La bioéthique oui, la loi de bioéthique non

Le réexamen plus ou moins régulier de la loi de bioéthique peut être perçu comme une preuve de l’importance légitime que le législateur porte à ces sujets. Cependant, force est de constater que ces rendez-vous sont de moins en moins en phase avec la vitesse d’évolution de la société, et encore moins avec celle des avancées scientifiques. Le processus de réexamen des lois de bioéthique génère inévitablement passions, revendications, voire fausses nouvelles – fausses nouvelles si aisées à colporter dans une société française où la culture scientifique et technique a toujours fait office de parent pauvre. La question qui nous apparaît centrale n’est point la remise en cause du principe même de notre loi de bioéthique, ni de sa nécessaire évolution, mais celle du mode de révision adopté pour cette dernière, mode qui ne peut que constituer un facteur majeur de clivages de notre société. Dans ces moments de tensions exacerbées, liées aux multiples transitions qui nous traversent, est-il opportun d’ajouter ce moment de discorde nationale ?

Les enjeux bioéthiques actuels sont bien identifiés, et nous pouvons en remercier le Comité Consultatif National d’Ethique. Nous pouvons aussi le remercier pour la mise en place du grand débat public sous forme d’états généraux qui ont mobilisé des dizaines de milliers de contributeurs durant des mois. Mais pourquoi remettre en jeu tous les acquis de notre législation de bioéthique en un bloc, à des intervalles par ailleurs systématiquement hors-délais comparés aux évolutions de la science, au risque tout à la fois de diviser notre nation sur les thèmes de la procréation voir de la fin de vie, mais aussi de mettre en péril notre recherche médicale dans la compétition internationale à laquelle elle doit faire face. Avons-nous le droit de retarder par exemple l’accès des familles françaises aux derniers outils diagnostiques communément offerts dans les autres pays européens ? Avons-nous le droit de retarder l’accès de nos trois millions d’enfants porteurs de maladies rares aux dernières thérapies innovantes, thérapies géniques et/ou cellulaires ? 

La bioéthique, un débat permanent

Nous proposons, adossée à nos lois actuelles, adossée à notre Comité Consultatif National d’Ethique et à ses structures de débats désormais organisées à l’échelle locale et qu’il faudra encore développer, une nouvelle procédure que nous qualifierions de « au fil de l’eau ». Elle aurait pour but que ce débat soit permanent, en phase avec les révolutions technologiques incessantes de ce domaine, en phase avec les évolutions sociétales et permettant réflexions, propositions et législations item par item, chaque item n’étant plus conditionné dans son éventuelle évolution par le débat global et par son calendrier. En substituant ce processus continu à notre actuelle grand-messe, nous souhaitons instaurer un échange permanent, apaisé, rigoureux sur les avancées scientifiques et sociétales qui parcourent notre société. En somme, nous souhaitons un débat moins démagogique et plus éthique.

La modernisation du système de santé

En partenariat avec le Quotidien des Médecins, le professeur René Frydman présente sur France Culture une série d’émissions sur la modernisation du système de santé. Plusieurs thèmes sont abordés dans ces cinq épisodes,  faisant intervenir différents acteurs de premier plan et aux parcours variés : des médecins, des élus, un Secrétaire d’Etat et une ancienne directrice d’hôpital et co-directrice d’une Agence régionale de santé. 

Dans la première partie consacrée au virage informatique, René Frydman échange avec trois acteurs de la santé et membres du Think Tank / accélérateur d’idées #LePlusImportant :  Céline Vigné, Mathias Dufour et Jean Philippe Alosi.

René Frydman reçoit ensuite les sénateurs Alain Milon et Michel Amiel, président et vice-président de la Commission des affaires sociales du Sénat. Ensemble, ils dressent un état des lieux du système de santé et envisagent des pistes d’évolution vers une plus grande régionalisation de la santé et la fin des déserts médicaux. 

Dans le troisième épisode est abordée l’innovation médicale au regard de l’éthique, avec le professeur Jean-François Delfraissy, président du Comité National Consultatif d’Ethique. 

Le médicament est ensuite traité sous plusieurs aspects : son commerce, sa possible pénurie dans les années à venir, la baisse de sa consommation et les résistances aux antibiotiques fréquemment observées. Le professeur Frydman reçoit ainsi Philippe Lamoureux et Thomas Borel, Directeur général et directeur scientifique du groupe LEEM (LEs Entreprises du Médicament). 

Le sujet de la protection de l’enfance vient clore cette série avec l’intervention du Secrétaire d’Etat Adrien Taquet. Ce dernier thème invite à la réflexion autour de plusieurs questions éthiques. Parmi celles-ci figurent l’adoption et les discriminations subies par les couples homoparentaux, l’avenir de l’anonymat du don de gamètes ainsi que l’accouchement sous X. 


Retrouvez l’intégralité de la série sur la page de l’émission Matières à penser de France Culture : https://www.franceculture.fr/emissions/series/la-modernisation-du-systeme-de-sante

Pour un musée de l’histoire coloniale

A la veille du soixantième anniversaire des décolonisations en Afrique subsaharienne et à Madagascar, l’historien Pascal Blanchard signe une tribune en faveur de la création d’un musée de l’histoire coloniale – un acte s’inscrivant dans un véritable et nécessaire travail de mémoire de la colonisation. Retrouvez ici l’intégralité du texte : https://www.liberation.fr/debats/2019/05/29/un-musee-sur-l-histoire-coloniale-il-est-temps_1730468


PMA : appel pour un plan fertilité

Tribune publiée dans Libération le 24 septembre 2018 par:
René Frydman, gynécologue, membre des Gracques,
Alain Houpert, sénateur de la Côte-d’Or, médecin radiologue,
Christian Hervé, président de l’Académie d’éthique, médecine et politiques publiques

Alors que les annonces successives de l’ordre des médecins puis des évêques de France promettent une nouvelle bataille pour les évolutions des lois de bioéthique sur la procréation médicalement assistée (PMA), il nous apparaît urgent de nous poser les bonnes questions. Depuis quarante ans, la PMA est un combat permanent entre les progrès scientifiques et les limites éthiques acceptables. Ces dernières doivent être uniquement basées sur la non-commercialisation du corps humain, la non-utilisation de l’autre à son profit et sur le caractère moralement délétère ou non pour les acteurs de telles ou telles pratiques médicales. Or, actuellement, les éventuelles évolutions de la loi sont parasitées par des détracteurs qui font bifurquer le débat de la PMA vers celui de la gestation pour autrui (GPA), à laquelle nous nous opposons sans réserve pour les raisons citées plus haut.

