06/88-06/08 : vingt ans après les accords de Matignon, la politique qui réussit
Il y a vingt ans, le 26 juin 1988, étaient signés les accords de Matignon sur la Nouvelle-Calédonie. Pendant dix ans, ils ont assuré le rétablissement de la paix civile et permis la réconciliation. Ils ont contribué à rééquilibrer les pouvoirs politique et économique, entre les communautés, les forces politiques et les territoires. Même si de fortes inégalités subsistent, les Kanak ont retrouvé dans la société calédonienne des positions qui leur étaient longtemps déniées et leur culture a acquis une reconnaissance symbolisée par le centre culturel Tjibaou, au cœur de Nouméa.
Dix ans plus tard, le 4 mai 1998, l’accord de Nouméa a permis de franchir une nouvelle étape dans ce qu’il faut bien appeler une entreprise de décolonisation consensuelle. Son préambule exprime pour la première fois une vision partagée de l’histoire et de l’avenir du pays et un regard commun sur la période de la colonisation. La « souveraineté partagée » de la Nouvelle-Calédonie avec la France se traduit, entre 1998 et 2014, par le transfert progressif et irréversible des compétences jusqu’ici exercées par l’Etat, à l’exception des compétences régaliennes. Il institue une citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie, distincte de la nationalité française. Notre Constitution comprend désormais un titre consacré à la seule Nouvelle-Calédonie et le Conseil constitutionnel a jugé que les principes de l’accord de Nouméa ont valeur constitutionnelle.
Au lendemain du drame d’Ouvéa, en mai 1988, qui eût parié sur une telle évolution ? Ce qui a pu être qualifié de « miracle calédonien » repose sur la conjonction inespérée de plusieurs facteurs :
* D’abord, la personnalité exceptionnelle de deux dirigeants d’exception, Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou, qui ont su s’élever au-delà des déchirures encore vives du présent immédiat, pour se projeter dans l’avenir et l’envisager en commun : la politique qui réussit, c’est celle qui se fonde, non sur la haine et la peur, mais sur ce qu’il y a de meilleur dans l’humanité.
* Ensuite, la présence aux responsabilités politiques de deux dirigeants socialistes, Michel Rocard et Lionel Jospin, dont la conscience politique s’est forgée dans la lutte contre la guerre d’Algérie, et qui ont partagé une approche commune d’une décolonisation viable et pacifique : la politique qui réussit, c’est celle qui s’enracine, non dans le cynisme et la soumission à la dictature de l’opinion, mais dans des valeurs et des convictions.
* La durée est également une composante essentielle de la mise en œuvre des accords de Matignon et de l’accord de Nouméa : pour former des cadres de la Nouvelle-Calédonie de demain, réaliser les infrastructures qui en permettent la viabilité économique, surmonter les méfiances ancestrales, assumer les compétences que l’Etat a exercées jusqu’ici, le temps est un allié dont on ne peut pas se passer. La politique qui réussit, c’est celle qui ne s’inscrit pas prioritairement dans le calendrier des échéances électorales, mais qui donne au temps le temps nécessaire de la transformation sociale.
* La continuité est le corollaire de la durée : la droite, qui avait à se faire pardonner Ouvéa, n’a pas cherché à remettre en cause la lettre des accords et a poursuivi leur mise en œuvre. La Nouvelle-Calédonie a cessé d’être un enjeu de politique intérieure pour devenir une cause commune républicaine. La politique qui réussit, c’est celle dont la légitimité s’impose avec une force suffisante pour ne pas être tributaire des alternances politiques.
Tout n’est pas réglé pour autant, loin s’en faut. La situation reste fragile : des rivalités politiques demeurent, des tensions sociales s’exacerbent devant l’inégale répartition des fruits de la prospérité économique liée à l’économie du nickel, une jeunesse nombreuse se sent encore exclue de cet avenir. Il reste que le 26 juin, anniversaire de la signature des accords de Matignon, a été choisi par le gouvernement collégial de Nouvelle-Calédonie comme une sorte de « fête nationale ». A cette occasion, il rendra publics une devise, un hymne, l’illustration des billets de banque qui formeront les premiers « signes identitaires » de la citoyenneté calédonienne. La politique qui réussit, c’est celle qui répond à la belle définition qu’en donnait Pierre Mendès France : « Toute action n’est pas vaine, toute politique n’est pas sale ».