Lampedusa : non aux boat-people, oui aux plane-people

À situation d’urgence, solution d’urgence. Pour stopper les naufrages et noyades en Méditerranée, mettons les futurs réfugiés (« would-be refugees » comme dit la presse britannique) dans des avions vers l’Europe.

Depuis un an, environ la moitié des migrants de Méditerranée sont des demandeurs d’asile. L’autre moitié est est formée de migrants économiques. Pour eux, c’est une autre histoire qui n’est pas l’objet de cette tribune.

En 2015, deux migrants sur trois sont des demandeurs d’asile venant de cinq pays : Syrie, Afghanistan, Erythrée, Somalie, Nigeria, selon le UNHCR (Haut-Commissariat de l’Onu pour les Réfugiés).

Sur les barcasses de la mort donc, un migrant sur deux a le droit de venir en Europe. Mieux, l’Europe a le devoir de les protéger. La Convention de Genève de 1951 protège toute personne « craignant, avec raison, d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ». L’Europe protège (cela s’appelle la protection subsidiaire, temporaire) aussi ceux qui prennent des risques graves s’ils décident de rentrer au pays. ..
Problème : tant qu’ils n’ont pas obtenu un statut de réfugié ou de protégé ou au moins un « visa d’asile », ils ne peuvent pas se présenter aux comptoirs des aéroports. Pourtant, le voyage serait moins cher et infiniment moins risqué comme le montre la vidéo du démographe, très pédagoque, Hans Rosling.

La solution de bon sens est accorder le statut de réfugié ou de protégé sur place. Pour cela, il faut répondre à deux questions : qui accorde le statut? Et où, sur place?
Première piste : un centre de l’UNHCR à Tripoli ou ailleurs sur la côte africaine. Avec le pouvoir d’accorder le statut de réfugié ou de protégé, au nom des pays européens.
Seconde piste: une ambassade de l’Union européenne, avec le même pouvoir, dans quelques pays sûrs (et avec des vols vers un pays européen) : Algérie? Tunisie? Maroc? Soudan? Djibouti? Kenya? Liban? Plus sûrs que ceux que fuient les « boat-people »: Erythrée, Syrie (pour la moitié d’entre eux, en 2015). Mais aussi : Somalie, Nigeria, Afghanistan, Irak…
Et tout cela à toute vitesse comme cette situation d’urgence l’exige. Rappelons qu’actuellement, très peu de futurs réfugiés demandent dans un consulat français en Afrique un « visa d’asile » autorisant à venir en France pour ensuite y demander asile ou proection, auprès de l’OFPRA (l’instruction par cet office prend de trois mois à deux ans).
Pour les deux pistes (via l’UNHCR ou via une ambassade de l’Union européenne), restera à répartir le nombre de réfugiés au sein des 28 pays. Par exemple selon deux critères: population, puissance économique (PIB par habitant) et bien sûr langues étrangères parlées par les réfugiés.
Autre avantage de cette solution sur place : diminuer en Europe le grand nombre de demandeurs d’asile refusés et y restant en situation irrégulière (environ 3 sur 4) et précaire.

Voilà dix ans que j’interviewe à Lampedusa de jeunes Africains et Africaines. Durant leur voyage, en théorie « de l’enfer africain au paradis européen », tous ont été volés, rackettés, exploités, certains torturés (voir le documentaire Voyage en barbarie), d’autres violées. Sans parler de tous les morts noyés…
Pourquoi avoir pris de tels risques? Abdi, 15 ans, et Sihan, 17 ans, ont quitté le chaos en Somalie. Mohamed, Erythréen de 18 ans, a refusé l’enrôlement de force et à vie dans l’armée du dictateur. Comme Abel, 16 ans et Rubel, 17 ans. Gift, Nigériane de 18 ans, a fui Boko Haram. Cynthia, orpheline nigériane de 18 ans, a été vendue par son oncle.
Une fois qu’ils m’ont raconté leur histoire, à chaque fois je me suis dit : à leur place, moi aussi j’aurais fui vers la Méditerranée.

François Dufour

 

De quoi la Grèce est-elle le non ?

Tribune parue dans Les Échos le 21 juillet 2015

Nous avions pu choquer dans ces colonnes le mois dernier, en comparant la tactique d’Alexis Tsipras à une tentative d’extorsion à base de bluff , et en prédisant que ce bluff serait déjoué , conduisant les Grecs à une austérité pire encore. Nous y voilà.

M.Tsipras a été élu il y a six mois à la tête d’un pays qui sortait juste d’un ajustement douloureux, mais pour lequel l’OCDE prévoyait 2% de croissance, une balance des paiements équilibrée et un excédent primaire de 0,5% du PIB. Le pays s’était purgé, certes sans engager les réformes structurelles qui lui auraient permis de repartir vraiment. Mais la situation était du moins stabilisée, sans nécessité de mesures supplémentaires, hormis l’équilibre à terme des retraites.

