats-Unis d’Europe.

Cette proposition d’une Europe fédérale, tout indique qu’elle sera bientôt faite, et peut-être plus tôt que prévu en fonction d’un éventuel référendum grec. Elle viendra probablement de l’Allemagne qui, après avoir beaucoup procrastiné, tardé, consulté, sera rendra à l’évidence qu’elle ne peut laisser l’Union se déliter. Et lorsqu’elle viendra, nous devrons prêts à faire nôtre cette proposition et à mener l’immense combat politique qu’elle fera naître. Et cette fois, il faudra gagner le combat.

Vouloir la mondialisation, mais comment ?

NASA-Earth Résumé : Cette note appelle à « vouloir la mondialisation », parce qu’elle porte des valeurs essentielles d’humanisme, de tolérance, de diversité et de solidarité, parce qu’elle seule peut permettre à la France de préserver son influence internationale, parce qu’elle préserve ses intérêts dans le long terme, et parce que son économie en a besoin. Pour autant, la mondialisation est ce que l’on en fait, et la façon dont elle a été gérée est la raison principale pour laquelle elle suscite aujourd’hui des craintes et des oppositions. Car l’exigence de changement rapide qu’elle implique a été synonyme pour de nombreux individus d’incertitude et de précarité, voire d’exclusion. Il est nécessaire de refonder le rôle économique de l’Etat et de repenser les politiques publiques, notamment les politiques sociales et les politique d’aménagement du territoire. Plutôt qu’une diplomatie du repli, la France doit s’engager dans une diplomatie active et dans une négociation internationale exigeante et difficile, visant à faire évoluer et consolider le cadre de règles internationales en matière sociale, économique, commerciale, financière et environnementale.

Les Français vivent la mondialisation de façon schizophrénique et paradoxale : d’une part, la France est respectivement le 6ème exportateur et 4ème importateur mondial de marchandises et le 4ème exportateur et 6ème importateur mondial de services. C’est dire l’importance de son insertion dans le commerce mondial tant pour le dynamisme économique de ses entreprises et pour l’innovation technologique que pour le niveau de vie de ses consommateurs qui se précipitent sans état d’âme sur les produits de grande consommation importés. La France pèse encore par ailleurs, pour des raisons culturelles, politiques et historiques, « plus que son poids  économique » dans les affaires du monde, par son influence, son rôle en Europe et sa diplomatie. D’autre part, pourtant, les sondages placent les Français parmi les peuples les plus méfiants et craintifs vis-à-vis de la mondialisation. Lors d’une visite en avril 2010 à l’Ecole d’Economie de Paris, Pascal Lamy, directeur général de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), s’interrogeait avec son auditoire sur la sorte d’exception qui faisait de notre pays l’un des seuls pays à théoriser le protectionnisme, alors que les autres pays industrialisés tendent plutôt à théoriser le libre-échange.

Or, cette exception est à nouveau revendiquée, à l’occasion de la crise économique et financière mondiale, de la crise de la dette européenne et de la campagne électorale qui s’est engagée à l’occasion de la primaire socialiste. Le thème de la « dé-mondialisation » s’est ainsi imposé dans le débat, notamment porté par Arnaud Montebourg, après avoir été lancé au printemps par le livre que lui a consacré l’économiste Jacques Sapir. Mais il ne paraît plus tout à fait aussi exceptionnel. Dans de nombreux pays industrialisés, la mondialisation a mauvaise presse. Elle est tenue pour au moins en partie responsable des problèmes d’emploi et d’inégalité qui se sont aggravés, surtout avec la crise économique et financière depuis 2007, mais aussi de la crise elle-même, des excès spéculatifs, de l’incertitude et de l’instabilité de l’environnement économique. On lui reproche aussi de priver les gouvernements de la marge de manœuvre nécessaire pour jouer le rôle qu’on attend d’eux dans l’économie et la société. Et de grands pays émergents, comme la Chine, qui continuent d’afficher une croissance vigoureuse et accumulent les excédents commerciaux, font figure de menaces pour l’emploi et la prospérité. L’écho que rencontrent ces thèses donne à réflexion : quelle place donner à la mondialisation dans une vision d’avenir de la France ? Comment faire partager cette vision ?