Notre combat est tout autre : il est celui de la lutte contre l’infertilité. Les arguments des opposants à la PMA se sont déjà fait entendre il y a plus de quarante ans, lors de la naissance d’Amandine, le premier «bébé-éprouvette» né en France. Or, depuis ce temps, il n’y a eu aucune dérive dans le domaine de la reproduction humaine puisque cette discipline est encadrée sur le plan légal, technique et éthique. Non, aucun abus, mais des désirs d’enfants venus s’incarner auprès de parents aimants. Notre objectif est clair : lutter contre l’infertilité afin d’offrir aux patientes de meilleurs résultats cliniques. Nous voyons plusieurs actions à mener dans ce combat qui pourrait s’incarner au niveau national dans un «plan fertilité» que nous appelons de nos voeux. Les nouveaux visages de la société imposent une réflexion urgente afin que la PMA soit en adéquation avec notre temps. Des décisions doivent être prises dès maintenant.

C’est aujourd’hui qu’il faut donner des moyens à une information rigoureuse et accessible sur les causes de l’infertilité due à l’environnement : tabac, polluants, comportements alimentaires… C’est aujourd’hui qu’il faut médiatiser des campagnes d’information sur l’infertilité liée à l’âge féminin, avec une information systématique par la Sécurité sociale passé 30 ans… C’est aujourd’hui qu’il faut donner les moyens à la recherche sur la reproduction, alléger les procédures administratives et favoriser ce champ d’investigation en empêchant le blocage systématique par des lobbys idéologiques… C’est aujourd’hui qu’il faut élargir le recours à l’analyse génétique de l’embryon dans toute situation problématique (âge, fausse couche, absence d’implantation). Envisagé comme un allié des couples et des équipes médicales, cet examen permettrait une meilleure compréhension d’une donnée qui demeure encore mystérieuse : pourquoi 60 % des embryons ne deviendront jamais des nouveau-nés ?

C’est aujourd’hui qu’il faut autoriser l’autoconservation des ovocytes. Aucun argument de fond ne s’oppose à ce principe de conservation des gamètes, par ailleurs réalisable chez l’homme mais uniquement dans un processus de «double peine» pour la femme : celle-ci ne peut y prétendre que si elle a un cancer ou une autre maladie altérant sa fertilité, ou si elle accepte un don d’ovocytes. Dans tous les autres cas, elle est interdite. Ne faut-il pas plutôt envisager l’autoconservation des ovocytes comme un libre choix des femmes de repousser la date d’une maternité tout en conservant le meilleur de leur potentiel de reproduction ? Les modalités peuvent être discutées, le principe non. De plus, c’est faire abstraction d’une réalité : moyennant quelques milliers d’euros, des Françaises passent déjà la frontière et font conserver leurs ovocytes en Espagne ou en Angleterre… Cette clandestinité – tout comme les arguments des opposants à la PMA – rappelle les heures douloureuses d’avant la légalisation de l’IVG, et ressemble avant tout à une atteinte aux droits des femmes à disposer de leurs corps et d’être maîtresses de leurs choix de vie.

C’est aujourd’hui qu’il faut promouvoir le don de gamètes en France en élargissant le nombre de centres publics (trop peu nombreux) et privés (actuellement exclus de cette procédure, bien que non commerciale) qui souhaitent s’impliquer dans ce programme et en autorisant une large information sur le don, actuellement réduite à une unique campagne annuelle. Il faut mettre un terme à un «tourisme du bébé» lucratif à l’étranger pour le don de gamètes que la Sécurité sociale française rembourse en partie, alors que cette procédure est interdite sur ce mode en France. Juge-t-on la médecine française incapable de suivre les patientes dans le cadre habituel de tout acte médical ?

C’est surtout aujourd’hui qu’il faut s’attaquer au problème de l’anonymat du don, a fortiori, si le gouvernement propose une ouverture de la PMA aux femmes seules, procédure qui doit être médicalement et psychologiquement accompagnée comme le font certains collègues à l’étranger. Arrêtons les hypocrisies et les faux-semblants de la parentalité dans le cadre du don anonyme imposé. Ceci a fait son temps, la revendication du droit aux origines et le modèle anglo-saxon doit nous faire étudier la levée de l’anonymat dans un système où la volonté du père, de la mère, de l’enfant et donneur·euse serait respectée.

Ce que nous voulons, c’est un débat serein, des lois cohérentes et un dispositif efficace pour offrir aux femmes les meilleures chances de concevoir. Traiter l’infertilité est un devoir médical, satisfaire les désirs tant qu’ils n’empiètent pas sur les libertés individuelles est un axe démocratique. Est-ce à dire qu’il y a un «droit à l’enfant»? Non! C’est pourquoi nous proposons – sauf cas particuliers – une participation financière progressive de chacun à la réalisation d’une PMA, afin de constituer un fonds public de recherche dédié à cet objectif dans le cadre d’un plan national de lutte contre l’infertilité. Le problème majeur est d’améliorer les résultats dans notre pays et de faire une offre de soins la plus performante possible. Sinon, à quoi servirait une répétition ou une extension sociétale en faveur d’une procédure qui reste en deçà des espoirs de réussite? Se donner les meilleures chances dans le domaine de la reproduction humaine n’est pas jouer aux apprentis sorciers ni défier la nature, mais voir s’épanouir des enfants fruits d’un réel désir de donner la vie.

