Où l’ascenseur social est-il bloqué ?
Résumé de la troisième table ronde de l’Université des Gracques par La Péniche. Lire la suite
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Résumé de la dernière table ronde de l’Université des Gracques par La Péniche. Lire la suite
Résumé de la seconde table ronde de l’Université des Gracques par La Péniche. Lire la suite
Il y a deux ans, les Gracques avaient appelé à l’abrogation immédiate de la circulaire Guéant, et au lancement d’une série de mesures destinées à réparer la réputation de la France à l’international. La ministre de l’enseignement supérieur, Geneviève Fioraso, fait un pas dans cette direction en proposant, entre autre, de généraliser l’usage de l’anglais dans les universités françaises, qui le parlent si mal.
A notre stupeur, cette mesure (pourtant modeste car elle ne concerne que les formations européennes ou jumelées avec une université étrangère!), est aujourd’hui attaquée de toutes parts par ceux-là même qui dénonçaient la circulaire Guéant.
Comme si il était inacceptable de chasser les étudiants étrangers par la loi, mais nécessaire de le faire par la langue.
De Claude Hagège, parlant de l’anglais comme « langue du profit » à Michel Serres comparant la réforme à l’Occupation allemande, en passant par ceux qui semblent imaginer que les scientifiques publient encore en français, ce débat a été l’occasion de redémontrer les fantasmes d’isolationnisme nauséabond qui animent encore certains intellectuels.
Ce qui pénalise la France à l’étranger, c’est précisément son incapacité à comprendre qu’une culture ne souffre pas de l’ouverture à l’altérité. Ceux qui travaillent dans les laboratoires ou étudient dans les universités témoignent du principal reproche des jeunes étrangers : « If you don’t speak French, you’re necessarily excluded » (Confédération Jeunes Chercheurs).
Quelle différence avec les Etats-Unis, où il n’existe même pas de langue officielle !
Il est tout à fait possible d’avoir une langue commune sans penser en commun, comme le montre la richesse de la littérature américaine contemporaine.
Et si il est légitime de se préoccuper de diversité culturelle, ignorer l’autre condamne bien plus sûrement au déclin et au nombrilisme. Pour reprendre Levi-Strauss, « la tolérance n’est pas une position contemplative ».
Qui peut penser que la France est suffisamment importante pour attirer les jeunes chinois ou américains à parler notre langue, sans faire aucune concession envers la leur ? Qui peut penser que notre niveau d’anglais, un des plus faibles d’Europe, et pourtant toujours en chute continue par rapport aux autres pays de l’OCDE, n’est pas relié à cette culture de la défiance ?
Qui peut espérer encourager la création d’entreprises innovantes sans donner à notre jeunesse les outils pour se confronter aux idées des autres ? La nécessaire promotion de la francophonie dans le monde, et l’apprentissage d’autres langues chez nous sont deux revers de la même médaille.
Il faut donc inverser notre politique : d’abord attirer les étrangers par notre ouverture, puis développer massivement les cours de français sur place.
Cette réforme n’est bien sur pas la panacée, et ne peut se substituer à une simplification drastique de l’accueil administratif des étudiants et à l’amélioration en cours de nos campus. Néanmoins, elle est l’emblème d’un changement nécessaire des mentalités françaises, qui doivent accepter que l’anglais, c’est avant tout la langue du savoir. Et ce changement aurait du commencer dans l’université, parce qu’elle forme les esprits de demain.
D’ailleurs, la plupart de ses enseignants-chercheurs savent déjà que publier en français aujourd’hui, c’est garantir qu’un résultat ne sera lu au mieux que par 10% de la communauté mondiale, c’est garantir aussi une recherche moribonde et mandarinale, une culture incapable de se confronter à la complexité du monde.
François Hollande est notamment soupçonné de vouloir, par la négociation d’un nouvel accord européen sur la croissance, mettre fin à la frugalité budgétaire à laquelle s’étaient pliés la plupart des Etats membres depuis 2011. En particulier, la perspective de voir la France obtenir l’émission d’Eurobonds pour profiter de la garantie allemande et poursuivre une politique de gauche dispendieuse, inquiète terriblement les investisseurs.
Cette condamnation ne surprendra pas les lecteurs du FT qui savent le talent de leurs éditeurs à fustiger la France par tous les moyens, ne serait-ce qu’au nom des intérêts de la city. Mais cette campagne ne prospérerait pas à ce point s’il était clair aux yeux des investisseurs : d’abord que la gauche n’est pas l’ennemie du marché ; et ensuite que François Hollande n’emploiera les marges de manœuvres budgétaires nouvelles, résultant de la négociation européenne, que pour des investissements économiquement rentables.