On peut s’accorder sur une partie du diagnostic. La mondialisation telle qu’elle a été gérée n’a pas éliminé les problèmes existants, les a parfois aggravés et en a probablement amené de nouveaux. Certains pays, notamment les grands pays émergents, ont su en tirer une dynamique de croissance suffisante pour conduire l’ajustement social nécessaire. Dans d’autres pays, notamment les pays industrialisés, la sécurité des emplois et des revenus est devenue un souci majeur. En interaction avec le progrès technique, la dynamique de la mondialisation a conduit à une polarisation des sociétés en valorisant un capital humain inégalement réparti et en accentuant les difficultés pour les travailleurs moins qualifiés, entraînant une reprise des inégalités internes aux pays après plusieurs décennies de réduction de ces inégalités. Elle s’est aussi appuyée sur une financiarisation excessive dont la crise récente a montré les dimensions les plus coûteuses (insuffisante régulation, mauvaise appréhension et maîtrise des risques, gestion à court terme de stratégies d’endettement publiques et privées qui se sont transformées en crises de la dette, perte de contact avec le réel) et qui a conduit l’économie mondiale dans une impasse dont il est aujourd’hui difficile de sortir. L’interdépendance des politiques économiques a été très mal gérée, chaque pays s’employant à maintenir l’autonomie des politiques monétaires et budgétaires nationales et laissant le système monétaire international ainsi que le niveau des dettes publiques et de l’endettement extérieur servir de mécanisme d’ajustement. Mais dans un monde interdépendant, l’absence de solidarité se paie, par l’accroissement de la pauvreté dans certains cas, y compris à l’intérieur des pays riches, mais aussi par la montée de déséquilibres entre pays qui finissent par s’avérer insupportables.

Ce sont des problèmes que l’on ne peut donc pas ignorer, non seulement parce qu’ils signalent d’importants dysfonctionnements, mais aussi parce qu’ils sont au cœur des préoccupations des Français. Pour de nombreux parmi eux, la mondialisation apparaît comme source de problèmes et d’insécurité, et ce n’est pas parce qu’ils se trompent. C’est parce qu’elle impose un rythme de changement social que le marché du travail ne sait pas absorber suffisamment rapidement et que les politiques publiques ne savent plus accompagner. Le thème de cette note, loin de l’appel à la démondialisation, est qu’il faut « vouloir la mondialisation », mais qu’il faut aussi l’accompagner, la contrôler et en maîtriser les effets.

Pourquoi vouloir la mondialisation ?

La première raison de vouloir la mondialisation renvoie à la vision du monde que l’on souhaite promouvoir et que la France doit porter, et aux valeurs universelles auxquelles nous devrions être attachés et que la Gauche pourrait et devrait incarner : celles de l’humanisme, de la tolérance, de la diversité, de la solidarité. Ces valeurs s’expriment naturellement dans la gestion de l’ouverture plutôt que dans le repli sur soi pour se protéger des autres. On aimerait que le débat politique passe davantage de temps à réaffirmer ces valeurs fondamentales, dont l’Histoire montre qu’on ne peut jamais les tenir pour acquises et qu’il faut continuellement en porter le flambeau, surtout lorsque de graves crises amènent naturellement à rechercher des solutions dans l’égoïsme et le repli.

Vouloir la mondialisation, c’est aussi pour la France vouloir préserver et consolider son influence. La France représente aujourd’hui moins de 4% du PIB mondial (mesuré en parité de pouvoir d’achat), elle en représentera probablement moins de 2% en 2050. Les Etats-Unis devraient voir leur poids relatif passer de plus du quart à environ un sixième ; tandis que la Chine pourrait passer de 18% à plus d’un tiers (graphique 1). En 2030, si l’on en croit l’extraordinaire travail d’Angus Maddison, l’Europe pourrait retrouver le poids qu’elle avait dans le Monde au début du Moyen-âge et avant la forte expansion de la Renaissance. D’ores-et-déjà, notre taille signifie que seuls, nous pouvons peu de choses, y compris sur le plan économique, et que notre avenir tient à notre capacité à organiser l’interaction avec le reste du monde. Le marché pertinent pour nos entreprises n’est ni français, ni même européen ; il est mondial, et marqué par la forte croissance de la demande dans les pays émergents. C’est sur les marchés mondiaux qu’elles pourront tirer profit des rendements croissants. En outre, même si la situation en France est plus favorable que chez ses voisins européens, nos sociétés sont vieillissantes. Notre projection à l’extérieur est un élément essentiel d’une stratégie d’avenir, visant à préserver le rôle et le statut international de la France en dépit de ces évolutions. Ce rôle et cette influence s’exerceront par l’exportation du savoir faire et de la capacité d’innovation, par le dynamisme entrepreneurial, par la rigueur macroéconomique, par la modernité des approches, par la défense de valeurs universelles mentionnées précédemment et qui peuvent fonder une diplomatie exemplaire. Comment construire une stratégie crédible d’influence en préconisant le repli ?

