Les Gracques sur Twitter
Chers amis,
Les Gracques s’expriment désormais sur Twitter. Retrouvez leur actualité en temps réel en devenant « follower » du compte @LesGracques.
Chers amis,
Les Gracques s’expriment désormais sur Twitter. Retrouvez leur actualité en temps réel en devenant « follower » du compte @LesGracques.
L’Université d’été des Gracques s’est tenue samedi 30 juin au Théâtre de Villette. La journée a été riche d’interventions remarquables. En particulier, les éclairages proposés par les panélistes étrangers (Kemal Dervis, Ana Palacio, Franco Bassanini, Rushanara Ali, John Evans, Gil Rémillard, Enrico Letta et Bozidar Djelic) ont donné aux débats sur la crise une profondeur de champ et un précieux recul.
La brillante synthèse de Lionel Zinsou sur la compétitivité européenne, les échanges de Daniel Cohen et Guillaume Hannezo, le dynamisme de Pierre Vilpoux, les analyses de Jean-Claude Mailly et bien sûr les propos conclusifs de Michel Sapin ont également contribué à cette réussite.
Les Gracques souhaitent remercier à nouveau l’ensemble des invités, des modérateurs et du public pour leur participation à cette université d’été, dont les actes et les vidéos vous seront bientôt proposés sur le site.
Je me souviens, il y a 5 ans, de notre première université d’été, dans ce beau théâtre de la Villette! L’image que j’en ai gardée, c’est celle d’un jour parfait avec des débats spontanés, de la vie, de l’envie. Nous avions des visiteurs de marque qui nous disaient que la gauche était défaite, oui, mais qu’elle pouvait se réinventer. Qu’elle devait le faire. Il y avait la gauche italienne qui tentait de se recomposer avec Francesco Rutelli, il y avait Peter Mandelson et bien d’autres…
C’est Antony Giddens qui avait fait le discours inaugural. Il nous avait dit: la voie sociale démocrate est la bonne, à condition de la réinventer. Parce que si nos valeurs sont intactes, si notre envie d’égalité, de solidarité, de justice, demeurent, le monde dans lequel nous vivons a changé. Il s’est numérisé, il s’est élargi, il s’est démographiquement déplacé. Cela signifie que les postulats de la social-démocratie traditionnelle sont dépassés, que nous sommes en train de nous projeter dans autre chose, une sorte de post social-démocratie qu’il nous faut inventer et assumer. Ce sera l’occasion de notre premier débat de la journée, un débat essentiel puisqu’il pose le cadre intellectuel, en terme de philosophie politique de ce que nous poursuivons. Et je suis heureux pour en parler que nos grands témoins des deuxième et troisième Université, Marcel Gauchet et Kamel Dervis soient avec nous, ainsi qu’Hubert Védrine fidèle lui aussi de nos travaux depuis le début.
Nous vivons déjà dans un autre monde…
Le monde s’est numérisé. Il a changé avec les nouvelles technologies qui font que le vécu au travail se transforme, dans son exécution, dans sa localisation, dans sa pénibilité, etc… Les besoins et les méthodes de formation ont changé, ce qui conduit à réviser nos rythmes scolaires comme les contenus. Le monde a aussi évidemment changé dans son rapport à l’environnement, à la consommation, à la conception de l’espace urbain et à l’information, pour le meilleur et pour le pire.
Le monde s’est élargi. Avec le passage du G7 au G20, c’est à dire un monde où les pays du Sud ne sont plus forcément ni les plus pauvres, ni les moins avancés, ni les moins stables. Les Brics nous saluent bien; et surtout ils nous prêtent. Car nous vivons, nous Français tout particulièrement, à crédit; et ce sont largement eux qui nous assurent nos fins de mois. Ils regardent notre incapacité à gérer nos affaires en Europe et nous jugent sévèrement. Car ce monde élargi tourne désormais économiquement avec nous, souvent indépendamment de nous, et parfois sans nous. Les émergents n’ont pas l’impression que le centre de gravité du monde soit en Europe et ils n’attendent plus de savoir ce que nous Français pouvons penser. Leur vie est ailleurs.
Notre monde a aussi une nouvelle géographie des âges. Les pionniers de l’Union européenne y représentent un îlot âgé dans un monde jeune. Et dans un pays comme le nôtre, le vieillissement vient bouleverser les idées préconçues : on ne peut plus parler de répartition dans un pays qui a plus d’inactifs que d’actifs comme l’on en parlait il y a 30 ans, quand c’était le contraire. Il va bien falloir parler d’épargne, c’est à dire de capitalisation pour mutualiser l’effort dans le temps. Et envisager des scénarios économiques neufs en matière de protection sociale. Cela a beaucoup de conséquences, la première étant de nous inciter à arrêter de favoriser les personnes âgées au détriment des jeunes générations, comme on le fait depuis 40 ans. Or les personnes âgées sont de plus en plus nombreuses et ce sont celles qui votent le plus. Voilà qui promet de beaux dilemmes politiques…
Dans ce monde en mouvement, la France a- t-elle changé? La gauche, qui a gagné comme jamais sous la cinquième république, en est où de cette mutation vers la post social-démocratie dont parlait Giddens? Et comment va-t-elle se comporter à l’épreuve du changement : c’est à dire face à la nécessité à la fois de permettre à l’Europe de franchir un cap dramatique, puisque c’est son existence qui est en jeu ; et de conduire les réformes qui permettront à la France de réussir son désendettement et son regain de compétitivité, sans sacrifier ni la croissance ni la protection sociale. Voilà les questions clés, ce sont celles qui marqueront nos débats au fil de cette journée.
Qu’est ce qui a changé en France ,depuis? Dans notre livre, nous disions l’université, essentiellement. Sur les retraites, il fallait bouger mais pas comme ça puisque la réforme des régimes spéciaux est de type grec, elle coûte encore plus cher après qu’avant; et que le débat sur l’âge de la retraite à été pris en otage par la volonté de cliver plutôt que de négocier les solutions. Pour le reste, inutile d’épiloguer : les agences de notation ont sanctionné nos dérives et le peuple français a tranché. Le résultat c’est que c’est qu’il nous revient de faire en sorte aujourd’hui que cesse » ce qui ne peut plus durer »
Ce titre vient d’une réflexion de Malraux dans un texte intitulé le Triangle Noir et qui fait le lien entre Laclos, Goya et Saint-Just : un écrivain, un peintre et un homme politique qui expriment, à un moment donné, chacun à leur façon, que l’ordre ancien doit plier ; que nous en sommes arrivés à l’un de ces moments dans l’histoire où le monde bascule parce que chacun en arrive au constat que « cela ne peut plus durer ». Nous nous y sommes risqués, en partant de ce qui nous a semblé une évidence : que la société française est arrivée à un point où elle attend d’abord du respect de ses dirigeants et de l’exemplarité de la part de ses élites. Ce sont nos deux premiers chapitres! Et de ce point de vue, nous nous retrouvons dans ce qui a été accompli.
Reste la suite. Et donc des révisions dans pas mal de domaines où les Gracques ne disent pas toujours ce qu’il est traditionnel de soutenir à gauche. Nous défendons la création de richesses et la compétitivité des entreprises ; ce qui nous éloigne des politiques de subventions à court terme qui calment la douleur mais coûtent cher et surtout retardent voire condamnent la modernisation. Nous encourageons l’imposition sur l’héritage et la réforme du quotient familial parce que ce sont des mesures justes, mais nous défendons l’épargne et donc les revenus du capital, tout simplement parce que la croissance a besoin de financer les investissements et que nous devons pour cela encourager les investisseurs. Nous soutenons une politique de production en France mais en laissant l’état à distance et en dénonçant les monopoles et les situations de rentes, a fortiori quand elles sont financées par le contribuable. Nous appelons de nos vœux une vraie réforme de l’Etat qui se traduise par de réelles économies et un meilleur service rendu au pays, et nous allons défendre pour cela des réformes structurelles dans l’éducation, la santé, les transports, le logement….
