L’accord commercial UE-Canada et l’influence française – par Sylvie Goulard

L’accord commercial UE – Canada et l’influence française : leçon de choses

L’accord commercial UE-Canada a suscité beaucoup de passion et de commentaires mais un aspect est largement passé inaperçu à Paris : il offre une saisissante illustration de la manière dont les Français gaspillent, en ce moment, leur influence.

Alors que le Canada, et notamment la province du Québec sont chers au cœur des Français, une très large majorité de députés européens français a voté contre ce texte lors de son approbation par le Parlement européen à Strasbourg.

Parmi les orateurs les plus virulents du débat du 15 février, plusieurs voix françaises ont souligné, non sans véhémence, la nocivité de cet accord. De Marine Le Pen à Jean-Luc Mélenchon, en passant par Yannick Jadot, les candidats à l’élection présidentielle s’en sont donné à cœur joie.

Outre les extrêmes et les Verts, tous les députés socialistes ont voté contre l’accord bien que le gouvernement actuel de la France y soit favorable. Certains Républicains et centristes en ont fait autant, d’autres se sont abstenus. Ainsi, s’il avait fallu compter sur les députés français seulement, l’accord aurait été rejeté.

Naturellement, tous les députés opposés à cet accord ne sont pas hostiles au Canada mais encore faut-il savoir que les Canadiens, et parmi eux tout particulièrement les Québecois, y tiennent ardemment. Le Premier ministre Justin Trudeau est venu en personne à Strasbourg saluer cet accord moderne, « progressiste », fruit de sept années de travail euro-canadien.

Il a redit dans l’hémicycle, le 16 février, sa volonté de construire une relation plus étroite avec les Européens, en rappelant l’importance de défendre ensemble l’Etat de droit, une société ouverte, une économie mondiale respectueuse de l’environnement, inclusive. En « off », certains responsables canadiens n’ont pas caché leur préoccupation après l’arrivée de Donald Trump à la tête des Etats-Unis.

Le Canada, État démocratique et allié et, à travers lui le Québec, a besoin de l’Europe pour affirmer ses valeurs, diversifier ses débouchés et échapper ainsi à une trop grande dépendance envers l’Amérique de l’imprévisible Donald Trump.

Pour la France, il est vital de combler un déficit du commerce extérieur qui, en 2016 s’est encore creusé atteignant 48 milliards d’euros (quand l’Allemagne et l’Italie accumulent des excédents qui atteignent cette année respectivement 250 milliards et 50 milliards d’euros).

L’accord UE-Canada n’est pas parfait mais il est bien moins dangereux que certains cherchent à le faire croire. En tout cas, ses défauts éventuels méritent d’être mis en balance avec des enjeux stratégiques et commerciaux, ainsi qu’avec les liens anciens de la France avec ce pays.

A quoi servent les belles promesses d’amitié francophone si, dans un moment où la solidarité est testée concrètement, les Français manquent à l’appel ? Et si nous nous éloignons de partenaires tels que les Canadiens, avec qui bâtirons-nous un monde un peu moins injuste ?

Dernier détail qui n’en est pas un : dans son discours, Justin Trudeau a annoncé que dorénavant, c’est l’ambassadeur du Canada auprès de l’Allemagne fédérale, en poste à Berlin, qui sera aussi le représentant de son pays auprès de… l’Union européenne.

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Retrouvez également une interview de Sylvie Goulard sur ce sujet, publié dans le journal Les Echos le 16 février 2017: cliquez ici.