De l’importance d’être constant…

Un des principaux enseignements que l’on peut tirer de l’interview télévisée de Nicolas Sarkozy, le 5 février dernier, c’est l’étrange posture consistant à lancer des idées à la cantonade pour les inscrire à l’ordre du jour d’une rencontre avec les partenaires sociaux programmée pour le 18 février. Même lorsqu’il s’agit de propositions dont la solution ne relève à l’évidence pas de la négociation interprofessionnelle, comme la suppression de la taxe professionnelle ou celle de la première tranche de l’impôt sur le revenu…

Certes, les syndicats ont été requinqués par le succès de la grève et des manifestations du 29 janvier, et il est de bonne guerre de chercher à leur faire légitimer les réponses à la crise que propose le chef de l’Etat. Comme le suggérait le journaliste Claude Askolovitch dans le Journal du dimanche (8/02/2009), « personnaliser les succès et mutualiser les tracas » est la version com’ de « privatiser les bénéfices et socialiser les pertes »…

Il n’empêche que cette posture tranche singulièrement avec les déclarations péremptoires d’il y a quelques mois : « Aujourd’hui, quand il y a une grève, plus personne ne s’en aperçoit », ainsi qu’avec la marginalisation systématique des corps intermédiaires et des autres centres de pouvoir. L’effacement du Premier ministre et du gouvernement, le dédain dans lequel est tenue l’opposition (même si celle-ci, il faut bien le reconnaître, n’y a que trop prêté la main), le double jeu à l’égard des organisations syndicales et des associations pèsent lourd dans la balance. Il est très inconfortable pour le roi d’être nu quand souffle la bourrasque de la crise…

Les syndicats auront d’ailleurs toutes les raisons du monde d’être méfiants devant le rôle qu’on veut leur faire tenir : l’opération qui a consisté, en juin dernier, à passer par pertes et profits la position commune patronat – syndicats sur le temps de travail ou le manquement aux engagements pris lors de la réforme des retraites ont refroidi l’ardeur des mieux disposés à l’égard du compromis social.

Le président met volontiers en avant son pragmatisme. Ce n’est assurément pas un défaut, pour un dirigeant, que de savoir s’adapter aux circonstances. À condition que l’objectif demeure lisible. Or, quelle cohérence y a-t-il entre les débuts du quinquennat commencés sous le signe du bouclier fiscal et le discours de Toulon sur les méfaits du capitalisme dérégulé ? Ou, pour utiliser une métaphore maritime, quand le vent est contraire, on peut tirer des bords pour regagner le port en toute sécurité, mais il n’y a jamais de vent favorable pour qui ne sait pas où il va…

Pour être compris, le pragmatisme a besoin de constance, c’est-à-dire de vision pour un projet collectif. Si elle fait défaut, on n’y lira qu’un balancement entre l’opportunisme et l’obstination.

La Bourse ou la vie

LA BOURSE OU LA VIE…

Pendant quelques semaines,  les courbes de l’économie se sont creusées sous le souffle de l’Histoire. Chacun  a eu peur de  revenir un siècle en arrière, un siècle de haine et de guerres.  Peur, suivie d’un soulagement provisoire: ce ne sera qu’une récession. Mais quel gâchis !
Car il faut vivre dans un univers bien éthéré pour ne voir dans ce qui c’est passé que la simple revanche de l’Etat sur les marchés, de la régulation sur la dérégulation, de l’Europe sur les Etats-Unis.

La vérité, c’est l’inverse : les marchés ont réussi la plus grande  prise d’otages de l‘Histoire ; ils ont posé un pistolet sur la tempe des Etats et des contribuables. Ne vous demandez plus ce que votre banque peut faire pour vous, demandez vous ce que vous pouvez faire pour votre banque: la Bourse ou la vie…
Les gouvernements ont cédé. Ils ont eu raison. Ils n’avaient pas le choix. Ils ont tâtonné puis travaillé ensemble, chacun dans sa spécialité : Gordon Brown pour les dialogues ; Nicolas Sarkozy à la réalisation. Il n’est d’ailleurs pas certain que  nos finances supportent une charge nette en fin de compte. Après tout, les nationalisations de 81 ont été une bonne affaire pour les contribuables français, même si c’est pour de toutes autres raisons que celles pour lesquelles elles avaient été décidées.

