L’ami de Kadhafi

Appelons un chat un chat, et Kadhafi, un terroriste faussement pénitent doublé d’un vrai dictateur. Pas n’importe quel terroriste : combien de victimes sur le vol d’UTA dont il a commandité l’attentat, ou dans le Boeing de Lockerbie ? C’est aussi un dictateur, qui bafoue les droits de l’homme et des femmes dans son pays, enlevant au passage des ressortissants étrangers, dont les infirmières bulgares.

La diplomatie oblige parfois à parler avec des personnages peu recommandables. On peut souscrire à l’idée de ramener terroristes et dictateurs aux règles du droit international. Mais justement, il ne faut pas faire montre de faiblesse avec ceux qui ont jusqu’ici usé de la force plutôt que du droit. Et les règles de la diplomatie n’obligent pas à les traiter en amis, encore moins à les laisser nous insulter sur notre propre sol. Le colonel Kadhafi n’était pas le bienvenu. Il était pourtant là, cinq jours durant, ce qui est un traitement exceptionnel, et qui plus est pendant la journée des droits de l’homme, ce qui est une provocation.

Ainsi, en matière diplomatique, la rupture sarkoziste a sombré. On assiste au contraire au retour de la réalpolitik de carton pâte, celle dont Valéry Giscard d’Estaing et François Mitterrand ont usé et  abusé avec tous les Amin Dada, Bokassa, Ceausescu, Khomeiny et autres Hafez El Assad de la Terre. Sinistre club dans lequel, pour quelques contrats de plus, nous avons trahi nos principes et laissé assassiner nos ressortissants, à commencer par l’ambassadeur Louis Delamare au Liban. Il est d’ailleurs symbolique que, pour accueillir Kadhafi, l’on soit allé chercher le barreur de petit temps de la diplomatie mitterrandienne, Roland Dumas, droit dans ses Berlutti, venu remplacer les parlementaires de gauche comme de droite refusant l’humiliation.

Winston Churchill, parlant de Munich, avait dit : « Vous acceptez la honte pour éviter la guerre, vous aurez la honte et la guerre ». La dimension munichoise de notre diplomatie persiste : naguère, la France avait une politique, aujourd’hui elle n’a plus que des intérêts. Quand bien même ces intérêts prennent souvent la forme de contrats virtuels et que ces contrats portent sur des équipements qui sont loin de servir le développement des pays du sud…

Alors que l’on n’a jamais eu de ministre des affaires étrangères au passé aussi irréprochable et au silence aussi assourdissant, c’est de l’intérieur des rangs même du gouvernement qu’est venue la critique la plus forte. Rama Yade, en nous ramenant au rang de paillasson, avait – selon l’échelle de l’honneur et de la dignité – hélas raison.

Au fait, qui donc disait le 6 mai dernier que : « La France sera du côté des opprimés du monde, c’est le message de la France, c’est l’identité de la France, c’est l’histoire de la France. » ? Réponse : l’ami de Kadhafi.

Les Gracques
Les Gracques vous donnent rendez-vous, pour leur prochain éditorial, début janvier 2008 et d’ici là, vous adressent tous leurs vœux pour la nouvelle année

Les Gracques persistent

La nature, même politique, a horreur du vide… et même parfois du trop-plein. C’est ce qui explique la percée de François Bayrou au premier tour de l’élection présidentielle et ses bonnes opinions dans les sondages. Pillé depuis dans ses soutiens par l’UMP, dépossédé du message d’ouverture par Nicolas Sarkozy, le MODEM a néanmoins réussi à exister et à se lancer, même si – comme le montrent les résultats de l’élection législative partielle de Sarcelles ce dimanche – les suffrages restent chers à gagner.

L’entreprise de François Bayrou a l’attrait de la nouveauté. Pourtant, l’existence d’un courant d’inspiration démocrate-chrétienne, est une constante de l’histoire politique française : de l’abbé Lemire au Sillon de Marc Sangnier, de l’Aube de Francisque Gay au MRP de la Libération, le christianisme social a eu ses lettres de noblesse. Depuis 1969 et le ralliement de Jean Lecanuet à Georges Pompidou, l’UDF des notables avait étouffé le centrisme des militants. Le positionnement de François Bayrou depuis le printemps 2007 vient d’inverser le balancier. Pour autant, cette rémanence historique ne permet pas au MODEM d’esquiver la réalité des institutions de la Vème République, qui fait qu’il y a une majorité et une opposition, qu’il faut choisir et que c’est bien ainsi.