Syriza n’a rien fait sur les réformes structurelles, même là où la gauche était en mesure de les imposer. Rien notamment pour combattre les rentes et les privilèges : ni ceux des riches, ni ceux de l’Eglise; presque rien pour lutter contre l’inflation des budgets militaires, l’incivisme fiscal et la corruption. Tandis qu’il s’enivrait de mots, le gouvernement a au contraire couvert une grève de l’impôt des propriétaires fonciers grecs et une fuite massive des dépôts bancaires à l’étranger. Il a surtout consacré son énergie à un bras de fer avec le reste de l’Europe, pensant que la menace d’une sortie de l’euro provoquerait une telle contagion financière que les Européens seraient obligés de céder aux demandes grecques de transfert.

Raté. La Grèce a fait défaut au FMI et l’on a atteint le point où les marchés ont été convaincus de l’imminence du “Grexit ». Mais comme prévu, il ne s’est rien passé, hormis une correction modeste des bourses européennes. L’éventuelle sortie de la Grèce de l’Euro a été considérée dans le monde pour ce qu’elle était: un risque géopolitique à long terme, et pour l’immédiat, un épiphénomène financier. En revanche, M. Tsipras a pu vérifier de près les conséquences pratiques d’une sortie de l’euro, l’impréparation de ses conseillers et les dégâts que leur attitude a causés chez les membres de l’Union. De ce fait, la menace du Grexit a changé de camp, pour être finalement agitée par la droite allemande qui s’en est servie pour imposer un paquet d’austérité dont elle n’aurait jamais osé réver.

Syriza a maintenant sur les bras un pays en récession massive, un déficit primaire à couvrir, et un système bancaire en faillite qui bloque l’argent de ses derniers déposants. De quoi relativiser le succès du maintien de la Grèce dans l’euro. Elle y est peut-être, mais un euro dans une banque grecque ne vaut pas la même chose que dans une banque allemande, puisqu’on ne peut pas s’en servir. De sorte que le coût du sauvetage a augmenté pour tout le monde, les Grecs comme leurs partenaires. Tous perdants: voilà le triste bilan de cette partie de poker menteur.

Ce n’est pas la seule leçon que nous devons retenir. Les frondeurs, qui pensent qu’il suffit de s’opposer à l’Allemagne pour dégager des marges financières, vont devoir nous expliquer pourquoi ils feraient mieux que Syriza. Les populistes, qui prétendent qu’une sortie de l’euro nous immuniserait de la mondialisation devront expliquer comment ils éviteraient l’infarctus économique. Les démagogues mesureront le ridicule de demander à un peuple par référendum, s’il veut plus ou moins d’argent.

Face à ces forces du chaos, le couple franco-allemand a tenu bon, pratiquant un jeu de rôle “good cop/bad cop” avec une France conciliante sur la solidarité et une Allemagne intransigeante sur les règles communes. Un choix qui correspond aux contraintes politiques de chacun et qui a été assez efficace. Mais insuffisant. Nos deux pays ne réussiront à sortir l’Europe de la nasse que par le haut , c’est à dire par un renforcement de la coordination économique, fiscale et politique dans lequel les Allemands , qui acceptent le partage de la souveraineté, devront aussi accepter celui des risques-et l‘inverse pour les Francais. Cela demandera effectivement de l’audace et pas qu’un peu.

Mais surtout les Européens vont devoir retrouver les mots et le sens de l’intégration européenne: car trop de contentieux historiques ont été exhumés et trop de menaces proférées, pour qu’on ne mesure la fragilité de ce que la construction de l’Europe a engagé depuis cinquante ans, et dont il s’agit au bout du compte. Rien moins que la Paix.

Les Gracques

Grèce : ne laissons pas M. Tsípras braquer l’Europe !

Version longue de la tribune parue dans Les Echos le 16 juin 2015

Un prêt du FMI met en œuvre la solidarité des nations, y compris les plus pauvres d’entre elles ; il est très rare d’y faire défaut.

Un pays de l’Union européenne vient de rejoindre la Zambie, bientôt le Zimbabwe, dans le très petit groupe d’États qui ont retardé ou manqué une échéance au FMI. Cela mérite quelques commentaires, et mieux que les mensonges que la Gauche radicale fait prospérer sur un fond consternant d’inculture économique.

L’euro n’a pas asservi les grecs : il leur a donné pendant 15 ans la liberté d’endetter à des taux allemands un pays qui avait déjà fait faillite quatre fois en deux siècles. Les grecs ont fait ce qu’ils ont choisi de cette souveraineté: plutôt que de moderniser leur État et de rendre leur économie compétitive, ils ont distribué des prébendes et augmenté les revenus alors que la productivité stagnait. Il en est résulté un énorme déficit budgétaire (15 % du PIB, 10% avant paiement de la dette en 2009) et des paiements courants ( 10 à 20% du PIB selon les années, avant la crise ).

Les marchés financiers ont commis la faute de financer trop longtemps ces déficits. Ils ont payé cette erreur, en revendant leurs créances au secteur public avec 40 à 50% de décote en valeur actuelle, lors de la dernière restructuration en 2011. On peut débattre pour savoir si c’était assez; mais ce n’est pas rien….