Mais au moins avaient-elles été voulues. Ici, les démocraties subissent. On ignore le coût ou le gain final, mais on sait ce qu’on engage : plus de 2500 milliards de dollars dans le monde, 350 milliards d’euros en France, plus d’un mois  de PIB de l’Europe et des Etats unis, plus de 10 000 euros par foyer fiscal français,  6  ans d’ impôt sur le revenu. Mais si les gouvernements avaient retrouvé le goût d’investir ensemble 2500 milliards pour sauver le monde, ils auraient peut-être eu d’autres priorités que le renforcement des principales banques d’investissement.  Si l’on n’oublie pas la Vie, après avoir sauvé la Bourse, les idées ne manquent pas au rayon de la Fraternité : éradiquer la faim dans le monde (300 Mds sur dix ans) ; construire « la grande muraille verte »de Dakar à Djibouti pour stopper la désertification du Sahel et l’équiper en bassins de rétention (200 Mds ); doter d’ordinateurs toutes les écoles du monde , etc…Les projets existent. Ils sont rentables, au moins par les externalités qu’ils  génèrent, et plus en tous cas que de consumer les excédents de liquidités créés par une politique monétaire laxiste dans l’inflation immobilière, les LBO, et les rachats d’actions…

Acceptons l’évidence obscène : on ne peut pas le faire tout de suite, il fallait d’abord sauver le soldat Goldman Sachs et le reste des troupes en déroute. Soit.  Mais puisque les gouvernements ont repris le goût de travailler ensemble, puisqu’ils vont  acheter au plus bas des actions de banques qu’ils revendront après la crise, pourquoi ne mobiliseraient-ils pas les éventuels bénéfices, sous l’égide de la Banque mondiale et du FMI, pour lancer ce plan Marshall d’équipement du Sud que la fin du siècle précédent a oublié ? Puisque nous n’avons pas même pas respecté nos propres objectifs d’aide au développement, écrivons au moins au profit du FMI le produit dérivé qui permettra d’y consacrer les éventuelles plus values du sauvetage bancaire; le surplus, s’il y en a un, devrait aller – tous en ont besoin – à leur propre désendettement.  C’est notre première proposition.

Cela ne suffira pas à restaurer le leadership économique et moral des démocraties libérales. Il faut aussi faire le ménage dans notre modèle : comprendre ce qui a produit l’explosion,  éviter qu’elle ne se reproduise et n’entraîne d’autres déséquilibres insupportables.
Ce qui s’est produit ne se prête pas à une analyse idéologique univoque. Gardons nous donc des vieilles antiennes de l’économie administrée. Ce n’est pas la  fin du capitalisme, ce n’est pas la remise en cause de l’économie de marché. Ce n’est même pas seulement une crise de la dérégulation. Elle n’est née ni des hedge funds, ni des paradis fiscaux, mais aux Etats-Unis et sur un segment de marché assez régulé, les crédits hypothécaires. Elle a, dans l’histoire des crises financières, la caractéristique  unique de venir de ce que les banques ont trop prêté… aux pauvres. Le dérèglement ne vient  pas seulement de la dérégulation, mais aussi d’une mauvaise régulation, doublée d’une  passivité des autorités face aux contournements de la  loi.

Mauvaise régulation que celle qui forçait les banques américaines à prêter aux communautés les plus défavorisées, et qui leur permettait ensuite de socialiser ce risque  auprès d’agences privées sous-capitalisées -donc très rentables aux heures fastes- et bénéficiant de la garantie de l’Etat. Pile l’actionnaire gagne, face l’Etat perd. Mauvaise dérégulation que celle qui permettait de replacer ces prêts auprès de la clientèle dans des produits endettés et assurés par des assureurs sans capital .
Les années 2000 n’ont pas vu seulement le développement des entreprises sans usine. Elles ont aussi inventé les banques sans  bilan.

Il faudra mettre fin à cette économie artificielle. Réguler plus, réguler mieux et surtout, c’est notre seconde proposition, réguler plus large.  En d’autres termes, il s’agit non seulement de limiter les risques de marché que prennent les banques, en leur associant des exigences considérablement accrues de fonds propres, mais aussi de limiter leur levier d’endettement et leurs risques de liquidité,  et d’en faire autant pour tous ceux qui en jouent le rôle par l’effet  de l’innovation financière : hedge funds, ce qui nécessite un minimum de régulation dans les places offshore ; fonds de LBO , dont les Etats devraient limiter la déductibilité des intérêts; vendeurs de dérivés de crédit qui devraient être astreints à opérer sur des marchés organisés ; assureurs financiers, à surveiller et capitaliser en proportion de leurs risques ; et même nos bonnes vieilles Sicav, qui ne doivent promettre que la liquidité qu’elles peuvent tenir .

