René Frydman : « Sur la reproduction, on a renforcé la croyance que tout est possible »

Dans son dernier ouvrage, La Tyrannie de la reproduction (Odile Jacob, 208 pages, 21,90 euros), René Frydman, pionnier de la médecine de la reproduction avec la naissance du premier bébé français né par fécondation in vitro en 1982, met en garde contre le risque du bébé à tout prix grâce aux récents progrès de la médecine.

En 1986, votre premier livre évoquait « l’irrésistible désir de naissance ». Le dernier s’intitule « La Tyrannie de la reproduction ». Du désir à la tyrannie, qu’avez-vous observé pendant toutes ces années ?

En quarante ans, la société a changé, les problèmes d’infertilité ne sont plus tout à fait les mêmes. Aujourd’hui, le désir d’enfant est beaucoup plus tardif et certaines techniques se sont développées. Je pense aux traitements de l’infertilité masculine, au dépistage génétique préimplantatoire ou encore à la congélation des ovocytes… Tout cela a d’une certaine manière ouvert le champ des possibles et renforcé la croyance que tout est possible.

Cela conduit parfois à une forme d’acharnement chez certains couples, certaines femmes, je l’ai vu en consultation. D’autant plus que, dans notre pays, les techniques de procréation médicalement assistée [PMA] sont prises en charge par la Sécurité sociale, ce qui n’est pas le cas ailleurs. Et donc on glisse de plus en plus du « je désire un enfant » à « j’y ai droit ».

En parallèle, vous parlez d’un marché de la reproduction en plein essor…

Cette question est très sensible à l’échelle mondiale. Elle l’est un peu moins à l’échelle française, parce que nous avons jugulé le développement des centres de fécondation in vitro [FIV] privés et publics à une centaine. Dans certains pays, il y en a à foison, sans contrôle, et c’est devenu un commerce. Des grands groupes ont pris en main le marché, installé des succursales, des franchises, des objectifs de rentabilité…

Selon vous, qui met en place cette tyrannie de la reproduction ? Ce sont les médecins, les patientes ?

C’est un ensemble. Les médecins ont en face d’eux des couples et des femmes seules limités par leur biologie et qui parfois se perdent, se déséquilibrent dans cette course-poursuite sans fin. Ils doivent apprendre à dire non. Il arrive que je voie en consultation des gens sortir détendus alors que je viens de leur dire qu’il vaudrait mieux tout arrêter. Cela peut provoquer un soulagement. Parfois il faut se battre et de temps en temps le médecin doit dire « on arrête tout parce que c’est voué à l’échec ». Et puis, quelques fois, il y a des miracles et une grossesse survient.

Interview complète à lire dans Le Monde.

Eric de Chassey, historien de l’art : « Les arts et la culture rendent insupportable toute xénophobie »

Le directeur général de l’Institut national d’histoire de l’art rappelle, dans une tribune au « Monde », au moment où l’hostilité à l’encontre de ceux que l’on juge étrangers croît en France et en Europe, que les arts et la culture offrent un modèle d’ouverture aux autres qui vaut pour l’ensemble de la société.

A l’heure où la xénophobie monte en France et en Europe, les arts et la culture, à travers leur histoire et leur actualité, ne cessent de nous rappeler combien elle est nocive pour le développement de toute société humaine et que, si on la favorise ou qu’on la laisse croître, on finit toujours par en payer le prix. Il ne s’agit pas seulement de convictions, personnelles ou collectives, mais bien d’une incompatibilité de principe, car les arts et la culture sont intrinsèquement xénophiles, c’est-à-dire qu’ils reposent sur l’accueil de l’étranger et s’opposent au rejet de celui-ci ou à la limitation de ses droits.