Les marchés ont le droit de critiquer les politiques dispendieuses de subventions publiques. La droite au pouvoir en a usé et abusé au cours de la décennie écoulée. En revanche un programme de relance économique par des investissements publics dans des projets industriels à fort retour ne pourra que crédibiliser la gauche aux yeux des marchés. Un tel programme aura d’ailleurs les faveurs d’économistes tout à fait éminents, y compris dans le monde anglo-saxon, tels Joseph Stiglitz et Paul Krugman.
Un tel engagement permettra à la gauche de dépasser un discours keynésien que l’état des comptes ne permet plus de financer. Il ne s’agit pas seulement de coordonner le redressement des finances publiques en Europe en assurant un minimum de dépense pour soutenir le marché intérieur, mais bien de remettre l’Europe aux commandes de sa politique industrielle.
Ce chantier est d’autant plus prioritaire qu’il répond à deux grands enjeux de la prochaine décennie: d’une part prendre le tournant de l’économie verte, ce qui suppose d’investir massivement dans des secteurs comme l’énergie, les biotechnologies ou les transports et, d’autre part, pallier la réduction des capacités des institutions financières à soutenir l’économie. Les banques vont en effet voir leur cadre prudentiel renforcé pour limiter les risques d’une nouvelle crise financière, ce qui aura pour effet secondaire de limiter leur encours de prêts. Même chose en pire pour les assureurs, menacé dans leur capacité à financer le long terme, sauf si la directive Solvabilité 2 venait à être rectifiée dans le cadre du débat sur la croissance en Europe. Des liquidités publiques seront donc plus que jamais nécessaires pour financer des entreprises prometteuses.
Là encore, la gauche devra se prémunir contre les caricatures en précisant que l’objectif n’est pas de revenir à l’économie administrée, mais de s’inspirer d’une méthode qui a fait ses preuves dans des grands projets comme Airbus. Les investissements réalisés avec des financements européens pourraient notamment être soumis à l’accord d’un comité indépendant installé à la Banque Européenne d’Investissement.
Si ce message est articulé avec force, il ne manquera pas d’inspirer nos voisins européens, de rassurer les prêteurs et de convaincre les électeurs.
La question du travail est au cœur de la crise de société que vivent les Français. Il s’agit assurément d’un problème social et éthique, mais pas uniquement ; c’est aussi une menace pour l’efficacité des salariés et la compétitivité de l’entreprise, voire du pays dans son ensemble. Le développement exubérant des procédures et des consignes, la standardisation forcenée des organisations du travail ont conduit à une intensification du travail qui accroît la pénibilité de certains emplois, mais surtout ces évolutions ont réduit à l’extrême les marges d’autonomie de chaque salarié et dévalorisé la part personnelle que chacun met dans son activité professionnelle quotidienne. Le travail se déshumanise, perd de son sens. Les salariés y abandonnent leur fierté, ne se sentent plus reconnus, se désengagent, tombent malades. C’est un enjeu majeur pour la compétitivité. La crise du travail renvoie à la conception de l’entreprise : celle-ci n’est pas simplement un stock de capital et un ensemble de facteurs productifs, elle est d’abord une communauté vivante de femmes et d’hommes.
Le débat nécessaire sur les finalités doit être clairement posé. La rentabilité financière est incontournable et la vocation première de l’entreprise est de produire des biens et des services. Mais d’autres missions s’imposent aujourd’hui, davantage que par le passé. Celles de répondre aux besoins humains, sociaux et environnementaux qui s’expriment dans la société. Celle d’être un lieu d’épanouissement et de promotion sociale pour ceux qui y travaillent. Deux conséquences en découlent. D’une part, les systèmes d’indicateurs classiques trouvent leurs limites, puisque ce qui relève de l’humain et des besoins sociaux ne peut être enfermé dans un ensemble de chiffres. La parole est essentielle, les instances de débat indispensables. Le tableau de bord du futur intégrera la discussion. D’autre part, ces finalités humaines et sociétales font que l’entreprise ne peut pas rester un simple objet de propriété privée, appartenant à ses actionnaires. De plus en plus, elle est appelée à participer à la construction de l’intérêt général et à assurer des tâches d’intérêt public.