Manifeste des Médecins et Biologistes de la Reproduction

 

C’est une initiative éthique et médicale inédite, un geste civique et politique majeur. Emmenés par le gynécologue René Frydman, plus de 130 médecins et biologistes de la reproduction reconnaissent avoir « aidé [et]accompagné des couples et des femmes célibataires dans leur projet d’enfant dont la réalisation n’était pas possible en France ».
En savoir plus sur lemonde.fr

Manifeste des Médecins et Biologistes de la Reproduction

Nous médecins, biologistes, reconnaissons avoir aidé, accompagné certains couples ou femmes célibataires dans leur projet d’enfant dont la réalisation n’est pas possible en France.

Nous faisons référence ici à quatre situations que nous rencontrons fréquemment en Médecine de la Reproduction.

1/ Le don d’ovocytes : Le désir d’enfant surtout lorsqu’il est tardif peut bénéficier du recours au don d’ovocytes. Le système en vigueur dans notre pays ne permet pas de répondre à la demande (pas assez de donneuses) et de très nombreux couples se tournent alors vers l’étranger. Nous regrettons que la totalité des mesures qui permettraient de développer le don d’ovocytes en France ne soient pas prises (possibilité d’une campagne d’information locale et non pas uniquement nationale par chaque centre, participation de tous les centres publics ou privés, dédommagement et prise en charge correcte des donneuses, création de personnel dédié à l’information sur des dons de gamètes…)

Nous souhaitons développer le don d’ovocytes en France dans un cadre de non commercialisation des éléments du corps humain ayant parfaitement conscience que les nombreuses propositions qui sont faites à l’étranger ont trop souvent un aspect mercantile auquel nos patientes n’ont d’autres choix que de s’y plier.

L’incohérence de la situation est que la sécurité sociale française, sous certaines conditions, rembourse une partie des frais engagés à l’étranger bien qu‘ il y ait une indemnisation de la donneuse (pratique qui n’est pas autorisée dans notre pays)

2/ L’analyse génétique de l’embryon avant transfert utérin dans des situations à risque élevé d’anomalies embryonnaires. D’une façon générale plus de 60% des embryons que nous transférons ont des anomalies génétiques graves ou sont non viables sur un plan métabolique. Dans des situations particulières ce pourcentage est encore plus élevé et abouti à une répétition d’échecs d’implantation, à des fausses couches ou à des anomalies chromosomiques qui vont être détectées lors du dépistage anténatal et peuvent conduire à des douloureuses interruptions thérapeutiques de grossesses.

Ces fréquentes anomalies rendent nombre de transferts, de congélations embryonnaires inutiles, ces échecs prévisibles sont sources de déception, de complications et d’une multiplication de prise en charge coûteuses et sans aucun bénéfice. Connaître le statut chromosomique de l’embryon par la technique du Diagnostic Pré-Implantatoire (DPI), dans des situations à risques reconnues, est devenu courant dans de nombreux pays limitrophes (Belgique, Grande Bretagne, Italie, Espagne) et constitue une règle de bonne pratique médicale que nous ne pouvons appliquer.

La position de notre pays est incohérente puisque l’analyse du risque chromosomique fœtale est autorisée aux femmes enceintes qui le souhaitent après quelques semaines de grossesse, dans le cadre du dépistage anténatal, alors que ce même examen reste interdit par prélèvement d’une cellule de l’embryon avant qu’il ne soit transféré dans l’utérus. Quelle est la justification de ces positions contradictoires selon l’âge de l’embryon ?

3/ L’autoconservation ovocytaire ne peut être pratiquée en France uniquement si la femme présente une pathologie à risque pour sa fertilité (chimiothérapie pour cancer, voir une endométriose) ou si elle souhaite donner une partie de ses ovocytes. Mais une autoconservation ovocytaire préventive, alors que la fertilité est encore satisfaisante mais sans projet de grossesse immédiat, est interdite (mais possible en Espagne, Belgique, Grande Bretagne, etc.). Que cette pratique soit accompagnée, mesurée et encadrée est plus que souhaitable mais le principe d’une interdiction ne nous semble pas fondé. D’autant que  pour les hommes, l’autoconservation de sperme en paillettes peut être réalisée sur simple ordonnance dans tout laboratoire de ville agrée (autre incohérence).

4/ Le don de sperme pour une femme célibataire (sans préjugé de son mode relationnel actuel ou futur, homo ou hétérosexuel) est une autre interdiction qui nous paraît devoir être levée, puisqu’une femme célibataire est reconnue dans ses droits pour élever ou adopter un enfant.

A côté de ces incohérences les plus criantes pour lesquelles nous réaffirmons notre engagement à aider notre patientèle, d’autres sujets de Procréation Médicalement Assistée nécessitent la poursuite de la réflexion. Nous proposons la création d’un véritable « Plan contre l’Infertilité » comme il existe d’autres plans nationaux tels que « Vaincre le cancer », « la maladie d’Alzheimer » etc.., Ceci est plus que nécessaire dans la mesure où 15% de la population en âge de procréer consulte, que cela a un coût financier collectif, un coût physique et psychique à l’échelle individuelle.