Se laisser toucher par les œuvres de la culture et des arts, c’est toujours accepter de s’ouvrir au point de vue d’autrui, de voir avec des yeux qui ne sont pas les miens, d’entendre ou de lire des mots qui ne sont pas les miens, d’écouter une musique qui n’est pas la mienne, de vivre des actions, des gestes et des récits qui ne sont pas les miens, d’appréhender des modes de pensée qui ne sont pas les miens – mais qui, si je les accepte, peuvent rejoindre, enrichir, éclairer mes habitudes de regard, de parole, d’écoute, de comportement, de pensée. C’est pour cette raison que la France, plus explicitement que bien d’autres pays, n’a que très rarement, sauf en des périodes malheureuses de son histoire, eu une conception nationaliste de la culture et des arts.

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Tribune complète à lire dans Le Monde.

René Frydman : « Un médecin doit pouvoir dire non »

Dans « La Tyrannie de la reproduction », le gynécologue star dénonce un « droit à l’enfant » délétère et en promeut un autre, celui du bien-naître.

l est, avec le biologiste Jacques Testart, le « père » du premier bébé français conçu par fécondation in vitro (FIV) : Amandine, née en 1982. Il a depuis aidé à concevoir des milliers d’autres enfants, et, chose plus rare pour une star de la médecine de la procréation, n’a jamais cessé, durant toutes ces années, de réaliser des accouchements. Or René Frydman, qui consulte encore, tire aujourd’hui un signal d’alarme. Parce que la fécondation hors du corps humain a ouvert depuis quarante ans des possibilités sans fin – gestation pour autrui, accouchement de femmes ménopausées, conception d’enfants après la mort du père ou dotés de trois mères… –dont il juge certaines, surtout lorsqu’elles sont commercialisées, inhumaines. Et parce que le désir d’enfant qu’il a vu augmenter peu à peu dans son cabinet, impérieux et venu de toutes les couches de la société, se change d’après lui en un « droit à l’enfant » délétère. Optimiste, jamais dogmatique, son nouveau livre, La Tyrannie de la reproduction*, en appelle à la sagesse des politiques et au sursaut, urgent, des médecins.

Le Point : Vos patients ont-ils changé ?

René Frydman : La mondialisation et la commercialisation de la procréation médicalement assistée [PMA], la médiatisation surtout de cas de grossesses extrêmes ou de gestations pour autrui présentées comme idylliques leur donnent hélas l’illusion que tout est possible. Leur désir d’enfant s’est mué en « droit », et une pression formidable s’exerce sur les médecins. Or un médecin doit pouvoir dire non, faire entendre que tout n’est pas possible… Et rappeler la réalité : 50 % des patients qui entreprennent un parcours de FIV, y compris avec donneurs, n’auront pas d’enfant.

Vous est-il arrivé de refuser des demandes qui étaient pourtant dans le cadre de la loi ?

Bien sûr. Nous exerçons une médecine complexe, car c’est une médecine du désir. Tous les centres de PMA ont eu au moins un cas de patiente qui, tombée enceinte après plusieurs FIV, demandait finalement une IVG : c’est dire si le désir d’enfant est parfois ambivalent. La facilité, en tant que médecin, est de ne se poser aucune question. Pourtant, notre devoir est d’exprimer nos doutes ou d’imposer un temps de réflexion lorsque nous décelons des situations de fragilité, des conditions délétères pour l’enfant à naître ou une forme d’acharnement. Il faut aussi parfois aider les patients à renoncer. J’ai souvent entendu des soupirs de soulagement quand, dans mon cabinet, je suggérais à des couples, usés par les tentatives infructueuses, de s’arrêter…

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Article complet à lire dans Le Point.

Les Gracques au congrès de la FPI

Jeudi 1er juin 2023, les Gracques étaient présents au congrès de la FPI pour une table ronde avec Pascal Boulanger, Thomas Cazenave, Marc-Philippe Daubesse et Etienne Langereau.

Principale préoccupation des Français car première dépense contrainte dans leur budget, le logement revient (enfin !) dans le débat public.

