Marie Burguburu : « Balancer des “porcs” sur les réseaux sociaux, c’est attenter à la cause des femmes »
L’avocate d’Eric Brion se félicite qu’à l’issue du procès en diffamation intenté par son client, la justice l’ait emporté sur le « tribunal du Tweet ».
Le Monde. Publié le 22 octobre 2019 à 06h15 – Mis à jour le 23 octobre 2019 à 12h25
Tribune. En choisissant de dénoncer Eric Brion, le tout premier des hommes visés par le hashtag #balancetonporc, qu’elle a créé, en octobre 2017, et qui l’a rendue célèbre, la journaliste indépendante Sandra Muller s’est, en même temps, octroyé la liberté d’ôter à Eric Brion le droit de pouvoir se défendre. Et, pendant deux années, depuis octobre 2017, il s’est retrouvé seul face à un tsunami médiatique sans précédent, à une avalanche de posts, Tweet ou messages souvent nauséabonds voire haineux de la part de personnes ne le connaissant pas ou ne l’ayant jamais écouté, et estimant pouvoir prendre pour acquis les mots de Sandra Muller, femme et journaliste.
Les mouvements autoproclamés féministes ont largement participé à ce lynchage médiatique, à ce « tribunal du buzz », qui est tout sauf un tribunal, pour la seule et unique raison qu’Eric Brion est un homme et qu’il fallait faire un exemple, et qu’il est politiquement incorrect de ne serait-ce que douter de la parole d’une femme.
Un simple « dommage collatéral »
Peu importe la vérité des faits que Sandra Muller a été incapable de rapporter, et pour cause, peu importe qu’Eric Brion n’ait jamais commis le moindre harcèlement sexuel dont il a été accusé à tort par Sandra Muller [cette dernière a été condamnée, mercredi 25 septembre, par le tribunal de Paris, pour diffamation à l’égard d’Eric Brion], peu importe qu’aucun autre témoignage maintes fois promis n’ait jamais été apporté, peu importe que sa vie ait été détruite pour quelques mots grossiers, prononcés cinq ans avant le Tweet vengeur, lesquels ne sont même pas ceux dénoncés faussement par Sandra Muller, et pour lesquels il s’était excusé dès le lendemain, peu importe enfin qu’il ne soit finalement qu’un simple « dommage collatéral » de la cause prétendument féministe, comme l’a énoncé elle-même Sandra Muller.
A aucun moment, au cours de cette chasse au sorcier, n’ont été relevés les nombreuses inexactitudes et les multiples mensonges. Si les journalistes avaient enquêté sur lui et aussi un peu enquêté sur elle, peut-être auraient-ils trouvé quelques raisons de douter. Mais voilà, Eric Brion était devenu la proie des féministes, qui, aveuglées par leurs certitudes et renforcées par la réelle légitimité de leur cause, ne lui ont rien accordé, pas même l’indispensable présomption d’innocence.
« Oui, Sandra Muller a diffamé gravement Eric Brion, n’en déplaise à la condamnation arbitraire des réseaux sociaux et des tribunes médiatiques aussi agressives qu’ignorantes »
Nicolas Bénoit et moi l’avons donc défendu car, dans un Etat de droit, permettre à un accusé, même devant le seul tribunal du Tweet, de se défendre est un des piliers de notre démocratie. A l’extrême opposé des réseaux sociaux, qui tuent sans sommation ni jugement aucun. Mais nous l’avons aussi défendu car nous connaissons l’homme et le père qu’il est. Quant à Sandra Muller, elle a eu, elle, le droit à un vrai procès, elle a eu la parole et a été défendue par ses deux célèbres avocats devant un tribunal composé de véritables juges et présidé par une femme. Et ce tribunal l’a déclarée coupable de diffamation publique au terme d’une décision claire et extrêmement bien motivée. Oui, Sandra Muller a diffamé gravement Eric Brion, n’en déplaise à la condamnation arbitraire des réseaux sociaux et des tribunes médiatiques aussi agressives qu’ignorantes. L’état de droit prime sur ce « tribunal virtuel » sans relâche alimenté.
