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Pascal Blanchard: « L’élection de Trump, c’est la victoire du choc des civilisations »

Interview réalisée par Laure Gautherin le 9 novembre 2016 pour le site Aufeminin.com 

Si l’arrivée de Donald Trump à la tête des Etats-Unis a surpris le monde entier, son élection est bien loin de constituer un phénomène isolé. Comme nous l’explique Pascal Blanchard, historien, celle-ci ne s’inscrit que dans un (re)basculement général de la politique vers un populisme nourri par la peur de l’autre.

 » Cette élection a une forte odeur des années 30 « , constate Pascal Blanchard, historien, documentariste et co-directeur de l’agence de communication Les Bâtisseurs de Mémoire, suite à l’élection de Donald Trump à la tête des Etats-Unis. Peut-on réellement parler de surprise ou encore de cas isolé ? Certainement pas. Avant de se pencher sur le cas américain, il rappelle la situation en Europe mais aussi ailleurs, où les idées populistes et les discours alimentés par la haine de l’autre connaissent depuis un certain temps une renaissance.

 « Trump se place dans cette continuité. Ça n’est pas une élection sortie de nulle part. Depuis 10 ans, on observe lors des élections les mêmes fractures raciales et genrées que pendant la campagne américaine, souligne-t-il. Cette rupture n’est pas nouvelle, on a déjà pu l’observer en Italie avec l’alliance de Berlusconi avec la ligue de droite, la force de Pegida en Allemagne… L’Autriche va peut-être bientôt élire son premier président fasciste depuis la 2nde guerre mondiale et en France, Marine Le Pen joue sur la fracture coloniale. Son slogan « On est chez nous », est exactement, au mot près, la campagne que vient de mener Trump.« 
Et le phénomène n’est pas seulement européen ou américain. On parle d’une contagion planétaire qui ne connait que de rares exceptions dont certains pays nordiques, pourtant admirés jusqu’alors pour leur ouverture, ne font pas partie. « Même au Japon, où les étrangers sont ultra minoritaires, on peut l’observer. Si vous écoutez bien le premier ministre Shinzō Abe actuellement, ses discours sur les Coréens sont totalement incroyables. On a l’impression d’entendre Marine Le Pen sur les Maghrébins en France. Ce populisme traverse le monde. En Australie, l’extrême droite commence aussi à obtenir des votes. »

Les dangereux échos du passé

Difficile en effet de ne pas faire la comparaison avec cette période sombre de l’histoire où, rappelle Pascal Blanchard, « naissait tous les 6 mois une nouvelle dictature en Europe. » « On remarque les mêmes mécanismes électoraux qu’à l’époque avec l’arrivée au pouvoir des dictateurs comme Hitler. La campagne de Trump était basée sur la haine, la peur et cette élection a symbolisé une véritable fracture raciale. On peut comparer son cas à l’arrivée de Mussolini qui s’était présenté comme le Duce de tous les Italiens. Trump est un Mussolini moderne« , explique-t-il en faisant référence à son discours de victoire dans lequel il se promet d’être le Président non pas d’un peuple mais de « tous les Américains« .

Dans les années 30, c’était le traumatisme de la 1ère guerre mondiale qui avait motivé cette virée populiste. Aujourd’hui, ce revirement n’est pas sans cause non plus. « La guerre contre les extrémistes musulmans, avec comme point de départ le 11 septembre, mais aussi Ce qui se passe en Europe depuis un an avec les réfugiés ont été un déclencheur absolu« , analyse l’historien.

L’identité au coeur

« Les gens ne fonctionnent pas avec la raison mais avec la peur, la peur de l’autre, la peur de perdre son statut social, la peur d’une 3ème guerre mondiale demain. Ils cherchent un bouc émissaire, un ennemi commun et ils cherchent à protéger leur identité. Et ce que les gens pensent comme faisant partie de leur identité c’est d’être blanc. »
La fameuse suprématie blanche qui ne s’est jamais éteinte a abattu grâce au candidat républicain sa meilleure et ultime carte. « Dans un contexte où aujourd’hui, il y a plus de bébés de couleur que de bébés blancs qui naissent, les Américains voient la fin de leur suprématie. Et Trump est le dernier porteur du glaive défenseur de cette suprématie. » Suprématie face à laquelle se soulèvent des minorités dont la voix se fait de plus en plus entendre.

« C’est la victoire du choc des civilisations. Trump est dans cette guerre-là, c’est un homme qui va commencer par construire des murs, séparer les gens, définir que des personnes d’une certaine religion n’entreront pas sur le territoire et dont la politique centrale va donc être de protéger la race« , résume Pascal Blanchard qui rappelle que le Républicain n’a jamais caché la nature de son programme qui va donc faire de cette mission de protection de la race le moteur de la première puissance mondiale, au détriment des droits de l’Homme.
« Il va y avoir une politique migratoire extrêmement dure et contraignante. L’autre, l’étranger, va être perçu comme un ennemi intérieur et extérieur. Je vous passe le fait d’être musulman demain au Etats-Unis ! » annonce-t-il.

Les Etats-Unis, miroir de la France ?