Nos propositions (objectifs chiffrés de relance de la construction, prêt à taux négatifs pour les primo accédants, reversement aux communes de 5% de la TVA perçue sur la construction, etc.) sont à retrouver dans notre dernier livre et dans notre note « En finir avec la politique malthusienne du logement« .

Réforme des retraites: « Il faudra y revenir »

Pour les Gracques, think tank social-libéral, la réforme est indispensable, mais ne suffira pas. En outre, elle sacrifie les jeunes et n’abolit pas les privilèges.

A peine la réforme des retraites présentée, la France se prépare déjà à une nouvelle crise sociale dont notre pays est coutumier. L’ensemble de la gauche, l’extrême droite et les huit principaux syndicats sont vent debout contre un projet dont ils prétendent ne pas voir l’utilité.

Il y a déjà plus de trente ans, Michel Rocard écrivait dans son Livre blanc sur les retraites qu' »une démocratie comme la nôtre doit être capable de débattre à temps de ses problèmes et d’en traiter sereinement ». Il doit aujourd’hui se retourner dans sa tombe en regardant ce qui reste du Parti socialiste plaider pour un retour de l’âge légal de départ à 60 ans.

Article complet à lire dans Le Point.

PICC, l’acronyme du grand basculement

Le « basculement du monde » décrit par le président de la République a son acronyme. Après les Gafa et autres BRICS, bienvenue dans le monde des PICC ! Quatre lettres pour quatre chocs globaux qui remettent en cause nos fondements démocratiques. Si nous avons déjà rencontré chacun d’eux dans le passé, leur combinaison constitue un défi sans équivalent. Voici donc les quatre piliers du PICC.

P comme pandémie

P comme pandémie. Les grippes asiatiques et espagnoles avaient endeuillé le XXe siècle… Si la découverte rapide d’un vaccin a été un succès scientifique, le Covid a bouleversé, depuis, notre rapport au travail – surtout pour les jeunes. Il a montré à quel point nous sommes vulnérables aux virus, dépendants d’autres régions du monde et a créé de nouvelles attentes difficiles à satisfaire par l’Etat providence.

I comme inflation

I comme inflation. Nous en avions oublié l’existence. Après des décennies de stabilité puis la drogue des intérêts négatifs, l’inversion est brutale. Les banques centrales ont beau augmenter les taux au risque d’une récession économique, l’inflation redevient un facteur majeur dans le comportement des ménages et des entreprises avec des conséquences économiques redoutables.

C comme conflit

C comme conflit. La brutalité de nations s’attaquant à leurs voisins est la trame de l’histoire européenne. Mais le cyber et les médias changent l’équation à l’ère nucléaire. Les démocraties savent que leur éventuelle faiblesse sera exploitée par les démocratures. Inversement, elles mesurent l’asymétrie entre des sanctions qui peinent à ralentir l’agresseur et des opinions publiques divisées, séduites par la vague populiste.

C comme climat

C comme climat. La vague de chaleur sur l’Europe – des températures prévues pour 2050 arrivées dans des villes nordiques non préparées – confirme que la lutte contre le changement climatique est une priorité absolue. Or les principaux responsables – la Chine, les Etats-Unis et l’Inde – ne s’engagent pas assez. Les sommes gigantesques englouties dans la pandémie manquent aujourd’hui cruellement pour financer la transition au rythme nécessaire.

Les rapports de force se sont modifiés

Les PICC menacent un monde de plus en plus fracturé entre démocraties libérales et régimes autoritaires. Ce n’est plus la guerre froide du siècle précédent, c’est un changement de rapports de force qui conteste la domination de l’Occident et teste sa résistance. Au moment où le monde aurait le plus besoin de coopération, puisque le changement climatique et les virus ignorent les frontières, le clivage dogmatique l’emporte : partout les démagogues promettent de rendre leur grandeur à leur pays non pas avec, mais contre les autres, et polarisent leur opinion publique.