Au cours de ces deux longues années, Eric Brion a eu le courage de se battre seul, contre et malgré la meute qui hurlait et invectivait sur les réseaux sociaux et dans certains médias. Il est allé jusqu’au bout quand beaucoup lui conseillaient de se taire, de courber l’échine et de laisser tomber en espérant que cela se tasse. Alors que, nous le savons bien, sur la Toile, rien ne s’efface. Je pense sincèrement que beaucoup d’hommes et beaucoup de femmes, ici et là, partout, savent ce qu’ils lui doivent aujourd’hui.
« Dénoncer quelqu’un, c’est désastreux »
Quant à l’argument sur une décision dissuasive, qui fait écho à la « procédure bâillon » [pratique judiciaire mise en œuvre par une entreprise ou une institution pour limiter la liberté d’expression et dissuader de s’exprimer dans des débats publics], seul argument de défense, s’il en est, de Sandra Muller, renversons la question : Sandra Muller avait-elle besoin de pratiquer la délation, intrinsèquement méprisable, pour servir la cause des femmes et lancer son hashtag ? Avait-elle besoin de mentir, de falsifier la vérité, en parlant notamment de harcèlement sexuel au boulot ? Avait-elle réellement besoin de le traiter de « porc » ? Avait-elle besoin d’éluder le contexte, de dissimuler l’ancienneté et de déformer à ce point les propos d’Eric Brion, d’oublier ses excuses et de le jeter en pâture à la vindicte populaire et de continuer à s’acharner sur lui pendant des mois ? Avait-elle besoin de balancer Eric Brion alors qu’elle a écrit, dans son livre[Balance ton porc, Flammarion, 2018], avoir été physiquement agressée et frappée par un acteur connu ? Pourquoi Eric Brion et pas cet acteur connu ? Parce qu’il ne pouvait pas se défendre. Parce que le business de Sandra Muller, sa gloire et sa célébrité étaient à ce prix-là.
Néfaste amalgame
A l’inverse d’une procédure bâillon, ce jugement prouve que la délation et la calomnie sur les réseaux sociaux sont condamnables et qu’il ne faut surtout pas les encourager. Dénoncer sur les réseaux sociaux des comportements sexistes, des harcèlements ou des agressions peut être utile et efficace pour bousculer les consciences, mais dénoncer quelqu’un, c’est désastreux, et le faire de mauvaise foi, comme Sandra Muller l’a fait, c’est attenter à la cause de toutes les femmes. J’ose écrire que Sandra Muller a instrumentalisé la noble cause, que je défends aussi, à son seul profit et pour sa gloire, en falsifiant une situation. C’est une usurpatrice qui a mystifié ses followers.
Car ce qui est néfaste pour la libération de la parole des femmes, c’est l’amalgame, les généralités et notamment faire croire que la dénonciation nominative sur Twitter, qui est l’un des réseaux les plus puissants du monde, est une bonne chose. Même quand les faits dénoncés sont vrais, la démarche n’est pas acceptable… Alors, quand ils sont faux, comme dans cette affaire #balancetonporc, c’est dramatique. Nul ne peut se glorifier d’être une « balance ». Cette décision de justice l’a énoncé avec force. Contrairement à ce que certains ont feint de croire, ce n’était pas le procès des porcs, mais celui des balances. On ne peut pas dire n’importe quoi sur n’importe qui, au nom d’un combat, si noble soit-il. Une cause se perd quand elle part d’un mensonge.
[Sollicité par Le Monde, Me Francis Szpiner, l’avocat de Sandra Muller, n’a pas souhaité s’exprimer]
Marie Burguburu est avocate au barreau de Paris.
Marie Burguburu (avocate)