Pascal Blanchard : « On ne s’oppose pas à Marine Le Pen comme on s’opposait à son père »

Interview de Pascal Blanchard parue dans Libération le 29 avril 2017. Pour l’historien, le monde antiraciste des années 80 a vécu et l’on ne peut plus se contenter de discours moralisateurs. Il faut déconstruire les idées du Front national.

L’historien Pascal Blanchard est spécialiste du fait colonial et de l’immigration. Il vient de publier, avec Farid Abdelouahab les Années 30 – et si l’histoire recommençait ? (La Martinière). Selon lui, le vote Macron au second tour pourrait se révéler être davantage qu’un simple réflexe contre l’extrême droite. Le leader d’En marche incarne aussi à ses yeux un libéralisme sociétal bienvenu.

Malgré l’engagement de nombreux intellectuels contre l’extrême droite, Marine Le Pen est au second tour. Quel constat en tirez-vous ?

Le score de Marine Le Pen aurait été bien plus élevé s’il n’y avait pas eu cette mobilisation. Beaucoup de jeunes intellectuels – Raphaël Liogier , Rachid Benzine, Alain Mabanckou ou Nicolas Lebourg, mais aussi la Fondation Jean-Jaurès ou les Gracques – ont agi cette fois-ci de façon efficace, en menant un travail sur le registre de l’analyse froide et rationnelle. On ne s’oppose pas à Marine Le Pen comme on s’opposait à son père. Tout a changé. Le discours du Front national, mais aussi le contexte : depuis trente ans, très peu de choses ont été faites dans les banlieues ou les outre-mer. Donald Trump est au pouvoir aux Etats-Unis. Le contexte international et les attentats ont placé la peur au coeur des émotions des électeurs. Nous ne sommes plus dans le monde antiraciste des années 80 : il ne s’agit plus de faire des discours moralisateurs, mais de déconstruire ce qui fait le coeur du discours frontiste. Expliquer de façon scientifique ce que va être la France de Le Pen, ce que deviennent les Etats-Unis de Trump.

Comment analysez-vous le phénomène Macron ?

Comment un homme de 39 ans, jamais élu, hors parti, a-t-il pu émerger dans un paysage politique figé et sclérosé ? Quand on connaît l’histoire politique de la France, on ne peut être qu’estomaqué. Cet homme a compris avant tout le monde que la gauche et la droite qui, aux yeux des Français, ont échoué depuis vingt-cinq ans, allaient être dépassées. Il a aussi eu beaucoup de chance, il ne pouvait pas deviner que François Fillon se retrouverait empêtré dans des affaires, ni un effondrement aussi massif du Parti socialiste… mais il a osé. Il établit également une rupture générationnelle. Le syncrétisme qu’il affiche et qui étonne tant de monde parle aux jeunes et à ceux qui veulent une vision positive du devenir de la France. Surtout, il propose un libéralisme sociétal concret que le PS n’a pas su avoir depuis cinq ans. Ce qu’il a dit de la colonisation, le PS ne l’a jamais osé. Pareil pour les quartiers, pour les enjeux de diversité, pour l’immigration ou pour l’Europe. Regardez son équipe, ceux qui l’entourent, ils ressemblent à la France de 2017. Pas de discours global, juste l’application de quelques principes et une vision positive de notre destin. Comme s’il avait dépolitisé la question du passé colonial ou de la diversité. Il ne prétend pas prôner la diversité, il la met en actes. Il représente une alternative crédible pour la société française, sinon il ne serait pas au second tour. C’est cela aussi le vivre ensemble. C’est le meilleur contre-discours du FN.

Mais dans son duel contre Marine Le Pen, n’incarne-t-il pas l’énarque, le banquier, l’Européen béat ?

Attention, c’est justement le discours du FN. Cette opposition binaire n’est qu’une chimère médiatique. Les antagonismes sont bien plus complexes. On ne peut pas résumer Emmanuel Macron au grand capitalisme international qui va tous nous ubériser.

Comment peut-il résister à cette caricature ?

D’abord grâce à son ouverture sociétale. Lui accepte cette société du mariage pour tous, diverse, ouverte au monde… Il comprend sûrement mieux que d’autres qu’une jeune femme de banlieue qui a un bac + 6 n’a pas envie d’être aidée par ses amis de gauche, mais qu’elle veut un emploi de cadre, sans pour autant accepter la vision identitaire que porte la droite. Emmanuel Macron a ainsi capté beaucoup de suffrages en banlieue, dans les départements d’outre-mer et chez les primo-votants. L’idée qui a fonctionné vis-à-vis d’une nouvelle génération est celle selon laquelle on peut réussir sans écraser les autres. Le FN dit «Nous sommes chez nous» et En marche répond «On est tous chez nous». Ce que SOS Racisme n’était pas parvenu à exprimer ou à faire entendre. Et quand Mélenchon n’est pas capable de décider à 20 h 02 qu’il faut appeler à voter contre le FN, c’est qu’il s’est fait lui aussi prendre au piège de l’idéologie frontiste du vivre ensemble impossible. Il est en train de créer une fracture à gauche. C’est incompréhensible au regard de son parcours et des idées qu’il défend.

Alors comment contrer un discours démagogique ?

