Vive le réalisme de Manuel Valls

Tribune parue dans Le Monde du 26 avril 2014

Le moment de vérité est arrivé. François Hollande et Manuel Valls ont tranché dans le sens de la gauche qu’ils ont reçue en héritage, celle de Rocard, de Bérégovoy et de Mendes-France, celle qui assume le réel.

Le premier ministre emprunte ainsi un chemin ardu, tant il conduit la France à ce qu’elle n’aime guère : se confronter à la réalité. Comme le temps presse, il agit. Un gouvernement resserré ? C’est fait. Une politique économique claire ? C’est le programme de stabilité. Reste à le voter le 29 avril, puis à l’appliquer.

L’appliquer face à une droite réduite au navrant spectacle d’un concours de siffleurs pendant la déclaration de politique générale. Elle serait mieux inspirée de se préparer à assurer un jour le pouvoir et de s’interroger sur ses responsabilités dans la spirale de déficits, de dette et d’impôts qui affecte depuis longtemps le pays.

L’appliquer malgré la « gauche de la gauche » qui préfère débattre du partage de la richesse que de sa création et a du déficit budgétaire une vision comptable qui gomme les enjeux de compétitivité et de balance des paiements. Quand la gauche européenne pense investissements, emplois, innovation, concurrence, celle-ci prône consommation, défense des acquis, réglementation, rente. Minorité bruyante, cette gauche-là n’aime pas gouverner.

Manuel Valls, si. Partant des questions essentielles, il emprunte la trajectoire du possible, celle d’un plan d’ajustement qui, expliqué et conduit professionnellement, ouvre la voie aux réformes de structures.

Ceux qui pensent qu’il faudra faire les deux et que la technique du rabot a ses limites ont raison : mieux vaudrait s’attaquer à la productivité inégale des agents publics que de geler le point d’indice pour tous. Et quitte à faire des crédits d’impôt, mieux vaudrait les centrer sur l’investissement productif, base de la croissance. Mais le mieux est l’ennemi du bien. Dépenser moins d’abord, dépenser autrement ensuite. Le réalisme commande de procéder dans cet ordre.

Cela sera déjà difficile. Pas tant pour les économies : 50 milliards sur 1 200 de dépenses, c’est 4 % du total. La difficulté réside dans le bouclage macroéconomique, si l’on ne veut pas étouffer la croissance, puisque ces économies entraîneront du revenu en moins pour beaucoup. Gardons-nous de l’attrition qui a frappé l’Espagne et la Grèce : la réduction simultanée des déficits et du PIB, qui ne conduirait qu’à l’appauvrissement généralisé.

Le programme propose avec raison un effort de rigueur modéré pour éviter la déflation, mais continu dans la durée. Il nécessite une politique monétaire souple de la BCE, ainsi que le soutien de l’Europe et des consommateurs allemands. Un soutien qu’il nous faut mériter. En sachant que dans ce « nous », c’est la marque France en entier qui est concernée : nos comptes publics, nos comportements, nos produits, nos entreprises, notre Etat. Nous tous.

CROISSANCE DURABLE

La vérité dans le discours, le courage dans l’action, la justice dans les choix. Ayant sollicité plus qu’ailleurs les hauts revenus et le capital depuis deux ans, l’exécutif demande un effort modéré à chacun. Il allège les charges sur l’emploi non qualifié après avoir augmenté celles sur la finance et les holdings. Il accroît le revenu net de charges des travailleurs modestes en réduisant un peu les revenus réels des inactifs.

Ces choix doivent se prolonger dans des réformes qui prendront du temps, mais sont nécessaires pour relancer une croissance durable. Car à moyen terme, mieux vaut s’attaquer au mille-feuilles territorial comme s’y est engagé M. Valls que de bloquer le point d’indice, rendre du pouvoir d’achat en cassant les rentes, que de creuser les déficits ; baisser les charges sur l’ensemble des salaires, que de renoncer à la montée en gamme de notre production de biens et services ; réformer notre système de santé et nos retraites, au lieu d’attendre que notre population vieillisse ; assouplir le marché du travail, construire des logements, faciliter les nouveaux modes de transports plutôt que d’étoffer la réglementation. Permettre aux choses de se faire plutôt que de contrôler ceux qui les font : ce tournant décisif-là, il nous semble que la gauche le prend.

Car au total, il ne s’agit pas de faire plaisir à Bruxelles. Il s’agit de cesser de vivre à crédit en hypothéquant l’avenir de nos enfants. Il ne s’agit pas de rétablir les comptes. Il s’agit avant tout de recréer la confiance. La confiance de nos entrepreneurs, salariés, épargnants, investisseurs, clients, citoyens, voisins, collègues et enfants. La confiance ne se décrète pas. Elle se mérite. Et pour commencer, elle se vote !