L’Europe apparaît particulièrement fragile dans ce contexte. L’excédent de notre balance commerciale représentait 300 milliards de dollars annuellement. Il est tombé à zéro pour la première fois depuis trente ans avec un déficit allemand, un taux record de dette pour l’Italie et la France, la dégradation économique du Royaume-Uni post-Brexit et les craintes des pays voisins de l’Ukraine, comme la Pologne. Les Etats-Unis ne sont focalisés que sur la Chine et engrangent à court terme les bénéfices de la guerre de Poutine. Le blocus de la mer Noire et les obus tombant sur les champs de céréales ukrainiens sont dramatiques pour l’Afrique. Le Printemps arabe, on le sait, a commencé par la faim. Dans le contexte climatique, une nouvelle crise des migrants est probable. Les PICC pourraient ainsi être rejoints par un cinquième choc : le « S » de « social ».

Le monde a besoin d’un nouveau Bretton Woods

Le monde a besoin d’un Bretton Woods pour le XXIe siècle, une conférence qui jetterait les bases d’une collaboration plus inclusive entre nations et institutions internationales, permettant de lutter contre les pandémies, de réduire les émissions de CO2, d’améliorer l’éducation et de décourager les visées expansionnistes. Une telle perspective, soutenue par les syndicats de salariés et les employeurs des sept principaux pays occidentaux, avait été évoquée, il y a trois ans, par Emmanuel Macron avant le G7 de Biarritz. N’est-ce pas le moment d’une telle réinvention, pour répondre aux PICC ?

Bernard Spitz

Article complet à lire dans Les Echos

Immigration : une histoire invisible dans les noms de rue | Pascal Blanchard

Comment faire pour que le récit national intègre une plus grande part de diversité des parcours, des récits migratoires et des régions ultramarines ? En s’attachant désormais à l’espace public, aux noms des rues, des places, des bâtiments publics et des lieux de vie (écoles, stades, stations de bus et tramways, médiathèques…). C’est une évidence car ces personnalités issues de l’histoire de France sont encore invisibles dans nos vies et donc dans nos récits et nos mémoires. C’est nécessaire de connaître pour reconnaître ; c’est ainsi que l’espace public sera en écho avec la réalité sociologique de notre pays.

Pascal Blanchard est un historien français, chercheur associé au CRHIM à l’UNIL (Lausanne), codirecteur du Groupe de recherche Achac (Paris), il est spécialiste en histoire contemporaine (immigration, colonialisme, images et imaginaires), et il auteur d’une soixantaine de livre, dont le dernier Colonisation & propagande. Le pouvoir de l’image (Le Cherche Midi). Il est aussi réalisateur de documentaires et commissaire de plusieurs expositions. Il a présidé la mission pour la présidence de la République pour le recueil “Portraits de France” devenu depuis une exposition itinérante en France.

Propositions: Emmanuel Macron pioche chez Les Gracques

Il aura donc fallu que Marine Le Pen présente mardi à Vernon (Eure) sa vision de la pratique présidentielle, pour qu’Emmanuel Macron partage enfin, à douze jours du second tour de l’élection, ses « réflexions » sur les institutions.

Alors que la fracture démocratique a encore été confirmée par le taux d’abstention au premier tour de l’élection présidentielle (12,8 millions de Français ne sont pas allés voter le 10 avril, soit 26,31 % des inscrits), Emmanuel Macron ne voit qu’un défaut au système actuel : « Il faut sans doute un calendrier différent. » « Le fait de ne pas avoir de respiration démocratique pendant cinq ans n’est plus adapté à notre époque, estime-t-il sur le site lepoint.fr. Il faudrait peut-être avoir quelque chose qui ressemblerait à des élections de mi-mandat, comme aux Etats-Unis. »

Article à lire dans l’Opinion.

Un RSA vraiment automatique serait une percée majeure contre la précarité

La politique du « en même temps » suppose de combiner des logiciels politiques différents. Au point parfois d’être contradictoires ? C’est ce qui a été reproché au programme du président de la République en matière de minima sociaux : à ma gauche, la mise en place d’un versement automatique des aides sociales (à commencer par le RSA) ; à ma droite, le conditionnement du RSA à la réalisation par l’allocataire de « quinze à vingt heures hebdomadaires d’activité effective permettant l’insertion ». 