Cette dernière considération pose immédiatement la question de la régulation et du contrôle minimum de cette contribution à l’intérêt général. Il ne s’agit plus simplement que l’initiative privée ne trouble pas l’ordre public, il s’agit qu’elle participe activement au développement harmonieux de la société. Les outils classiques de régulation par la loi, la norme ou la réglementation demeurent pertinents. Mais d’autres modes de régulation apparaissent nécessaires, notamment ceux qui sont internes à l’entreprise. Le débat transparent sur les missions et la stratégie à long terme de l’entreprise est fondamental. Il ne peut plus être le monopole des directions d’entreprise, il doit impliquer tous ses acteurs : les salariés et leurs représentants, les actionnaires mais aussi les sous-traitances et les collectivités territoriales où elle est située. Ce débat sur la stratégie et les finalités de l’entreprise suppose également que des sujets cruciaux, comme la qualité des produits, la précarité des contrats, l’insertion des jeunes, la réduction des inégalités salariales soient l’objet de discussions et de négociations. Dans ce cadre, la notation sociale, dès lors qu’elle n’est pas seulement extérieure et qu’elle mobilise l’avis des représentants syndicaux, est un outil précieux à développer. La réforme des organes sociaux, pour diversifier leur composition dans le sens d’une plus grande diversité d’origine de leurs membres est aussi indispensable. Le modèle dual avec Conseil de surveillance et Directoire est une bonne solution car il permet d’associer les salariés et les parties prenantes internes et externes les plus concernées à la définition de la stratégie et de contrôler le directoire dans sa mise en œuvre.
L’ensemble de ces transformations peut concourir à faire de l’entreprise un acteur qui conjugue les dimensions économique, sociale et environnementale en internalisant ces facteurs au lieu de déléguer aux seuls politiques le soin de corriger les excès d’un marché livré à son seul appétit financier.
Vous pourrez en lire plus sur ces transformations en vous plongeant si vous le souhaitez dans « La grande transformation de l’entreprise », par Marc Deluzet, Roger Godino et David Chopin, préface de François Hollande, paru en avril 2012 aux éditions de l’Atelier. Vous trouverez ci-dessous :
En présentant dès l’automne nos propositions dans un livre, nous voulions faire passer les sujets de fond avant les compétitions de personnes. Comment mieux vivre ensemble ? Comment faire redémarrer la croissance et l’ascenseur social ? Comment réinventer notre destin avec l’Europe?…
Voici le texte complet de notre article paru dans Le Point
Mieux vivre ensemble. Notre société est soudée par ses peurs au lieu de l’être par l’espérance collective et le respect d’autrui…Pour retrouver confiance, il faudra beaucoup de concret et d’exemplarité : assurer à chacun un toit, un emploi, une formation utile, l’accès au système de soins, la sécurité pour soi et les siens ; et montrer que les efforts seront partagés, les rentes abandonnées, la justice appliquée, sans discrimination de sexe, d’âge ni d’origine. Ce fut dit dans la campagne, un peu…
Retrouver la croissance. Nous dépensons trop et mal. Résultat : nous laissons aux jeunes le chômage, la dette, le financement de la retraite et de la santé. Les candidats visitent les haut-fourneaux, mais ce sont les nouvelles technologies, les énergies renouvelables et l’innovation qui sont les leviers de la croissance. La hausse de la fiscalité ne résoudra pas tout : ce sont nos entreprises qui créent des emplois, pas nos impôts. Il faudra donc réduire certaines dépenses publiques, favoriser la croissance par l’investissement, encourager les entrepreneurs de demain. Ce fut un peu dit, dans la campagne, trop peu.
Exister avec l’Europe dans le monde. La puissance ne se compte plus en chars. Elle repose sur l’attractivité du territoire, la compétitivité des entreprises, la qualité de l’éducation, notre gestion de la zone Euro. Autant d’objectifs qui relèvent d’un double défi, national et européen. Ce fut peu dit dans la campagne, si peu.
C’est de tout cela pourtant que dépend notre avenir commun.
L’avenir de tous. Y compris de cette France protestataire qui pèse un tiers de l’électorat, celle dont on traite les frustrations entre grand soir fiscal et viande Hallal, de l’argent des riches à la viande des pauvres. Lorsqu’ils se rebellent contre la perte de leurs emplois comme contre l’insécurité dans les cités, les exclus rappellent les politiques à leurs devoirs essentiels.
Il est facile de tout mettre sur le dos de boucs émissaires commodes tels l’immigration et la mondialisation financière. Il faudra de la solidarité pour répondre à l’angoisse des plus défavorisés mais aussi de la croissance pour préserver la production et l’emploi. Nous devrons donc motiver ceux qui en sont les moteurs, entrepreneurs, salariés qualifiés et investisseurs en tête. Notre pays ne réussira qu’en rassemblant ses talents.
Voilà les défis qui attendent la France de 2012. Nous somme capables de nous adapter au monde qui change. Saurons-nous le faire dans la cohésion sociale, en donnant leurs chances aux nouvelles générations? Et qui peut le mieux nous guider dans cette voie ?