C’est avant tout un problème d’audibilité. Une anecdote illustre bien ce problème. Il y a huit mois, on sentait que cette campagne allait être dure sur la diversité et sur l’immigration. Comment nous, universitaires et artistes, pouvions-nous avoir un impact sur les gens ? On a créé une série de films courts, «Artistes de France». Un artiste de la diversité d’hier raconté par un artiste ou une personnalité d’aujourd’hui. Picasso, Joséphine Baker, Django Reinhardt… racontés par Omar Sy, Lilian Thuram, JoeyStarr. Une quarantaine de jeunes historiens ont écrit les portraits. France Télévisions a été emballé. Notre seule condition était que cette série soit diffusée… sur ce semestre 2017. Pour nous, rien n’est plus politique que ces pastilles. On bat les records de nombre de vues et de téléchargements chaque jour. C’est ça aussi, le travail des intellectuels, de la société civile, des médias, des artistes, pour répondre à Marine Le Pen. Notre pays a réagi avec calme après les attentats à Paris ou à Nice. Ecoutez le discours digne du compagnon du policier abattu aux Champs-Elysées ! C’est aussi cela la force de notre pays. Et Emmanuel Macron est le seul à souligner cet aspect positif.

Dimanche prochain, votez !

Dimanche 7 mai, n’oubliez pas de voter !

Si vous n’êtes pas chez vous et que vous avez la chance de partir en week-end prolongé, n’oubliez pas de faire une procuration avant de partir à un proche ou à travers le service mis en place par En Marche !

Si vous avez la chance de glisser l’enveloppe dans l’urne dimanche prochain, ne résistez pas au plaisir d’en glisser une deuxième, et proposez à vos proches ou à En Marche ! de recevoir une procuration !

Attention, il ne reste que quelques jours pour être sûr que votre procuration soit valable.

 

 

 

 

 

Macron mouille sa chemise

Edito de Laurent Joffrin dans Libération le 28 avril

Plutôt bon, Macron sur TF1. Volontaire, précis, assez humble, rassembleur. Mais trop techno quand il se lance dans des tirades d’inspecteur de Finances. Son argumentation – intéressante – sur la fin de la logique « assurantielle » pour l’indemnisation des chômeurs supposait un degré de concentration plus fréquent dans les séminaires des facs d’économie que devant les écrans de télévision. Dans ces moments-là, il fait plus conseiller technique que candidat à une élection au suffrage universel. Il joue la compétence dans une joute où les « sachants », signe des temps, partent avec une longueur de retard.

Il ne suffit pas d’avoir raison, il faut convaincre, c’est-à-dire émouvoir. Mais c’est aussi une marque de respect pour l’électeur, dont on sollicite l’intelligence. La grosse artillerie déployée par Marine Le Pen à Nice fait contraste. On pense au Joueur d’échecs de Zweig, quand un intellectuel fragile se bat contre un béotien au jeu inné et destructeur. Macron oppose un fleuret à la massue du FN. L’agilité fera-t-elle pièce à la force brute ? Deux conceptions de la vie, en tout cas.

On comprend d’autant moins la tentation de l’abstention qu’on décèle chez certains militants pourtant formés. Peut-on adhérer, par exemple, à la cause des sans-papiers, et hésiter à combattre dans l’urne une candidate qui propose de lancer une chasse féroce aux immigrés en situation irrégulière, de supprimer le droit du sol ou l’aide médicale d’Etat ? Peut-on réprouver la déchéance de nationalité proposée il y a un an et voter blanc ou nul quand le FN prévoit de l’étendre à des milliers de personnes, sur la base d’une simple suspicion ? Peut-on soutenir le mariage pour tous et s’abstenir quand le FN promet de l’abroger ?

Peut-on rejeter Fillon à cause de ses casseroles et rester indifférent aux nombreuses affaires judiciaires dans lesquelles le FN est englué ? Peut-on soutenir Christiane Taubira et rester insensible devant un programme qui prévoit de renforcer comme jamais l’arsenal répressif français ? Peut-on dénoncer le programme économique de Macron mais se soucier comme d’une guigne d’un projet frontiste démagogique à souhait, qui prévoit quelque 80 milliards de dépenses en les finançant par des économies sur l’immigration (alors que la plupart des spécialistes contestent le chiffrage du FN sur ce point) et par la planche à billets ? Abstention ou désertion ? D’autant que l’opposition à Macron a tout loisir de s’exercer aux législatives, qui sont le troisième tour de l’élection.

Le malaise social n’est pas la seule cause du vote Le Pen

Dans une tribune au « Monde », le démographe Hervé Le Bras souligne que l’exclusion n’est pas le seul fait des zones rurales qui ont voté pour Marine Le Pen. Elle existe aussi dans les villes où Emmanuel Macron a fait de forts scores.

 

Quelle allait être la géographie du vote Macron? Faute de précédent et faute de positionnement précis de ce candidat sur le spectre politique, il était malaisé de le prévoir. Une thèse assez répandue voulait qu’il s’agisse d’un vote utile. C’était dès lors définir l’électorat de Macron par opposition à celui du Front national.

Plusieurs raisons militaient en faveur de cette explication. D’abord, le caractère particulier du FN qui saille sur un paysage politique moins contrasté. Effectivement, depuis l’origine, à l’élection européenne de 1984, les scores du FN varient largement selon le territoire considéré. Lors du premier tour, le 23avril, le pourcentage de votes pour Le Pen à l’échelon départemental s’est échelonné de 5% à Paris à 36% dans l’Aisne, tandis que les pourcentages pour Macron se situent entre 18% et 30% selon le département, soit une amplitude trois fois plus faible.