Les sommes déboursées par la troïka, c’est à dire par les contribuables européens et mondiaux, n’ont pas seulement servi à reprendre avec décote la dette privée européenne, mais aussi à donner le temps au gouvernement grec d’ajuster son déficit primaire. Si la troïka n’avait fait que reprendre les dettes passées avec des décotes, il aurait fallu que le gouvernement grec passe de 10% de déficit primaire à zéro non pas en trois ans, mais en une semaine… Les contribuables européens et mondiaux ont donc aussi apporté de la « new money » pour donner aux grecs le temps de faire cet ajustement . C’est un effort considérable, de plusieurs dizaines de points de PIB grec , que nous avons fait pour les grecs, pas pour nos banques.

Bien sur, l’ajustement a été brutal: pour qu’il le fut moins, il aurait fallu encore plus de « new money » des contribuables étrangers; en tous cas, comme il n’y avait plus de crédit, il fallait ramener les dépenses au niveau des recettes, et les salaires au niveau de la productivité, c’est à dire les choses là ou elles auraient du être si l’euro n’avait pas permis aux grecs de s’éloigner de la réalité pendant si longtemps. La Grèce est donc revenue en 2014 à un niveau de vie correspondant à son niveau de développement, amélioré des aides structurelles de l’Union européenne.

Ce processus était en train de s’achever, les comptes de s’équilibrer et la croissance de repartir, quand les grecs ont décidé de donner au gouvernement rouge-brun dirigé par M. Tsipras le mandat que Syriza se faisait fort de mener à bien: un mandat d’extorsion de fonds, par la menace et le chantage, aux contribuables européens.

On nous dit que la Grèce est dès aujourd’hui écrasée par sa dette. C’est faux. La dette grecque restructurée est certes très élevée en proportion du PIB, mais elle n’est pour l’essentiel pas due avant des décennies, et tourne à des taux proches de zéro. La charge de la dette (principal plus intérêts) que les grecs ont vraiment payée l’an dernier est, en proportion du PIB , égale à celle que paie la France, et inférieure à celle que paie l’Italie. Les créanciers publics savent bien, même s’ils ne veulent pas le reconnaître tout de suite, qu’une majorité ne sera pas remboursée de nos vivants. Ils ne demandent pas à la Grèce de rembourser sa vielle dette, mais seulement de dégager un peu d’excédent pour rembourser très progressivement la « new money » apportée depuis 2012, en commençant par le FMI, qui après tout est aussi l’argent du Bangladesh et du Sénégal. La Grèce n’est pas écrasée par sa dette, mais par ses déficits. Son problème n’est pas son endettement, mais sa politique économique.

Les Grecs eux, ont voté pour un programme qui consiste à revenir à des déficits primaires, avant toute charge de la dette, et des augmentations de salaires au-delà de la productivité. Et pour être bien clairs, dès ce gouvernement de gauche élu, ils ont arrêté de payer leurs impôts, y compris sur le capital, et commencé à retirer leur argent des banques, ce qui force la banque centrale européenne à accroître tous les jours ses financements aux banques grecques, qui financent les nouvelles émissions grecques. Le Gouvernement grec, pour sa part, a arrêté de payer toutes ses factures autres que de salaires et de retraites, ce qui bloque l’économie et ne fait que cacher le déficit réel . Pour financer durablement ces déficits, il n’a qu’une solution : recevoir encore de la « new money » .

Ce que veulent les grecs, c’est une « union de transfert » permanente , si possible une union où le montant des transferts est déterminé non par le Parlement européen, ni par les Parlements des pays contributeurs, mais par le Parlement grec.

L’arme dont ils disposent pour y arriver est l’arme des pauvres. Ils menacent de « tout faire sauter, eux inclus, mais en espérant causer assez de dommages collatéraux à l’économie européenne pour forcer les autres Etats à accepter ces transferts . Ils croient qu’ils peuvent provoquer une contagion financière qui forcera leurs voisins à payer .

C’est là qu’ils surestiment leur main. Nous ne sommes plus dans la situation de 2010 ou une explosion grecque aurait provoqué une panique financière entraînant le Portugal, l’Espagne et l’Italie: d’abord parce ces pays ont beaucoup progressé; ensuite parce que la BCE achète massivement des obligations des pays solvables du Sud; et enfin parce que la dette grecque n’est plus connectée au secteur privé. La Grèce ne peut plus être le Lehman Brothers de la prochaine crise. Certes, il y a des intérêts stratégiques à ce que la Grèce reste en Europe et cela vaut quelque chose; mais pas ce que croit M. Tsipras. D’où la tragédie que nous voyons se dérouler sous nos yeux : M. Tsipras est un braqueur de banque qui ne s’est pas aperçu que tous ses otages ont été exfiltrés. Il menace de se faire sauter lui-même. Bien sur, on négocie avec lui, et il reçoit des mots réconfortants. Mais il y a peu de chances qu’il parte avec la caisse. Et pour être franc, il ne faut pas le souhaiter.