En disant cela, allons nous choquer ? On peut espérer que non. Parce que la gauche a muri et que l’élection de François Hollande change la donne. François Hollande était l’invité d’honneur de notre avant dernière université d’été. Ceux qui étaient là, boulevard Malesherbes, se rappellent que nous avions été frappés par sa détermination et par la réflexion qu’il avait engagée, qui n’était plus celle du premier secrétaire du PS: « Nous avons trop misé sur la demande disait-il notamment, il nous faut réinventer un discours de gauche qui fasse toute sa place à une approche par l’offre ». Il était alors déjà à sa façon, avec son histoire, sur la voie que nous qualifions de post social-démocrate.
Bien conduire le changement est d’une immense importance, tant les périls sont nombreux. Il suffit de compter le nombre impressionnant d’articles qui font référence à la crise des années 30, pour se convaincre de la gravité de la situation. Le front de l’euro est fragile. Derrière, ce sont toutes les économies européennes et même mondiales qui sont menacées. Nous écrivions dans un article du Monde intitulé « La bourse ou la vie » en 2008 : « vous avez aimé la faillite des banques? Si rien n’est fait, dans quelques temps, nous aurons rendez-vous la faillite des États » Oui , les États font faillite, la Grèce en est d’ailleurs à sa quatrième en 150 ans. Sauf qu’en 2008 Il a suffi qu’une banque tombe pour que la finance mondiale vacille. Après la Grèce, à qui le tour ? Que se passera t-il si les dominos ont la taille des états?
C’est de tout cela que nous allons parler aujourd’hui, sans tabous ni fausse naÏveté; en mettant au service de l’intérêt général à la fois ce que nous savons de la chose publique ; et ce que nous avons appris du monde privé, de l’entreprise, du monde réel où existe ce mot qui ne nous inspire ni peur, ni fascination, qu’est le marché.
Nous allons donc d’abord parler de la post social-démocratie, ce qu’elle implique comme révision politique en France et par rapport au vaste monde. Après, nous allons débattre de la crise économique, celle qui nous fait danser au dessous du volcan. Et puis nous parlerons de croissance, comment la susciter, avec des hommes d’entreprises et des regards amicaux venus d’ailleurs. Ensuite, nous traiterons de la réalité sociale et de la façon de concilier le besoin de protection et les nouvelles aspirations de la société avec ce monde qui change. Et enfin, nous conclurons par l’approche politique, en quelque sorte la synthèse opérationnelle : comment fait-on et quel projet la gauche doit-elle aujourd’hui défendre, en France et au-delà; bref, l’objectif et la méthode.
Un grand merci à tous ceux qui se sont donnés du mal pour organiser cette 4 eme université : à Marie, qu’on embrasse. À Jacques Galvani, notre secrétaire général qui animera le débat de cet après midi sur la production. À nos vice présidents Roger Godino et Dominique Villemot qui symbolisent si bien par leur engagement personnel comme professionnel notre fidélité à une certaine idée de la gauche. À toute l’équipe des fondateurs, c’est à dire les jeunes vétérans qui seront les animateurs des table-rondes: Gilles de Margerie, Philippe Tibi , Marie-Laure Sauty de Chalon. Merci à l’équipe des jeunes, qui veillent sur notre site et sur nos débats. Un message amical à ceux qui sont aujourd’hui dans les cabinets, qui bossent. Et un grand merci à nos invités, des vrais fidèles des Gracques: spécialement à nos invités étrangers et aux ministres qui, malgré leur agenda, ont choisi d’être avec nous. Et puis merci à vous tous d’être venus, parfois de loin. Il y a beaucoup de choses passionnantes à faire un samedi à Paris et de théâtres qui offrent des spectacles plus divertissants. Merci à vous qui avez choisi d’être ici.
Si vous êtes là, c’est parce que vous savez que la victoire de François Hollande et le résultat des législatives ne marquent que le signal d’un départ. Le chemin va être long. Notre rôle n’est plus de contribuer à la victoire de la gauche. C’est fait et les Gracques espèrent que la petite musique que nous avons jouée a pu y contribuer, aussi modestement cela fût-il. Notre rôle maintenant est de faire que cette victoire soit, non pas un moment entre deux moments, mais l’amorce d’une mutation, à la fois douce et profonde. Nous pensons en effet que l’avènement d’une post social démocratie française est l’enjeu de la nouvelle mandature.
Nous pouvons et nous voulons être un laboratoire de ces idées – là. Au service d’une gauche progressiste et européenne a qui revient le destin historique de faire passer la France de l’avant Bad-Godesberg à l’après Los Cabos : un autre monde…
Le moment post social démocrate est arrivé. Les Gracques continuent !
Kemal Dervis, vice-président de Brookings Institution, président du Conseil international de Akbank, ancien directeur général du PNUD, ancien ministre turc de l’économie.
Marcel Gauchet, philosophe et historien, directeur d’études à EHESS, rédacteur en chef de la revue Le Débat.
Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères.
Animateur : Gilles de Margerie
Gilles de Margerie :
La nouvelle équipe gouvernementale a conscience des défis futurs (maîtrise de la dette, gestion de la crise), ce qui implique une capacité à redonner à la France un rôle moteur en Europe.
Le compromis qui caractérise la social-démocratie européenne ne s’est jamais ancré dans la pratique politique française : comment pouvons-nous en France inventer un tel projet ?
(Interruption par La Barbe, constatant 21 intervenants masculins sur 24. Les Gracques ont retenu le message. Gilles de Margerie a rappelé que pour la première fois, nous avons un gouvernement qui respecte la parité.)
Marcel Gauchet :
Nous sommes les héritiers de la social-démocratie. Si ses recettes ont perdu de leur pertinence, l’héritage de justice sociale conserve toute son actualité. Quels sont les moyens ou les instruments qui peuvent être les siens dans le monde actuel ?
Il est tout d’abord nécessaire de faire le bilan de la social-démocratie, en particulier de ses limites : celles-ci découlent des changements intervenus dans la géographie économique mondiale, les changements dans les systèmes productifs (économie de la connaissance) et dans la société (individualisation par opposition aux classes sociales). La social-démocratie est-elle un socle incontestable ? Le modèle européen est-il encore pertinent ? Celui-ci semble historiquement dépassé puisque l’Europe est en train de s’aligner sur un programme libéral. Cette vision enferme les sociaux-démocrates dans une stratégie défensive. La gauche social-démocrate doit retrouver une audience sur fond d’un grand scepticisme. C’est à cette difficulté que va se trouver confronté, entre autres, le nouveau gouvernement français.
Répondre à ces défis suppose de reformuler un projet social-démocrate adapté au monde dans lequel nous vivons. Il doit reposer sur une gestion rigoureuse mais surtout sur une capacité de proposition.
La rupture sarkozyste constitue un antimodèle. L’échec de la stratégie de réforme sarkozyste est notable. Ainsi, la négociation avec des partenaires sociaux fantomatiques, car peu représentatifs, ne mènera à rien. La Gauche, en tant qu’héritière des Lumières, doit reprendre l’initiative. L’exigence de justice constitue une de ses composantes principales. C’est elle qui lui donnera la capacité de faire adhérer les populations à un projet raisonnable.
Le régime de technocratie bienveillante, ne prenant pas en compte les populations, est à bout de souffle. La décennie passée a consacré le vide doctrinal des gauches sociale-démocrates face à l’évolution de l’idéologie libérale. La crise a bouleversé cet ordre. La pensée sociale-démocrate peut reprendre l’initiative, par l’audace intellectuelle et la discussion sans sectarisme. Il faudra trouver la bonne grille de compréhension pour rendre intelligible la crise.
L’Etat incarne la sacro-sainte notion de service public, à laquelle il faut donner un contenu. Il faudra pour cela rendre les services publics plus efficaces, par opposition à la politique du moindre coût. Il s’agit de préserver la qualité future de l’hôpital public, pour lequel les Français ont le sentiment d’une dégradation progressive. Il s’agit également de la scolarisation de la petite enfance. Celle-ci ne se réduit pas au problème de garderie des enfants pour favoriser l’activité des femmes, mais constitue aussi une question de justice sociale. La notion de Travail doit être entièrement repensée. Certaines notions ont fait la preuve de leur nocivité : « travail non qualifié », « société post-industrielle ». L’exemple de l’Allemagne montre que ces notions, en plus d’être dégradantes pour les individus, n’ont aucun sens. Il apparaît indispensable que la social-démocratie remette le travail au centre de la société et restaure la dignité des personnes.