Inévitablement, c’est le parti dont les résultats sont les plus contrastés qui imprime son style à la carte, les autres apparaissant peu ou prou en opposition. C’est le cas pour la représentation des votes en faveur de Hamon, de Mélenchon et plus encore de Macron, comme on le constate sur la carte dessinant les territoires électoraux des deux finalistes, «Deux France face à face: les villes contre le périurbain» .

Les votes FN et Macron géographiquement opposés

L’émergence géographique de l’extrême droite a d’autre part des raisons objectives. Le Pen obtient ses meilleurs résultats là où les problèmes économiques et sociaux sont les plus graves. Que l’on cartographie le taux de chômage, la proportion de jeunes sans diplôme, la pauvreté (proportion de personnes sous le seuil de pauvreté), la fréquence des ménages monoparentaux ou le niveau d’inégalité locale, on obtient des répartitions très semblables: une grande zone au nord de la ligne LeHavre-Belfort, le rivage méditerranéen jusqu’à cent kilomètres de profondeur, la vallée de la Garonne entre Toulouse et Bordeaux, soit presque exactement les territoires où le FN enregistre ses meilleurs scores.

La carte intitulée «La France de l’exclusion» représente la synthèse des cinq indicateurs qui viennent d’être cités. Dès le premier coup d’oeil, elle paraît très voisine des résultats qu’a obtenus LePen. Le vote en faveur de Macron proviendrait alors des régions qui seraient moins atteintes par ces maux. En quelque sorte, il serait défini par son contraire.

A ceux qui parlent de dissolution ou d’éclatement chaotique des partis, on peut opposer la recomposition ordonnée des électorats. En politique, le neuf est souvent fabriqué à partir du vieux

Cependant, quand on regarde plus précisément la carte, on voit une multitude de points où les cinq problèmes sont plus aigus, dans les zones de fort vote FN comme en dehors. Ce sont les villes, en particulier les plus importantes. Effectivement, le chômage y est plus élevé, les familles monoparentales plus fréquentes, les inégalités plus fortes, etc. Dès lors, le FN devrait y récolter de nombreux suffrages. Or c’est exactement l’inverse. Plus une ville ou une agglomération est importante, plus le vote frontiste y est faible. De plus de 30% dans les communes de moins de mille habitants, il descend au-dessous de 5% à Paris. On peut parler de périphérie, de sentiment d’abandon, mais c’est mettre des mots à la place d’une explication. Il vaut mieux reconnaître que les causes socio-économiques ne suffisent pas à rendre compte du vote Le Pen et par conséquent de son opposé, le vote Macron.

L’addition des deux centres

Or, il est possible de définir directement le vote en faveur de Macron. Il suffit de prendre au sérieux le candidat quand il affirme rassembler un centre droit et un centre gauche. Le centre droit est incarné par François Bayrou et son MoDem, le centre gauche par les sociaux-démocrates, de Valls à Hollande. On connaît la distribution des forces de ces deux courants sur le territoire: pour le centre droit, les 9,1% de voix obtenues par Bayrou à la précédente élection présidentielle, pour le centre gauche, la moitié des 28% de votes pour Hollande à la même élection. Les enquêtes par sondage qui demandent pour quel candidat on a voté en2012 donnent effectivement environ 50% des anciens électeurs deHollande ralliant Macron.

Si l’on additionne les scores de Bayrou et la moitié des scores de Hollande en2012, on obtient presque exactement la répartition des votes en faveur de Macron telle qu’elle est apparue dimanche dernier. A ceux qui parlent de dissolution ou d’éclatement chaotique des partis, on peut donc opposer la recomposition ordonnée des électorats. En politique, le neuf est souvent fabriqué à partir du vieux. Plus exactement, l’électorat change moins vite que les états-majors.

Les votes frontistes sont d’autant plus rares que l’agglomération est plus importante, comme on l’a vu. Ici encore, les votes pour Macron leur sont diamétralement opposés. Ils sont d’autant plus fréquents que la ville est de plus grande taille. Paradoxalement, plus les cinq problèmes évoqués plus haut y sont graves, plus on vote Macron. Quel est donc le mystère du comportement urbain? Certes, les professions supérieures s’y concentrent et le niveau général de diplôme y est plus élevé, mais cela ne suffit pas à rendre compte des écarts de vote constatés.

Les villes, «global cities»

Les villes, particulièrement les plus puissantes, sont devenues des points de contact et d’échange avec le monde. Les plus importantes se rapprochent des global cities selon le terme forgé par la sociologue hollando-américaine Saskia Sassen. Leurs habitants veulent donc préserver l’ouverture de la France au monde et particulièrement à l’Europe. Or, seul de tous les candidats, Macron a pris la défense de l’Europe sans poser des conditions peu réalistes à son changement.

Déjà au référendum de Maastricht en1992, les villes, surtout les plus grandes, avaient voté oui. Les zones rurales, pour leur part, s’étaient partagées en deux groupes. Celles où les centristes héritiers du MRP et donc ancêtres du MoDem étaient bien implantés, soit la France de tradition catholique, ou plus exactement et plus originellement detempérament anti-jacobin, avaient aussi voté oui comme on le constate sur la carte «Le oui à Maastricht» . Les autres avaient choisi le non, souvent à de fortes majorités. Dans la mêlée des débats de la récente campagne, l’Europe a parfois surgi mais il se peut qu’elle ait joué un rôle plus important qu’il n’y paraît, ne serait-ce qu’en plaçant Macron en tête.