Car le risque de contagion de la situation grecque n’est plus financier, il est politique. Bien sur, la lâcheté, qui peut s’habiller de géopolitique, recommande de céder, car la Grèce est très petite, plus petite en PIB que la vingtième ville chinoise. Mais le programme de M. Tsipras est celui de tous les populistes : celui de Podemos, celui du mouvement 5 étoiles, celui du Front National. Si les gouvernements européens lui épargnent la confrontation avec la réalité, des pays plus significatifs appliqueront aussi la stratégie de transfert par extorsion, et rien de ce que l’Europe a construit depuis cinquante ans ne tiendra le choc : on n’imposera pas au salarié slovaque de cotiser pour que le retraité grec gagne beaucoup plus que lui. Par ailleurs, même si l’ « union de transfert » était réfléchie plutôt qu’extorquée, elle ne serait pas dans l’intérêt des contribuables français, dont on rappelle qu’ils sont beaucoup plus riches par tête que la moyenne européenne .

Il ne faut pas consentir de « new money » aux grecs pour les dispenser d’équilibrer leur budget et leur système de retraite. Ce ne sera pas simple, car il est probable que cette majorité ne pourra pas appliquer les mesures contre lesquelles elle a combattu : en changer est l’affaire des grecs. Entre temps, la Grèce risque de nous donner un exemple de ce que donne l’application des mesures défendues par nos populistes. Elle va bientôt devoir fermer ses banques, comme Chypre, ce qui privera les plus pauvres de leurs économies -les autres les ont déjà retirées-, et ramènera l’économie à l’age du troc. Elle devra payer ses fonctionnaires et ses retraités avec des assignats (IOU), tout en laissant circuler des euros, ce qui offrira un bon exemple aux défenseurs de la « monnaie commune » plutôt qu’unique : les assignats s’échangeront bien sur 30 ou 50% en dessous de leur valeur en euros, ce qui reviendra à baisser à due concurrence les revenus des fonctionnaires et des retraités, tandis que les hôteliers continueront de gagner des euros : même le FMI n’en demande pas tant. Le Gouvernement peut bien sur aussi appeler ces assignats « drachmes », et les faire émettre par une banque centrale à la botte qui prêterait à l’État : c’est là que la Grèce sortirait vraiment de l’euro. Mais qui voudra être payé en drachmes ? Et à la fin, la contrainte qu’on lèvera sur le budget se retrouvera sur la balance des paiements, puisqu’il faudra trouver des devises dures pour régler les importations, alors que le défaut grec privera de crédit toute son économie et que les actifs publics à l’étranger seront saisis ….

C’est un processus extrêmement douloureux, qui imposera aux grecs une perte de pouvoir d’achat très supérieure à ce que demande la troïka. Il est aussi très dangereux pour la Grèce, car le mener jusqu’à son terme implique de sortir non de la zone euro, mais de l’Union européenne : pas seulement pour des raisons juridiques –les traités prévoient une sortie de l’UE seulement-, mais aussi parce que ses voisins ne pourront pas tolérer la liberté des mouvements de personnes avec un Etat en faillite qui ne pourra contrôler ses frontières extérieures, ni des marchandises avec une monnaie en dévaluation sauvage, et la Grèce aura bien sur renoncé depuis longtemps à la liberté des mouvements de capitaux .

On peut former le souhait que le peuple grec réagira , quand il sera mis face à ses propres démons et commencera à toucher du doigt la catastrophe. Les populistes qui l’ont mené là devront lui rendre des comptes. Ce jour là, il faudra que l’Europe soit généreuse. Entre temps, prenons les démagogues au mot et voyons le goût de leurs belles recettes.

 

Les Gracques

 

Enrico Letta à l'Université des Gracques

Bonne chance à Enrico Letta et à son gouvernement !

Enrico Letta à l’Université des Gracques

Coupure de presse : les Gracques présents du 27 au 29 janvier à Grenoble pour les états généraux du renouveau

Les Gracques seront présents à Grenoble du 27 au 29 janvier 2011 à l’occasion des états généraux du renouveau organisés par Libération, ainsi que l’annonce la lettre A du vendredi 16 décembre :

« Club et Think Tanks – Les Gracques 

Les Gracques sont décidés à se faire entendre lors des prochains Etats généraux du renouveau, organisés par Libération, le Nouvel Observateur et Marianne, du 27 au 29 janvier à Grenoble. Plusieurs membres du réseau de réflexion politique participeront aux débats. Roger Godino, président d’honneur du Groupe des Arcs et membre du conseil international de l’Insead, et Eric Le Boucher, journaliste et fondateur de Slate.fr, prendront part aux discussions sur « l’entreprise démocratique » ; l’écrivain Erik Orsenna interviendra sur le thème « l’eau n’est pas une marchandise ». Enfin, Bernard Spitz et Nicolas Baverez tenteront de comprendre pourquoi « l’Etat est en panne de ressources financières ». »

 Nous espérons vous y rencontrer nombreux !