Kemal Dervis :
La social-démocratie ne doit subir aucun changement radical : les grands principes demeurent. Dans un contexte globalisé, le défi réel est celui des outils.
Si l’on parle post social-démocratie, il faudrait également parler de post-libéralisme car la Droite est confrontée aux mêmes difficultés que la Gauche, en premier lieu, l’incapacité à alimenter une croissance soutenable dans les pays développés. La dette brute des USA est plus importante que celle de l’Eurozone, relativement à la richesse nationale. Le second problème de la concentration des revenus alarme de plus en plus aux Etats-Unis, où 1% des plus riches ont reçu 24% des revenus en 2007. Ce constat s’applique également à la Chine, tandis que l’Europe fait jusqu’à présent exception. Mais le modèle européen pourrait être contraint de s’aligner du fait de la crise actuelle.
Kemal Dervis envisage deux chantiers majeurs pour la social-démocratie :
1er chantier : une réponse social-démocrate à chaque niveau. Dani Rodrik, professeur à Harvard, explique qu’il faut ralentir la mondialisation, qui a pris le pas face à la démocratie. Il faut utiliser la grille des quatre niveaux de gouvernance : niveau local (cité, région), Etat-Nation, continental (surtout en Europe), niveau mondial, pour appliquer à chacun de ces niveaux les principes de la social-démocratie de façon cohérente. Un contre-exemple frappant est la nomination comme conseiller de Barack Obama du CEO de General Motors. Il s’est avéré un peu plus tard que GM ne payait pas d’impôts aux Etats-Unis, ce qui a créé un scandale.
2ème chantier : L’organisation du travail. Celle-ci passe notamment par la formation tout au long de la vie, la flexibilisation de la retraite pour prendre en compte les choix personnels. En matière d’immigration, face à la Droite qui reprend l’initiative (Romney veut accorder des permis de séjours permanents aux étrangers ayant obtenu un diplôme supérieur), la Gauche ne peut se limiter à l’immigration familiale.
Hubert Védrine :
Parler de post social-démocratie supposerait qu’elle soit morte. Or, bien qu’il y ait peu de sociaux-démocrates en dehors d’Europe, les sociétés développent ce type d’aspirations. Y a-t-il des sociaux-démocrates dans les pays émergents ? S’ils n’existent pas, il faudra s’allier avec les courants qui leur sont les plus proches.
Rien ne dit à l’avance que ce sont les sociaux-démocrates qui réussiront le mieux à prendre en compte les défis de demain. Réussiront-ils à établir une croissance durable, sans bulles spéculatives, dans laquelle le système financier serait revenu aux fondamentaux ? En outre, la social-démocratie se doit d’introduire la transition écologique, et ne peut la sous-traiter. Cette transition, qui inclurait la comptabilité des stocks et non celle des seuls flux, peut être source de croissance.
Le sentiment d’impuissance ronge la démocratie. La démocratie représentative a besoin d’un nouveau souffle, qui peut prendre la forme de la démocratie participative.
Dans un contexte de compétition internationale, les Européens hésitent entre un paradis moral, éthique ou une entité de puissance raisonnable. Les Européens sont plutôt hostiles à la notion d’Europe puissance mais souhaitent un vaste espace protégé. Ces questions se cristallisent sur celles des mouvements migratoires. Cet enjeu complexe se présente différemment en fonction des régions, avec en particulier la forte croissance des migrations Sud-Sud. Il convient d’ajuster les flux aux capacités d’accueil.
Parce que les occidentaux n’ont plus le monopole de la puissance, les Européens souffrent du sentiment anxiogène de perte de pouvoir, perte de citoyenneté. Ils sont confrontés à un choix : stabiliser la ligne politique et les limites géographiques de l’Union Européenne. En particulier, il sera nécessaire de déterminer une fois pour toutes les limites de l’UE et d’envisager la suppression du commissariat à l’élargissement quand ce processus sera achevé.
Gilles de Margerie :
La vie de la société française se caractérise par la faiblesse du dialogue social. L’Etat doit être capable d’insuffler un nouveau souffle aux négociations entre partenaires sociaux. Quelle est la légitimité politique d’une Union Européenne qui s’est dotée des apparences de légitimité démocratique ?
Kemal Dervis :
Les partis politiques sociaux-démocrates devraient compter dans leurs instances dirigeantes au moins un dixième de représentants venus d’autres pays européens.
Hubert Védrine :
Les aspirations doivent trouver un cadre. Rien ne se substituera à la légitimité des institutions nationales. Les divergences nationales sont plus fortes : la langue est une barrière, l’éloignement aussi. La comparaison avec les Etats-Unis a d’importantes limites. Il est donc important d’organiser la complémentarité des niveaux de décision.
Marcel Gauchet :
L’évolution de l’offre politique est allée à rebours de la demande sociale. L’exaltation de la société civile (« dialogue social ») ne signifie rien. Une société hyper-différenciée, individualisée est une société où la capacité d’expression publique est limitée, d’où la crise de la représentation.
Le système de la construction européenne est aujourd’hui dépassé. La Commission européenne ne pourra pas devenir le nouvel exécutif européen. Par rapport au choc de la mondialisation, les institutions européennes sont incapables d’articuler une réponse.
Il existe des contradictions entre les codes génétiques des partis socialistes ou sociaux-démocrates, qui sont essentiellement nationaux. Seront-ils capables de transcender leurs racines nationales ? En particulier, le parti Socialiste français est un parti d’élus, que les questions transnationales les intéressent peu. Il faut faire de l’Europe un espace clivé politiquement.
Kemal Dervis :
Le parti du Travail Brésilien, le parti du Congrès Indien seront des partenaires futurs.
La prise en compte dans la conscience nationale du niveau mondial est un défi comparable à celui de la prise en compte de l’intérêt général. Il s’agit d’un saut de conscience du même ordre.
Daniel Cohen, professeur d’économie à l’Ecole Normale Supérieure, membre du Conseil d’Analyse Economique (CAE).
Guillaume Hannezo, membre fondateur des Gracques, ancien conseiller économique de François Mitterrand.
Ana Palacio, ancienne ministre des affaires étrangères d’Espagne, ancienne vice-présidente de la Banque Mondiale.
Animateur : Philippe Tibi
Ana Palacio :
(En réponse à La Barbe, Ana Palacio a insisté sur défi de la présence des femmes).
Le défi européen est un défi du centre (social-démocrate ou PPE) : avec la crise, les extrêmes sont dans une situation plus favorable que le centre.
Nous sommes confrontés à un changement de tempo, qui remet en cause les accords économiques établis dans le contexte relativement stable de la guerre froide. La légitimité politique initiale des pères fondateurs a été remplacée par une légitimité fonctionnelle (technocratie de la Commission Européenne), la participation aux élections européennes diminue, le moteur franco-allemand a volé en éclats, personne ne s’est tourné vers la Commission lors de la crise, les institutions ont fait la preuve de leur inefficacité : c’est le pouvoir qui prend le dessus, entraînant une hégémonie allemande. Les concessions allemandes ont été à chaque fois réalisées trop tard pour qu’elles soient efficaces, entraînant une crise de confiance entre le Sud et le Nord. Au débat politique s’est superposé un débat moral (Sud paresseux, Nord rigide). Le sentiment de pessimisme européen est encore plus poussé en France.
Il n’y aura pas d’Union bancaire sans cession de souveraineté.
Au niveau national, il faudra développer des Etats performants et faire le tri entre ce que nous pouvons garder et ce que nous devons réformer.
Daniel Cohen :
La crise nous fournit plusieurs enseignements. L’économie et le politique tirent dans des directions opposées. Les crises se propagent, sans aucune force de rappel car le politique a perdu trois moyens de les contrôler :
– l’abandon de la politique monétaire nationale. Si l’indépendance de la banque centrale face au risque inflationniste n’avait pas été à la base de la construction européenne, nous aurions pu garder des moyens d’intervention. Une monnaie sans Etat ne fonctionne pas.