Parmi les facteurs qui ont rendu la crise possible, l’un des plus étranges est celui du rôle des agences de notation dont l’incompétence n’a eu d’égale que leur inconstance, passant du laxisme sur des créances pourries à la dégradation d’entreprises sur la foi de rumeurs. Faillite d’un système qui a consisté à privatiser l’exercice de la régulation, à abdiquer l’étiquetage des risques à ces agences avant que celles-ci ne l’abandonnent aux emportements du marché. Pour en sortir, notre troisième proposition vise à les affranchir des intérêts particuliers sous contrôle public international, en imposant la publication de leurs méthodes d’évaluation et leur revue par des experts indépendants.

Mauvaise régulation, mais aussi excès de gloutonnerie. Il faut le constater sans céder au populisme ni aviver la jalousie sociale : l’énormité et la rapidité des gains personnels des acteurs centraux du système  a conduit à une prise de risques excessifs. Or interdire les « parachutes dorés » de ceux qui échouent ne représente qu’une réponse partielle au problème : perdre deux millions en cas d’échec ne dissuade pas de prendre un risque excessif, si on peut en gagner cent en cas de réussite.

Ce ne sont pas des considérations morales qui doivent guider les régulateurs. Il n’y a pas d’un côté les gentils industriels, de l’autre les méchants financiers; d’un coté les salariés, dont les hauts salaires devraient être plafonnés, de l’autre les capitalistes qui pourraient s’enrichir sans limites. La question est d’aligner les intérêts à long terme de l’économie, des actionnaires et du management.

L’économie de marché a besoin d’être mobile, que les patrimoines ne soient pas figés, que ceux qui réussissent puissent faire fortune. A condition que la fortune se construise dans la durée et pas sur quelques « coups ».  Notre quatrième proposition vise à ce que les régulateurs encadrent les mécanismes de rémunérations, afin que ceux-ci  mesurent la performance sur toute la durée de vie des produits.. Une fiscalité dissuasive – un super-taux à 80% – serait ainsi appliquée aux bonus qui ne resteraient pas placés dans l’entreprise quelques années sous forme de créances subordonnées, le temps de s’assurer dans la durée de la réalité de ce qu’ils récompensent.

Propositions extrêmes, idéalistes, dangereuses ? Non. Le monde a changé. Le risque est plutôt que l’inaction ne rouvre la voie au populisme, au protectionnisme, à la désagrégation des solidarités. Et à ces  potions au goût sucré et aux conséquences amères, qui relèvent de deux recettes : le laxisme monétaire et le laxisme budgétaire.

Il y a une même origine de fond aux bulles successives sur les pays émergents, les valeurs technologiques, les créances hypothécaires, les matières premières ; c’est l’irresponsabilité d’une politique monétaire trop accommodante qui a maintenu pendant des années les taux d’intérêt réels en deçà des taux de croissance soutenables. La politique de la réserve fédérale en est responsable, et complices ceux qui agonisaient la BCE de ne pas suivre son exemple. L’argent facile n’a servi qu’à accroître provisoirement la valeur des actifs, à encourager l’endettement et à provoquer des bulles, car il faut bien que les liquidités en excès s’investissent quelque part. Il a enrichi les riches et renversé les valeurs Une fois passé le cœur de la crise, il faudra y mettre fin pour que la  croissance de demain dépende des gains de  productivité et la fortune de l’innovation. Le retour à la rigueur… C’est notre cinquième proposition, certainement pas la moins douloureuse.

Ce qui peut provoquer la prochaine crise globale, c’est le risque que les Etats, soucieux de « relancer la machine »,  fassent déraper leur dette. Aujourd’hui, les liquidités affolées se réfugient dans les emprunts d’Etat. Cela ne durera pas toujours ; ne les laissons pas créer une nouvelle bulle sur les emprunts d’Etat, après les quatre précédentes ! La crise bancaire doit au contraire servir de signal d’alerte. A cette occasion, on s’aperçoit que les Etats sont petits par rapport aux masses de capitaux en  circulation. Le total de bilan de chaque grande banque représente à peu près une fois le PIB de son Etat d’origine. L’Islande a fait faillite. L’Irlande a garanti tous les passifs  bancaires pour deux fois son PIB. Le jour où une agence de rating décidera de dégrader la notation de la dette d’un Etat du G 10, celui ci ne pourra plus lever de la dette pour financer son déficit. Il devra vendre ses actifs à la casse et licencier ses  fonctionnaires.