Pour nous, le programme de François Hollande répond plus aux besoins du pays que celui de Nicolas Sarkozy. Car il entraînera mieux la majorité de la société française dans la voie des changements essentiels à nos yeux : sur les jeunes, l’Europe, la méthode de gouvernement.
La priorité accordée à la jeunesse est essentielle, puisqu’elle est porteuse de priorités politiques structurantes, seules à même d’éviter la désespérance de la société, le conflit des générations et le déclin de la France. Son choix européen, notamment sa volonté de prendre en compte la croissance du continent, nous paraît aussi le mieux assuré.
Quant à sa volonté de privilégier le dialogue social, elle est la seule voie pour négocier les profonds changements nécessaires en matière de travail, d’administration de l’Etat, d’organisation territoriale, de réformes structurantes comme pour les retraites et le système de santé. Tous les hommes d’entreprise le savent : le changement n’est accepté que lorsqu’il est expliqué et négocié. C’est ce qui a fait le succès des Scandinaves.On ne préside pas un pays en dressant des Français contre d’autres Français. L’absence d’écoute du candidat Sarkozy, pire son rejet des corps intermédiaires, nous apparaît aussi dangereux qu’inapproprié. Une démocratie qui marche a toujours autant d’autorité qu’un chef qui veut seul trancher de tout ; plus d’efficacité, aussi…
Certes, les solutions à gauche valorisent le levier fiscal par rapport à la baisse des dépenses. A droite, on retrouve la même inclinaison pour la taxation, au contraire de l’Allemagne pourtant citée en modèle. Nos déficits n’ont ainsi cessé de se creuser, au-delà des effets de la crise, en dépit du diagnostic de « quasi-faillite » établi par le Premier ministre au début de son mandat.
Il faudra donc faire des économies dans nos dépenses publiques. Puisqu’elles ne se feront pas sur l’école, la police, la justice, ni la recherche, elles se feront ailleurs : sur la gestion de l’Etat et de nos collectivités territoriales, notamment.
Et puisque nous appelions il y a 5 ans à une recomposition politique, constatons que le sujet n’est pas clos, même s’il se pose en des termes différents. Le premier tour l’a montré : la sympathie pour les idées que défend François Bayrou n’a pas recueilli les votes de 2007. Pour autant, la droitisation de la campagne de Nicolas Sarkozy, confirmée au soir du premier tour, est inacceptable pour ses électeurs. Alors que le dessein démocrate, social, européen et humaniste qu’il représente a toute sa place pour amplifier la dynamique du changement dans le pays, sans céder au populisme et à la démagogie. Ceux qui ont voté François Bayrou se retrouveront ainsi plus dans le gouvernement respectueux de François Hollande que dans l’exercice solitaire du pouvoir de la démocratie référendaire prônée par Nicolas Sarkozy.
L’ampleur du rétablissement à accomplir milite donc en faveur d’un élan partagé entre la gauche, les écologistes et le centre face au camp conservateur et aux extrêmismes. L’offre politique en sera clarifiée. Les Français, avec un système électoral en partie proportionnel, seront réconciliés avec leurs représentants et avec l’Europe. La France pourra alors entrer avec François Hollande dans le XXIème siècle : une France vraiment forte, parce que largement rassemblée autour d’une économie sociale de marché.
« Ce qui ne peut plus durer », Albin Michel
Le prix du logement : trois problèmes en un
Depuis le milieu des années 2000, les Français consacrent en moyenne un quart de leur budget à leur logementet à son fonctionnement énergétique (chauffage, éclairage). Cette part n’était que de 16% en 1960. 10% du revenu individuel disponible a été donc capté, en 50 ans, par ce seul poste de dépenses, soit l’équivalent en termes de pouvoir d’achat de l’ensemble des hausses d’impôts depuis 1970.
La hausse du prix des logements pose simultanément un véritable problème de justice sociale. D’abord, cette hausse des coûts exclut d’emblée une part de la population de l’accès au logement décent. Dans son rapport annuel de 2010, la fondation Abbé Pierre dénombrait 3.5 millions de mal-logés et 6.5 millions de personnes en état de « fragilité », susceptibles de basculer dans la première catégorie. La fondation imputait notamment cette fragilité au recul des « marges budgétaires » des Français, dont 15 millions jouent, selon le médiateur de la République, leurs fins de mois à 50 ou 150 euros près. Que les loyers (48% des Français du premier quintile de revenus étant locataires, contre seulement 18% dans le quintile le plus aisé) continuent d’augmenter au rythme moyen de 3.2% par an et ces familles seront prises à la gorge avant la fin de la prochaine législature.