Peut-on vouloir simultanément automatiser le RSA et lui appliquer une condition supplémentaire, dont l’application ne manquera pas d’être un peu subjective ? 

On pourra d’abord rappeler que les conditions d’accès à une allocation sont distinctes des modalités de son versement. Donc, il n’y a pas de contradiction par nature à jouer sur les deux tableaux.  

On peut par ailleurs voir une complémentarité d’objectifs entre ces mesures, qui s’attachent aux deux visages du RSA :  

D’une part, le RSA est l’ultime filet de sécurité pour les personnes qui n’ont plus d’autre moyen de subsistance. Dans un rapport récent, la Cour des comptes souligne l’efficacité de cet instrument en dernier ressort de lutte contre la pauvreté. Le problème, c’est que 30% des Français qui auraient droit au RSA ne le demandent pas et donc ne le perçoivent pas. Un RSA vraiment automatique, en minimisant ce taux de non-recours, serait donc une percée majeure contre la précarité en France ! 

D’autre part, le RSA est censé être un palier de réinsertion vers l’emploi. Rappelons que tous les bénéficiaires sont censés avoir signé un « contrat d’engagement réciproque » avec l’Etat, portant sur une démarche d’insertion et de recherche d’emploi. Mais la Cour des comptes montre que le RSA remplit très mal cette mission de réinsertion, avec à peine un tiers des allocataires en moyenne ayant retrouvé un emploi au bout de sept ans. La principale raison en est la faiblesse du dispositif d’accompagnement mis en place dans les services sociaux et au sein de Pôle Emploi, qui ne sont pas armés pour prendre en charge des personnes parfois très éloignées de l’emploi. 

Les deux mesures proposées par Emmanuel Macron ne sont donc pas philosophiquement incompatibles : l’une, l’automatisation du versement des aides, vise à améliorer l’efficacité du RSA contre la pauvreté ; l’autre, le conditionnement à l’exercice d’une activité d’insertion, s’inscrit dans la logique tremplin vers l’emploi.  

144 allocataires par agent en Seine-Saint-Denis

Mais c’est dans la pratique que les choses se compliquent sérieusement. 

Disons-le franchement : les services d’insertion seraient aujourd’hui bien incapables, de trouver et proposer à tous les bénéficiaires du RSA des contrats d’activité de quinze heures par semaine. Dans un département comme la Seine-Saint-Denis, chaque agent des services d’insertion professionnelle gère en moyenne 144 allocataires… Il serait injuste de durcir les conditions de bénéfice du RSA sans améliorer très significativement les moyens de l’accompagnement : on mettrait alors en péril l’efficacité des minima sociaux contre la pauvreté ! 

De l’autre côté du spectre, le versement automatique des minima sociaux représente un gigantesque chantier de transformation numérique. Le partage de données entre administrations fiscales ou sociales est une nécessité absolue pour améliorer l’efficacité publique, notamment pour automatiser la gestion des droits sociaux. Cela demande du temps, de l’argent et de la volonté politique, mais c’est indispensable quand on réalise que la France n’est classée que 22ème sur 27 pays de l’Union par la Commission européenne en matière d’automatisation de l’utilisation des données par les administrations. 

Les pays mieux classés que nous, à commencer par le plus avancé, l’Estonie, ont totalement repensé leurs services publics grâce, par et pour le digital, allant jusqu’à simplifier la loi pour la rendre applicable par la machine. Il ne s’agit en effet pas seulement de numériser des démarches administratives telles qu’elles existent aujourd’hui, mais bien de les adapter à la gestion automatisée (ce qui est loin d’être le cas pour le RSA). Or la France n’a pas commencé ce travail, qui se fera dans la douleur : qui expliquera aux parlementaires qu’ils ne doivent voter que des textes assez clairs pour être « codables » ? 