Ce « Plan contre l’infertilité» permettrait de développer une prévention de l’infertilité qui fait cruellement défaut, basé sur l’information de l’effet inexorable de l’âge mais aussi sur les comportements alimentaires favorisant le surpoids ou du fait d’addictions (tabac, alcool, drogue) ou encore d’un environnement polluant délétère dont il faut apprendre à se protéger. Ce plan de lutte contre l’infertilité permettrait de réduire les incohérences actuelles, de définir les objectifs prioritaires en tenant compte de leur financement et en s’appuyant sur le progrès des connaissances scientifiques tout en respectant deux principes éthiques fondamentaux :

La non commercialisation du corps humain.
Le refus du risque d’utiliser ou d’aliéner une autre personne (adulte ou enfant) à son profit quelle que soit sa situation.

Signataires :
Docteur Elodie ADDA HERZOG : Créteil
Docteur Michael AGOJIANTZ : Nancy
Docteur Gilles ALPHANDARI : Saint Herblain
Docteur Laura ALTER : Poissy
Docteur Silvia ALVAREZ : Paris
Docteur Aurélie AMAR HOFFET : Marseille
Docteur Christophe AMIEL : Aix en Provence
Professeur Jean Marie ANTOINE : Paris
Docteur Paul ATLAN : Paris
Docteur François AUBRIOT : Neuilly
Docteur Alain AUDEBERT : Bordeaux
Professeur Yves AUBARD : Limoges
Docteur Catherine AVRIL : Rouen
Docteur Jean Philippe AYEL : Argenteuil
Professeur Jean Marc AYOUBI : Suresnes
Docteur Wassim BADIOU : Toulouse
Docteur Marc BAILLY : Poissy
Docteur Virginie BARRAUD LANGE : Paris
Docteur Paul BARRIERE : Nantes
Docteur Bernard BARRY : Marseille
Docteur Julie BENARD : Bondy
Docteur Jean Luc BENHAIM : Paris
Docteur Moncef BENKHALIFA : Amiens
Docteur Jean Jacques BENSAID : Boulogne
Docteur Olivier BESSE : Saint Herblain
Docteur Oksana BOIKO-LAFONT : Paris
Professeur Philippe BOUCHARD : Paris
Docteur Pierre Emmanuel BOUET : Angers
Docteur Jeremy BOUJENAH : Paris
Docteur Dominique BOURET : Paris
Docteur Charles BRAMI : Neuilly
Docteur Denis BRIANT :St Renan
Docteur Mélanie BRZAKOWSKI : Paris
Docteur Marc BUCHER : Le Mans
Docteur Bruno CAMIER: Amiens
Docteur Bernadette CARCOPINO : Paris
Docteur Guy CASSUTO : Paris
Docteur Virginie CASTERA : Marseille
Docteur Isabelle CEDRIN DURNERIN : Bondy
Docteur Nathalie CHABBERT BUFFET : Paris
Docteur Véronique CHABERT ORSINI : Marseille
Docteur Coline CHAO : St Denis
Docteur Nicolas CHEVALIER : Montpellier
Docteur Martine CHOMIER : Ecully
Docteur CLOUET Muriel : Toulouse *
Docteur Jonathan COHEN : Tenon
Docteur Marina COLOMBANI : Marseille
Docteur Blandine COURBIERE : Marseille
Docteur Michel DAGUES BE : Tarbes
Professeur Emile DARAI : Tenon
Docteur Claude DEBACHE : Paris
Docteur Christine DECANTER : Lille
Docteur Hervé DECHAUD : Montpellier
Docteur Didier DELAFONTAINE : Paris
Docteur Pauline DEMAILLY : Paris
Docteur Thierry DEMES : Cannes
Professeur Philippe DESCAMPS : Angers
Docteur Didier DESTREGUIL : Paris
Professeur Didier DEWAILLY : Lille
Professeur Dominique DE ZIEGLER : Paris
Docteur Véronique DIVRY : Lyon
Docteur Stéphanie DOMINE : St Denis
Docteur Lorene DONADEL : Bruges
Docteur Michel DRAY : Paris
Docteur Alain DREVAL : Strasbourg
Docteur Jean Michel DREYFUS : Lyon
Docteur Martine DUMONT : Le Mans
Docteur Charlotte DUPONT : Neuilly
Docteur Marine DURAND : Bondy
Docteur Solène DUROS : Rennes
Docteur Jean Claude EMPERAIRE : Bruges
Docteur Frida ENTEZAMI : Paris
Docteur Sylvie EPELBOIN : Paris
Docteur Jean Philippe ESTRADE : Marseille *
Docteur Marc EVEN : Paris
Professeur Renato FANCHIN : Clamart
Professeur Patricia FAUQUE : Dijon
Docteur Antoine FAYSSE : Lyon
Docteur FEGER ROSENTIEL : Schiltigheim
Professeur Hervé FERNANDEZ : Villejuif
Docteur Estelle FEYEREISEN : Paris
Docteur Astrid FINET : Rouen
Docteur Muriel FLIS TREVES : Paris
Docteur Bernard FONTY : Paris
Docteur Jean Pierre FRANQUEBALME : Marseille
Docteur Sandrine FRANTZ : Bordeaux *
Docteur Thomas FREOUR : Nantes
Professeur René FRYDMAN : Suresnes
Docteur Marc GABRIELE : St Pierre
Docteur Isabelle GALEREAU-DENIS Isabelle : Le Havre
Docteur Vanessa GALLOT : Clamart
Docteur Vanessa GAYET : Paris
Docteur Pierre GIACOMINI : Reims
Docteur Philippe GILLARD : Angers
Docteur Claude GIORGETTI : Marseille *
Docteur Amélie GLISSANT : Paris Docteur Anne Sophie GODEFROY : Villeurbanne
Docteur Héloïse GRONIER : Paris
Professeur Michael GRYNBERG : Bondy
Docteur Veronika GRZEGORCZYK : Rouen
Docteur Frédérique GUILLET-MAY : Nancy
Docteur Anne GUIVRAC’H LEVEQUE : Rennes
Docteur Brice GURRIET : Marseille *
Professeur Samir HAMAMAH : Montpellier
Docteur Ghada HATEM : St Denis
Docteur Gerard HELUIN : Nogent sur Marne
Docteur Charlene HERBEMONT : Bondy
Docteur Florence HERVE : Paris
Professeur Claude HOCKE : Bordeaux
Professeur Jean Noel HUGUES : Paris
Docteur Michel HUSS : Saint Etienne
Docteur Vincent IZARD : Villejuif
Professeur Clément JIMENEZ : Bordeaux
Docteur Franklin JOULIE : Nantes
Docteur Guy KERBRAT : Le Chesnay
Docteur Bertrand KEPPI : Clermont Ferrand
Docteur Laetitia LADUREAU-FRITSCH : Strasbourg
Docteur Frédéric LAMAZOU : Paris
Docteur Christophe LELAIDIER : Montpellier
Docteur Gérard LEBOEUF : Nancy
Docteur Nathalie LEDEE : Paris
Docteur Soizic LE PARCO : Paris
Docteur LETUR-KONIRSCH : Paris
Docteur Georges LEVY : Paris
Docteur Isabelle LICHTBLAU : Strasbourg
Docteur Flora MARZOUK : Paris
Docteur Perrine MASSART : Bondy
Docteur Nathalie MASSIN : Créteil
Docteur Marie Bénédicte MERCIER : Angers
Docteur Alexandra MESNER : Paris
Docteur Denise MOLINA GOMES : Poissy *
Docteur Catherine MORINIERE : Angers
Docteur Eve MULLER : Paris
Docteur Jean Michel MURAY : Pontoise
Docteur Charles NAHMANOVICI : Nice
Docteur Julien NIRO : Versailles
Professeur Israël NISAND : Strasbourg
Docteur Pierre OGER : Paris
Professeur François OLIVENNES : Paris
Docteur Pierre PANEL : Versailles
Docteur Pascale PANLOUP : Angers
Docteur Isabelle PARNEIX : Bruges
Docteur Jean PERETTI : Abymes
Docteur Sarah PEYRELEVADE : Suresnes
Docteur Claire PIETIN VIALLE : Creteil
Docteur Olivier PIRRELLO : Strasbourg
Professeur Pascal PIVER : Limoges
Docteur Khaled POKATE : Paris
Docteur Géraldine PORCU : Marseille
Docteur Marine POULAIN : Neuilly
Professeur POULY Jean Luc : Clermont Ferrand
Docteur Florence RAYMOND : Beaumont
Docteur Sandy RIVA : Paris
Professeur Nathalie RIVES : Rouen
Docteur Clémence ROCHE : Paris
Docteur Valérie ROGER : Marseille *
Docteur Catherine RONGIERES : Strasbourg
Docteur Julie ROSET : Rouen
Docteur Betty ROSSIN : Marseille
Professeur Bruno SALLE : Lyon
Docteur G. SARROT : Paris
Docteur Eric SEDBON : Paris
Docteur Martine SEIBERT : Mulhouse
Docteur Nathalie SERMONDADE : Bondy
Docteur Alice SEROKA : Bondy
Docteur Christophe SIFER : Bondy
Docteur Charlotte SONIGO : Bondy
Docteur Michèle SPIZOO : Strasbourg
Docteur Philippe TERRIOU : Marseille *
Docteur Jacques TEYSSEDRE : Toulouse
Docteur Charles TIBI : Neuilly
Docteur Meryl TOLEDANO : Paris
Docteur Pierre TOURAME : Marseille
Docteur Juan Felipe VELEZ DE LA CALLE : Brest
Professeur François VIALARD : Poissy
Professeur Yves VILLE : Paris
Docteur Claire VINOLAS : Bondy
Professeur Jean Philippe WOLF : Paris
Docteur Chadi YAZBECK : Paris
Docteur Pierre ZITOUN : Neuilly