Enfin, le prix du logement présente un enjeu de redistribution et de confort de vie des classes moyennes. L’augmentation des dépenses contraintes des ménages simplement modestes (jusqu’à 1750 euros/mois) a été deux fois supérieure, en proportion, à la hausse des dépenses contraintes des ménages aisés (9ème décile de revenu). Le député Jean-Marie Le Guen parle ainsi de « crise globale » en région parisienne, affectant le commun des familles. A la location comme l’achat, on relèvera également le caractère « régressif » du prix du mètre carré : les appartements de petite surface, majoritairement occupés par les moins fortunés, atteignent dans les grandes villes des prix prohibitifs lorsqu’on les rapporte à leur taille. Les grands appartements, s’ils sont plus onéreux en valeur absolue, font ainsi figure de bon rapport surface/prix pour leurs occupants.
Un nécessaire changement de paradigme
La formation d’un prix repose principalement sur l’offre et la demande. La demande de logement elle, a explosé en deux générations sous l’effet de deux facteurs : l’augmentation de globale la population d’une part, et la réduction de la taille moyenne des foyers d’autre part. Ce dernier phénomène qui s’expliquait, pour la génération précédente, par la généralisation du modèle de famille nucléaire (on ne vit plus sous le même toit que ses parents ou grands-parents), s’explique aujourd’hui par un éclatement des cellules familiales lié à l’augmentation du taux de divorce : lorsqu’un couple se sépare, il lui faut deux logements au lieu d’un.
L’offre, elle, n’a pas connu de croissance naturelle comparable. Si la France a beaucoup construit pour reconstruire durant les trente glorieuses, la raréfaction du foncier disponible dans les grandes agglomérations n’a pas permis de multiplier les logements neuf à la hauteur de la demande. S’en est suivi une hausse des prix sans précédent, que les spécialistes n’hésitent pas à qualifier de bulle immobilière. En France, les prix moyens à l’achat ont ainsi doublé entre 2001 et 2011.
Or la réponse des gouvernements successifs dans ce domaine a été d’accroître les aides, notamment à l’achat, pour soutenir les ménages face à l’envol des prix. C’est la logique de (feu) la défiscalisation des intérêts d’emprunt ou du nouveau prêt à taux zéro. Mais en solvabilisant la demande, nous avons versé de l’huile sur le feu : cette stratégie a évidemment alimenté la spirale ascendante des prix. Elle est par ailleurs dangereuse, dans la mesure où elle incite les ménages à un très fort endettement (l’enquête logement Insee de 2006 avait montré que 565 000 ménages propriétaires avaient rencontré des difficultés pour payer leurs charges ou remboursements de prêts immobilier) et profondément inégalitaire puisqu’elle injecte de l’argent public dans des opérations commerciales bénéficiant aux propriétaires vendeurs.
Pour un choc d’offre immobilière
Un gouvernement nouvellement élu pourrait trouver, dans une politique de logement intelligente, le moyen de rendre du pouvoir d’achat aux ménages tout en répondant à une forte préoccupation sociale. Parvenir à diminuer les dépenses moyennes de logement de 10% correspondrait à une hausse moyenne du pouvoir d’achat de 2.5%, soit l’équivalent de l’effort fiscal qui sera globalement demandé aux français pour rétablir l’équilibre des finances publiques.
En premier lieu, il faut mettre en place les conditions d’un choc d’offre sur le marché du logement. Deux moyens existent pour créer un tel choc, à la fois dans le parc privé et dans le parc social : multiplier la construction de logements neufs et améliorer le taux de remplissage du parc existant.
Des solutions existent, d’abord, pour libérer la place de construire de nouveaux logements dans les zones de forte pression démographique. Le député Jean-Marie Le Guen a rappelé aux responsables du grand Paris que d’importantes marges de constructibilité existent, en raison de grandes réserves foncières accumulées notamment par certains opérateurs de l’Etat (SNCF, RFF, RATP, EDF). Les anciennes gares de triage, les sites de production électrique désaffectés sont effectivement légions dans les agglomérations, souvent en plein centre-ville. Sans mettre en péril le développement futur des transports en commun ou de l’approvisionnement énergétique, de très larges sites pourraient être libérés à brève échéance pour construire des logements. La SNCF et RFF se sont déjà engagées dans cette direction : RFF a identifié 4 000 hectares de terrains cessibles. La SNCF a prévu, de son côté, de libérer de quoi construire cinq à six mille logements d’ici fin 2012. Certaines zones, comme le 16ème arrondissement à Paris sont accessoirement insuffisamment denses : toujours selon Jean-Marie Le Guen, 2 000 logements supplémentaires pourraient être édifiés sur les simples contre-allées de l’avenue Foch. L’éternel prétexte du manque de foncier doit donc être remis en juste perspective.