– la place devenue trop importante du secteur financier rend le bail-out impossible. Avec la financiarisation de l’économie, les bilans des établissements financiers européens sont de plus de 100% du PIB. On ne peut pas sauver des banques que l’on n’a pas supervisées au préalable (on n’achète pas une police d’assurance quand l’incendie a lieu). Les Allemands ont compris qu’ils allaient financer les banques espagnoles.
– l’absence de mécanismes fédéraux de péréquation. Aux Etats-Unis, quand la Californie est atteinte, elle peut compter sur des mécanismes fédéraux de péréquation. En Europe, ce n’est pas le cas pour la Grèce. Il aurait fallu penser à cela dès le départ.
Le pouvoir politique s’est enfermé dans ses prérogatives et n’a pas su se dépasser. Le chaos « Merkozy », incapable de gérer la crise, a ouvert la voie au FMI. La réunion de Rome a été un échec basé sur de faux semblants et une fausse prise de décision (10 milliards de recapitalisation de BEI déjà actés). La crise induit un besoin de mesures discrétionnaires. Le sommet européen d’hier a été une excellente surprise. L’accord vise à créer une union bancaire qui soutiendra les banques espagnoles notamment. Une instance de supervision européenne disposera des moyens de recapitaliser les banques en difficulté au niveau fédéral, sans déstabiliser les Etats (droit de tirage sur une caisse mutualisée de 700 milliards d’euros). Ceci va entraîner en retour un besoin de contrôle (d’où un besoin d’instances de légitimité) qui pourra renforcer le poids du Parlement Européen. Mais il faudrait pour cela un sous-groupe représentant uniquement l’Eurozone.
Guillaume Hannezo :
Nous nous retrouvons confrontés au vice de conception originel de l’union monétaire, qui a été accentué par le laxisme. L’Union monétaire devait n’être qu’une étape, mais la PECS a volé en éclat, notamment du fait des « laxistes » et des « cyniques ». De plus, Contrairement à l’aspect budgétaire, la possibilité d’une crise bancaire n’avait pas été pris en compte (les banques avaient alors un poids moins important dans l’économie).
La crise actuelle est une Crise de balance des paiements: les déséquilibres de compétitivité se sont accentués sous le parapluie allemand. Cette crise des balances de paiements ne pourra être règlée que par une politique coordonnée.
En effet, L’Eurozone intégrée serait le seul triple A du monde. Mais elle doit être rééquilibrée: pas avec un président du pouvoir d’achat, mais avec un chancelier du pouvoir d’achat ! Sans cela, les anticipations des marchés, à savoir un éclatement de l’euro, se réaliseront.
Avec le sommet européen d’hier, les spéculateurs pourraient pour une fois perdre de l’argent pour avoir sous-estimé les dirigeants européens (jusqu’à présent, ils étaient continûment en dessous des attentes).
Philippe Tibi :
Y a-t-il une sortie par le haut possible ?
Ana Palacio :
L’Espagne a obtenu le découplement entre dette souveraine et sauvetage des banques. L’Espagne s’est développée très rapidement (à l’instar de Singapour, de l’Irlande), mais ce développement a aussi laissé des asymétries effarantes, en particulier, un Chômage structurel aberrant.
Trois pistes de réforme pour l’Espagne:
– les syndicats. En Espagne, les syndicats sont financés par l’Etat, et non par les travailleurs. Ceci les a figé
– l’emploi public. l’Espagne ne peut pas de permettre 3 millions d’employés publics, parmi lesquels beaucoup de doublons.
– la formation professionnelle. Après Franco, la formation professionnelle avait été démantelée au profit d’une formation universitaire. Ce type de formation devrait être renforcé.
Malgré ces défis, L’Espagne reste un pays avec une vivacité extraordinaire et a les moyens de se redresser.
Philippe Tibi :
La dette va-t-elle tuer l’Etat Providence ?
Daniel Cohen :
L’Etat seul n’est pas responsable ni impacté : l’Irlande, l’Espagne avaient un faible endettement public, et ont pourtant été fortement touchées par la crise. L’Euro a renforcé la crise dans les pays fragiles et appuyé les pays forts.
Nous avons en Europe une Chine, qui accumule les excédents : l’Allemagne (son excédent va dépasser celui de la Chine cette année). L’Allemagne s’est imposée une purge salariale. La purge salariale va-t-elle s’imposer partout ou l’Allemagne va-t-elle augmenter ses salaires ?
Un autre immense danger nous menace : La Commission Européenne, parent pauvre de ces négociations, reprend la main avec des normes rigides (objectifs budgétaires intenables). Ceci renforcerait encore le caractère de plus en plus procyclique de la politique économique européenne.
Guillaume Hannezo :
Il faut d’abord restaurer la confiance. Il faudrait que l’Union Européenne puisse augmenter la TVA dans les Etats qui dérivent.
Franco Bassanini, président de la caisse des dépôts et consignations italienne, ancien ministre de la Réforme de l’Etat.
Gil Rémillard, président du Forum économique des Amériques, ancien ministre du Québec.
Pierre Vilpoux, vice-président du SYNNOV.
Lionel Zinsou, président de PAI Partners.
Animateur : Jacques Galvani
Jacques Galvani :
La croissance se décline au niveau macro (grands aggrégats tels que consommation, investissement, dépenses publiques) et microéconomique (innovation, décisions individuelles), et recouvre un caractère exogène (environnement international, chocs technologiques) aussi bien qu’endogène (confiance, …). Il s’agit d’un défi, par nature complexe, inscrit dans l’agenda européen.
Comment établir une politique de croissance consensuelle en Europe ?
Franco Bassanini :
La croissance doit être appréhendée au niveau européen, plutôt qu’au niveau national. Les problèmes de la stabilité financière et de la crise des dettes souveraines ne pourront être résolus dans le moyen et le long terme sans reprendre la voie de la croissance (« a strong, inclusive and sustainable growth » appelée de ses vœux lors de la conclusion du sommet européen).
La crise actuelle a son épicentre en Europe, du fait des déséquilibres macroéconomiques qui demeurent en son sein. Cette situation de crise contraste avec le fait que L’Europe a moins de dettes que la plupart des Etats développés et plus d’épargne.
Malgré les contraintes liées à la crise, poursuivre le chemin de la croissance impose de maintenir des sources de financement de la recherche, des infrastructures, du capital humain. C’est pourquoi Franco Bassanini propose que les règles d’austérité ne s’appliquent pas à certains investissements. Il faudrait favoriser les investissements de long terme (ceux qui présentent des collatéraux, des externalités, qui sont porteurs d’avenir). De même, des règles identiques ne doivent pas s’appliquer aux banques de détail et aux activités de marché.
Comme la crise va durablement limiter les capacités de financement du long terme, particulièrement dans le Sud de l’Europe, Franco Bassanini propose de mieux capter l’excès d’épargne qui provient des pays émergents (35 000 milliards d’euros, que les systèmes financiers de ces pays ne sont pas encore en mesure d’absorber). Si cela est nécessaire, il faudra penser à la cession de souveraineté nationale aux institutions européennes, afin d’augmenter l’attractivité.
Gil Remillard :
Il faut également considérer la situation Nord Américaine, qui n’est guère enviable par rapport à l’Europe et où le besoin d’outils de croissance est également majeur. A l’instar de l’Europe, le Canada aussi vit une crise d’intégration.
Il n’existe pas de conflit entre austérité et croissance, il faut être en mesure de réaliser les deux. Gil Remillard distingue trois facteurs fondamentaux de la croissance: Innovation, Productivité et Compétitivité.
– Innovation. L’économie évoluant au même rythme que l’humain, l’innovation est un aspect clé de la croissance. Cette innovation doit également être rendue accessible au plus grand nombre : c’est le défi de la médecine personnalisée par exemple (chacun pourrait obtenir un traitement efficace pour son cancer, mais à condition de pouvoir débourser des dizaines de milliers de dollars par jour !).
L’innovation demande un investissement, qui est particulièrement difficile pour les PME. Il existe aussi des barrières règlementaires au niveau international, dont certaines doivent être levées. A cet égard, Gil Remillard se félicite de l’établissement d’un brevet unique au niveau européen.
