Peppone et les lasagnes : pour une clarification démocratique à l’échelon local
Le premier tour des élections municipales, le 9 mars prochain, suscite d’ores et déjà une forte attention, à la fois pour les enjeux locaux dans des villes symboliques comme Bordeaux, Marseille ou Toulouse, et pour sa signification politique nationale, dix mois après l’élection présidentielle, dans une phase où le pouvoir enregistre la défaveur marquée de l’opinion. Le premier tour des élections cantonales, qui aura lieu le même jour et qui concerne la moitié des sièges de conseillers généraux, est complètement relégué à l’arrière-plan, alors même que le basculement de droite à gauche d’une demi-douzaine de départements serait, au plan politique, au moins aussi significatif que certains résultats municipaux.
Ceci nous confirme deux choses : d’une part, que l’élection municipale reste (avec l’élection présidentielle) le scrutin favori des Français, celui dans lequel ils se reconnaissent, dont ils comprennent les enjeux et sur lequel ils estiment que leur suffrage a une réelle portée. Même dans une grande ville, le maire reste un élu de proximité. D’autre part, que le reste du « plat de lasagnes institutionnel » (pour reprendre l’expression du député Nouveau Centre Maurice Leroy) : intercommunalités, région ou département, leur paraît à la fois complexe, pour ne pas dire illisible, distant et offrant peu de prise à l’expression de leur vote.
Il est d’ailleurs significatif que la proposition du rapport Attali de supprimer les départements, en dehors du fait qu’elle a été écartée d’un revers de main par le président de la République, ait suscité aussi peu de débats. Nous n’appellerons pas débat, en effet, les polémiques qui ont opposé la « République des experts » à la « République des imbéciles ».
Reste que l’objectif de simplifier le millefeuille administratif français, avec la double perspective d’alléger les charges publiques et de rendre la vie démocratique plus lisible pour les citoyens, demeure plein et entier. Cette double perspective est en effet indispensable à l’acceptabilité de la réforme : on ne peut pas, en effet, vouloir fusionner les petites communes dans des structures intercommunales plus vastes, supprimer les départements et regrouper les régions dans des ensembles de taille européenne et prétendre réduire la fracture civique qui éloigne les élus des électeurs. L’argument économique (économies d’échelle, allègement des charges publiques) ne suffira pas à convaincre les Français – ne serait-ce que parce qu’il leur avait été servi sans produire les effets attendus en 1982, lors du vote des lois de décentralisation, et en 2003, lors de la deuxième étape voulue par Jean-Pierre Raffarin. Il faut aussi que la réforme soit perçue comme contribuant effectivement à rapprocher les élus des électeurs.
Pour nous en tenir au seul échelon local (nous poursuivrons ultérieurement le débat sur le département et la région), nous proposons quatre mesures concrètes qui répondent à ce double objectif :
1° Toutes les communes devront appartenir à une structure intercommunale à fiscalité propre, formule la plus adaptée à la mutualisation des moyens ; la loi fixera un plancher et un plafond à la taille de ces intercommunalités exprimée en nombre d’habitants, afin d’éviter les regroupements qui, par excès ou par défaut, cherchent à contourner l’esprit de la loi ; elle devra prévoir les délais d’adaptation nécessaires, voire des modalités d’expérimentation ;
2° Lors du prochain renouvellement municipal, les organes délibérants des structures intercommunales seront élus au suffrage universel direct ; afin de ne pas multiplier les scrutins, cette élection se fera selon les mêmes règles que celles en vigueur dans les villes découpées en arrondissements : les premiers élus de chaque liste municipale siègeront au conseil communautaire, à proportion du nombre de sièges qui reviennent à la commune ;
3° Pour réduire les gaspillages, les financements croisés et les surenchères clientélistes entre collectivités, les différentes compétences devront être attribuées de manière exclusive à chaque niveau de collectivité ; la Constitution sera révisée pour à la fois rendre obligatoire l’adhésion à une structure intercommunale à fiscalité propre et pour préciser que le principe de « libre administration des collectivités locales » s’exerce « dans la limite des compétences qui leur sont dévolues par la loi » ;
4° Tout cumul de mandats sera prohibé : « un élu, un seul mandat » doit devenir la règle.
La clarification des compétences et l’obligation du regroupement permettront de faciliter la réforme de la fiscalité locale, qui cumule aujourd’hui à juste titre tous les griefs d’archaïsme, d’illisibilité et d’injustice. Nous y reviendrons également dans un prochain article.
L’empilement actuel des niveaux institutionnels ne disparaîtra pas du jour au lendemain. Mais cette démarche serait incontestablement l’amorce d’un engrenage vertueux de simplification administrative et de clarification démocratique.