Déjà au lendemain des crises bancaires, on commence à voir à l’intérieur même de l’Union, une différentiation des «spreads » entre Etats, et même un marché des CDS souverains, c’est-à-dire un marché de l’assurance contre les faillites d’Etat. Les Etats aussi, font faillite…Cela ne gêne pas la droite conservatrice :«  starve the beast », affamez la bête , disaient les reaganiens. La gauche progressiste plaide pour  la capacité de l’Etat à réguler l’économie et à assurer les solidarités.  Protéger l’Etat et réformer l’économie, c’est se mettre du côté de la régulation et aussi –c’est peut être à la gauche de retrouver le mot – du coté de la rigueur, c’est-à dire de la justice.

Nos 5 propositions pour la nouvelle régulation mondiale :

Mutualiser au profit du FMI et de la Banque Mondiale une part des gains des Etats tirés des plans de sauvetage des systèmes financiers, le reste étant consacré à leur propre désendettement

Contrôler le levier d’endettement de tous les opérateurs non régulés : vendeurs de dérivés de crédit, Sicav, fonds de LBO, hedge funds, monolines, etc…

Placer les agences de rating sous contrôle public en imposant la transparence de leurs méthodes d’évaluation

Imposer à tous les opérateurs de marché des règles de rémunération de la performance tenant compte de la durée, et surtaxer fiscalement ceux qui ne les respectent pas

Tenir le cap d’une politique monétaire rigoureuse et revenir à la rigueur budgétaire.

Les Gracques

Sonnez, sonnez toujours, clairons de la pensée!

Quand Bernard exalté, sur le micro penché,
Suivi des siens parlait, et prophète inspiré,
Pourfendait des puissants les grandes lâchetés,
Au premier tour qu’il fit, François se mit à rire.
Au second tour, riant encore, il lui fit dire :
« Crois-tu donc l’emporter par tes seules idées ? »
A la troisième fois, les Gracques allaient devant,
Puis les clubs marchaient, suivis par l’opinion.
Alors, les vieux hiérarques, tout perclus de horions,
Se moquaient des penseurs, qu’ils disaient impuissants.
Au quatrième tour, bravant les héritiers
De Jaurès, de Mendès et aussi de Rocard,
Solférino conspuait et traitait de bâtards
Ceux qui de ses mirages prétendaient se délier.
A la cinquième fois, sur ces murs ténébreux,
Aveugles et boiteux vinrent, et leurs huées
Raillaient la vérité et moquaient les fâcheux.
A la sixième fois, sur sa tour d’ivoire,
Inaccessible et sourd aux leçons de l’histoire,
François revint, riant à gorge déployée,
Et cria : « Ce que vous proposez,
Moi aussi, je suis pour ! ». Aussitôt, les sicaires
Applaudirent à tout rompre le premier secrétaire.

A la septième fois, les murailles tombèrent.

             À la manière de…
Victor HUGO (Les Châtiments)

Les 35 heures: réforme ou calculs politiques?

La CGT, la CFDT et le MEDEF ont, au cours des derniers mois, fait plus progresser le dialogue social que ce n’avait été le cas depuis des décennies. La position commune sur la représentativité, les avancées sur le contrat de travail ont tracé la voie d’une évolution vers un syndicalisme ferme sur ses convictions, défendant efficacement les intérêts de ses mandants, et passant des accords avec un patronat modernisateur. Bernard Thibault, François Chérèque, Laurence Parisot ont démontré qu’il est possible de bouger sans se renier, et que la légende tenace de l’impossibilité de réformer en France était sans fondement.

Le tout s’est fait, de surcroît, dans le cadre d’un dialogue intelligent avec les pouvoirs publics : fixation de calendriers de négociation, place laissée au temps qu’elle requiert, et, croyait-on, consécration législative des résultats de la négociation. Xavier Bertrand était entrain d’y gagner ses galons d’homme politique de talent, clair sur ses objectifs et habile à la manœuvre.

Trop beau. En moins d’une semaine, tout ceci est sérieusement remis en cause. Résumé du film : une déclaration de Patrick Devedjian sur la nécessité de casser définitivement les 35 heures, une reprise de ballon de Xavier Bertrand pour expliquer que c’est inutile (jusque là, tout va bien), et, stupéfaction, la mise à l’ordre du jour d’un prochain conseil des ministres d’un texte qui, sur la durée du travail, va beaucoup plus loin que ce sur quoi s’étaient mis d’accord le patronat et les grandes confédérations dans la position commune.