Cartographie. Hervé Le Bras a conçu les deux cartes intitulées «La France de l’exclusion» et «Le oui à Maastricht» . Le cartogramme intitulé «Deux France face à face : les villes contre le périurbain » a été conçu par Jacques Lévy, professeur à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, avec l’équipe du laboratoire interdisciplinaire Chôros de cette même école : Ogier Maitre, Ana Póvoas, Jean-Nicolas Fauchille.

France is back !

Tribune de Bernard Spitz publiée dans Les Echos au lendemain du 1er tour de l’élection présidentielle, le 24 avril 2017

 

C’était impossible, il l’a fait. En deux ans, un jeune ministre inconnu de la majorité des Français atteint, en tête, le second tour de l’élection présidentielle, face à la représentante de l’extrême droite. C’est la défaite en rase campagne des partis traditionnels et pour le pays, deux options opposées de renouvellement de sa classe dirigeante comme de ses choix économiques et sociaux. L’aspiration à une France offensive dans une Europe rénovée ou le mur identitaire dressé contre l’Union européenne.

Les écoles de sciences politiques et de communication étudieront la combinaison de talent, d’intuition et de chance qu’il a fallu àEmmanuel Macronpour en arriver là, cette chance en forme d’alignement des planètes que Napoléon estimait indispensable pour ses généraux. Comme elles analyseront le succès des candidats extrêmes en marqueur des pulsions « dégagistes » qui traversent le pays. Pour l’heure, observons que cette élection marque à la fois la fin d’un cycle et le début d’une nouvelle ère pour la France.

La fin d’un triple cycle

La fin d’un triple cycle d’abord, générationnel, politique et institutionnel. Générationnel, parce que beaucoup d’occupants des palais républicains et du Parlement depuis des décennies vont passer la main. De nouveaux élus venus de tout bord – des extrêmes, du Modem, de la société civile – vont les remplacer.

Politique, parce que l’échec de la droite à bénéficier de l’alternance comme l’effondrement du PS ouvrent la voie à une recomposition du paysage, avec l’affirmation d’une force réformiste centrale et l’opposition de mouvements extrêmes.

Institutionnel enfin, avec des hypothèses inédites : gouvernement de coalition, Parlement rajeuni et plus représentatif, etc. Après le second tour, la séquence des élections législatives dessinera les contours de la future majorité présidentielle. La Ve République entamera ainsi, quoi qu’il arrive au soir du 7 mai, un nouveau chapitre de son histoire.

Puissante onde positive

Fin d’un cycle donc, mais aussi début d’une nouvelle ère. Dans un mélange d’intérêt et d’inquiétude, le monde extérieur, des gouvernements aux investisseurs, voit la France, après le Brexitet l’élection de Donald Trump, en ligne de front face à la vague populiste et protectionniste. Une sorte de digue qui, si elle cédait, pourrait – sauf résultat contraire aux législatives – déstabiliser l’Italie puis le reste de l’Europe. Avec des risques évidents pour l’économie et à terme, pour la paix.

A l’inverse, l’élection d’Emmanuel Macron pourrait déclencher une puissante onde positive. Un président jeune, connaissant l’entreprise, parlant l’anglais, maîtrisant les nouvelles technologies, incarnerait l’antithèse de ceux qui l’ont précédé. Succès international garanti, qui ne manquerait pas de nous renvoyer une image positive de nous-mêmes.

« France is back » pourrait tweeter Donald Trump. Une France se voyant belle dans le miroir. Plus fort que le terrorisme et les tensions internationales, un courant d’optimisme pourrait gagner un pays qui a besoin de retrouver confiance dans la vision et l’autorité de ses dirigeants.

De quoi conférer une énergie nouvelle aux entrepreneurs mais aussi redonner espoir à tous ceux qui ont exprimé leur colère et leur attente d’une vie meilleure : jeunes, chômeurs, paysans, artisans, ouvriers, classes moyennes. L’Allemagne reprendrait confiance en notre capacité de reconstruire ensemble l’Europe et une diagonale de leaders quadras avec Trudeau et Renzi pourrait émerger. Les marchés regarderaient autrement un pays enfin tourné vers l’avenir, ayant renversé la table de la plus belle des façons, c’est-à-dire en donnant le pouvoir à sa jeunesse.

La France est face à son destin. Il ne tient qu’à elle de vivre un grand moment de fierté et d’optimisme comme pour la victoire en Coupe du monde 1998, avec la dynamique de croissance qui accompagne toujours le succès. « Yes we can » : Obama, en appelant Emmanuel Macron, l’avait laissé entendre. Rendez-vous dans deux semaines.

Présidentielle 2017 : « Renverser la table, sans aveuglement »

Un collectif de 300 entrepreneurs et intellectuels appelle, dans une tribune au « Monde », à voter le 23 avril contre le choix des extrémismes ou de l’abstention.

Moins d’une semaine et les urnes rendront leur verdict. Plus que quelques jours donc pour écrire notre avenir. Pas seulement pour élire un président. Pour décider du destin de notre nation. Jamais l’avenir n’a semblé aussi incertain, et le monde entier a les yeux rivés sur la France.