Il ne faut donc pas sous-estimer l’effort que représente l’automatisation du RSA et des aides sociales, mais le jeu en vaut la chandelle sur tous les tableaux : justice sociale, lutte contre la fraude, mais aussi économies de fonctionnement. La gestion de ces allocations occupe aujourd’hui des centaines d’emplois publics, qu’il sera possible de redéployer… dans l’insertion professionnelle des allocataires ou dans l’accompagnement numérique des personnes isolées. 

Autrement dit, les deux mesures proposées par Emmanuel Macron sont liées. A condition de mettre en place un Etat plateforme avec des procédures numérisées qui permettront au A du RSA de signifier l' »automaticité » de la gestion des droits et de redéployer les ressources vers l’accompagnement des allocataires vers l’emploi. Même si l’on peut douter qu’un quinquennat y suffise, cette démarche est vertueuse et peut s’appliquer à beaucoup de services publics à condition de respecter l’ordre des facteurs : adapter la loi au numérique, automatiser le versement, redéployer les ressources vers l’accompagnement, et enfin seulement se montrer plus exigeant vis-à-vis des usagers. 

Une tribune à retrouver dans L’Express.

Logement : sortir du piège du malthusianisme

Introduction

La politique du logement fait en France l’objet de débats récurrents et légitimes, qui portent principalement sur la nature des interventions publiques (aide à la pierre ou à la personne), leur objet (neuf ou locatif ; logement social), leur efficacité ou leur coût. Mais l’opportunité même de soutenir le logement et la construction apparait en général comme une évidence à la plupart des intervenants.

Or, les derniers débats et arbitrages relatifs au soutien public au logement montrent qu’une thèse nouvelle s’est développée au sein de l’administration, qui ne manque pas de relais dans la société civile et le monde politique.On en trouve une explicitation précise dans plusieurs documents récents de la Direction Générale du Trésor, curieusement passés inaperçus dans le débat public. 

Selon cette thèse, la France disposerait déjà de suffisamment de logements pour satisfaire les besoins des Français (36 millions de logements pour 29 millions de ménages) – et ce y compris dans les zones dites tendues. L’argument principal est que le taux moyen d’occupation des logements est en décrue sur l’ensemble du territoire. Le moment serait donc venu de limiter la politique d’aide à la construction neuve, au profit d’une politique de soutien à la rénovation, principalement énergétique, venant compléter les programmes de réhabilitation des centres villes.

Le débat n’est pas théorique, bien au contraire :à la lecture du plan de relance substantiel annoncé par le gouvernement (100 milliards d’euros sur 3 ans), on ne peut qu’être frappé de constater qu’il est centré non sur la relance du logement neuf mais sur : (i) l’aide à la rénovation énergétique des bâtiments privés (Ma Prime Renov’ pour 2mds€) ; (ii) la rénovation des bâtiments publics (4mds€ dont 300m€ délégués aux régions) et du parc social (500m€). 

Cette vision s’impose également chez nombre de responsables locaux de sensibilité écologiste, dont les programmes comportent des engagements de « dédensification » en matière d’urbanisme (Bordeaux, Strasbourg, etc.) – ce qui, aux bornes d’une ville, signifie le choix d’une réduction délibérée des programmes de logements neufs, qu’ils soient privés ou sociaux. Construisons moins, disent les élus écologistes… en tous cas « not in my backyard », ajoutent leurs électeurs.

Que le Trésor produise la théorie de ses économies budgétaires possibles est compréhensible. Mais le plus intéressant est de comprendre les équilibres politiques et sociaux qui ont conduit à ce que le ralentissement délibéré de la construction de logements puisse devenir l’élément d’un programme politique presque consensuel

Comment expliquer un tel changement ?

