Villeroy de Galhau et l’influence européenne de la France

Tribune parue dans Les Echos le 17 septembre 2015

Haro sur François Villeroy de Galhau, inspecteur des finances, ancien dirigeant de BNP Paribas, candidat au poste de gouverneur de la Banque de France ! Des économistes, des élus crient au conflit d’intérêts. Vu de Bruxelles, le débat a quelque chose de consternant.

A quoi sert, en 2015, la Banque de France ? Elle ne bat plus monnaie, elle ne supervise plus les banques nationales. L’une des missions cruciales de son gouverneur est de siéger au conseil de la Banque centrale européenne (BCE). L’expérience des institutions européennes et des rouages de l’Etat, une voix forte, voilà les qualités requises pour la diriger. Bien des détracteurs de M. Villeroy de Galhau sont les premiers à demander un contrepoids à l’Allemagne et à ses « dogmes monétaires ». Face au puissant président de la Bundesbank, Villeroy de Galhau, excellent germaniste, bon connaisseur de l’Italie, serait un interlocuteur solide. Sa conscience sociale n’est pas non plus à prouver.

Est-il gênant d’avoir été banquier pendant quelques années ? Face à la puissance de la finance, la naïveté n’est pas de mise, mais c’est un organisme européen dont le siège est à Francfort qui supervise le secteur bancaire. Quand nous avons auditionné Mario Draghi en 2011 au Parlement européen, nous avons pesé le pour et le contre, compte tenu de son expérience chez Goldman Sachs. Une partie de la gauche française mobilisée contre Villeroy de Galhau porte Mario Draghi aux nues pour sa politique monétaire inventive et son défi au marché de l’été 2012. C’est pourtant sa connaissance fine des marchés anglo-saxons qui explique en partie son succès. Si les individus dotés d’une expérience pratique sont systématiquement écartés, l’Eurosystème sera encore plus perçu comme technocratique, coupé du réel. En outre, les enjeux financiers sont planétaires. Avoir vécu de l’intérieur les vicissitudes d’un groupe européen global peut être un atout pour riposter par exemple à l’extraterritorialité des lois américaines.

Peut-on être indépendant quand on a été dans le secteur privé ? L’intégrité, essentielle, exige un cloisonnement étanche entre passé et présent. Mais l’intéressé a publiquement renoncé à plus de 1 million d’euros de rémunérations différées. En poussant l’acharnement, il est à craindre que la France ne devienne une société de suspicion, dépourvue de passerelles entre sphère publique et entreprises privées.

Un académique ferait-il mieux l’affaire ? Plusieurs banques centrales du monde sont ou ont été, dirigées par des économistes. Le métier requiert une expertise, mais ce n’est pas la seule qualité requise. Les économistes ne sont pas infaillibles, comme la crise l’a prouvé. La controverse en cours reflète une France cloisonnée où chacun prêche pour sa paroisse alors que les étiquettes devraient moins compter que les vertus individuelles.

La nomination va suivre son cours. M. Villeroy de Galhau sera auditionné puis le Parlement français tranchera. Je regrette que la question importante de la parité hommes-femmes ait été évacuée alors même que la domination masculine reste, hélas ! l’un des traits de la finance. La France peut faire en sorte que deux hommes de talent, aux profils différents, siègent au Conseil des gouverneurs de la BCE, l’un comme membre du directoire, très apprécié, Benoît Coeuré, nommé en 2011 pour un mandat de huit ans assurant son indépendance, l’autre comme gouverneur de la Banque de France. La France et l’UE ont tout à perdre à opposer deux personnes de cette qualité. Il y a quelque paradoxe à se plaindre de la perte d’influence de notre pays et à gâcher la plus précieuse de ses ressources, la ressource humaine.

Sylvie Goulard