– Productivité. Répondre au défi de la recherche du talent nécessite une reconnaissance internationale des qualifications. Gil Remillard a participé à la reconnaissance des qualifications professionnelles entre Québec et France. Développer un pont entre Europe et Amérique, en particulier, permettrait d’utiliser au mieux les complémentarités internationales.
– Compétitivité. La compétitivité passe par la montée en gamme des produits. Il s’agit également de prendre en compte l’environnement, pour lequel l’Europe a de l’avance. La compétitivité passe enfin par la monnaie.
Pierre Vilpoux :
Pierre Vilpoux a vécu l’Europe comme citoyen, en vivant en France, en Angleterre et en Espagne et comme entrepreneur, en créant des entreprises en France, en Espagne. Pour lui, il existe un fort potentiel de croissance. Synnov, syndicat de l’Innovation, considère ainsi qu’il y a 1 million d’emplois à créer en France à travers l’innovation.
L’enjeu principal est celui de la vitesse d’exécution. Comment accélérer les processus pour une entreprise ? Il convient d’être à l’écoute de l’innovation, de savoir l’utiliser. Beaucoup d’initiatives peuvent être mises en œuvre :
– partenariats PME – grands groupes. Auparavant, l’innovation se faisait dans les grands groupes, tandis qu’elle se fait aujourd’hui de plus en plus dans les PME. Faciliter le travail entre grands groupes et PME permettrait de l’accélérer considérablement. Pierre Vilpoux propose un bonus de crédit impôt recherche pour les grands groupes travaillant en partenariat avec des PME.
– internationalisation. Alors qu’en France, les PME innovantes ont du mal à être internationales, ce n’est pas le cas en israël et aux Etats-Unis. Il faut mutualiser les représentations économiques européennes ce qui permettra des économies et plus d’efficacité.
– simplifier les démarches administratives pour les PME sur l’accès aux financements publics, et résoudre le problème critique de financement des PME innovantes.
– s’appuyer sur les écosystèmes locaux et des investissements structurants. Des investissements d’infrastructures doivent être réalisés, qui ne sont pas nécessairement matérielles, et autour desquels va se développer un écosystème d’entreprises innovantes. Par exemple, la filière « smart grids » permettra de décentraliser les différentes sources de production d’énerie européennes, d’optimiser les besoins en production et de favoriser le développement d’innovations dans un secteur énergétique en pleine mutation.
Concernant les 75% de taxation sur les très hauts revenus, Pierre Vilpoux remarque que cela ne concerne pas réellement les entrepreneurs, car seule une minorité gagne beaucoup. Toutefois, il regrette le message symbolique adressé aux entrepreneurs français, que David Cameron a exploité avec malice, rappelant du même coup que la Grande Bretagne a bien une stratégique de communication vis-à-vis des entrepreneurs, y compris étrangers.
Jacques Galvani :
Comment créer un environnement propice à la croissance ?
Franco Bassanini :
La stabilité règlementaire est essentielle. Il convient également de diminuer les coûts de la bureaucratie par la simplification, sauf pour ce qui est nécessaire. Le financement public doit être réduit, au profit des incitations fiscales. L’instrument de garanties publiques (project bonds) peut également être utilisé.
Lionel Zinsou :
Lionel Zinsou s’associe à Franco Bassanini pour un plaidoyer en faveur de l’épargne longue. Il rappelle qu’il y a dix ans, la France était dans le peloton de tête de la croissance en Europe, avec un excédent commercial. Le Gisement de l’épargne est important en Europe et devrait être mobilisé pour l’investissement.
– secteur public. L’agent Etat (en général) crée de l’épargne dès qu’il réalise des économie de frais de fonctionnement. L‘investissement est réalisé principalement par les collectivités territoriales (70% de l’investissement), donc au niveau décentralisé. Dans le même temps, Le FSI va être régionalisé, ce qui accroît cette dimension locale de l’investissement.
– ménages. L’avantage à l’épargne longue sert beaucoup au logement et peu à l’industrie. Quand les ménages épargnent 17%, ils en consacrent plus de la moitié dans l’immobilier. Il existe par conséquent un sur-financement du logement (à l’origine des bulles immobilières) et un sous-financement de l’industrie.
– entreprises. Il faudra régler le problème des profits non distribués.
Le partage de la valeur ajoutée pose problème : ce n’est pas le partage entre salaires et marges qui doit être repensé, mais plutôt les inégalités au sein de ces catégories :
– profits. Il faudra réfléchir à augmenter les profits des petites et des moyennes entreprises, qui ont vu leur profits se dégrader depuis 10 ans. Il faudra également augmenter la part consacrée à l’investissement.
– salaires. Ce n’est pas tant la part des salaires dans la Valeur Ajoutée qui pose problème que les inégalités entre les salaires.
Lionel Zinsou conclut en remarquant que le budget de l’Union Européenne ne représente que 1% du PIB Européen.
Chère Amie, Cher Ami,
Comme vous le savez déjà, l‘université d’été des Gracques se tiendra le samedi 30 juin, de 9H30 à 18H00, au Théâtre de La Villette, 211 avenue Jean Jaurès Paris (19ème), sur le thème : « La post social-démocratie à l’épreuve du changement ». Pour en découvrir plus sur cette manifestation, qui sera la quatrième édition de nos universités d’été, rendez-vous sur l’article que nous y avons déjà consacré sur notre site.
Pour vous y inscrire dès aujourd’hui et nous permettre de vous donner la priorité, rien de plus simple : il vous suffit de cliquer ici et de remplir le formulaire qui vous sera proposé. Nous pourrons ainsi enreigstrer votre demande et prévoir votre venue le samedi 30 juin.
N’hésitez pas à nous contacter par mail à l’adresse contact.lesgracques@orange.fr pour toute question.
En attendant le plaisir de vous accueillir le 30 juin,
Bien amicalement,
Les Gracques
En présentant dès l’automne nos propositions dans un livre, nous voulions faire passer les sujets de fond avant les compétitions de personnes. Comment mieux vivre ensemble ? Comment faire redémarrer la croissance et l’ascenseur social ? Comment réinventer notre destin avec l’Europe?…
Voici le texte complet de notre article paru dans Le Point
Mieux vivre ensemble. Notre société est soudée par ses peurs au lieu de l’être par l’espérance collective et le respect d’autrui…Pour retrouver confiance, il faudra beaucoup de concret et d’exemplarité : assurer à chacun un toit, un emploi, une formation utile, l’accès au système de soins, la sécurité pour soi et les siens ; et montrer que les efforts seront partagés, les rentes abandonnées, la justice appliquée, sans discrimination de sexe, d’âge ni d’origine. Ce fut dit dans la campagne, un peu…
Retrouver la croissance. Nous dépensons trop et mal. Résultat : nous laissons aux jeunes le chômage, la dette, le financement de la retraite et de la santé. Les candidats visitent les haut-fourneaux, mais ce sont les nouvelles technologies, les énergies renouvelables et l’innovation qui sont les leviers de la croissance. La hausse de la fiscalité ne résoudra pas tout : ce sont nos entreprises qui créent des emplois, pas nos impôts. Il faudra donc réduire certaines dépenses publiques, favoriser la croissance par l’investissement, encourager les entrepreneurs de demain. Ce fut un peu dit, dans la campagne, trop peu.
Exister avec l’Europe dans le monde. La puissance ne se compte plus en chars. Elle repose sur l’attractivité du territoire, la compétitivité des entreprises, la qualité de l’éducation, notre gestion de la zone Euro. Autant d’objectifs qui relèvent d’un double défi, national et européen. Ce fut peu dit dans la campagne, si peu.
C’est de tout cela pourtant que dépend notre avenir commun.
L’avenir de tous. Y compris de cette France protestataire qui pèse un tiers de l’électorat, celle dont on traite les frustrations entre grand soir fiscal et viande Hallal, de l’argent des riches à la viande des pauvres. Lorsqu’ils se rebellent contre la perte de leurs emplois comme contre l’insécurité dans les cités, les exclus rappellent les politiques à leurs devoirs essentiels.
Il est facile de tout mettre sur le dos de boucs émissaires commodes tels l’immigration et la mondialisation financière. Il faudra de la solidarité pour répondre à l’angoisse des plus défavorisés mais aussi de la croissance pour préserver la production et l’emploi. Nous devrons donc motiver ceux qui en sont les moteurs, entrepreneurs, salariés qualifiés et investisseurs en tête. Notre pays ne réussira qu’en rassemblant ses talents.