Depuis trente ans, le marché de l’immobilier se caractérise par une inflation spectaculaire des valeurs de marché, essentiellement concentrée sur les villes centres. Cette hausse des prix est bien connue, ainsi que ses effets sur la concentration du patrimoine, les transferts entre générations et la difficulté d’accès au logement – et a fortiori à la propriété – des nouveaux entrants ne bénéficiant pas de la grâce de l’héritage. 

Trois principaux moteurs la nourrissent : 

  • la baisse continue des taux d’intérêt, qui accroît mécaniquement la valeur de tous les actifs de rente et compense l’effet des hausses de prix sur la solvabilité des accédants ;
  • l’arrivée des générations nombreuses du baby boom à l’âge d’accéder à la propriété ou de s’agrandir ;
  • la « métropolisation », qui concentre les emplois et la valeur d’une société d’innovation et de services sur quelques grandes agglomérations – rappelons que l’immobilier a baissé en euros courants sur les douze dernières années hors des vingt-cinq principales agglomérations françaises.

Le rappel de ces trois moteurs est important, car il permet de se rendre compte qu’ils sont arrivés à bout de souffle : les taux d’intérêt ne peuvent plus baisser, puisqu’ils sont déjà proches de zéro ; les générations du baby boom vont bientôt quitter leur domicile pour les maisons de retraite, devenant ainsi vendeuses nettes d’immobilier ; quant à la métropolisation, il n’est plus certain, aux lendemains de l’épidémie et compte tenu de nos nouvelles habitudes de télétravail et de nos équipements en fibre et 5G, qu’elle soutienne à elle seule un écart croissant de rentes foncières entre les villes centre et les périphéries. 

Le marché de l’immobilier ne paraît donc plus pouvoir compter sur des plus-values mécaniques, ce qui constituerait un changement de paradigme pour tout le monde : pour les propriétaires, qui devront compter sur la valeur d’usage ou le rendement courant plutôt que sur la plus-value finale ; pour les constructeurs, qui devront devenir plus industriels pour construire moins cher ; pour les foncières privées et les bailleurs sociaux, qui devront constituer de grands opérateurs efficaces pour gérer à moindre coût les locataires et les travaux d’entretien ; pour les intermédiaires, qui ne pourront plus prélever des rentes excessives que leurs clients n’acceptent que parce qu’ils espèrent des plus-values confortables.

Tout cela augure de mutations douloureuses. 

Comme toujours à l’aube d’une telle transformation, il faut attendre des joueurs en place qu’ils cherchent une organisation politique et sociale qui préserve l’économie de rente. 

Quelle meilleure manière d’y arriver que d’arrêter de construire ? Limiter l’offre, c’est assurer aux propriétaires en place que les prix ne baisseront pas. C’est leur éviter, de même qu’aux locataires, de nouvelles promiscuités qui peuvent les inquiéter. C’est dispenser les bailleurs, privées ou sociaux, de cet effort de réorganisation et d’optimisation que leur imposerait un marché équilibré. C’est permettre aux notaires et aux villes de continuer à vivre de transactions inflatées et à une multitude de vendeurs d’immobiliers ou de produits fiscaux de modéliser des plus-values confortables pour convaincre les acheteurs. Bref, à part les constructeurs, l’arrêt de la construction est un moindre mal beaucoup d’acteurs. 

Pour autant, il nous semble que ce n’est pas l’intérêt collectif du pays.

Notre conviction est que cette vision, que nous qualifierons de « malthusienne »,ignore très largement que le logement reste : 

  • un secteur créateur d’emplois et de richesses économiques dans un pays qui en aura bien besoin en sortie de crise ;
  • le principal moteur de l’épargne et de l’investissement privé ;
  • la principale composante des inégalités de conditions de vie, a fortiori dans le contexte né de la crise sanitaire. 

Parce qu’elle sous-estime la réalité des besoins, tant quantitatifs que qualitatifs, la vision malthusienne du logement en France est susceptible de poser plusieurs difficultés majeures d’ordre économique aussi bien que social dans les toutes prochaines années. Il est possible et urgent de corriger cette vision.

Intégralité de la note à consulter ici :