Heureuses fêtes de fin d’année,

 Les Gracques

27 têtes et pas de cœur: la gouvernance européenne à bout de souffle

Depuis quelques semaines, un constat s’impose : la crise européenne est tout aussi politique qu’économique. La gouvernance européenne est devenue brutale, désorganisée et son maintien en l’état paraît de plus en plus inacceptable pour les peuples européens. Comme toujours en Europe, c’est davantage d’intégration qu’il faudra rechercher pour remédier aux blocages institutionnels. Devenus préférables au statu quo, même pour les plus souverainistes, les Etats-Unis d’Europe sont désormais en ligne de mire.

En annonçant qu’il soumettrait l’accord européen de sauvetage financier de la Grèce à référendum, Georges Papandréou a achevé de dévoiler au grand jour ce qui transparaissait déjà avec les divergences du couple franco-allemand, la prise en otage du fonds européen de stabilité financière par le Parlement slovaque ou encore le chantage de certains membres de la coalition d’Angela Merkel au Bundestag : la crise qui frappe l’Europe est tout aussi politique que financière. Or à ce type de crise, l’Europe n’a jamais trouvé d’issue que par le toit : c’est en sortant par le haut, grâce à une intégration plus poussée et une fédéralisation progressive, que l’UE surmonte habituellement les blocages de sa gouvernance.

1. Une gouvernance européenne à bout de souffle

Plusieurs enseignements sont à tirer du sommet européen du 26 octobre. Le premier, qui nous occupe au premier chef, concerne le rôle du couple franco-allemand et la place de la France en son sein : il apparaît clairement qu’il n’y a plus de « directoire » franco-allemand. Il y a l’Allemagne et la BCE qui décident, et la France qui bénéficie du droit de plaider un peu plus longtemps ou en plus petit comité que les autres. Quand l’Allemagne et la BCE ne sont pas d’accord, comme en juillet sur le défaut grec, la France peut jouer un rôle d’intermédiaire utile pour rapprocher les points de vue ; mais quand elle essaie d’entrer en conflit avec les deux, comme dans sa tentative d’imposer une monétisation de la dette grecque par la transformation du FESF en « banque », elle n’est plus écoutée. Qu’en déduire ? Que c’est d’abord celui qui paie qui décide. La France est un important contributeur au FESF. Mais elle est allée au bout de son effort : elle ne peut plus rien offrir à la solidarité européenne sans risquer immédiatement la perte de sa note AAA. Elle n’a donc plus rien à exiger des Allemands et de la banque centrale, qui restent seuls capables de faire davantage sur le plan budgétaire ou monétaire.

Deuxième constat, les négociations européennes des dernières semaines ont été d’une incroyable violence symbolique. L’Italie a été la première à en faire les frais, à travers des humiliations inconcevables en temps normal : elle a été littéralement convoquée devant un tribunal franco-allemand où le français était un procureur d’autant plus impatient de rendre l’audience publique qu’il voulait que chacun réalise qu’on l’avait, encore cette fois, invité du bon côté de la table. Et à l’issue de ce procès, le premier ministre italien a été prié de revoir sur un coin de table le système de retraite national.

Face à cette dictature des créanciers, on ne peut guère s’étonner que de petits Etats menacent de tout faire sauter pour se faire entendre. Les épisodes de prise d’otages de l’accord par les parlements finlandais et slovaques en sont les plus topiques exemples. Et l’indécence de cette dissuasion du faible au fort (voire du fou au fort) en Europe est la troisième leçon à tirer de cette crise politique.

2. Pour des Etats-Unis d’Europe

Que peut-on en conclure ?

En ce qui concerne la France, la conclusion est simple : si elle veut continuer à peser en Europe, notre nation doit recouvrer ses marges de manœuvre budgétaires. A court terme, cela signifie s’en tenir au statu quo de ses engagements vis-à-vis du FESF et mener une politique de rigueur budgétaire intelligente, de manière à ne pas casser toute reprise de la croissance. C’est un exercice difficile, mais que nous avons les moyens de réussir, notamment grâce à notre fort taux d’épargne : les ménages ont les moyens de continuer à consommer en prélevant un peu de ressources dans leurs bas-de-laine. Pour qu’ils y consentent, il faudra en revanche les convaincre qu’il s’agit d’un sacrifice temporaire et que le gouvernement fait ce qu’il faut pour apurer les comptes et dynamiser la croissance.

En ce qui concerne l’Europe, les conclusions sont à double tranchant.

Côté pile, il semble évident que si l’Union ne change pas de gouvernance, elle est vouée à disparaître. Les peuples n’accepteront pas que s’installent les pratiques observées au sommet de l’Union depuis deux mois. En effet, les peuples peuvent comprendre qu’il y ait des règles constitutionnelles qui s’imposent aux finances des Etats, et même une surveillance mutuelle organisée des budgets avant qu’ils soient votés, voire des sanctions appliquées aux pays membres qui ne joueront pas le jeu. Mais ils n’accepteront pas qu’un groupe d’Etats prennent par surprise leur dirigeant, l’humilient et le moquent, lui imposant en un week-end, sans étude ni préparation, une réforme d’ampleur qui ne saurait décemment se mener qu’au terme de nombreuses consultations. Ils n’accepteront pas davantage qu’au moment de décider de l’avenir de la Grèce, et peut-être demain du Portugal ou de l’Italie, le Parlement allemand agisse comme une chambre basse du sommet européen et soumette à son bon vouloir un projet négocié entre 27 chefs d’Etat ou de gouvernement.