Dans quelques jours, il ne sera en effet plus question de sondages, de commentaires, d’analyses sur «une campagne qui ne ressemble à aucune autre»… Il restera alors deux candidats, dont l’un sera élu quinze jours plus tard président de la République française.

Deux candidats, mais pas forcément deux options. Il faut être lucide sur notre situation collective. Les extrémistes ont le vent en poupe et l’on peut aisément comprendre pourquoi. La peur du chômage, les difficultés du quotidien, la montée des inégalités, les agressions terroristes, les tracasseries administratives, le coût de la vie, les insuffisances de l’Union européenne, tout cela fait beaucoup. Surtout quand s’y ajoute le feuilleton des manquements à la morale publique et au sens civique. On comprend dans ces conditions l’envie de renverser la table: la lassitude, le sentiment d’impuissance, la sensation du déclassement à l’heure où le projet France a tant besoin de renouveau et d’espérance.

La colère, cette mauvaise conseillère

Mais il y a plusieurs façons de renverser la table. Il y a la colère, cette mauvaise conseillère qui vise d’abord à punir ceux qui ont failli. Mais qui sera puni? Nous tous! Nous, les classes moyennes, les entrepreneurs, les professions libérales, les créateurs, les paysans, les ouvriers, les chercheurs, les étudiants, les chômeurs; nous tous, de la jeunesse de notre pays à ses retraités. Nous tous, des villes et des campagnes, des DOM-TOM comme de la métropole.

Parce que les extrêmes appuient leur discours sur des illusions, des fausses promesses et des cadeaux intenables. Parce que la réalité qui éclaterait dès le lendemain serait celle de taux d’intérêt qui exploseraient et rendraient impossible pour beaucoup de rembourser leur crédit de leur logement, de leur exploitation agricole, de leur véhicule. Parce que les investisseurs étrangers se détourneraient immédiatement de notre pays, nous mettant dans l’incapacité d’emprunter comme de payer nos fonctionnaires. Parce que tout ce que nous importons, à commencer par le litre d’essence, verrait sa facture exploser. Parce que les pensions des retraités perdraient instantanément de leur valeur. Parce que nos exportations seraient irrémédiablement freinées par des représailles contre notre soi-disant «protectionnisme intelligent». Voilà où peut conduire la colère, le repli sur soi, la négation de nous-mêmes. Une punition collective et individuelle aux effets immédiats.

Il y a aussi l’abstention. On peut entendre le rejet et la déception, mais ce choix du non-choix, cette carte blanche laissée à n’importe qui et notamment au pire, est un danger pour nous tous.

Le 24 avril au matin, il sera trop tard pour regretter

On peut aussi faire le choix de la raison. Le choix froid et lucide de renverser la table sans aveuglement. D’en finir avec ceux qui dans la classe politique se renvoient la balle depuis plusieurs décennies sans jamais tenir leurs promesses. Avec le jeu des partis, où l’on a renoncé à penser pour se constituer en castes d’élus, conservateurs par nature et dogmatiques par paresse. Avec l’immobilisme par souci de préserver les rentes, sans se soucier du blocage de l’ascenseur social, de la montée des inégalités ou du sentiment d’insécurité qui gagne la population. Oui, on peut aussi choisir de renverser la table dans un mouvement positif et optimiste qui consiste à croire en notre chance d’aller de l’avant ensemble.

Voici le choix qui se présente à nous. Céder à la colère ou au renoncement en nous abstenant de voter. Le 24avril au matin, il sera trop tard pour regretter. Le 23avril, allons voter la tête froide et le coeur en paix, pour l’idée que nous nous faisons de la France et de son avenir.

Ce manifeste est signé par un collectif de plus de 300 chefs d’entreprise, entrepreneurs, dirigeants, artisans, professions libérales et intellectuels.

Les 80 premiers signataires sont :

Lidgy Adelaïde (La Mode à la rue), Michaël Amar (Ifeelgoods), Olivia Asseo (Familin Paris), Brice Auckentahler (Tilt ideas), Nihel Bemrah (Nanny Please), Frédéric Benqué (US Invest), Etienne Bernard (Bernard Controls), Grégoire Biasini (Palomar), Pascal Blanchard (historien), Deborah Brown Plivain (Gentle Gourmet), Laurent Bruloy (groupe Looping), Nicolas Bühler (entrepreneur), Cécile Cellier (entrepreneur), Philippe Chainieux (Made.com), Catherine Chaulet (DMC Partners), François-Xavier Chupin (Sport Finance), Sophie Combes (entrepreneur), Bruno Cremel (entrepreneur), Patrick Daher (entrepreneur) Paulin Dementhon (Drivy), Slav Djoudjev (Green Mile), Guillaume-Olivier Doré (Robin’Finance), Camille Dubac (écrivain), Gaël Duval ( jechange.fr ), Michel de Fabiani (entrepreneur), Fabrice Del Taglia (Nomade Aventure), Amélie Faure (Launchmetrics), Olivier Flecklinger (entrepreneur), Stéphane Fontaine (entrepreneur), Nicolas Fourt (entrepreneur), René Frydman (médecin), Pierre Gallix (président d’association), Arnaud Gangloff (entrepreneur), Sylvain Gauthier (Easy Vista), Bernard Gilly (Gensight Biologics), Arnaud Giraudon (entrepreneur), Agathe Giros (The Editorialist), Mathias Hautefort (Vitis), Denis Jacquet (Edufactory), Benoît Jardin (Le Perche Agricole), Didier Kayat (Daher), Monique Labbé (Critère), Anne Lalou (Web School Factory), Jéremy Lamri (Monkey Tie), Hervé Le Bras (démographe), Alexandre Le Moil (Novamob), Antoine Lussignol (entrepreneur), Alexandre Nicolas Marin (entrepreneur), Bernard Michel (Gecina), Rudolf Mouradian (groupe Eloi), Guillaume Multrier (entrepreneur), Michel Ninou (entrepreneur), Agnès Pannier (entrepreneur), François Poitrine (entrepreneur), Pierre Pringuet (Association Française des Entreprises Privées), Jean-François Rial (Voyageurs du Monde), Antony Rodes (Sellneeds), Jean Rognetta (PMEFinance-EuropeEntrepreneurs), Laurent Sabatucci (EOL), Angelos Souriadakis (Ylios), René Sylvestre (entrepreneur), Philippe Tibi (Pergamon), Agnès Touraine (Act III Consultants), Pascal Vermeersch (entrepreneur), François Veron (entrepreneur), Emmanuelle Vignaud (entrepreneur), Gilles Widawski (APS groupe), Lionel Zinsou (entrepreneur)…

