Les outils de la croissance : Résumé des débats de l’Université d’été
Franco Bassanini, président de la caisse des dépôts et consignations italienne, ancien ministre de la Réforme de l’Etat.
Gil Rémillard, président du Forum économique des Amériques, ancien ministre du Québec.
Pierre Vilpoux, vice-président du SYNNOV.
Lionel Zinsou, président de PAI Partners.
Animateur : Jacques Galvani
Jacques Galvani :
La croissance se décline au niveau macro (grands aggrégats tels que consommation, investissement, dépenses publiques) et microéconomique (innovation, décisions individuelles), et recouvre un caractère exogène (environnement international, chocs technologiques) aussi bien qu’endogène (confiance, …). Il s’agit d’un défi, par nature complexe, inscrit dans l’agenda européen.
Comment établir une politique de croissance consensuelle en Europe ?
Franco Bassanini :
La croissance doit être appréhendée au niveau européen, plutôt qu’au niveau national. Les problèmes de la stabilité financière et de la crise des dettes souveraines ne pourront être résolus dans le moyen et le long terme sans reprendre la voie de la croissance (« a strong, inclusive and sustainable growth » appelée de ses vœux lors de la conclusion du sommet européen).
La crise actuelle a son épicentre en Europe, du fait des déséquilibres macroéconomiques qui demeurent en son sein. Cette situation de crise contraste avec le fait que L’Europe a moins de dettes que la plupart des Etats développés et plus d’épargne.
Malgré les contraintes liées à la crise, poursuivre le chemin de la croissance impose de maintenir des sources de financement de la recherche, des infrastructures, du capital humain. C’est pourquoi Franco Bassanini propose que les règles d’austérité ne s’appliquent pas à certains investissements. Il faudrait favoriser les investissements de long terme (ceux qui présentent des collatéraux, des externalités, qui sont porteurs d’avenir). De même, des règles identiques ne doivent pas s’appliquer aux banques de détail et aux activités de marché.
Comme la crise va durablement limiter les capacités de financement du long terme, particulièrement dans le Sud de l’Europe, Franco Bassanini propose de mieux capter l’excès d’épargne qui provient des pays émergents (35 000 milliards d’euros, que les systèmes financiers de ces pays ne sont pas encore en mesure d’absorber). Si cela est nécessaire, il faudra penser à la cession de souveraineté nationale aux institutions européennes, afin d’augmenter l’attractivité.
Gil Remillard :
Il faut également considérer la situation Nord Américaine, qui n’est guère enviable par rapport à l’Europe et où le besoin d’outils de croissance est également majeur. A l’instar de l’Europe, le Canada aussi vit une crise d’intégration.
Il n’existe pas de conflit entre austérité et croissance, il faut être en mesure de réaliser les deux. Gil Remillard distingue trois facteurs fondamentaux de la croissance: Innovation, Productivité et Compétitivité.
– Innovation. L’économie évoluant au même rythme que l’humain, l’innovation est un aspect clé de la croissance. Cette innovation doit également être rendue accessible au plus grand nombre : c’est le défi de la médecine personnalisée par exemple (chacun pourrait obtenir un traitement efficace pour son cancer, mais à condition de pouvoir débourser des dizaines de milliers de dollars par jour !).
L’innovation demande un investissement, qui est particulièrement difficile pour les PME. Il existe aussi des barrières règlementaires au niveau international, dont certaines doivent être levées. A cet égard, Gil Remillard se félicite de l’établissement d’un brevet unique au niveau européen.
– Productivité. Répondre au défi de la recherche du talent nécessite une reconnaissance internationale des qualifications. Gil Remillard a participé à la reconnaissance des qualifications professionnelles entre Québec et France. Développer un pont entre Europe et Amérique, en particulier, permettrait d’utiliser au mieux les complémentarités internationales.
– Compétitivité. La compétitivité passe par la montée en gamme des produits. Il s’agit également de prendre en compte l’environnement, pour lequel l’Europe a de l’avance. La compétitivité passe enfin par la monnaie.