Voilà les défis qui attendent la France de 2012. Nous somme capables de nous adapter au monde qui change. Saurons-nous le faire dans la cohésion sociale, en donnant leurs chances aux nouvelles générations? Et qui peut le mieux nous guider dans cette voie ?
Pour nous, le programme de François Hollande répond plus aux besoins du pays que celui de Nicolas Sarkozy. Car il entraînera mieux la majorité de la société française dans la voie des changements essentiels à nos yeux : sur les jeunes, l’Europe, la méthode de gouvernement.
La priorité accordée à la jeunesse est essentielle, puisqu’elle est porteuse de priorités politiques structurantes, seules à même d’éviter la désespérance de la société, le conflit des générations et le déclin de la France. Son choix européen, notamment sa volonté de prendre en compte la croissance du continent, nous paraît aussi le mieux assuré.
Quant à sa volonté de privilégier le dialogue social, elle est la seule voie pour négocier les profonds changements nécessaires en matière de travail, d’administration de l’Etat, d’organisation territoriale, de réformes structurantes comme pour les retraites et le système de santé. Tous les hommes d’entreprise le savent : le changement n’est accepté que lorsqu’il est expliqué et négocié. C’est ce qui a fait le succès des Scandinaves.On ne préside pas un pays en dressant des Français contre d’autres Français. L’absence d’écoute du candidat Sarkozy, pire son rejet des corps intermédiaires, nous apparaît aussi dangereux qu’inapproprié. Une démocratie qui marche a toujours autant d’autorité qu’un chef qui veut seul trancher de tout ; plus d’efficacité, aussi…
Certes, les solutions à gauche valorisent le levier fiscal par rapport à la baisse des dépenses. A droite, on retrouve la même inclinaison pour la taxation, au contraire de l’Allemagne pourtant citée en modèle. Nos déficits n’ont ainsi cessé de se creuser, au-delà des effets de la crise, en dépit du diagnostic de « quasi-faillite » établi par le Premier ministre au début de son mandat.
Il faudra donc faire des économies dans nos dépenses publiques. Puisqu’elles ne se feront pas sur l’école, la police, la justice, ni la recherche, elles se feront ailleurs : sur la gestion de l’Etat et de nos collectivités territoriales, notamment.
Et puisque nous appelions il y a 5 ans à une recomposition politique, constatons que le sujet n’est pas clos, même s’il se pose en des termes différents. Le premier tour l’a montré : la sympathie pour les idées que défend François Bayrou n’a pas recueilli les votes de 2007. Pour autant, la droitisation de la campagne de Nicolas Sarkozy, confirmée au soir du premier tour, est inacceptable pour ses électeurs. Alors que le dessein démocrate, social, européen et humaniste qu’il représente a toute sa place pour amplifier la dynamique du changement dans le pays, sans céder au populisme et à la démagogie. Ceux qui ont voté François Bayrou se retrouveront ainsi plus dans le gouvernement respectueux de François Hollande que dans l’exercice solitaire du pouvoir de la démocratie référendaire prônée par Nicolas Sarkozy.
L’ampleur du rétablissement à accomplir milite donc en faveur d’un élan partagé entre la gauche, les écologistes et le centre face au camp conservateur et aux extrêmismes. L’offre politique en sera clarifiée. Les Français, avec un système électoral en partie proportionnel, seront réconciliés avec leurs représentants et avec l’Europe. La France pourra alors entrer avec François Hollande dans le XXIème siècle : une France vraiment forte, parce que largement rassemblée autour d’une économie sociale de marché.
« Ce qui ne peut plus durer », Albin Michel
Nous avons porté huit tables rondes sur des sujets divers tels que l’écologie, l’immigration, l’entreprise, l’eau ou, à l’invitation de la rédaction de Libération la gauche moderne, et décliné nos propositions sur ces sujets. Réorganisation de nos transports en faveur du fret et des autocars, plus efficaces écologiquement et économiquement, séparation des banques de dépôts et des banques d’investissement, bouclier sanitaire, mise en place d’une fiscalité beaucoup plus progressive, libération de terrains publics pour soutenir massivement la construction de nouveaux logements, réforme du quotient familial…
Toutes ces mesures, que nous défendons depuis longtemps et que nous sommes heureux de voir reprises en grande partie dans le programme du PS, sont nécessaires.
Nécessaires pour la France bien sûr, car elles augmentent à long terme son potentiel de croissance sans sacrifier la génération d’aujourd’hui, mais aussi nécessaires pour une gauche moderne, car elles sont réalistes. Ce qui différencie la gauche française de toutes les autres gauches européennes, c’est qu’elle est incapable de gagner deux élections générales de suite, donc de gagner sur son bilan, et non sur son programme.
A la question « Qu’est-ce qu’une gauche moderne? », nous avons donc répondu que c’était avant tout une gauche durable, une gauche qui comme le déclarait François Hollande, ne veut rien promettre qu’elle ne pourra tenir.
Vous pouvez retrouver certaines de ces conférences en ligne ici
Si vous souhaitez également retrouver toutes nos propositions n’hésitez pas à consulter notre ouvrage Ce qui ne peut plus durer (édition Albin Michel, septembre 2011).
Si les Gracques ont un point de vue progressiste sur la société, c’est notamment parce qu’ils et elles sont pour beaucoup des hommes et des femmes d’entreprises, confrontés directement et quotidiennement aux défis de la compétition économique. Mais il faut bien constater que l’entreprise reste en général difficile à penser pour la gauche française, et qu’elle a souvent été le bouc émissaire des programmes de gouvernement : objet purement macro-économique, considéré au mieux comme un sujet de droit social et fiscal, au pire comme responsable de l’aliénation des salariés et espace privilégié de la lutte des classes. Un point de vue à faire évoluer d’urgence, car l’entreprise revient à juste titre au cœur du débat présidentiel, comme source de la création de richesse et d’activité permettant de résoudre nos grands déséquilibres – budgétaires, sociaux, commerciaux.
Notre point de vue de Gracques, c’est que nous pouvons et nous devons avoir un discours de gauche sur l’entreprise qui soit sans caricature, à la fois réaliste et optimiste : lieu où les individus sont à la fois salariés, consommateurs, parfois actionnaires et toujours citoyens ; lieu de vie et d’échanges; lieu de conflit mais aussi de lien social ; lieu possible pour la réforme et l’expérimentation sociétale. Bref, une vision de l’entreprise qui ne se satisfasse pas de la résignation néolibérale à la loi du plus fort et du tous contre tous, et une approche qui réconcilie les français avec le travail en rendant les citoyens plus entrepreneurs et les entreprises plus citoyennes.
La note que nous publions aujourd’hui est une tentative pour penser une réforme globale du fonctionnement de l’entreprise qui tienne compte de la complexité de l’économie de marché mondialisée. Elle tire les conséquences du naufrage, dans la crise financière globale, d’un capitalisme excessivement dérégulé qui sacralise le cours de bourse. Elle donne les pistes pour instaurer un capitalisme modernisé qui reconnaisse et renforce l’utilité sociale de l’entreprise, en alliant création de valeur et respect des valeurs. Elle propose des solutions concrètes, opératoires, pour réconcilier (à défaut de réaligner) les intérêts des protagonistes de la vie de l’entreprise : des actionnaires aux syndicats en passant par les dirigeants et les salariés.
Bonne lecture !
Le rapport des Français avec l’entreprise n’a jamais été simple. Aujourd’hui encore, les entreprises sont l’objet d’un paradoxe majeur.
Si la plupart des Français s’accommodent de l’économie de marché, il est clair cependant qu’ils souhaitent un capitalisme plus respectueux des équilibres sociaux et environnementaux. Ils désirent que l’activité de l’entreprise soit plus bénéfique à l’intérêt de la société et moins exclusivement à celui de ses actionnaires.
Dès lors, un projet pour le prochain gouvernement pourrait être d’équilibrer le partage capitalistique français : faire naître un capitalisme nouveau, efficace, mais aussi plus conforme aux valeurs fondamentales portées par les Européens et plus particulièrement par les Français. En un mot, réconcilier l’efficacité capitaliste avec l’équité, la motivation du profit avec son partage.