Mais côté face, les fédéralistes flaireront que cette crise est une chance pour davantage d’intégration européenne. Car nous en sommes au point où les peuples vont avoir plus de chances encore de rejeter l’Europe telle qu’elle existe, que de refuser des Etats-Unis d’Europe.

Chacun perçoit que cette Europe fédérale porte en germe des solutions immédiates aux problèmes que nous venons d’identifier. Au premier chef, le fédéralisme repose sur le vote à la majorité et non à l’unanimité : fédéraliser l’Europe économique et budgétaire serait donc mettre un terme aux hold-up tels que les Slovaques et les Finlandais ont menacé de les pratiquer. Le fédéralisme ouvre en outre la voie à un système de votes pondérés, dans lequel l’état des forces peut-être reflété (l’Allemagne doit avoir plus de poids que Malte dans la détermination de la politique économique européenne, c’est sûr) tout en demeurant encadré (l’Allemagne ne pourra pas décider seule avec la BCE, elle aura besoin de la majorité des voix). Enfin, fédéraliser les dettes fait sens économiquement : la zone euro présente un taux d’endettement tout à fait raisonnable si on l’envisage de façon globale et non pays par pays. Rationalisation, clarification, pacification : il faut proposer les Etats-Unis d’Europe.

Cette proposition d’une Europe fédérale, tout indique qu’elle sera bientôt faite, et peut-être plus tôt que prévu en fonction d’un éventuel référendum grec. Elle viendra probablement de l’Allemagne qui, après avoir beaucoup procrastiné, tardé, consulté, sera rendra à l’évidence qu’elle ne peut laisser l’Union se déliter. Et lorsqu’elle viendra, nous devrons prêts à faire nôtre cette proposition et à mener l’immense combat politique qu’elle fera naître. Et cette fois, il faudra gagner le combat.

G20

Ne boudons pas notre plaisir : la réussite du G20 est une bonne nouvelle. D’abord par sa composition : il était temps d’expérimenter une forme de gouvernance mondiale qui reflète l’état du monde actuel. Ensuite parce que le fait de se voir et de se revoir est le meilleur antidote à la tentation qui monte du repli sur soi. Egalement, bien sûr, parce que la célébration de ce succès enraye, pour la première fois depuis des mois et des mois, la spirale de défiance dans laquelle le monde s’enfonçait. Espérons que cette embellie de l’opinion ne sera pas trop fugace. Enfin parce que le sommet a véritablement abouti à quelques progrès significatifs

Nous avions plaidé il y a quelques mois, sous le titre « la bourse ou la vie », pour des mesures renforçant sensiblement les moyens d’intervention du FMI, pour des contrôles sur les hedge funds, pour des règles du jeu applicables aux rémunérations des traders, pour une régulation des agences de notation. Tous ces thèmes figurent dans le communiqué du 2 avril, et nous applaudissons des deux mains. Bien sûr, le débat est ouvert, et continuera, sur le détail des mesures, sur la manière dont elles peuvent être mises en œuvre. Un mouvement est lancé, il va dans la bonne direction et il était utopique d’imaginer que l’on puisse aller plus loin à ce stade.

Est-ce à dire que ces nouvelles règles permettront d’éloigner le spectre de la dépression ou de réduire la durée et la profondeur de la récession ? Non. Du moins, si ces intentions se concrétisent, pourraient-elles permettre de commencer à assainir certains des domaines les plus malsains de la finance de marché telle qu’elle s’est développée au cours des deux dernières décennies.

Que penser du débat sur les politiques de relance économique ? Les moyens additionnels dont disposeront le FMI et les banques multilatérales de développement, vis-à-vis de pays, souvent émergents, en grande difficulté,en particulier en Europe centrale, sont une partie de la solution,: IMF is back, et c’est une bonne nouvelle. Pour le reste, rien de plus que l’addition des dispositifs déjà annoncés au niveau national. L’administration américaine avait plaidé pour un engagement plus massif des européens. C’est ignorer le rôle dans nos pays des stabilisateurs automatiques : attendons de voir l’état de nos finances sociales dans un proche avenir pour mesurer la contribution du welfare state à la reprise. Les américains n’ont pas été suivis, tant mieux : il y a quelque chose de parfaitement irresponsable à ignorer que l’accumulation insensée des déficits publics fait d’ores et déjà partie des problèmes financiers du proche avenir. La réticence des allemands et la prudence française ont été pour nous européens un garde fou utile.

En bref, les politiques macro-économiques continuent sans surprise d’être pour l’essentiel menées dans un cadre national, et la coordination des politiques micro-économiques au sein de l’Union européenne n’est toujours pas couronnée de succès. Néanmoins, on peut se féliciter de  la résurrection du couple franco-allemand qui a su, face à l’attentisme  anglo-saxon,  faire front commun et commencer à définir ce que pourrait être un capitalisme capable de discipliner la finance.