Graphique 1 : Répartition de l’économie mondiale (Poids en %, dollars de PPP 1990)

Source : Travaux d’Angus Maddison (www.ggdc.net)

Troisièmement, le politique. Il a une dimension externe et interne. La dimension externe concerne le discours. Arnaud Montebourg insiste régulièrement sur le fait que les Etats-Unis et d’autres pays adoptent sans état d’âme des mesures protectionnistes. Il a raison sur ce point. Il en déduit que la France ne doit pas hésiter à vouloir le protectionnisme. Mais ce n’est pas la même posture ! Dans un cas, on a un discours offensif sur l’ouverture des marchés et sur la mondialisation, assorti de politiques volontaristes et pragmatiques ; dans l’autre un discours protectionniste, assorti de politiques finalement réalistes et qui ressemblent aux précédentes.  Mais le discours n’est pas indifférent, et il change tout dans la posture internationale et dans la dynamique du changement. Paradoxalement, vouloir la mondialisation, c’est-à-dire donner à l’autre un message qu’on est prêt à l’accepter et à négocier, peut rendre plus acceptable, au plan international, que l’on se donne les moyens d’y parvenir en mettant en place les politiques adaptées. La dimension interne concerne la gestion des rapports de force entre groupes d’intérêt et la gestion des rentes. De la même façon que la mondialisation permet de transformer des monopoles locaux en entreprises soumises à la concurrence internationale, elle permet aussi de relativiser le poids de groupes de pression susceptibles de bloquer toute réforme interne. Par ailleurs, les politiques publiques génèrent des rentes de situation pour leurs principaux bénéficiaires. Cela n’enlève rien à la nécessité de leur mise en place, mais cela peut nuire à leur efficacité dans le long terme, et cela crée aussi des incitations pour les détenteurs de ces rentes pour bloquer toute réforme. Les politiques publiques, de ce fait, tendent à se sédimenter par accumulation de couches successives,  plutôt qu’à évoluer en s’adaptant à des contextes eux-mêmes changeants. Il est utile, pour l’économie politique interne, de pouvoir s’appuyer sur la dynamique de mondialisation pour questionner régulièrement les rentes existantes et faire évoluer les politiques de protection.

Quatrièmement, l’économie. Pour un pays de taille moyenne, l’accès aux marchés extérieurs est fondamental. Dans le cas de la France, on pourrait penser que le marché européen suffit. Ce marché est fondamental pour notre pays. Mais il est largement mature, et ce serait se priver du potentiel formidable des marchés des pays émergents en pleine croissance, ce qui n’est dans l’intérêt ni de notre pays, ni de l’Union européenne. Pour accéder à ces marchés, il faut évidemment aussi accepter les importations en provenance des pays concernés, et c’est d’ailleurs une source importante de maintien de notre propre niveau de vie (les consommateurs se rendent-ils compte des avantages qu’ils tirent des importations, en termes de prix et de variété, sans compter l’accroissement de la qualité et de l’innovation qu’a permis la concurrence internationale ?). On retrouve là la tension inéluctable entre l’accroissement du niveau de vie et le besoin d’ajustement économique et social, tension qu’entretiennent tant la mondialisation que le progrès technique. Le parallèle avec le progrès technique renvoie aussi au cœur du sujet : il faut aussi vouloir le progrès technique, mais c’est aux politiques publiques d’apprendre à en maîtriser les dimensions éthiques, politiques, économiques et sociales tout en préservant les incitations au dynamisme et à l’innovation.

 Quels enjeux de politique publique ?

