C’est le nom du rejet d’une société ultra-libérale: quand les inégalités au sein d’une population sont ressenties comme insupportables par ceux qui sont censés « faire société », l’Histoire nous enseigne que le peuple rejette son mode d’organisation institutionnelle. Le vote anglais de cette semaine reflète le rejet tout autant du mode d’organisation des interactions entre l’Union Européenne et le Royaume-Uni que celui de la répartition des richesse au sein de la société britannique: le clivage entre les votes des résidents londoniens et ceux des régions anglaises est symptomatique !
C’est le nom du clivage entre ceux qui souhaitent s’ouvrir au monde parce qu’ils en voient les opportunités et ceux qui se ferment à la mondialisation, synonyme de précarité additionnelle pour eux et/ou de remise en cause de leurs avantages acquis: les clivages sociologiques sont symptomatiques (« classes populaires / catégories sociales professionnelles + » et « jeunes / vieux »,…) !
C’est le nom de l’incapacité européenne à régler les conséquences de la crise déclenchée en 2008 et à renouer avec la croissance économique: le fait que l’Europe vient juste, en 2016, de recouvrer le niveau de PIB de 2008 alors que les autres zones régionales l’ont dépassé depuis plusieurs années est symptomatique !
C’est le nom de la divergence accrue des priorités nationales au sein même des pays de l’Union Européenne: les allemands et les anglais se préoccupent essentiellement de marché unique des biens et services, les français de bénéficier d’indulgences par rapport à son immobilisme réformatrice, les italiens de négocier avec Bruxelles le sort de son système bancaire sinistré, les pays d’Europe centrales et de l’Est de se protéger de la menace russe et les pays du Sud de la crise des réfugiés, …
C’est le nom de l’absence de projet européen: depuis quand les peuples se sont-ils vues proposer un projet mobilisateur ? Quelque soit le domaine – économique, culturel, défense, climatique,… – aucun projet n’a été formulé depuis la tétanie engendrée par les votes de rejet de 2005. Nous aurons vécu une décennie perdue pour l’Europe, empêtrée dans une succession de crises: financière, économique, grecque, migratoire et maintenant britannique…avant les prochaines si rien ne change …
C’est le nom de la faillite des élites et de leur rejet par des peuples qui nourrissent les montées du populisme et du nationalisme censés – faussement – leur redonner le pouvoir sur leur destin collectif: Cinque Stelle en Italie, Podemos en Espagne, UKIP au Royaume-Uni, FN en France, Trump aux Etats-Unis sont symptomatiques ! L’aveuglement des élites face à la survenance du Brexit et à l’impréparation d’un tel scénario sont également symptomatiques !
2/ De quoi le Brexit est porteur ?
Le Brexit est porteur d’instabilités pour le Royaume-Uni: la 5e puissance économique mondiale, stable institutionnellement depuis des siècles, ne l’est plus.
La Grande Bretagne peut devenir une Petite Bretagne dans les années à venir avec le départ possible de l’Ecosse (base de la force navale nucléaire britannique et 1/3 de son territoire !) et une reconstitution du paysage irlandais. « God save the Queen… »
Le Brexit est porteur d’incertitudes pour l’Europe avec la recrudescence probable des forces centrifuges européennes Ecosse, Catalogne, Padanie, … et l’accentuation des tensions financières européennes.
Non seulement les flux de capitaux du Reste du Monde vers l’Europe vont ralentir (avec une hausse de la prime de risques sur les actifs européens), mais la recherche de placements défensifs et sûrs se fera au détriment des pays européens dits périphériques (ie élargissement des écarts de taux entre les pays dits « core » et les autres déjà sous tensions).
Le Brexit va accentuer le caractère « bureaucratique » de l’Europe en monopolisant le fonctionnement de l’Union Européenne pendant les prochains trimestres.