Bilan : triomphe de ces grandes forces de progrès, sur lesquelles on peut compter pour faire avancer la réforme dans le pays, que sont FO et la CFTC, qui clament à qui veut l’entendre qu’elles ont bien fait de ne pas signer la position commune ; déstabilisation de François Chérèque qui avait été l’artisan tenace du retour de la CGT à la table de négociations ; porte-à-faux pour Bernard Thibault ; situation délicate pour Laurence Parisot, qui trouve jeté sur la table un texte plus favorable aux intérêts patronaux que celui de la position commune, mais ne peut l’accepter sans risquer que s’effrite la confiance qu’elle avait commencé d’obtenir des grandes confédérations.

Du côté politique, victoire du désir de paraître sur la volonté de progresser, quelques miettes pour une supposée base politique trouvant que le gouvernement manquait de fermeté, et, dans quelques mois peut-être, prise de conscience qu’il aura gâché une occasion unique de pouvoir revendiquer, après qu’il aurait été obtenu dans la discrétion, les mérites d’un succès de grande ampleur : avoir rendu possible l’émergence d’un dialogue social moderne en France.

Tout n’est pas tout à fait perdu pour autant. Il reste encore une ou deux semaines avant que le texte ne soit sur la table du conseil des ministres, et Xavier Bertrand a laissé entendre qu’il était ouvert à une forme de discussion. Mais ce calendrier est bien court, et la CGT comme la CFDT peuvent légitimement ne pas avoir envie de se prêter à un exercice qui repose sur l’affirmation tellement française, et tellement archaïque, de la suprématie du Politique sur le dialogue social.

Ou faut-il plutôt parler du triomphe des calculs politiques à courte vue sur le vrai choix de société qu’est l’encouragement réel, actif à un dialogue social responsable, sans lequel aucune politique de réforme ne peut réussir durablement ?

Le RSA: qui paye ?

L’intervention de Nicolas Sarkozy jeudi 24 avril a été aussi réussie que possible : sobriété de la forme, simplicité de l’expression, formulations heureuses sur un certain nombre de sujets, et, au total un équilibre habile entre reconnaissance des erreurs (la plus importante, celle du paquet fiscal, cataloguée cependant comme erreur de communication, pas de fond), et revendication de la continuité avec le projet présidentiel mis en avant pendant la campagne. Dont acte. Mais quel contenu ?
Une seule annonce réellement significative a été faite au cours de l’émission : celle de la généralisation du revenu de solidarité active en 2009. Coût ? Entre 1 et 1.5 milliard d’Euros. Financement ? Pour une part à travers le redéploiement de la prime pour l’emploi, semble-t-il.

Traduction : pour aider au retour à l’emploi de ceux qui n’ont rien ou presque rien à gagner à sortir du RMI, on prélèvera quelques Euros par mois sur l’aide apportée à ceux des salariés dont les rémunérations sont faibles – la PPE, dont le maximum est de l’ordre de 80 € par mois, s’annulant aux environs de 1.4 SMIC.

Remettons les choses en perspective : depuis plus de dix ans, le principal instrument de lutte contre le chômage a été l’allègement du coût du travail non qualifié. Il a pris des formes diverses, dont la principale est la réduction très significative des charges sociales des rémunérations du niveau du SMIC ou immédiatement supérieures. Cette politique, pour laquelle des ressources très importantes ont été engagées (24 milliards d’Euros en 2006) a incontestablement produit des effets positifs, et contribué à accroître le contenu en emplois de la croissance. Mais elle a également accentué le phénomène de concentration des rémunérations perçues aux alentours immédiats du SMIC.

Toute réforme de type RSA doit donc naviguer entre deux écueils : la « trappe à pauvreté » c’est-à-dire le fait d’enfermer les gens dans le RMI car reprendre un travail entraîne une perte de revenu ; la « trappe à bas salaire », en subventionnant fortement les emplois rémunérés au SMIC. En choisissant de financer le RSA par redéploiement de la PPE, Nicolas Sarkozy exprime une préférence pour le retour au travail cohérente avec une partie de son programme électoral.

Mais si l’on combine ce choix avec celui exprimé par le paquet fiscal, l’image change sensiblement. Au fond, le modèle rêvé est celui d’une société tentant de se diriger vers une forme de plein emploi, avec un grand nombre de salariés aux revenus très modestes, et juste suffisants pour vivre à peu près décemment, la sortie de la trappe à pauvreté des minima sociaux étant assurée par un RSA lui-même financé par ceux se trouvant juste au dessus.