 Pourquoi le débat a-t-il sombré dans un manichéisme simplificateur tendant à faire de la mondialisation le principal coupable ? Sans doute est-ce parce que ses partisans l’ont présentée de façon tout aussi simpliste et déterministe comme un vecteur incontestable de bien-être et de prospérité. Or, elle l’a en effet été à la fois globalement et pour certains pays, ou pour certains groupes de personnes, mais pas pour d’autres. Elle a nourri une expansion sans précédent de l’économie mondiale, mais les fruits en ont été très inégalement répartis, aussi bien entre pays qu’à l’intérieur des pays. Cela renvoie aux errances de politiques publiques qui n’ont pas su évoluer et qu’il faut aujourd’hui reconstruire. La mondialisation souligne la crise du rôle de l’Etat dans l’économie, et c’est sur ce rôle qu’il faut faire porter les efforts. Elle a rendu caduques ou non viables de nombreuses politiques publiques construites au cours des décennies précédentes et que l’on a démantelé sans les remplacer par de nouvelles, dans le cadre d’une idéologie appelant au retrait généralisé de l’Etat. En même temps, elle rendait l’Etat de plus en plus nécessaire, alors même qu’il était de bon ton de le nier. Le résultat, c’est à la fois que l’Etat, loin de se retirer, a progressé dans la plupart des pays, comme en témoigne l’évolution de la part des dépenses publiques et de la protection sociale un peu partout (graphique), mais que cela s’est fait dans un vide doctrinal sidéral et sidérant, conduisant à l’accumulation d’une dette publique non maîtrisée et à la mise en place de politiques d’appoint qui ne font pas système et ne réponde pas à la question fondamentale du renouveau des politiques publiques.

Graphique 2 : Evolution des dépenses publiques des pays de l’OCDE (% du PIB, 1960-2010)

Source : OCDE – graphique tiré de Benassy-Quéré, A., B. Coeuré, P. Jacquet et J. Pisani-Ferry, Politique Economique, DeBoeck Université 2009.

 Prendre position contre la mondialisation revient à refuser ce défi et à enfermer l’Etat dans le rôle étroit d’un protectionnisme généralisé et unilatéral qui ne conduirait pas à une alternative viable. Il y a une certaine illusion à croire que les politiques publiques seraient plus efficaces si l’on réintroduisait systématiquement des barrières protectionnistes. L’effet immédiat de telles barrières serait une hausse des coûts internes (puisque cela revient à renchérir les biens importés, ou à relâcher la concurrence avec eux) et de l’inflation. A moyen et long terme, elles introduiraient des distorsions susceptibles de nuire au potentiel de croissance de l’économie. Et, mises en œuvre de façon unilatérale, elles s’accompagneraient très probablement de mesures de rétorsion fermant les marchés pertinents à nos entreprises. Croire que cela contribuerait à la création d’emplois est une erreur. Il ne s’agit pas de réfuter idéologiquement l’utilisation de politiques publiques actives et ciblées, mais simplement d’attirer l’attention sur leur caractère nécessairement ponctuel et la nécessité d’en gérer attentivement les effets induits.

 Le chantier de reconstruction du rôle de l’Etat (et du politique dans un monde qui a largement écouté les sirènes technocratiques) mérite qu’on s’y attelle sans tarder. Il doit être conduit dans l’Union européenne et dans la mondialisation, ce qui implique d’en faire une plate-forme exigeante de négociation. Autrement dit, la vision de la mondialisation derrière laquelle il faut s’engager n’est pas le démantèlement des politiques publiques et sociales ou des réglementations, ni la loi de la jungle propice à toutes les prédations. C’est celle d’une reconnaissance mutuelle entre politiques nationales, principe qui doit beaucoup à la construction européenne, fait d’un socle minimal d’harmonisation au-delà duquel prévaut l’acceptation des différences. Ce socle a vocation à se développer et à se déplacer au fur-et-à-mesure que l’intégration progresse, comme l’a amplement montré la négociation commerciale multilatérale, à la fois dans la poursuite de l’abaissement des barrières douanières et dans l’extension de la négociation à bien d’autres aspects des politiques nationales liées au commerce. Vouloir la mondialisation, c’est s’engager de façon volontariste et ferme dans une telle négociation. Cela ne signifie pas qu’on la croie simple ni immédiate. Mais c’est un pari nécessaire.