Par ailleurs, qui ne peut pas construire en largeur peut toujours construire en hauteur. Sans faire de Paris ou de Marseille de nouveaux Manhattan, il est possible d’adapter la taille des bâtiments pour ajouter une « couche » supplémentaire à la surface habitable. Selon une étude-test menée sur douze rues parisiennes, un surhaussement des immeubles permettrait de gagner 466 000 m2 sur ces seules artères moyennes. Pour ce faire, seules quelques adaptations aux règlements d’urbanisme sont nécessaires : il suffirait, dans une majorité de cas, d’amender les articles des plans locaux d’urbanisme régissant la hauteur limite des bâtiments, notamment par rapport aux rues qui les bordent. A Paris par exemple, seules quelques axes (la perspective des champs Elysées par exemple) et trois zones (le Marais, le 7ème arrondissement et le jardin du Luxembourg) bénéficient d’une protection juridique particulière du point de vue de la hauteur des constructions ; partout ailleurs, des simples articles du PLU et un « plan des hauteurs » définissent respectivement les grandeurs relatives et absolues maximales des immeubles. Autoriser l’ensemble des copropriétés à rajouter, par dérogation à ces documents, un étage aux bâtiments permettrait d’améliorer sensiblement l’offre disponible. Un dispositif d’incitation financière, par exemple par une défiscalisation des travaux, permettrait de rendre attractif ce type d’opérations. Ces aménagements, s’ils sont correctement pensés, ne porteront nullement atteinte à la qualité de vie, les grandes villes s’étant, historiquement, toujours élevées sans pour autant que leur attrait diminue.
Outre la construction, une meilleure utilisation des espaces existants permettrait d’enrichir l’offre de logements. L’INSEE dénombrait fin 2010 plus de 2 millions de logements individuels et collectifs vacants. Une part substantielle de ces logements n’est pas inoccupée sans raison (il peut s’agir de logements en cours de vente, en attente de règlement de succession, ou de logements de fonctions en attente d’attribution) ; une autre part de ces habitations est vide parce qu’insalubre. Mais si seulement 10% de ces logements sont habitables, la réintroduction soudaine de 200 000 logements sur le marché correspondrait à près de 50% des logements construits en un an. Or pour optimiser la rotation du parc privé, il existait jusqu’en 1965 une imposition du « loyer fictif ». Une telle correction du revenu imposable, dont on pourrait exonérer la résidence principale, serait une incitation à ne pas laisser de logement secondaire vacant : se voir imposer sur un « loyer fictif » alors que l’habitation concernée est inoccupée fait évidemment réfléchir. Les Gracques proposent d’étudier la faisabilité d’une telle mesure.
Les logements sociaux ne doivent pas être en reste. En ce qui concerne la construction, le problème est largement affaire de courage politique et de positionnement institutionnel. La loi SRU, dont le fameux article 55 impose aux communes de plus de 3 500 habitants (1 500 en région parisienne) de se doter de 20% de logements sociaux, fait l’objet d’un bilan pour le moins décevant. Depuis l’adoption de la loi en 2000, près de la moitié des communes assujetties à la loi (de l’ordre de 400 pour environ 800 villes concernées) n’ont construit aucun logement social. Pour ce faire, les Gracques soutiennent l’idée, mise en avant par Martine Aubry, d’une quote-part obligatoire de logements sociaux et d’accessions à la propriété dans tous les nouveaux programmes de construction. Toutefois par souci de cohérence, il est préférable de limiter la quote-part minimale de logements sociaux à 20%, sous peine de défavoriser les communes qui respectent déjà la loi SRU (la quote-part d’un tiers proposée par la même Martine Aubry étant inadéquate de ce point de vue).
Rappelons enfin que les préfets ont d’ores et déjà le pouvoir de se substituer aux collectivités qui ne respectent pas la loi SRU : ils s’en abstiennent, notamment, pour ne pas se heurter à de puissants élus locaux dont l’aura à Paris dépasse souvent la leur. Un engagement du Président de la République nouvellement élu à soutenir systématiquement les préfets dans cette démarche serait une manifestation utile de sa volonté de bien loger les Français.
Cette stratégie aurait eu quelque sens si nous avions structurellement connu un excédent primaire (c’est-à-dire si, en rythme de croisière, nos recettes fiscales avaient été supérieures aux dépenses) et s’il s’était agit de financer quelques campagnes d’investissement en ne recourant à la dette que pour lisser l’effort financier dans le temps. Mais nous avons financé, par cette dette, des dépenses de fonctionnement ou de transfert qui ont naturellement vocation à être prises en charge par la fiscalité.