Une réforme destinée à donner enfin un avenir à la jeunesse

Editorial de Bernard Spitz publié dans le Monde du 9 mars 2016

Si le projet n’est pas adopté, des centaines de milliers d’emplois potentiels pour nos jeunes seront perdus au profit des mêmes, les champions de l’immobilisme.

La jeunesse française a des raisons d’être en colère. Les chiffres en disent plus que de longs discours : un quart de nos actifs de moins de 25 ans sont au chômage, trois fois plus qu’en Allemagne ; la moitié de ceux qui travaillent ont un contrat précaire ; 1 million vivent sous le seuil de pauvreté ; ils consacrent un tiers de leur revenu à se loger ; 150 000 jeunes sortent par an du système scolaire sans qualification, avec 50 % d’échec en première année à l’université, un sur cinq n’a pas de complémentaire santé, etc.
Constat glaçant. Notre jeunesse est maltraitée depuis des décennies, et récemment par la gauche alors même que François Hollande en avait fait sa promesse de campagne électorale : « Je ne veux être jugé que sur un seul objectif (…) est-ce que les jeunes vivront mieux en 2017 qu’en 2012 ? »

Alors oui, entre la résignation, l’exil ou la protestation, tant mieux si les jeunes manifestent. C’est signe de vitalité, d’énergie, de volonté de prendre leur destin en main, du moins aussi longtemps que ces manifestations défendent leurs intérêts. Mais ce n’est pas du tout ce qui est prévu le 9 mars : ce jour-là, les jeunes dans la rue vont marquer un but contre leur camp.
De la peur qu’ils éprouvent devant l’avenir, les jeunes tirent de mauvaises conclusions. Ils croient que les prétendues protections actuelles les aident, alors qu’elles leur nuisent. Eux qui auraient tant de revendications utiles à formuler, se trompent quand ils protestent contre une réforme dont l’objectif est de leur faciliter l’accès au marché du travail.