La focalisation des services européens sur les négociations de sortie du Royaume-Uni empêchera l’avancée des autres dossiers européens. Le processus du désormais fameux Article 50 de la Constitution européenne prendra des années à aboutir, ne nous épargnant ni le ridicule (le Royaume-Uni est censé exercer la Présidence de l’UE à partir de juillet 2017), ni les coûts d’opportunités: pendant que nous réglons les modalités de cette sortie, le reste du monde avance…
Le Brexit accentue le basculement du centre de gravité du pouvoir au sein de l’Union Européenne vers l’Est et la prédominance allemande: depuis Ie XVIe siècle, la politique étrangère du Royaume-Uni a toujours été dominée par la recherche d’un équilibre européen qui empêche l’émergence d’une grande puissance sur le continent européen (chronologiquement avec l’Espagne, la France, la Russie, la Prusse puis Allemagne). De fait, si le Brexit n’occulte pas cette capacité au Royaume-Uni, il diminue considérablement sa marge de manœuvre politique dans un contexte européen caractérisé par une Allemagne puissante mais inerte politiquement, une France faible, et une Russie revancharde qui se réjouit de cette annonce de division européenne ,…
Le Brexit affaiblit l’Europe: géopolitiquement, économiquement et financièrement, l’Europe s’affaiblit elle-même avec le départ de la 5e puissance économique mondiale, 2e puissance maritime mondiale, 1ere place financière mondiale,…renforçant une image d’Etats nationaux incapables de résoudre leurs problèmes et d’une entité pan-européenne dysfonctionnante et impuissante …
Le Brexit encourage la montée du sentiment euro sceptique et renforce les thèses d’un repli sur soi, qu’il soit politique, économique ou culturel (nationalisme, défense identitaire, protectionnisme,…).
Le Brexit pèsera économiquement négativement sur la population britannique: facteurs récessifs renforcés par de moindres investissements, pertes d’emplois, dégradation de la note souveraine, incertitudes générées vont peser sur une économie qui patit d’un déficit de sa balance courante de 7% de son PIB: le Royaume-Uni a cruellement besoin du financement étranger…je ne doute pas un instant que les relations sino-britanniques vont se renforcer !
3/ Quelles orientations devons-nous prendre afin d’éviter l’échec générationnel du délitement européen, inévitable en cas de statu quo ?
Clore la parenthèse d’inertie décennale 2005 – 2016 en reprenant l’initiative à l’égard des peuples: compliqué, car il est probable qu’aujourd’hui le rejet à l’égard de ce que symbolise l’Europe institutionnelle est commun à tous les peuples européens, mais pourtant indispensable, sinon le rejet de l’idée européenne aboutira à la fin de l’Union européenne et à des conséquences dramatiques à terme: ne cessons pas de rappeler que les périodes de paix sur le Vieux Continent sont limitées dans l’Histoire !
Un débat démocratique destiné à préparer un projet de refondation européen est indispensable.
A cet égard, quand bien même nous ne l’avons pas souhaité, la sortie d’un partenaire britannique qui, durant 43 ans a exercé un rôle ambiguë dans la construction européenne, est une opportunité !
Remédier rapidement à la situation italienne qui est le prochain maillon faible de l’Union Européenne: l’économie italienne est complément bloquée par le poids que font peser les 20% de prêts « douteux » qui pèsent sur les bilans bancaires. Le transfert de ce poids des banques vers le budget national et le recours aux outils et solidarité européens sont inévitables, n’en déplaise aux thurifaires du « Bail In » .
Relancer la croissance européenne: l’excès d’épargne de l’Allemagne est devenu un problème aussi pénalisant pour la croissance européenne que l’absence de réformes en France ou le poids du chômage dans les pays du Sud de l’Europe. Un accord entre ces pays doit être recherché immédiatement sur un dosage de politique économique permettant à l’Europe de sortir de ce processus mortifère.
Cesser de désigner les Institutions politiques européennes comme la source de nos maux nationaux et européens alors que celle-ci réside essentiellement dans nos insuffisances nationales.
Face à l’inéluctabilité de la fragmentation européenne (les divergences stratégiques entre pays sont aujourd’hui trop importantes pour maintenir le statu quo), il est temps de proposer un Contrat de Souveraineté Européenne à ceux de nos partenaires qui le souhaitent, reposant sur les deux piliers indispensables et indissociables que sont le respect des principes de responsabilité et de solidarité. Si l’Europe veut demeurer un acteur maître de son destin sur la scène mondiale, la définition de sa puissance collective en matière budgétaire, énergétique et militaire et non plus seulement monétaire devient incontournable.