Entre les lignes se sont aussi glissées quelques vraies nouveautés, dont il est trop tôt pour savoir quelle sera la portée réelle, par exemple sur la croissance verte. Mais deux d’entre elles méritent d’ores et déjà d’être signalées. La plus importante est celle concernant la possibilité pour le FMI d’emprunter, emprunt qui pourrait être libellé en DTS (même si le communiqué ne le dit pas explicitement) : écho assourdi de l’idée fracassante émise par les Chinois d’en faire la nouvelle, ou à tout le moins, une nouvelle monnaie de réserve internationale. Si tel devait être le cas, ce serait un changement capital, au cœur même des questions structurelles des équilibres macro-économiques et financiers du monde. La seconde est le regain très bienvenu du rôle attribué aux institutions multilatérales : le FMI, les banques multilatérales de développement, l’OMC, mais aussi l’OIT, à laquelle le communiqué donne un rôle nouveau de suivi, et le nouveau Conseil de stabilité financière, qui prend la suite du Forum de stabilité financière, et en renforce les attributions et la légitimité.

Institutions européennes: la détestable exception française

Qu’y a-t-il de commun entre l’UMP Alain Lamassoure, les socialistes Olivier Duhamel, Gilles Savary ou Catherine Guy-Quint ou le centriste Jean-Louis Bourlanges ? Tous ont été des parlementaires européens actifs et respectés, qui ont fait honneur à leur pays et à leur mandat. Tous ont été, soit il y a cinq ans, soit cette année, écartés par leurs formations politiques respectives du renouvellement de leur mandat.

C’est une caractéristique des partis français, toutes tendances confondues, à sur-représenter, sur leurs listes de candidats aux élections européennes, des apparatchiks sans ancrage électoral ou des recalés du suffrage universel, comme un lot de consolation ou comme les nominations au Conseil économique et social. Même s’il faut saluer, à droite comme à gauche, d’heureuses exceptions.

L’apprentissage des mécanismes complexes de la démocratie européenne, alliant choix politiques et défense des intérêts nationaux au sein même des groupes parlementaires, nécessite de l’expérience et de l’expertise. Il faut des mois, voire des années, pour qu’un député européen acquière cette maîtrise et soit reconnu par ses pairs. Nos amis du SPD investissent en général leurs députés européens pour trois mandats : un pour apprendre, un pour comprendre, un pour transmettre. Les partis français, toutes tendances confondues, n’hésitent pas à réinvestir des sortants qui ont été des champions de l’absentéisme parlementaire. Sans parler de ceux pour qui le Parlement européen n’est qu’un purgatoire doré en attendant de retrouver un mandat national…

Ce faisant, nos partis politiques sont à l’image de l’ensemble de l’appareil d’Etat français. Rares sont les fonctionnaires investis dans les services de la Commission européenne ou même simplement détachés à la représentation permanente de la France à obtenir, à leur retour de détachement, un poste qui valorise leur expérience ou même simplement qui reconnaisse leur investissement. Les Allemands, les Anglais, mais aujourd’hui aussi les Espagnols et les Portugais, ont de longue date appris à investir quelques-uns de leurs meilleurs éléments et à entretenir un fonctionnement de réseau, qui est indispensable à l’exercice d’une véritable influence en Europe.

Résultat : c’est toujours au dernier moment que nos dirigeants découvrent les enjeux d’une directive ou d’un règlement pour un secteur essentiel de notre activité nationale, là où nos partenaires, mais aussi concurrents, ont depuis des mois mis en œuvre un intense travail de lobbying, administratif et professionnel, pour infléchir les textes dans un sens qui leur soit favorable. Corollaire de ce résultat : nous abordons le plus souvent les dossiers les plus importants pour nos intérêts nationaux sur le mode du rapport de forces en fin de négociation, ce qui a pour effet de nous rendre insupportables mais aussi de nous fragiliser car il est rare qu’à ce petit jeu, on gagne sur l’essentiel.

Cette détestable exception française perdure. Les prochaines élections européennes devraient, hélas, la confirmer. Cette trahison des clercs, qui a conduit tant de nos responsables politiques, toutes tendances confondues, à se défausser sur « Bruxelles » de leurs propres impuissances, est aussi l’une des causes qui a conduit, un dimanche de mai 2005, un des peuples fondateurs de l’Union à voter non au traité constitutionnel qui pouvait apporter davantage d’efficacité, de démocratie, de responsabilité et de transparence dans le fonctionnement des institutions européennes.

Cinq enseignements du « non » irlandais

Ce n’est pas le « non » irlandais qui témoigne du désenchantement des citoyens à l’égard de la construction européenne, c’est le pourcentage des abstentions : à peine 53 % des électeurs d’un des pays qui a été l’un des principaux bénéficiaires des politiques communautaires de redistribution et de développement se sont mobilisés pour se prononcer sur le traité de Lisbonne.