Le moment y est propice. Partout, des voix s’élèvent pour demander le changement. La responsabilité des politiques aujourd’hui est de maintenir une vision du monde dans laquelle la coopération internationale s’approfondit au lieu de se déliter. On peut identifier au moins trois pistes pour y parvenir :

  1. Lancer un chantier international sur les politiques sociales, à la fois au niveau européen et mondial, avec l’élaboration d’un filet de sécurité mondial, et dans leurs dimensions nationales, avec une réflexion sur les principes, les objectifs et les instruments qui devraient faire l’objet de discussions internationales, d’élaboration de bonnes pratiques et d’adoption de principes communs. On connaît aujourd’hui beaucoup moins de choses sur les politiques sociales, leur rôle et leur fonctionnement, que sur le commerce mondial. Ce n’est pas normal, d’autant que ce dernier a des implications sociales importantes. Un tel chantier aurait donc une composante de développement de travaux universitaires, et une composante de partage d’expériences entre pays ?
  2. Remplacer l’objectif implicite (mais trompeur) de libéralisation par celui de la construction d’un cadre de règles du jeu mondial, bien au-delà des seules politiques commerciales, intégrant explicitement les dimensions sociales et environnementales, mais aussi la dimension migratoire, en créant ou renforçant les institutions internationales nécessaires pour cela. L’agenda de libéralisation a été très utile pour construire un système international ouvert et multilatéral tout au long du dernier demi-siècle. Mais il est trompeur, parce qu’un marché efficace est nécessairement fondé sur des règles, du droit et des pratiques. Et les nombreuses défaillances de marché, en termes de circulation de l’information, de prédations non concurrentielles ou d’externalités diverses imposent des interventions publiques. C’est cela qu’il faut négocier. De fait, l’OMC est gardienne d’un système de règles commerciales acceptées par tous. Ce rôle est beaucoup plus important que le degré de « libéralisation », car ce qui compte pour favoriser l’accès aux marchés est la connaissance et la stabilité de tous les coûts et conditions des transactions, beaucoup plus que la poursuite de l’abaissement de certains de ces coûts.
  3. Saisir toutes les marges de manœuvre disponibles au niveau national et européen pour orienter les politiques publiques vers les défis de la mondialisation. En particulier, l’un des atouts non mobiles et caractéristique des Etats nations est leur territoire. Les politiques d’aménagement du territoire sont donc fondamentales pour s’inscrire dans la mondialisation. Ce sont elles qui permettent de renforcer l’attractivité du territoire, par l’effort de recherche et d’éducation, les capacités d’accueil dans les universités, l’équipement en infrastructures collectives, la réflexion sur l’aménagement durable des espaces et l’efficacité des modes urbains, le climat de l’investissement et l’accueil des personnes. Ce sont elles également qui paraissent essentielles pour éviter la dilution des assiettes fiscales. La concurrence par les territoires apparaît aujourd’hui comme une dimension sous-exploitée de la construction des avantages comparatifs.

Conclusion

Nous sommes à nouveau, probablement un peu comme après la seconde guerre mondiale, dans un moment charnière de reconstruction du système mondial. Celui qui a été en effet mis en place craque de tous les côtés. Cette reconstruction ne peut pas reposer simplement sur un message comminatoire aux nouvelles puissances, les invitant à respecter « nos » règles du jeu, d’autant plus que ces dernières doivent aussi substantiellement évoluer. D’une certaine façon, c’est maintenant qu’il faut « construire » la mondialisation et la doter d’un cadre de règles du jeu sur tous les grands enjeux collectifs : économique, social, financier, environnemental, sécuritaire. La construction précédente n’était que partielle, à la fois géographiquement et substantiellement. La réponse à ses insuffisances n’est pas le repli sur soi, dans une diplomatie conflictuelle et étriquée, mais dans une approche offensive consistant à « vouloir » la mondialisation et à la façonner collectivement, en continuant à s’appuyer sur l’intégration européenne pour faire poids dans les affaires mondiales.

Les Gracques

Crédits photo : la photo utilisée pour illustrer cet article est issue de la NASA et du Goddard Space Flight Center