Aujourd’hui, sa capacité d’attraction se nourrit des faiblesses du Parti socialiste. L’incapacité de ce dernier à assumer une ligne social-démocrate, moderne et réformiste est pain… béni pour le MODEM. La propension à ériger le messianisme révolutionnaire, hier celui du PC, aujourd’hui celui d’Olivier Besancenot et de José Bové, en mètre-étalon de la pensée de gauche, perpétue la détestable habitude consistant à dire, dans l’opposition, le contraire de ce qu’il fait au pouvoir. Faute de leadership, le PS cherche un intermittent du premier secrétariat qui saura s’effacer le moment venu. Faute de ligne politique, la question des alliances est esquivée, dans le meilleur des cas sous forme d’hommage au Parti démocrate italien, alors que celui-ci a fait le choix inverse : une ligne politique clairement dégagée du pôle gauchiste, une alliance mûrement pensée et un leadership.

Le MODEM comme le Parti socialiste doivent d’abord mettre au clair leur projet, leur vision de la société française, leurs réponses aux défis de la mondialisation, leur réforme de l’Etat, pour remettre en route l’ascenseur social et réduire les inégalités sociales et territoriales. Bref  pour restaurer la crédibilité de la politique… Alors seulement, le temps sera venu de mesurer s’il y a suffisamment de convergences pour construire une alternance. Sur tous ces sujets de fond, les Gracques feront connaître leurs propositions.

Nous nous étions exprimés publiquement pour la première fois en posant la question du rapprochement du Parti socialiste et du centre avant le premier tour de l’élection présidentielle. Cette franchise a déplu à quelques-uns. Aujourd’hui encore, il nous paraît plus honnête, plus efficace et plus porteur d’avenir de poser les termes d’une éventuelle alliance, ouvertement, devant les électeurs, que d’aller, entre les deux tours, négocier un poste de premier ministre dans la clandestinité nocturne. Les Gracques persistent et signent.

Pouvoir d’achat : des annonces aux réalités

En se présentant comme « le Président du pouvoir d’achat » et en martelant son « travailler plus pour gagner plus », Nicolas Sarkozy a, durant sa campagne présidentielle, alimenté lui-même la très forte attente des Français en matière de revalorisation de leurs rémunérations. Plus de pouvoir d’achat, plus de consommation devaient nourrir le « choc de confiance » permettant de relancer la croissance.

Le quinquennat a commencé par un signal contraire : le paquet fiscal, outre qu’il a dilapidé toutes les marges de manœuvre disponibles, ne peut guère soutenir la consommation, sauf pour le dispositif d’exonération des charges fiscales et sociales des heures supplémentaires. Or celui-ci se heurte au principe de réalité : il ne peut fonctionner que pour autant que le carnet de commandes des entreprises permette de répondre aux attentes des salariés en matière d’heures supplémentaires. Personne ne sait encore s’il aura un impact réel : le gouvernement, en tout cas, n’a pas provisionné dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 un montant supérieur à celui de 2007, en ce qui concerne le remboursement des exonérations de cotisations aux régimes de sécurité sociale…

Les annonces faites le 29 novembre par le chef de l’Etat se situent dans la même contradiction. Le bien-fondé de certaines mesures est incontestable : l’amélioration de la situation déplorable des infrastructures universitaires, par exemple (vendre 3% d’EDF pour la financer n’est pas condamnable) ou encore l’indexation des loyers sur la hausse des prix, la limitation des dépôts de garantie et la suppression des cautions locatives.

Le principe d’aligner le régime des heures supplémentaires des fonctionnaires sur celui du privé est séduisant. Mais Nicolas Sarkozy serait plus crédible si, en tant que ministre de l’Intérieur, il n’avait pas, pendant cinq ans, laissé s’accumuler pour plus de 5 millions d’€ d’heures supplémentaires impayées dans la police.

Quant à la proposition de déblocage des fonds de participation et des plans d’épargne salariaux, ce sont des mesures qui ont déjà été utilisées sans succès dans le passé : rien ne nous est dit sur les raisons pour lesquelles ces recettes fonctionneraient mieux aujourd’hui.

Les syndicats avaient demandé des mesures permettant de soulager les dépenses des salariés en matière de transport. Le « chèque transport », décidé fin 2006 par le gouvernement Villepin, n’a connu aucun début de mise en œuvre, parce que la volonté d’aller vite, pour des raisons de communication, l’avait emporté sur le souci de négocier un dispositif adapté, avec les partenaires sociaux.

La mesure phare du dispositif annoncé est cependant la proposition tendant au rachat des jours de RTT. Or elle laisse perplexe. On continuera en effet à distribuer des jours de RTT, puis on permettra – le cas échéant – aux salariés de les racheter, voire d’effectuer au-delà des heures supplémentaires défiscalisées… Usine à gaz étrange, qui vide la loi sur les 35 heures de sa substance sans oser le dire. Les limites de l’extrême pragmatisme de Nicolas Sarkozy apparaissent ici : vouloir tout réformer tout en craignant de bousculer tous les acquis généraux (les acquis catégoriels, eux, ne sont plus tabous, on l’a vu avec les régimes spéciaux) conduit à des solutions baroques, mais surtout injustes et illisibles.

Or la lisibilité de l’action entreprise était indispensable au fameux « choc de confiance » censé permettre le retour à la croissance. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’on attend encore l’une et l’autre.