L’attitude réformiste que nous proposons d’adopter se distingue tant des tentatives de moralisation du comportement des dirigeants, que des politiques dites de « développement durable » ou de « responsabilité sociale des entreprises », qui, tout en étant indispensables, reposent in fine pour une trop large part sur la bonne volonté des dirigeants. Or les dirigeants étant soumis aux actionnaires, seuls les actionnaires adoptant un comportement éthique peuvent avoir du poids.
Notre conviction est qu’il est plus efficace de faire appel à la motivation économique classique des acteurs, et d’en changer les conditions pour que cette motivation conduise à un meilleur respect des intérêts de la société. Autrement dit, pour réaligner l’intérêt de l’entreprise sur l’intérêt général c’est sur l’intérêt bien compris des acteurs qu’il faut agir.
Nous proposons d’agir sur 3 leviers pour réformer le capitalisme et mieux le soumettre à l’intérêt général :
réenchanter le travail par une meilleure gouvernance interne de l’entreprise ;
donner un nouveau souffle aux relations sociales ;
mieux aligner les intérêts de l’entreprise avec ceux de la société : faire évoluer la manière dont l’entreprise rend des comptes à la société.
3.1. Réformer la gouvernance interne de l’entreprise
L’ambition de ce nouveau capitalisme est de replacer le respect du travail au centre de l’entreprise.
Sa principale innovation sera de redéfinir un statut du travail donnant au salarié le sentiment qu’il est un acteur qui compte dans la vie de l’entreprise.
Deux voies principales sont à explorer en ce sens : la première est celle d’une réforme de la gouvernance interne de l’entreprise, visant à modifier la nature du rapport des salariés à l’entreprise ; la seconde est celle d’une évolution des relations sociales au sein de l’entreprise.
Il n’est plus acceptable que le travail soit considéré comme une marchandise régulée par un marché. Il faut faire en sorte, dans l’intérêt des deux parties, que le travail devienne participation à une œuvre commune. Un contrat de libre association unit les différents partenaires, même s’ils ont des droits et des devoirs de natures différentes, dans une structure d’échange réciproque.
En d’autres termes, il faut réhabiliter l’idée selon laquelle l’entreprise est une communauté de destin d’individus vivant du même projet productif. Cette mutation qualitative contribuera à changer ce que le travail salarié représente pour l’individu : le regard du salarié, devenu citoyen de l’entreprise, va pouvoir changer car l’aliénation subie (ou consentie) sera remplacée par un acte libre et volontaire au travers duquel le travailleur aura gagné une dignité nouvelle.
Les organisations productives qui trouveront le moyen de désaliéner le travail connaîtront à terme une compétitivité plus grande.
Pourquoi ? Car une entreprise disposant d’un excellent réseau de relations internes, par le jeu notamment de la qualité du travail de son conseil de surveillance où figurent actionnaires et salariés, devrait voir se développer un moral et une morale d’ordre supérieur. Et une telle entreprise pourrait alors avoir foi en son avenir, quel que soit son devenir, car elle devrait développer tout un ensemble de motivations positives évidentes dont il résulterait à la fois une plus grande satisfaction à y travailler et une productivité meilleure.
Pour réussir, une entreprise a besoin de quelque chose d’autre que du capital et du travail : elle a un certain état d’esprit collectif dont la présence ou l’absence fait bien souvent la différence en termes de productivité. La participation des salariés à la gouvernance de l’entreprise n’est rien d’autre que la mise en œuvre de ce projet social
L’innovation principale dont ce contrat pourrait être porteur est celle consistant à réorganiser la gouvernance de l’entreprise entre un directoire et un conseil de surveillance, plutôt qu’entre un président et un conseil d’administration. Le conseil de surveillance associerait des représentants des différentes parties prenantes de l’entreprise, et notamment des représentants élus des salariés, qui auraient un rôle délibératif et non pas seulement consultatif.
Le conseil de surveillance contrôle, et le directoire dirige. C’est le conseil de surveillance qui désignera le directoire, éventuellement sur proposition des représentants des actionnaires exclusivement. Le directoire détiendra, seul, le pouvoir exécutif, en rendant des comptes périodiquement au conseil de surveillance. Le conseil de surveillance devra notamment approuver la stratégie de l’entreprise, son bilan financier, social et environnemental de l’entreprise. Il donnera quitus au directoire pour la gestion de l’entreprise.
En ce qui concerne les groupes, notre proposition est que cette réforme s’applique pleinement aux filiales françaises de groupes internationaux, et, inversement, que les comités de groupe des groupes français multinationaux associent des représentants de l’ensemble de leurs salariés.
La holding ou le groupe étranger n’auront ainsi plus, dans notre proposition, la possibilité de prendre des décisions seuls face aux problèmes concernant leur filiale : tout choix ayant une incidence sur elle devra être approuvé par son conseil de surveillance.
Ce conseil de surveillance ne ressemble pas à nos actuels conseils d’administration, qu’ils ont vocation à remplacer. Un organe de surveillance et de contrôle s’installe entre les actionnaires et le pouvoir de gestion, mais, dans ce conseil de surveillance, les actionnaires ne sont pas tous seuls et doivent compter avec les autres partenaires de l’entreprise.
Les assemblées générales d’actionnaires garderont leurs fonctions traditionnelles et auront surtout pour mission de choisir les représentants des actionnaires qui siégeront au conseil de surveillance.
La loi fixera les différentes catégories de partenaires (actionnaires, salariés, dirigeants, voire certains gros clients ou sous-traitants ou filiales) siégeant au conseil, mais la composition détaillée relèvera du statut de l’entreprise afin de garder une structure souple adaptée aux besoins réels de chaque entreprise. Les représentants du personnel au conseil de surveillance pourraient être élus sur le même mode que les représentants au comité d’entreprise, voire en couplant les deux élections.
La philosophie de cette réforme est de miser sur la concertation plutôt que sur l’affrontement, qui marque encore trop les relations sociales dans nos entreprises. On peut ainsi espérer que, peu à peu, les représentants du personnel deviennent d’authentiques partenaires positifs de l’entreprise au même titre que les actionnaires.
Introduire de la démocratie représentative ne peut qu’augmenter l’efficacité de l’entreprise. Les représentants des salariés seront tout aussi, sinon plus, intéressés à la bonne marche de l’entreprise que les actionnaires, et ils apporteront une compétence et une connaissance de l’entreprise précieuses. Les salariés sont d’ailleurs généralement plus impliqués par l’avenir à long terme de l’entreprise que les actionnaires.
Afin d’assurer le financement des syndicats, l’entreprise verserait chaque année à chaque salarié une indemnité d’un montant fixe, égal pour tous et fixé par la loi, qui permettrait au salarié de choisir un syndicat et d’y cotiser.
Il nous semble essentiel que le salarié puisse intervenir en tant partie prenante de l’entreprise, et non pas en tant que détenteur d’actions. Or, la cogestion tend à confondre les responsabilités, ce qui conduit à ce que la place des salariés soit très minoritaire, et que les décisions soient prises en dehors du conseil de surveillance, ce qui les vide de toute signification.
3.2. Donner un nouveau souffle aux relations sociales
En complément d’une réforme de la gouvernance interne de l’entreprise donnant un nouveau statut au travailleur, il convient de donner un nouveau souffle aux relations sociales.
Comme lors de la première alternance politique, la question des droits des travailleurs est en effet à nouveau posée. Le contexte est différent, avec la concurrence des pays émergents, la montée puis la crise du néolibéralisme, l’affaiblissement du contrepouvoir syndical et la montée de l’individualisme. Mais comme en 1981, la clé est de nouveau, la recherche de l’équilibre des intérêts et la place de la négociation collective, qui comme à l’époque, constituent le cœur des lois Auroux.
Il y a en la matière beaucoup à faire, dans un pays qui a aussi depuis longtemps un problème avec la négociation, particulièrement au niveau de l’entreprise et interprofessionnel, un pays où il a fallu mai 1968 pour reconnaître les délégués syndicaux, et mai 1981 pour obliger les entreprises à négocier tous les ans.