Mélenchon le Libertador

Edito de Laurent Joffrin dans Libération le 14 avril

Ce n’est plus une politique étrangère : c’est une politique exotique. Méditant un tournant stratégique pour le pays, Jean-Luc Mélenchon prévoit dans le point 62 de son programme de faire adhérer la République française à l’Alliance bolivarienne des Amériques, obscure coalition montée en 2005 par le Venezuela, Cuba et une poignée d’autres îles des Caraïbes, avec le soutien de la Russie et de l’Iran, pour faire pièce aux menées de l’impérialisme yankee. Elle tient son nom de Simon Bolivar, le «Libertador», héros de l’indépendance latino-américaine.

On ne saurait sous-estimer l’importance du projet. Notre Libertador à nous envisage de quitter ces deux organisations marginales et obsolètes que sont l’Otan et l’Union européenne, qui sont décidément peu de choses à côté de cette Alliance bolivarienne vouée à un avenir radieux. La France échappera ainsi à l’oppression américaine pour nouer des liens étroits avec ces démocraties impeccables que sont la Russie et l’Iran. Elle sortira surtout d’un tête-à-tête stérile avec l’Allemagne dominatrice pour se concentrer sur ses relations nouvelles et prometteuses avec les îles Saint-Kitts et Nevis.

Le commandante Che Mélenchon pose un regard tout aussi neuf sur les autres domaines de la politique mondiale. La crise syrienne, par exemple, n’a pas grand-chose à voir avec la révolte populaire contre la dictature féroce du clan Assad, l’acuité de l’affrontement chiite-sunnite ou encore la folie fanatique de l’Etat islamique. Elle découle principalement d’une bataille entre puissances impérialistes pour le contrôle de trois pipelines régionaux, comme on le voyait déjà dans Tintin au pays de l’or noir. Aucun de ces pipelines n’existe et ils ont peu de chances de voir le jour. Deux d’entre eux ont un tracé qui ne passe pas par la Syrie. Mais enfin, seuls les esprits faibles peuvent s’y tromper : les ruses de l’impérialisme sont infinies.

De même il faut cesser d’importuner sans cesse ce brave Poutine, si accommodant quand on ne le provoque pas en critiquant l’assassinat de journalistes, la tentative de déstabilisation de l’Ukraine ou les quelques massacres qu’il a pu commettre par inadvertance en Tchétchénie. Au contraire, dans une envolée gaullo-trotskiste, le général Mélenchon propose une conférence européenne de l’Atlantique à l’Oural, destinée à négocier des amendements de frontières sur le continent. La plupart des spécialistes de politique internationale estiment que c’est faire un cadeau somptueux à la diplomatie poutinienne et ouvrir une boîte de Pandore, rappelant que les deux guerres qui ont ravagé le continent sont nées de la volonté de l’un ou l’autre de remettre en question les frontières. Mais ce sont considérations conformistes et crypto-atlantistes…

Mélenchon a enfin soutenu continûment le pouvoir vénézuélien, composant ode sur ode à Hugo Chavez et à ses successeurs. Ces louanges ont été mises en sourdine depuis que le pays a sombré dans le chaos. Le régime chaviste, de plus en plus autoritaire, a réussi le tour de force d’instaurer, sur fond d’hyperinflation, une grave pénurie des produits de première nécessité au Venezuela, notamment des médicaments, alors qu’il est assis sur les plus grandes réserves pétrolières au monde. L’évolution du Venezuela rappelle cette vieille blague anticommuniste : le Parti communiste prend le pouvoir au Sahara ; première année, il ne se passe rien ; deuxième année : pénurie de sable. Drôle de modèle, tout de même…

L’accord commercial UE-Canada et l’influence française – par Sylvie Goulard

L’accord commercial UE – Canada et l’influence française : leçon de choses

L’accord commercial UE-Canada a suscité beaucoup de passion et de commentaires mais un aspect est largement passé inaperçu à Paris : il offre une saisissante illustration de la manière dont les Français gaspillent, en ce moment, leur influence.

Alors que le Canada, et notamment la province du Québec sont chers au cœur des Français, une très large majorité de députés européens français a voté contre ce texte lors de son approbation par le Parlement européen à Strasbourg.