Les élections américaines opposaient deux candidats mais les électeurs n’ont pas tant voter pour le Républicains que contre sa rivale Hillary Clinton. Malgré les sondages qui la donnaient gagnante, la cote de popularité de la Démocrate a joué au yoyo pendant toute la campagne et l’ex Secrétaire d’Etat n’a jamais fait l’unanimité. Symbole de la corruption suite à plusieurs accusations de financements frauduleux via sa Fondation et l’affaire des emails privés, « Hillary Clinton représente pour beaucoup la nomenklatura washingtonienne, des gens qui sont complètement déconnectés de la réalité et de la société américaine et qui ne savent plus parler au peuple. C’est exactement le problème de la gauche en France. Beaucoup de gens aujourd’hui ne se sentent plus du tout concernés par la politique socialiste et par François Hollande, Ils ont un sentiment que la gauche sociale les a totalement oubliés, qu’elle privilégie les droits des étrangers, qu’elle ne répond plus à leurs attentes. »

Quel discours tiennent alors ces déçus du gouvernement ? « Je possède peu mais le peu que je possède je veux le conserver. Et qu’est-ce que je possède ? C’est une couleur de « natif ». Il est anormal que quelqu’un qui arrive après moi ait plus de droits que moi. » Ce discours on l’observe à tous les niveaux, même dans les classes populaires, note Pascal Blanchard. « Quand vous n’avez plus rien, vous n’avez plus qu’une chose à défendre c’est la couleur de votre peau qui vous donne un pouvoir, celui d’être supérieur à l’autre, donc d’avoir plus de droits que lui. Cela se traduit par la préférence nationale, le protectionnisme, l’interdiction du franchissement des frontières, etc. » Un discours qui ne nous est pas totalement inconnu…

« Selon ces augures politiques, il va falloir regarder de très près la campagne de 2017 car personne ne croyait à la victoire de Trump, et il a gagné, et personne ne croyait à l’arrivée de Marine Le Pen et elle s’est offert un score exceptionnel à la dernière présidentielle. » CQFD… Ce qui est certain, c’est que l’année prochaine, une importante partie des citoyens français votera en fonction de sa couleur de peau, comme aux Etats-Unis.
Quant à ces derniers, le clivage à la fois racial, genré et générationnel qui a marqué ces élections, très serrées rappelons-le, représente un certain espoir. « Comme l’explique très bien Michael Moore, c’est le dernier tour de force des « petits blancs » mais qui risque de durer 4 ou 8 ans. » Des années qui pourront toutefois être longues et difficiles. En effet, le Président aura de son côté le Congrés, à majorité républicaine. « Il arrive avec une puissance incroyable » et promet déjà de mettre à mal les avancées effectuées par Obama. Il faudra donc se montrer patient, très patient.

Etats-Unis: Les enseignements d’une élection historique

Reste-t-il, après le déluge de commentaires et de superlatifs auquel a donné lieu l’élection de Barack Obama, des éléments nouveaux et des analyses qui n’auraient pas été faites ? Et surtout, que restera-t-il, d’ici quelques semaines, de l’écrasante charge d’espérance qui pèse sur les épaules du président élu ?

L’élection d’un homme, qui se trouve être noir, à la présidence des Etats-Unis marque assurément, pour ce pays qui a à peine plus de deux siècles, le franchissement d’une nouvelle frontière. L’écho planétaire de cet événement replace les Etats-Unis, que l’on disait distancés par des pays émergents comme l’Inde ou la Chine, au premier rang des acteurs de la mondialisation : leur nouveau président incarne le métissage et la confluence des cultures américaine, africaine, asiatique… L’Amérique retrouve ce statut de terre d’opportunités, accueillante aux réussites, qui a accompagné, tout au long du XIX° siècle, l’affirmation de sa suprématie.

L’élection de Barack Obama est aussi une réconfortante victoire de l’intelligence et de la rationalité contre le populisme. Que ne disait-on pas pendant la campagne ? Il parlait trop bien, de façon trop intellectuelle pour que les Américains de la rue puissent s’identifier à lui. Les publicités négatives de la campagne républicaine comme les discours de Sarah Palin martelaient ce message : il n’est pas comme nous.

Mais, confronté à l’épreuve des déclarations racistes anti-blanches du pasteur de son église de Chicago, Jeremiah Wright, Barack Obama s’en sort en élevant le débat. Il prononce le 18 mars à Philadelphie, à l’endroit même où s’étaient réunis les Pères Fondateurs, un discours qui fera date sur l’évolution des relations interraciales aux Etats-Unis, dans lequel il fait, à sa manière, prévaloir les réponses sociales, communes aux Blancs pauvres et à ceux de la classe moyenne comme aux Noirs et aux Latinos, sur les réponses ethniques, « pour que mes rêves ne se réalisent pas au détriment de vos rêves ».

Que l’on puisse l’emporter à partir de cet éloge de l’unité et de la complexité d’une société multiforme est aussi, pour la société américaine, une preuve de maturité. Malgré leur réputation de francs-tireurs, McCain et sa colistière ont joué la carte traditionnelle de l’establishment républicain, celui du discours anti-expert qui s’en remet à la « sagesse » de Main Street, c’est-à-dire, en français, à la philosophie des brèves de comptoir. Obama, lui, a su montrer à la fois qu’il était entouré des meilleurs experts (ce qui faisait contrepoids à l’accusation d’inexpérience) et qu’il n’en était pas l’otage.

Enfin, selon les critères américains, cette élection a été un vrai choix droite – gauche. Ce choix se traduit toujours, in fine, par savoir où l’on place le curseur entre l’individuel et le collectif, entre la liberté et la responsabilité, entre la loi de la force et celle de la solidarité. Les propositions d’Obama en matière d’éducation, de sécurité sociale, d’environnement le situent clairement à gauche. Il ne reste plus qu’à lui souhaiter de pouvoir trouver, au Congrès, même dominé par les démocrates, une majorité pour les mettre en œuvre.