Deux lois récentes, issues de la volonté majoritaire des partenaires sociaux, modifient les règles du jeu :
la loi du 31 janvier 2007, au lendemain des errements du CPE, oblige le gouvernement avant de réformer le code du travail à offrir aux partenaires sociaux, patronat et syndicats, l’option de la négociation préalable entre eux.
la loi du 20 août 2008 fait un pas important vers les accords majoritaires, et base la représentativité syndicale sur l’audience.
Ces deux lois constituent des progrès significatifs, et la mesure de la représentativité syndicale début 2013, au lendemain des élections présidentielle et législative, sera un rendez-vous important.
Il n’en reste pas moins qu’il reste beaucoup à faire pour donner un nouveau souffle au dialogue social, avec la relance de la négociation en fil rouge.
La reconnaissance mutuelle entre les acteurs, la recherche de l’équilibre des intérêts, la négociation de bonne foi, l’anticipation plutôt que la gestion des conséquences, la négociation au niveau adéquat qui n’est pas le même selon que l’on parle de stratégie ou d’organisation et de conditions de travail, le suivi des accords et de leurs conséquences collectives et individuelles, sont à nouveau à l’ordre du jour. Les propositions, mises au débat, qui suivent portent à la fois sur le champ de la négociation, les acteurs de la négociation et la conception de l’entreprise.
De nouveaux champs sont à ouvrir pour la négociation collective obligatoire dans les entreprises et les groupes.
Il faut compléter l’obligation d’échanger sur la stratégie de l’entreprise et sur l’anticipation de l’évolution des métiers et des activités, par celle de négocier sur les orientations et le plan de formation.
Il faut placer le DIF non utilisé (20 heures de formation par an à la demande du salarié et avec l’accord de l’entreprise) sur un compte individuel formation, alors que certaines entreprises jouent la montre en attendant que ce droit s’éteigne au bout de 6 ans.
La négociation collective doit enfin s’ouvrir aux questions de l’environnement. Le Grenelle de l’environnement proposait d’élargir les CHSCT à l’environnement, de mettre en place des commissions élargies aux élus et aux associations pour les sites classés, de développer les négociations sur la responsabilité sociétale de l’entreprise. Faisons de ces préoccupations des préoccupations durables.
Une nouvelle loi Auroux devrait aussi obliger à une négociation de groupe qui détermine la place relative de la négociation de groupe et de la négociation d’entreprise. Des questions comme la mobilité interne et la gestion des restructurations devraient être encadrées au niveau du groupe.
La représentativité syndicale dans les PME devrait s’asseoir sur des commissions paritaires territoriales de branches. Le syndicalisme n’aura jamais les mêmes formes dans une petite entreprise que chez Renault ou à la SNCF, mais il droit y avoir droit de cité. Les badges « pas de syndicat dans l’entreprise » aux dernières Assises de la CGPME sont attristants. Il doit y avoir des lieux pour se parler en amont des prud’hommes ! Il serait enfin utile d’examiner ce qu’il convient de rapprocher entre le droit du travail du public et celui du privé, les fonctions publiques sont loin d’être exemplaires en bien des domaines.
3.3. Mieux aligner les intérêts de l’entreprise sur ceux de la société
Par quels moyens l’intérêt du dirigeant ou de l’actionnaire pourraient-ils se rapprocher de l’intérêt général ?
L’activité de l’entreprise entraîne des conséquences pour la société, en termes d’utilisation de ressources naturelles, ou de conséquences sociales ou environnementales de ses décisions, qui ne sont pas toujours supportées par les entreprises, par exemple en matière de production. C’est ce qu’en économie on appelle des « externalités ».
Il est parfaitement légitime, du point de vue de la société, et normal du point de vue économique, d’ « internaliser ces externalités », c’est-à-dire de faire en sorte que l’entreprise assume l’intégralité des conséquences de son activité.
En matière d’évaluation, notre projet est de donner aux agences de notations sociétales une importance comparable aux agences de notation financières. « Dis-moi à qui et comment tu rends des comptes, je te dirai comment tu te comportes ».
Il importe pour cela que les informations nécessaires soient disponibles au niveau de l’entreprise. Il conviendrait donc de rendre plus complet le bilan social et le bilan environnemental, et d’ajouter un bilan sur l’impact de l’entreprise sur les modes de consommation et sur son devenir à long terme, afin de pouvoir couvrir correctement les 5 domaines dans lesquels les effets du capitalisme ont tendance à ne pas correspondre à l’intérêt général.
Les rapports seraient rédigés par le directoire, puis vérifiés par des cabinets d’audit spécialisés et labellisés et dont la fonction serait de valider les informations fournies (mais sans évaluer l’entreprise). Ils seraient ensuite approuvés par le conseil de surveillance, puis transmis aux agences de notation, qui émettraient sur chacun des thèmes une notation selon la classification des compagnies d’assurance (A, B, C, D, E, A étant excellent et E médiocre). Après discussion contradictoire, ces rapports seraient publiés.
Si la publication suffit à produire des effets importants sur le comportement des entreprises, il sera possible de s’en tenir là. Il est également envisageable d’attacher des sanctions ou des récompenses aux résultats de la notation, avec des systèmes de bonus-malus fiscaux.
Le système qui est proposé devrait être non seulement favorable à l’environnement, mais également gagnant-gagnant entre l’entreprise et la société. En effet si les coûts induits par chaque entreprise sont internalisés, c’est-à-dire supportés par elle-même, au lieu qu’ils le soient par la collectivité, celle-ci pourra traduire la baisse des charges qu’elle supporte par des baisses de prélèvements.
L’exemple du marché des « droits à polluer » pour les émissions de CO2 a ainsi montré que l’application du principe du « pollueur-payeur » conduit à un meilleur optimum économique et environnemental.
Il est parfaitement envisageable d’élargir ce mécanisme à d’autres domaines, dans le domaine de la gestion des ressources humaines notamment, pour faire ne sorte que la gestion par chaque entreprise de ses ressources humaines conduise à un meilleur optimum social. Pour l’évaluation de l’entreprise, de nombreux facteurs pourraient être pris en compte : taux d’accident du travail et gestion préventive de la santé du personnel, effort de formation, taux de précarité, de mise en chômage et conditions de licenciement, qualité du dialogue social, hiérarchie des rémunérations… Selon la notation A, B, C, D ou E de chaque entreprise, un bonus-malus fiscal (via le taux d’IS ou de cotisations sociales par exemple) pourrait être mis en œuvre, afin que ce soit l’entreprise qui bénéficie ou qui compense les effets de ses pratiques ayant des répercussions sur le reste de la société.
Cette illustration met en évidence la nécessité d’envisager une longue période d’expérimentation progressive, si l’on veut que le système mis en place soit à la fois pertinent et efficace, sans être arbitraire ni source de lourdeurs inutiles. C’est pourquoi une juridiction arbitrale devrait être prévue, comme c’est déjà le cas en matière de droit du travail ou de droit fiscal.
Ainsi l’entreprise resterait libre face au marché, mais un jeu de préférences collectives serait introduit, avec ce système de notation entraînant des bonus/malus, afin de se rapprocher le plus possible de l’optimum social.
C’est bien là la caractéristique principale de ce nouveau capitalisme que nous recherchons.
Cette démarche se distingue également du courant de l’économie solidaire, qui, tout en étant remarquable, dépend trop fortement de l’éthique spécifique qui anime ses membres et qui ne peut pour cette raison servir de modèle pour l’économie dans son ensemble.
Comme il n’est pas question de rendre la syndicalisation obligatoire, les « indemnités syndicales » non utilisées seraient affectées directement au comité d’entreprise.
Ces réflexions s’inspirent largement du livre de Henri Rouilleault, « Où va la démocratie sociale ? », Editions de l’Atelier, Paris, 2010.
Les quatre lois et l’ordonnance sur le temps de travail et les accords dérogatoires de 1982
Henri Rouilleault (2010), « Où va la démocratie sociale ? », Editions de l’Atelier
Un salarié sur deux du secteur privé seulement est dans une entreprise de plus de 50 salariés, mais un sur deux dans un groupe de plus de 300 salariés