La vieille approche, qui fait de la fonction publique un modèle idéal vers lequel il faudrait tendre, ne fait pourtant plus recette dans des générations qui aspirent à inventer leur propre chemin. Ni ici ni ailleurs. Ce qu’il s’agit d’offrir à travers le projet de loi de Myriam El Khomri, c’est cette prévisibilité qui manque cruellement à notre droit social et qui seule donne aux employeurs l’envie de prendre le risque d’embaucher.

Chez tous nous voisins, cette évolution s’est produite et elle a permis de créer des emplois. Elle a offert partout à des jeunes, y compris à de jeunes Français partis à Londres ou Barcelone quand ce n’est pas au Canada ou en Australie, de démarrer une vie active, d’acquérir de l’expérience et d’être autonomes financièrement. Elle correspond pleinement à une nouvelle organisation souple du travails, dans un monde en mobilité où les nouvelles technologies transforment formation, gestion du temps, hiérarchie et carrières.

Sauf chez nous. Peu de sociétés développées sont aussi injustes que la France. La ligne de partage n’est pas tant entre la gauche et la droite, ni entre les syndicats et les employeurs: la fracture principale y est entre les insiders, ceux qui sont protégés, et les outsiders, ceux qui veulent entrer sur le marché de l’emploi et se heurtent aux barricades érigées par les premiers. Le 9 mars, les représentants des insiders seront dans la rue, à commencer par les syndicats de fonctionnaires et les entreprises publiques. Ils inciteront à défendre non pas l’emploi des jeunes mais la sécurité de l’emploi des autres. Cependant, la palme du cynisme revient aux leaders étudiants qui entraîneront dans la protestation ceux-là mêmes qui seraient les principaux bénéficiaires de la loi contestée.

HOLD-UP
Ce n’est du reste pas la première fois. Jadis, les leaders étudiants – devenus depuis insiders et frondeurs – avaient mis les jeunes dans la rue pour soutenir la seule retraite par répartition. Le résultat en a été dramatique pour notre jeunesse, qui doit aujourd’hui payer sa retraite et éponger la dette des générations qui l’auront précédée: chaque étudiant né dans notre pays hérite en guise de doudou de 30 000 euros à rembourser. Cela a été le premier hold-up du siècle: commis avec l’aide des jeunes et à leur frais.
Le second hold-up se déroule sous nos yeux. Si la réforme du travail n’est pas adoptée, si nous restons figés dans un système qui ne correspond plus en rien au monde du travail ni aux aspirations réelles de la jeunesse, des centaines de milliers d’emplois potentiels pour nos jeunes seront définitivement perdus. En revanche, quelques-uns seront gagnés: ce seront ceux qui récompenseront des leaders étudiants dont le cursus de carrière passe par leur capacité à bétonner le statu quo. Ces champions de l’immobilisme sont ensuite récompensés par des postes d’assistants parlementaires, des places dans les mutuelles étudiantes, voire des investitures à l’Assemblée nationale ou au Parlement européen.
La jeunesse n’est pas le problème de la société française, elle est la solution. Notre responsabilité générationnelle est de créer les conditions qui lui permettront de s’épanouir et de disposer de toutes les chances que ses aînés ont eues autrefois. Au-delà du projet de loi sur le travail, il y aurait beaucoup à dire sur la méthode ainsi que sur les réformes nécessaires en termes de formation, de protection ou de citoyenneté, que l’on attend depuis trop longtemps. Mais les jeunes qui seront dans la rue le 9 mars doivent le savoir: leurs seuls jobs qu’ils défendront sont ceux de leurs leaders d’aujourd’hui, les insiders-frondeurs de demain.

Bernard Spitz

L’assurance dépendance. Privé, public : pour un système hybride

Cet article a été publié ici dans le cercle les échos, et ici sur lemonde.fr

 Il est des problèmes sur lesquels un consensus existe et qui pourtant sont très mal traités. Ils ont généralement deux caractéristiques communes : un ancrage dans le long terme et une part d’incertitude.

 La dépendance, c’est-à-dire le risque futur de devoir recourir à un tiers pour s’occuper des actions quotidiennes, question par définition de long terme et incertaine, n’échappe pas à la règle : alors que le vieillissement n’a jamais été une réalité aussi brûlante, les Français n’assurent pas, ou peu, leur dépendance.

L’espérance de vie augmente fortement en France. Elle augmente pour l’ensemble de la population à la naissance, elle augmente encore plus sensiblement à 60 ans, c’est-à-dire pour les personnes exposées à la dépendance dans un futur proche.  Or, la dépendance s’accroît avec l’âge : le vieillissement de la population va donc nous imposer la réalité de la perte d’autonomie avec une intensité jamais atteinte. Chacun voit son risque de devenir dépendant, et de l’être pour plus longtemps, grandir. Même si les modes de calcul font débat, il y a aujourd’hui environ 1.2 millions de personnes âgées dépendantes en France, elles seront 1.8 millions en 2050 (soit une augmentation de 50%). Le poids financier de la dépendance est lourd : environ 1800 € mensuels pour une prise en charge à domicile, entre 2000 et 3000 € en institution spécialisée. Pour se faire une idée du poids financier de la dépendance à l’échelle individuelle, on peut comparer ces coûts au minimum vieillesse (740€ mensuels pour une personne seule) ou à la pension de retraite médiane (1200€ mensuels). Et pour rendre la situation encore plus tendue, on note depuis plusieurs décennies, un net recul de l’aide informelle apportée aux personnes âgées par leurs familles.

Qui supportera donc  à l’avenir le coût -chaque année plus lourd- de la dépendance ?