Pierre Vilpoux :
Pierre Vilpoux a vécu l’Europe comme citoyen, en vivant en France, en Angleterre et en Espagne et comme entrepreneur, en créant des entreprises en France, en Espagne. Pour lui, il existe un fort potentiel de croissance. Synnov, syndicat de l’Innovation, considère ainsi qu’il y a 1 million d’emplois à créer en France à travers l’innovation.
L’enjeu principal est celui de la vitesse d’exécution. Comment accélérer les processus pour une entreprise ? Il convient d’être à l’écoute de l’innovation, de savoir l’utiliser. Beaucoup d’initiatives peuvent être mises en œuvre :
– partenariats PME – grands groupes. Auparavant, l’innovation se faisait dans les grands groupes, tandis qu’elle se fait aujourd’hui de plus en plus dans les PME. Faciliter le travail entre grands groupes et PME permettrait de l’accélérer considérablement. Pierre Vilpoux propose un bonus de crédit impôt recherche pour les grands groupes travaillant en partenariat avec des PME.
– internationalisation. Alors qu’en France, les PME innovantes ont du mal à être internationales, ce n’est pas le cas en israël et aux Etats-Unis. Il faut mutualiser les représentations économiques européennes ce qui permettra des économies et plus d’efficacité.
– simplifier les démarches administratives pour les PME sur l’accès aux financements publics, et résoudre le problème critique de financement des PME innovantes.
– s’appuyer sur les écosystèmes locaux et des investissements structurants. Des investissements d’infrastructures doivent être réalisés, qui ne sont pas nécessairement matérielles, et autour desquels va se développer un écosystème d’entreprises innovantes. Par exemple, la filière « smart grids » permettra de décentraliser les différentes sources de production d’énerie européennes, d’optimiser les besoins en production et de favoriser le développement d’innovations dans un secteur énergétique en pleine mutation.
Concernant les 75% de taxation sur les très hauts revenus, Pierre Vilpoux remarque que cela ne concerne pas réellement les entrepreneurs, car seule une minorité gagne beaucoup. Toutefois, il regrette le message symbolique adressé aux entrepreneurs français, que David Cameron a exploité avec malice, rappelant du même coup que la Grande Bretagne a bien une stratégique de communication vis-à-vis des entrepreneurs, y compris étrangers.
Jacques Galvani :
Comment créer un environnement propice à la croissance ?
Franco Bassanini :
La stabilité règlementaire est essentielle. Il convient également de diminuer les coûts de la bureaucratie par la simplification, sauf pour ce qui est nécessaire. Le financement public doit être réduit, au profit des incitations fiscales. L’instrument de garanties publiques (project bonds) peut également être utilisé.
Lionel Zinsou :
Lionel Zinsou s’associe à Franco Bassanini pour un plaidoyer en faveur de l’épargne longue. Il rappelle qu’il y a dix ans, la France était dans le peloton de tête de la croissance en Europe, avec un excédent commercial. Le Gisement de l’épargne est important en Europe et devrait être mobilisé pour l’investissement.
– secteur public. L’agent Etat (en général) crée de l’épargne dès qu’il réalise des économie de frais de fonctionnement. L‘investissement est réalisé principalement par les collectivités territoriales (70% de l’investissement), donc au niveau décentralisé. Dans le même temps, Le FSI va être régionalisé, ce qui accroît cette dimension locale de l’investissement.
– ménages. L’avantage à l’épargne longue sert beaucoup au logement et peu à l’industrie. Quand les ménages épargnent 17%, ils en consacrent plus de la moitié dans l’immobilier. Il existe par conséquent un sur-financement du logement (à l’origine des bulles immobilières) et un sous-financement de l’industrie.
– entreprises. Il faudra régler le problème des profits non distribués.
Le partage de la valeur ajoutée pose problème : ce n’est pas le partage entre salaires et marges qui doit être repensé, mais plutôt les inégalités au sein de ces catégories :
– profits. Il faudra réfléchir à augmenter les profits des petites et des moyennes entreprises, qui ont vu leur profits se dégrader depuis 10 ans. Il faudra également augmenter la part consacrée à l’investissement.
– salaires. Ce n’est pas tant la part des salaires dans la Valeur Ajoutée qui pose problème que les inégalités entre les salaires.
Lionel Zinsou conclut en remarquant que le budget de l’Union Européenne ne représente que 1% du PIB Européen.