Plusieurs raisons ont été mises en avant pour justifier un tel choix. La première tient à la mobilité de la base fiscale : les économistes les plus libéraux et, d’une manière générale, les ardents pourfendeurs de toute mesure fiscale supplémentaire ne manquent pas une occasion de brandir le risque de voir, si les impôts sur les plus riches ou sur les entreprises venaient à augmenter, tout ce petit monde se réfugier en Suisse.
S’agissant des entreprises, l’argument de la mobilité n’est pas sans poids. On a pu observer l’attrait des taux d’IS pratiqués par l’Irlande, et l’enjeu est particulièrement fort pour les activités de services : lorsqu’il n’est pas besoin de déplacer des usines, mais seulement quelques serveurs et quelques cerveaux, la délocalisation des entreprises pour des raisons fiscales peut être un vrai sujet.
Mais en ce qui concerne les particuliers, l’histoire montre que les contribuables ne sont pas si prompts à fuir qu’on tente de nous le faire croire. En effet, l’expérience française a démontré par le passé que la tranche supérieure de l’impôt sur le revenu pouvait atteindre 75% (en 1980) sans pour autant que des hordes n’aient quitté le pays. Les Etats-Unis ont eux aussi pratiqué des taux marginaux à la limite du confiscatoire pour les très hauts revenus, et ce même sous le très libéral Ronald Reagan !
On objectera peut-être que les conditions de la mobilité des revenus et des patrimoines n’étaient sans commune mesure à l’époque : c’est faux, les paradis fiscaux sont aussi vieux que l’impôt lui-même (on en retrace des exemples jusqu’à l’an 2000 avant JC) et il était plus facile il y a 30 ans de détenir un compte en Suisse que cela ne l’est aujourd’hui…
L’existence de forts taux d’imposition par le passé a également mis à mal un autre argument libéral : celui de la courbe de Laffer, c’est-à-dire l’idée que trop d’impôt « tue l’impôt » lorsque la fiscalité devient dissuasive. Les années 70 et 80 ont été des années de croissance et nous n’avons pas trace d’un découragement de l’activité lié à une pression fiscale excessive au-delà d’un certain revenu. En réalité, les théories économiques dites du « cycle de vie » tendent plutôt à montrer que les individus raisonnent par objectifs de patrimoine : pour caricaturer, ils travaillent jusqu’à ce qu’ils aient pu s’offrir la maison qu’ils désirent (raisonnablement), la voiture qu’ils désirent, ou la piscine dont ils rêvent pour leurs vieux jours, et ce quel que soit leur taux moyen d’imposition.
Il est également illusoire de penser que l’endettement serait moins douloureux pour la croissance qu’une hausse bien calibrée des contributions. Certes, en empruntant sur les marchés internationaux, les Etats évitent, à l’instant t de prélever la totalité des liquidités dans les circuits économiques domestiques : on met l’étranger à contribution. Mais enfin, il faut bien rembourser un jour en prenant l’argent dans les caisses de l’Etat, c’est-à-dire dans les poches du contribuable. A moyen terme, les arguments tenant au financement de l’économie sont donc spécieux lorsqu’il faut choisir entre la dette et l’impôt.
Non, les seules, les vraies raisons qui ont pu conduire les gouvernements à préférer la dette à l’impôt sont, d’une part, une éthique de conviction, c’est-à-dire le refus pour des raisons idéologiques d’aller au-delà d’un certain taux de prélèvements obligatoires (c’était la logique de feu le bouclier fiscal), mais qui ne s’est pas accompagnée de l’éthique de responsabilité qui voulait que les dépenses soient réduites corrélativement et, d’autre part, de purs arguments électoralistes. Car s’endetter c’est surtout faire porter au gouvernement suivant le chapeau de la hausse des impôts.
Quelles sont les morales de cette histoire ?
La première, c’est qu’il faut arrêter de jeter de l’argent public par les fenêtres en laissant l’Etat s’endetter sur les marchés financiers plutôt que d’augmenter les impôts. En clair : lorsque l’Etat s’endette, il reporte dans le futur la décision d’augmenter les prélèvements obligatoires. Le fait de repousser cette échéance permet aux contribuables de placer ou d’utiliser leur argent dans cet intervalle de temps : cette opportunité a une valeur, un prix de « préférence pour le présent ». Or lorsque l’Etat emprunte à des taux beaucoup plus élevés que ce simple prix du temps en raison d’importantes primes de risques, liées aux doutes des marchés sur sa solvabilité, la collectivité perd de l’argent : elle paie plus cher que ce que lui rapporte la possibilité de remettre à plus tard une hausse des impôts.