Devant ce constat sans appel, tout le monde devrait être assuré contre la dépendance. C’est pourtant très loin d’être le cas : seulement 5.5 millions de contrats dépendance sont souscrits en France. Comment comprendre cet incroyable contraste ? La dépendance est dramatique, mais aussi abrupte : elle n’est pas vécue à doses croissantes tout au long de la vie. La théorie des « risques catastrophe » suggère que ces deux caractéristiques empêchent de considérer rationnellement le risque encouru. En d’autres termes, la dépendance est si compliquée à imaginer pour un adulte en pleine forme que son risque est occulté. On peut aussi avancer d’autres raisons, comme la méconnaissance des coûts de la dépendance ou le manque d’information sur les contrats assurantiels (beaucoup de gens croient être couverts et ne le sont pas). Des modèles économiques ont aussi été développés, expliquant que les individus ne s’assurent pas contre leur perte d’autonomie future en suivant une logique de transfert de richesse vers le présent.

Qu’il soit rationnel ou pas, expliqué ou non, ce comportement est pourtant dangereux, car il crée un énorme déséquilibre, faisant potentiellement porter le poids de la dépendance aux générations futures. Il faut donc y remédier.

    •    La première solution est de renforcer la prise en charge publique de la dépendance.

Aujourd’hui, le système français se présente de la façon suivante : une Aide Personnalisée à l’Autonomie  (APA) pour les personnes dépendantes de plus de 60 ans, à distinguer de la Prestation de Compensation du Handicap (PCH), réservée aux personnes handicapées de moins de 60 ans. Le reste à charge pour les allocataires est de 30% environ. L’APA représente 1.9% du PIB français. Elle est financée à 70% par les départements et à 30% par des contributions sociales, comme la CSG : la logique est donc celle d’un financement par la solidarité, c’est-à-dire le prélèvement fiscal.

La caractéristique principale du risque dépendance est sa très forte prévalence, qui entraîne des anomalies assurantielles causées par la faible distribution du risque. La solution à cela est de créer des systèmes d’assurance inter-risques, ou de mutualiser le risque. Un système par répartition, de type Sécurité Sociale pourrait être une solution.

A ce titre, le modèle allemand est intéressant à regarder de près. Depuis 1995, il n’existe qu’une seule assurance dépendance outre-Rhin : l’Assurance de Soins Longue Durée. Elle est obligatoire, universelle et unique (personnes âgées dépendantes et personnes handicapées en bénéficient). Pour la financer, l’Allemagne a créé une 5ème branche de l’assurance maladie, délestant de cette charge les communes qui finançaient la dépendance jusqu’alors. Comme en France, le reste à charge est de 30 % pour les assurés. L’ASLD représente 0.9% du PIB allemand.

Face aux problèmes présentés précédemment, le modèle allemand pourrait, à certains égards, nous inspirer. Même s’il présente l’inconvénient d’obliger les individus à cotiser contre la dépendance alors qu’ils ne l’auraient pas fait sur un marché assurantiel privé, il a de nombreux atouts. Créer une couverture obligatoire et universelle, dans une logique de répartition, règlerait le relatif vide assurantiel que l’on connaît aujourd’hui en France pour le risque dépendance. Et ne plus retenir l’âge pivot de 60 ans pour différencier les personnes âgées dépendantes des personnes handicapées permettrait de supprimer des inégalités de traitement et surtout de changer le regard de la puissance publique sur le vieillissement, considéré dès lors comme un handicap, et non plus un naufrage.

Des idées intéressantes sont sans doute à aller trouver dans le modèle allemand, il ne faut cependant pas y voir la panacée, car ce système de répartition se fragilise sensiblement avec le vieillissement de la population et la baisse du rapport entre nombre d’actifs et nombre de personnes âgées dépendantes. L’Allemagne est d’ailleurs en train de revoir son système d’assurance de la perte d’autonomie liée au grand âge.

En réalité, la véritable question est de savoir si nous voulons passer, pour l’assurance dépendance, à un système assurantiel de type « sécurité sociale » qui mutualiserait le risque (avec cotisations sociales, comme en Allemagne) ou si, au contraire, nous souhaitons conserver notre système de solidarité fiscale. La dépendance, on l’a dit, va coûter de plus en plus cher : la première option aurait donc pour effet immédiat d’affecter la compétitivité des entreprises – et de plus en plus- ; la seconde engendrerait un accroissement considérable de la charge fiscale. Elle présenterait en outre un très fort enjeu intergénérationnel : mettre en place aujourd’hui un système par répartition, cela serait mettre à contribution des générations de jeunes actifs déjà fortement pénalisés dans la dernière réforme des retraites – telle qu’elle est conçue à ce stade.

    •    La seconde solution est d’encourager l’assurance dépendance privée.

L’assurance dépendance privée peut prendre des formes très variées, mais elle prend le plus souvent la forme d’une rente servie mensuellement aux cotisants atteints de dépendance. Plus de 5 millions de Français sont déjà couverts par une garantie dépendance privée.

Le développement de cette assurance privée, soit par couverture individuelle, soit par couverture collective, doit être envisagée comme la principale piste de prise en charge de la dépendance à raison du coût pour les finances sociales qu’occasionnerait la création d’un 5ème risque et de son enjeu d’équilibre intergénérationnel (l’assurance privée suivant pour sa part une logique de capitalisation).

Outre les barrière psychologiques, ce type d’assurance souffre toutefois d’un coût relativement élevé en raison de la prévalence du risque, et d’un phénomène d’ « illusion monétaire » car ces contrats d’assurance portent sur des horizons temporels souvent lointains : la rente versée quand la perte d’autonomie intervient peut avoir subi 25 ans d’inflation supérieure au taux de revalorisation annuel, et donc être substantiellement réduite. Il s’agira donc d’un point à corriger, par une concertation avec les professionnels, dans l’optique d’une généralisation ou d’une obligation de l’assurance dépendance privée en France.

