Cinq enseignements du « non » irlandais

Ce n’est pas le « non » irlandais qui témoigne du désenchantement des citoyens à l’égard de la construction européenne, c’est le pourcentage des abstentions : à peine 53 % des électeurs d’un des pays qui a été l’un des principaux bénéficiaires des politiques communautaires de redistribution et de développement se sont mobilisés pour se prononcer sur le traité de Lisbonne.

Longtemps, les républicains se sont défiés de la procédure référendaire, instrument favori du populisme et des régimes autoritaires, véhicule des angoisses collectives et amalgame des pulsions contraires. Dans nos sociétés complexes, où la loi est nécessairement le reflet de cette complexité, seuls les démagogues peuvent soutenir que l’adoption de la loi serait plus légitime par référendum que par le suffrage parlementaire.

Il est logique que MM. Le Pen et de Villiers se réjouissent du « non » irlandais. Que MM. Besancenot, Chevènement, Emmanuelli, Mélenchon et Mme Buffet considèrent que ce vote exprime la « défaite de l’Europe libérale et non démocratique » est une ânerie doublée d’une forfaiture. Toutes les analyses du « non » irlandais montrent en effet qu’il a d’abord été inspiré par une volonté de statu quo, de maintien du dumping fiscal qui a été à la base de la prospérité irlandaise, par un certain égoïsme et le refus d’une réduction des fonds structurels au profit des nouveaux Etats-membres de l’est européen, sans parler de la campagne d’une fraction du clergé catholique contre le droit à l’avortement… MM. Emmanuelli et Mélenchon, notamment, seraient bien inspirés de tirer les conséquences du divorce désormais flagrant entre leur position et la nouvelle déclaration de principes du Parti socialiste, résolument européenne.

On ne règlera pas la question de l’adhésion des opinions publiques à la construction européenne en cherchant d’abord à régler la question institutionnelle. Le désamour des peuples tient d’abord aux faiblesses de l’Europe d’aujourd’hui à apporter des réponses aux enjeux de la vie quotidienne : pouvoir d’achat, emploi, protection sociale, développement durable… A cet égard, les projets de directive sur la durée du travail ou l’immigration, ou encore les arrêts Laval et Viking de la Cour de justice des communautés européennes, qui font prévaloir les règles du libre échange sur celles de la négociation sociale, sont infiniment plus préoccupants. Et ce n’est pas le rejet du Traité de Lisbonne par les Irlandais qui empêchera ces projets de prospérer, bien au contraire.

Jacques Delors a raison de dire qu’il faut revenir aux fondamentaux, c’est-à-dire aux politiques communes, et d’abord dans les domaines essentiels pour le présent et pour l’avenir. Créer une Communauté européenne de l’énergie, comme la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) a précédé l’adoption du Traité de Rome, pourrait être une occasion de redonner sens et perspective au projet européen. Ce ne sera pas chose aisée tant les différences sont grandes, par exemple sur la question du nucléaire, et les intérêts divergents. Mais au moment où le déclin amorcé des énergies fossiles se mesure chaque semaine quand les Européens font leur plein d’essence, ce serait une bonne façon de montrer qu’il n’y a de réponse viable, à la fois pour le pouvoir d’achat et pour l’environnement, que dans une démarche collective, solidaire et responsable – c’est-à-dire européenne.

 

Après le compromis de Lisbonne

L’accord intervenu entre les dirigeants européens sur un traité destiné, après deux ans de paralysie, à se substituer à la Constitution mort-née était tout sauf évident. Nous n’avons donc aucune réticence à reconnaître le caractère positif du déblocage obtenu, en particulier par le président français et son gouvernement qui devrait permettre une meilleure « gouvernance » de l’Union.

Pour autant, le résultat final met un peu plus en évidence l’inanité des arguments des partisans du « non » à la Constitution : l’Europe sociale est passée à la trappe, la charte des droits fondamentaux n’est plus qu’une référence distante, les symboles de l’Union (devise, hymne, drapeau) ont disparu, les possibilités de coopérations renforcées sont rendues plus contraignantes et contrôlées… par ceux qui n’y participeront pas !
Bref, il n’y a ni plan B, ni plan C mais bien plutôt un traité « plan-plan » qui certes permettra de mieux faire fonctionner la mécanique institutionnelle, mais qui reste désespérément muet sur les finalités et les objectifs de l’Union européenne, bref, sur tout ce qui aurait été de nature à rendre un peu de confiance aux populations qui doutent.

La gauche est désormais au pied du mur. Les partis et associations souverainistes, qui se disent de gauche ou d’extrême-gauche, sont fidèles à leur vision de l’Europe dans un seul pays en appelant à rejeter le compromis de Lisbonne. D’autres, probablement candidats au prix Nobel de la bouffonnerie, réclament un référendum auquel ils prôneraient… l’abstention.

Il est temps qu’à gauche, une ligne l’emporte : pour le Parti socialiste, ce ne peut être que celle que son histoire a tissée, celle de la construction européenne. Aujourd’hui, elle passe par l’adoption du compromis de Lisbonne. Demain, elle exigera, avec les États qui le souhaitent, des coopérations approfondies dans le domaine fiscal, social, éducatif et diplomatique.

Le Parti socialiste doit se rendre compte que la « réconciliation du oui et du non » sur une autre base que celle-ci serait comme le mélange de l’eau chaude et de l’eau froide : elle ne produirait que de l’eau tiède.