Parmi les orateurs les plus virulents du débat du 15 février, plusieurs voix françaises ont souligné, non sans véhémence, la nocivité de cet accord. De Marine Le Pen à Jean-Luc Mélenchon, en passant par Yannick Jadot, les candidats à l’élection présidentielle s’en sont donné à cœur joie.

Outre les extrêmes et les Verts, tous les députés socialistes ont voté contre l’accord bien que le gouvernement actuel de la France y soit favorable. Certains Républicains et centristes en ont fait autant, d’autres se sont abstenus. Ainsi, s’il avait fallu compter sur les députés français seulement, l’accord aurait été rejeté.

Naturellement, tous les députés opposés à cet accord ne sont pas hostiles au Canada mais encore faut-il savoir que les Canadiens, et parmi eux tout particulièrement les Québecois, y tiennent ardemment. Le Premier ministre Justin Trudeau est venu en personne à Strasbourg saluer cet accord moderne, « progressiste », fruit de sept années de travail euro-canadien.

Il a redit dans l’hémicycle, le 16 février, sa volonté de construire une relation plus étroite avec les Européens, en rappelant l’importance de défendre ensemble l’Etat de droit, une société ouverte, une économie mondiale respectueuse de l’environnement, inclusive. En « off », certains responsables canadiens n’ont pas caché leur préoccupation après l’arrivée de Donald Trump à la tête des Etats-Unis.

Le Canada, État démocratique et allié et, à travers lui le Québec, a besoin de l’Europe pour affirmer ses valeurs, diversifier ses débouchés et échapper ainsi à une trop grande dépendance envers l’Amérique de l’imprévisible Donald Trump.

Pour la France, il est vital de combler un déficit du commerce extérieur qui, en 2016 s’est encore creusé atteignant 48 milliards d’euros (quand l’Allemagne et l’Italie accumulent des excédents qui atteignent cette année respectivement 250 milliards et 50 milliards d’euros).

L’accord UE-Canada n’est pas parfait mais il est bien moins dangereux que certains cherchent à le faire croire. En tout cas, ses défauts éventuels méritent d’être mis en balance avec des enjeux stratégiques et commerciaux, ainsi qu’avec les liens anciens de la France avec ce pays.

A quoi servent les belles promesses d’amitié francophone si, dans un moment où la solidarité est testée concrètement, les Français manquent à l’appel ? Et si nous nous éloignons de partenaires tels que les Canadiens, avec qui bâtirons-nous un monde un peu moins injuste ?

Dernier détail qui n’en est pas un : dans son discours, Justin Trudeau a annoncé que dorénavant, c’est l’ambassadeur du Canada auprès de l’Allemagne fédérale, en poste à Berlin, qui sera aussi le représentant de son pays auprès de… l’Union européenne.

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Retrouvez également une interview de Sylvie Goulard sur ce sujet, publié dans le journal Les Echos le 16 février 2017: cliquez ici.

Pascal Blanchard: « L’élection de Trump, c’est la victoire du choc des civilisations »

Interview réalisée par Laure Gautherin le 9 novembre 2016 pour le site Aufeminin.com 

Si l’arrivée de Donald Trump à la tête des Etats-Unis a surpris le monde entier, son élection est bien loin de constituer un phénomène isolé. Comme nous l’explique Pascal Blanchard, historien, celle-ci ne s’inscrit que dans un (re)basculement général de la politique vers un populisme nourri par la peur de l’autre.

 » Cette élection a une forte odeur des années 30 « , constate Pascal Blanchard, historien, documentariste et co-directeur de l’agence de communication Les Bâtisseurs de Mémoire, suite à l’élection de Donald Trump à la tête des Etats-Unis. Peut-on réellement parler de surprise ou encore de cas isolé ? Certainement pas. Avant de se pencher sur le cas américain, il rappelle la situation en Europe mais aussi ailleurs, où les idées populistes et les discours alimentés par la haine de l’autre connaissent depuis un certain temps une renaissance.

 « Trump se place dans cette continuité. Ça n’est pas une élection sortie de nulle part. Depuis 10 ans, on observe lors des élections les mêmes fractures raciales et genrées que pendant la campagne américaine, souligne-t-il. Cette rupture n’est pas nouvelle, on a déjà pu l’observer en Italie avec l’alliance de Berlusconi avec la ligue de droite, la force de Pegida en Allemagne… L’Autriche va peut-être bientôt élire son premier président fasciste depuis la 2nde guerre mondiale et en France, Marine Le Pen joue sur la fracture coloniale. Son slogan « On est chez nous », est exactement, au mot près, la campagne que vient de mener Trump.« 
Et le phénomène n’est pas seulement européen ou américain. On parle d’une contagion planétaire qui ne connait que de rares exceptions dont certains pays nordiques, pourtant admirés jusqu’alors pour leur ouverture, ne font pas partie. « Même au Japon, où les étrangers sont ultra minoritaires, on peut l’observer. Si vous écoutez bien le premier ministre Shinzō Abe actuellement, ses discours sur les Coréens sont totalement incroyables. On a l’impression d’entendre Marine Le Pen sur les Maghrébins en France. Ce populisme traverse le monde. En Australie, l’extrême droite commence aussi à obtenir des votes. »

Les dangereux échos du passé

Difficile en effet de ne pas faire la comparaison avec cette période sombre de l’histoire où, rappelle Pascal Blanchard, « naissait tous les 6 mois une nouvelle dictature en Europe. » « On remarque les mêmes mécanismes électoraux qu’à l’époque avec l’arrivée au pouvoir des dictateurs comme Hitler. La campagne de Trump était basée sur la haine, la peur et cette élection a symbolisé une véritable fracture raciale. On peut comparer son cas à l’arrivée de Mussolini qui s’était présenté comme le Duce de tous les Italiens. Trump est un Mussolini moderne« , explique-t-il en faisant référence à son discours de victoire dans lequel il se promet d’être le Président non pas d’un peuple mais de « tous les Américains« .