Une solution pourrait venir de la mise en place d’un marché privé encadré, avec la création d’un système de contrats dits « responsables », identifiés par l’autorité publique via un cahier des charges assurant la qualité de ces contrats, et bénéficiant d’un régime d’incitation fiscale. Un tel système existe déjà en matière de complémentaires santé. Cette solution permettrait de combiner approches publique et privée dans une solution hybride, permettant à la fois la sécurité des assurés et la pérennité des financements. A terme, ce système d’assurance par capitalisation pourrait être généralisé puis rendu obligatoire.

Des annonces du Président de la République sur la dépendance sont prévues pour la fin de l’année.

Quentin Jagorel, pour les jeunes Gracques

Nouvelles propositions de Peter Hartz pour l’emploi !

Quelques « innovations Hartz » pour l’emploi et contre le chômage des jeunes

Peter Hartz, ancien DRH de Volkswagen, est l’inspirateur des réformes Schröder en Allemagne et des quatre « lois Hartz » sur le marché du travail. Il a depuis continué à réfléchir avec quelques membres de sa commission et est venu le 29 mai dernier présenter à Paris ses propositions contre le chômage des jeunes en Europe. Il s’agirait de lancer un programme « Europatriates » en six points :

Œ1. diagnostic individuel des talents (Talentdiagnostik

2. « radar de l’emploi » régional s’appuyant sur les données fines des besoins locaux d’activité non satisfaits

3. un vrai « social franchising » : un réseau de compétences en accompagnement des entreprises nouvelles, « qui ne doivent pas être laissées seules »

4. recours prioritaire aux flexibilités internes à l’entreprise (accords compétitivité-emploi, Kurzarbeit/chômage technique)

Les propositions les plus originales consistent en deux outils incitatifs à l’embauche de chômeurs, et au développement de la formation en entreprise, voie d’insertion professionnelle éprouvée pour les jeunes allemands :

1. Le « bon de formation échangeable » matérialisant un droit à la formation pour un jeune sans emploi, sous forme d’instrument financier librement cessible

2. Le « paquetage financier » [ou « job floater »], liant l’embauche d’un chômeur à l’accès privilégié à des ressources en capital et en crédit pour l’entreprise

Le bon de formation échangeable

Il s’agit ici d’encourager le développement de la formation professionnelle des jeunes, au travers d’un nouvel instrument financier matérialisant un droit à la formation.

Ces titres seraient émis par un fonds spécifique, garanti par l’Etat. Ce fonds serait alimenté par des crédits publics (Etats, collectivités locales, enveloppes de la formation professionnelle) comme des crédits privés (entreprises européennes ayant des besoins d’embauche). Les financeurs s’assureraient de la qualité des formations professionnelles dispensées – modèle du « Dual system » allemand ou des filières d’apprentissage et d’alternance en France – ; la concurrence sur le marché de la formation ferait le reste de la pression vers l’efficacité. Ils présenteraient les caractéristiques d’un instrument obligataire librement cessible sur le marché et assorti d’un coupon. Leur originalité résiderait dans la possibilité pour un jeune de les remettre à une entreprise en échange d’une formation professionnelle. L’entreprise se ferait rembourser la valeur des titres auprès du fonds émetteur pour financer la formation.

Ces bons pourraient être souscrits à titre individuel par l’environnement familial comme instrument d’épargne et de transmission, ou en partie alloués dans le cadre de politiques ciblées.

L’incitation pour l’entreprise serait à la fois de nature financière par le différentiel de valeur entre le bon échangeable et le coût de la formation, et de nature économique par les bénéfices de l’embauche ultérieure d’un jeune formé dans son environnement propre.

On peut noter qu’un bon échangeable de même inspiration (Wertpapier) a été développé par Volkswagen pour le financement des préretraites ; dans ce cas les salariés en poste pouvaient souscrire à des bons de préretraite échangeable au moment de leur départ effectif.

Le paquetage embauche-financement

Ce dispositif consisterait à doter chaque chômeur à titre individuel d’un volume de financement en capital et en crédit destiné à l’entreprise qui l’embauchera.

Le demandeur d’emploi se présenterait ainsi à l’entreprise non seulement avec ses compétences et sa capacité de travail, mais il apporterait aussi avec lui dans son « paquetage »  une contribution à la consolidation financière du bilan de son futur employeur. Ce dispositif est à la fois valorisant à titre individuel, incitatif pour l’entreprise et économiquement efficace dans l’allocation des ressources complémentaires pour le développement de l’activité.

L’effet incitatif serait particulièrement pertinent pour les PME dont la croissance peut être contrainte par l’accès au capital et au crédit.

Un ordre de grandeur de 50k€ en quasi-capital, plus 50k€ en crédit pourrait être considéré pour chaque nouvel embauché.

Le capital pourrait prendre la forme d’une dette subordonnée souscrite par un établissement public –de type BPI-, tandis que le crédit pourrait être octroyé par une banque commerciale.

En tout premier ordre de grandeur, le volume maximum de quasi-capital à mobiliser serait de 250Md€, et le volume de crédit identique pour doter 5 millions de demandeurs d’emploi, le phasage du déblocage effectif des fonds dépendant du rythme des embauches.

Ces instruments pourraient être mis en place au niveau national. Un objectif plus ambitieux serait de les développer au niveau européen, ou au moins dans le cadre de la collaboration de plusieurs pays participants. En s’assurant de la compatibilité des dispositifs nationaux, on s’attacherait notamment à tirer parti de l’expérience allemande en matière de formation professionnelle, et à faciliter la mobilité des demandeurs d’emploi vers les entreprises les plus demandeuses.

Solidarité avec Sciences Po

Les Gracques souhaitent témoigner leur amitié et leur soutien à la communauté de Sciences Po, meurtrie par le décès ce week-end de Clément Méric.