Longtemps, les républicains se sont défiés de la procédure référendaire, instrument favori du populisme et des régimes autoritaires, véhicule des angoisses collectives et amalgame des pulsions contraires. Dans nos sociétés complexes, où la loi est nécessairement le reflet de cette complexité, seuls les démagogues peuvent soutenir que l’adoption de la loi serait plus légitime par référendum que par le suffrage parlementaire.

Il est logique que MM. Le Pen et de Villiers se réjouissent du « non » irlandais. Que MM. Besancenot, Chevènement, Emmanuelli, Mélenchon et Mme Buffet considèrent que ce vote exprime la « défaite de l’Europe libérale et non démocratique » est une ânerie doublée d’une forfaiture. Toutes les analyses du « non » irlandais montrent en effet qu’il a d’abord été inspiré par une volonté de statu quo, de maintien du dumping fiscal qui a été à la base de la prospérité irlandaise, par un certain égoïsme et le refus d’une réduction des fonds structurels au profit des nouveaux Etats-membres de l’est européen, sans parler de la campagne d’une fraction du clergé catholique contre le droit à l’avortement… MM. Emmanuelli et Mélenchon, notamment, seraient bien inspirés de tirer les conséquences du divorce désormais flagrant entre leur position et la nouvelle déclaration de principes du Parti socialiste, résolument européenne.

On ne règlera pas la question de l’adhésion des opinions publiques à la construction européenne en cherchant d’abord à régler la question institutionnelle. Le désamour des peuples tient d’abord aux faiblesses de l’Europe d’aujourd’hui à apporter des réponses aux enjeux de la vie quotidienne : pouvoir d’achat, emploi, protection sociale, développement durable… A cet égard, les projets de directive sur la durée du travail ou l’immigration, ou encore les arrêts Laval et Viking de la Cour de justice des communautés européennes, qui font prévaloir les règles du libre échange sur celles de la négociation sociale, sont infiniment plus préoccupants. Et ce n’est pas le rejet du Traité de Lisbonne par les Irlandais qui empêchera ces projets de prospérer, bien au contraire.

Jacques Delors a raison de dire qu’il faut revenir aux fondamentaux, c’est-à-dire aux politiques communes, et d’abord dans les domaines essentiels pour le présent et pour l’avenir. Créer une Communauté européenne de l’énergie, comme la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) a précédé l’adoption du Traité de Rome, pourrait être une occasion de redonner sens et perspective au projet européen. Ce ne sera pas chose aisée tant les différences sont grandes, par exemple sur la question du nucléaire, et les intérêts divergents. Mais au moment où le déclin amorcé des énergies fossiles se mesure chaque semaine quand les Européens font leur plein d’essence, ce serait une bonne façon de montrer qu’il n’y a de réponse viable, à la fois pour le pouvoir d’achat et pour l’environnement, que dans une démarche collective, solidaire et responsable – c’est-à-dire européenne.

 

Après le compromis de Lisbonne

L’accord intervenu entre les dirigeants européens sur un traité destiné, après deux ans de paralysie, à se substituer à la Constitution mort-née était tout sauf évident. Nous n’avons donc aucune réticence à reconnaître le caractère positif du déblocage obtenu, en particulier par le président français et son gouvernement qui devrait permettre une meilleure « gouvernance » de l’Union.

Pour autant, le résultat final met un peu plus en évidence l’inanité des arguments des partisans du « non » à la Constitution : l’Europe sociale est passée à la trappe, la charte des droits fondamentaux n’est plus qu’une référence distante, les symboles de l’Union (devise, hymne, drapeau) ont disparu, les possibilités de coopérations renforcées sont rendues plus contraignantes et contrôlées… par ceux qui n’y participeront pas !
Bref, il n’y a ni plan B, ni plan C mais bien plutôt un traité « plan-plan » qui certes permettra de mieux faire fonctionner la mécanique institutionnelle, mais qui reste désespérément muet sur les finalités et les objectifs de l’Union européenne, bref, sur tout ce qui aurait été de nature à rendre un peu de confiance aux populations qui doutent.

La gauche est désormais au pied du mur. Les partis et associations souverainistes, qui se disent de gauche ou d’extrême-gauche, sont fidèles à leur vision de l’Europe dans un seul pays en appelant à rejeter le compromis de Lisbonne. D’autres, probablement candidats au prix Nobel de la bouffonnerie, réclament un référendum auquel ils prôneraient… l’abstention.

Il est temps qu’à gauche, une ligne l’emporte : pour le Parti socialiste, ce ne peut être que celle que son histoire a tissée, celle de la construction européenne. Aujourd’hui, elle passe par l’adoption du compromis de Lisbonne. Demain, elle exigera, avec les États qui le souhaitent, des coopérations approfondies dans le domaine fiscal, social, éducatif et diplomatique.

Le Parti socialiste doit se rendre compte que la « réconciliation du oui et du non » sur une autre base que celle-ci serait comme le mélange de l’eau chaude et de l’eau froide : elle ne produirait que de l’eau tiède.