Dans les années 30, c’était le traumatisme de la 1ère guerre mondiale qui avait motivé cette virée populiste. Aujourd’hui, ce revirement n’est pas sans cause non plus. « La guerre contre les extrémistes musulmans, avec comme point de départ le 11 septembre, mais aussi Ce qui se passe en Europe depuis un an avec les réfugiés ont été un déclencheur absolu« , analyse l’historien.

L’identité au coeur

« Les gens ne fonctionnent pas avec la raison mais avec la peur, la peur de l’autre, la peur de perdre son statut social, la peur d’une 3ème guerre mondiale demain. Ils cherchent un bouc émissaire, un ennemi commun et ils cherchent à protéger leur identité. Et ce que les gens pensent comme faisant partie de leur identité c’est d’être blanc. »
La fameuse suprématie blanche qui ne s’est jamais éteinte a abattu grâce au candidat républicain sa meilleure et ultime carte. « Dans un contexte où aujourd’hui, il y a plus de bébés de couleur que de bébés blancs qui naissent, les Américains voient la fin de leur suprématie. Et Trump est le dernier porteur du glaive défenseur de cette suprématie. » Suprématie face à laquelle se soulèvent des minorités dont la voix se fait de plus en plus entendre.

« C’est la victoire du choc des civilisations. Trump est dans cette guerre-là, c’est un homme qui va commencer par construire des murs, séparer les gens, définir que des personnes d’une certaine religion n’entreront pas sur le territoire et dont la politique centrale va donc être de protéger la race« , résume Pascal Blanchard qui rappelle que le Républicain n’a jamais caché la nature de son programme qui va donc faire de cette mission de protection de la race le moteur de la première puissance mondiale, au détriment des droits de l’Homme.
« Il va y avoir une politique migratoire extrêmement dure et contraignante. L’autre, l’étranger, va être perçu comme un ennemi intérieur et extérieur. Je vous passe le fait d’être musulman demain au Etats-Unis ! » annonce-t-il.

Les Etats-Unis, miroir de la France ?

Les élections américaines opposaient deux candidats mais les électeurs n’ont pas tant voter pour le Républicains que contre sa rivale Hillary Clinton. Malgré les sondages qui la donnaient gagnante, la cote de popularité de la Démocrate a joué au yoyo pendant toute la campagne et l’ex Secrétaire d’Etat n’a jamais fait l’unanimité. Symbole de la corruption suite à plusieurs accusations de financements frauduleux via sa Fondation et l’affaire des emails privés, « Hillary Clinton représente pour beaucoup la nomenklatura washingtonienne, des gens qui sont complètement déconnectés de la réalité et de la société américaine et qui ne savent plus parler au peuple. C’est exactement le problème de la gauche en France. Beaucoup de gens aujourd’hui ne se sentent plus du tout concernés par la politique socialiste et par François Hollande, Ils ont un sentiment que la gauche sociale les a totalement oubliés, qu’elle privilégie les droits des étrangers, qu’elle ne répond plus à leurs attentes. »

Quel discours tiennent alors ces déçus du gouvernement ? « Je possède peu mais le peu que je possède je veux le conserver. Et qu’est-ce que je possède ? C’est une couleur de « natif ». Il est anormal que quelqu’un qui arrive après moi ait plus de droits que moi. » Ce discours on l’observe à tous les niveaux, même dans les classes populaires, note Pascal Blanchard. « Quand vous n’avez plus rien, vous n’avez plus qu’une chose à défendre c’est la couleur de votre peau qui vous donne un pouvoir, celui d’être supérieur à l’autre, donc d’avoir plus de droits que lui. Cela se traduit par la préférence nationale, le protectionnisme, l’interdiction du franchissement des frontières, etc. » Un discours qui ne nous est pas totalement inconnu…

« Selon ces augures politiques, il va falloir regarder de très près la campagne de 2017 car personne ne croyait à la victoire de Trump, et il a gagné, et personne ne croyait à l’arrivée de Marine Le Pen et elle s’est offert un score exceptionnel à la dernière présidentielle. » CQFD… Ce qui est certain, c’est que l’année prochaine, une importante partie des citoyens français votera en fonction de sa couleur de peau, comme aux Etats-Unis.
Quant à ces derniers, le clivage à la fois racial, genré et générationnel qui a marqué ces élections, très serrées rappelons-le, représente un certain espoir. « Comme l’explique très bien Michael Moore, c’est le dernier tour de force des « petits blancs » mais qui risque de durer 4 ou 8 ans. » Des années qui pourront toutefois être longues et difficiles. En effet, le Président aura de son côté le Congrés, à majorité républicaine. « Il arrive avec une puissance incroyable » et promet déjà de mettre à mal les avancées effectuées par Obama. Il faudra donc se montrer patient, très patient.