C’est d’autant plus vrai que la France dispose d’un très fort taux d’épargne, plutôt mal rémunérée en moyenne : tout en repoussant à prix d’or la décision de renforcer la fiscalité, l’Etat laisse beaucoup d’argent peu productif dans les bas de laine.
La deuxième conclusion, c’est que la meilleure de toutes les règles d’or est le mandat unique, au sens de non-renouvelable ! Un gouvernement qui ne joue pas sa réélection sur son approche de la fiscalité sera beaucoup plus susceptible de limiter le recours à l’endettement. Parmi toutes les garde-fous contre les déficits publics, limiter les principaux mandats exécutifs à un seul tour de piste serait peut être le plus solide…
Les Gracques
Dix ans plus tard, le 4 mai 1998, l’accord de Nouméa a permis de franchir une nouvelle étape dans ce qu’il faut bien appeler une entreprise de décolonisation consensuelle. Son préambule exprime pour la première fois une vision partagée de l’histoire et de l’avenir du pays et un regard commun sur la période de la colonisation. La « souveraineté partagée » de la Nouvelle-Calédonie avec la France se traduit, entre 1998 et 2014, par le transfert progressif et irréversible des compétences jusqu’ici exercées par l’Etat, à l’exception des compétences régaliennes. Il institue une citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie, distincte de la nationalité française. Notre Constitution comprend désormais un titre consacré à la seule Nouvelle-Calédonie et le Conseil constitutionnel a jugé que les principes de l’accord de Nouméa ont valeur constitutionnelle.
Au lendemain du drame d’Ouvéa, en mai 1988, qui eût parié sur une telle évolution ? Ce qui a pu être qualifié de « miracle calédonien » repose sur la conjonction inespérée de plusieurs facteurs :
* D’abord, la personnalité exceptionnelle de deux dirigeants d’exception, Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou, qui ont su s’élever au-delà des déchirures encore vives du présent immédiat, pour se projeter dans l’avenir et l’envisager en commun : la politique qui réussit, c’est celle qui se fonde, non sur la haine et la peur, mais sur ce qu’il y a de meilleur dans l’humanité.
* Ensuite, la présence aux responsabilités politiques de deux dirigeants socialistes, Michel Rocard et Lionel Jospin, dont la conscience politique s’est forgée dans la lutte contre la guerre d’Algérie, et qui ont partagé une approche commune d’une décolonisation viable et pacifique : la politique qui réussit, c’est celle qui s’enracine, non dans le cynisme et la soumission à la dictature de l’opinion, mais dans des valeurs et des convictions.
* La durée est également une composante essentielle de la mise en œuvre des accords de Matignon et de l’accord de Nouméa : pour former des cadres de la Nouvelle-Calédonie de demain, réaliser les infrastructures qui en permettent la viabilité économique, surmonter les méfiances ancestrales, assumer les compétences que l’Etat a exercées jusqu’ici, le temps est un allié dont on ne peut pas se passer. La politique qui réussit, c’est celle qui ne s’inscrit pas prioritairement dans le calendrier des échéances électorales, mais qui donne au temps le temps nécessaire de la transformation sociale.
* La continuité est le corollaire de la durée : la droite, qui avait à se faire pardonner Ouvéa, n’a pas cherché à remettre en cause la lettre des accords et a poursuivi leur mise en œuvre. La Nouvelle-Calédonie a cessé d’être un enjeu de politique intérieure pour devenir une cause commune républicaine. La politique qui réussit, c’est celle dont la légitimité s’impose avec une force suffisante pour ne pas être tributaire des alternances politiques.
Tout n’est pas réglé pour autant, loin s’en faut. La situation reste fragile : des rivalités politiques demeurent, des tensions sociales s’exacerbent devant l’inégale répartition des fruits de la prospérité économique liée à l’économie du nickel, une jeunesse nombreuse se sent encore exclue de cet avenir. Il reste que le 26 juin, anniversaire de la signature des accords de Matignon, a été choisi par le gouvernement collégial de Nouvelle-Calédonie comme une sorte de « fête nationale ». A cette occasion, il rendra publics une devise, un hymne, l’illustration des billets de banque qui formeront les premiers « signes identitaires » de la citoyenneté calédonienne. La politique qui réussit, c’est celle qui répond à la belle définition qu’en donnait Pierre Mendès France : « Toute action n’est pas vaine, toute politique n’est pas sale ».