Une réforme destinée à donner enfin un avenir à la jeunesse

Editorial de Bernard Spitz publié dans le Monde du 9 mars 2016

Si le projet n’est pas adopté, des centaines de milliers d’emplois potentiels pour nos jeunes seront perdus au profit des mêmes, les champions de l’immobilisme.

La jeunesse française a des raisons d’être en colère. Les chiffres en disent plus que de longs discours : un quart de nos actifs de moins de 25 ans sont au chômage, trois fois plus qu’en Allemagne ; la moitié de ceux qui travaillent ont un contrat précaire ; 1 million vivent sous le seuil de pauvreté ; ils consacrent un tiers de leur revenu à se loger ; 150 000 jeunes sortent par an du système scolaire sans qualification, avec 50 % d’échec en première année à l’université, un sur cinq n’a pas de complémentaire santé, etc.
Constat glaçant. Notre jeunesse est maltraitée depuis des décennies, et récemment par la gauche alors même que François Hollande en avait fait sa promesse de campagne électorale : « Je ne veux être jugé que sur un seul objectif (…) est-ce que les jeunes vivront mieux en 2017 qu’en 2012 ? »

Alors oui, entre la résignation, l’exil ou la protestation, tant mieux si les jeunes manifestent. C’est signe de vitalité, d’énergie, de volonté de prendre leur destin en main, du moins aussi longtemps que ces manifestations défendent leurs intérêts. Mais ce n’est pas du tout ce qui est prévu le 9 mars : ce jour-là, les jeunes dans la rue vont marquer un but contre leur camp.
De la peur qu’ils éprouvent devant l’avenir, les jeunes tirent de mauvaises conclusions. Ils croient que les prétendues protections actuelles les aident, alors qu’elles leur nuisent. Eux qui auraient tant de revendications utiles à formuler, se trompent quand ils protestent contre une réforme dont l’objectif est de leur faciliter l’accès au marché du travail.

La vieille approche, qui fait de la fonction publique un modèle idéal vers lequel il faudrait tendre, ne fait pourtant plus recette dans des générations qui aspirent à inventer leur propre chemin. Ni ici ni ailleurs. Ce qu’il s’agit d’offrir à travers le projet de loi de Myriam El Khomri, c’est cette prévisibilité qui manque cruellement à notre droit social et qui seule donne aux employeurs l’envie de prendre le risque d’embaucher.

Chez tous nous voisins, cette évolution s’est produite et elle a permis de créer des emplois. Elle a offert partout à des jeunes, y compris à de jeunes Français partis à Londres ou Barcelone quand ce n’est pas au Canada ou en Australie, de démarrer une vie active, d’acquérir de l’expérience et d’être autonomes financièrement. Elle correspond pleinement à une nouvelle organisation souple du travails, dans un monde en mobilité où les nouvelles technologies transforment formation, gestion du temps, hiérarchie et carrières.

Sauf chez nous. Peu de sociétés développées sont aussi injustes que la France. La ligne de partage n’est pas tant entre la gauche et la droite, ni entre les syndicats et les employeurs: la fracture principale y est entre les insiders, ceux qui sont protégés, et les outsiders, ceux qui veulent entrer sur le marché de l’emploi et se heurtent aux barricades érigées par les premiers. Le 9 mars, les représentants des insiders seront dans la rue, à commencer par les syndicats de fonctionnaires et les entreprises publiques. Ils inciteront à défendre non pas l’emploi des jeunes mais la sécurité de l’emploi des autres. Cependant, la palme du cynisme revient aux leaders étudiants qui entraîneront dans la protestation ceux-là mêmes qui seraient les principaux bénéficiaires de la loi contestée.

HOLD-UP
Ce n’est du reste pas la première fois. Jadis, les leaders étudiants – devenus depuis insiders et frondeurs – avaient mis les jeunes dans la rue pour soutenir la seule retraite par répartition. Le résultat en a été dramatique pour notre jeunesse, qui doit aujourd’hui payer sa retraite et éponger la dette des générations qui l’auront précédée: chaque étudiant né dans notre pays hérite en guise de doudou de 30 000 euros à rembourser. Cela a été le premier hold-up du siècle: commis avec l’aide des jeunes et à leur frais.
Le second hold-up se déroule sous nos yeux. Si la réforme du travail n’est pas adoptée, si nous restons figés dans un système qui ne correspond plus en rien au monde du travail ni aux aspirations réelles de la jeunesse, des centaines de milliers d’emplois potentiels pour nos jeunes seront définitivement perdus. En revanche, quelques-uns seront gagnés: ce seront ceux qui récompenseront des leaders étudiants dont le cursus de carrière passe par leur capacité à bétonner le statu quo. Ces champions de l’immobilisme sont ensuite récompensés par des postes d’assistants parlementaires, des places dans les mutuelles étudiantes, voire des investitures à l’Assemblée nationale ou au Parlement européen.
La jeunesse n’est pas le problème de la société française, elle est la solution. Notre responsabilité générationnelle est de créer les conditions qui lui permettront de s’épanouir et de disposer de toutes les chances que ses aînés ont eues autrefois. Au-delà du projet de loi sur le travail, il y aurait beaucoup à dire sur la méthode ainsi que sur les réformes nécessaires en termes de formation, de protection ou de citoyenneté, que l’on attend depuis trop longtemps. Mais les jeunes qui seront dans la rue le 9 mars doivent le savoir: leurs seuls jobs qu’ils défendront sont ceux de leurs leaders d’aujourd’hui, les insiders-frondeurs de demain.

Bernard Spitz