Pendant ce temps, les salariés de revenus modestes et moyens ne gagnent guère au paquet fiscal (ni les heures supplémentaires, ni les autres allègements fiscaux ne leur bénéficient notablement), et rien de significatif n’est fait pour leur donner des perspectives de progression (formations qualifiantes, gestion de carrières, accords salariaux de branche ou d’entreprise), alors que les hauts revenus, qui continuent de progresser, sont favorisés par le bouclier fiscal à 50 %, l’évolution de la fiscalité des successions, l’allègement de l’ISF.

Au fond, ce sont les couches moyennes salariées qui sont les laissées-pour-compte de ce développement inégal : les très petits payent pour les exclus, et tous, en particulier les revenus moyens, pour les riches. Intéressant. Est-ce cela que les téléspectateurs auront retenu ? Probablement pas. Décidément, l’intervention du Président a été aussi réussie que possible.

La réforme, ailleurs et maintenant !

La France temporise là où tous nos voisins ont déjà agi, souvent inspirés par des majorités sociale-démocrates. Les dix années de réforme de Tony Blair apparaissent à certains comme la forme humaine de la révolution thatchérienne. Pourtant, le Royaume-Uni est parvenu à combiner croissance forte, recul du chômage et investissements publics massifs dans le système de santé et d’éducation. Plus près de nous, l’Allemagne de Gerhard Schröder a efficacement réformé le marché du travail. La Suède de Goran Person a massivement assaini ses finances publiques pour parvenir à l’excédent budgétaire en supprimant presque complètement le statut de la fonction publique et en restructurant les missions de l’Etat autour d’agences au fonctionnement assoupli. Surtout, une ambitieuse réforme des retraites permet d’employer plus de 70% des Suédois entre 55 et 65 ans, là où nous sommes à peine 37% à travailler dans cette tranche d’âge en France.

Même nos voisins latins, si longtemps caricaturés pour la lourdeur de leurs administrations, ont su conduire des réformes que nous osons à peine ébaucher. L’Espagne de José Luis Zapatero est parvenue à l’excédent budgétaire, a fait descendre la dette publique sous les 40% du PIB et a réduit les dépenses des administrations publiques à 38% du PIB, contre 54% en France. L’Italie de Romano Prodi a profondément réformé l’Etat en faisant passer presque tous les agents publics sous régime contractuel privé. Le Portugal de José Socrates a sans doute accompli les réformes les plus ambitieuses en supprimant un tiers des organismes publics dont l’utilité n’était pas justifiée, en réduisant de 25% les postes de direction dans la fonction publique, en remplaçant les fonctionnaires qui partent à la retraite par des agents contractuels. Ces mesures vigoureuses, parfois brutales, ont permis de réduire en deux ans le déficit budgétaire de 6,8% à 3,9% du PIB.

Punir et surveiller ?

Le pouvoir n’a pas pu être surpris de la décision du Conseil constitutionnel déclarant non conformes à la Constitution plusieurs dispositions de la loi relative « à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental ». Il disposait en effet de suffisamment d’avis et de conseils juridiques, sans compter les avertissements exprimés pendant le débat parlementaire par l’opposition et par plusieurs élus de sa majorité, pour savoir que la rétroactivité d’une mesure de privation de liberté « renouvelable sans limite » se heurterait au principe énoncé à l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen1, dont le Conseil constitutionnel a fait application même s’il a considéré que la rétention de sûreté n’était pas en soi une peine.

Dès lors, la question qu’il faut se poser est : pourquoi le Président et le gouvernement ont-ils pris le risque d’un désaveu aussi sonore que certain ? On ne peut trouver de réponse à cette question qu’en se remémorant les deux faits-divers qui sont à l’origine directe de cette loi : dans un cas, l’assassinat sordide d’un petit garçon par un pédophile récidiviste, dans l’autre le meurtre atroce de deux infirmières de l’hôpital de Pau par un aliéné. Aussitôt, la mécanique implacable de la législation compassionnelle a joué à plein, selon le théorème suivant : tout événement à forte charge émotionnelle qui, au Journal télévisé de vingt heures (et au Journal de 13 heures de TF1), dépasse un niveau donné d’audimat génère un projet de loi, indépendamment de toute évaluation de l’application de la législation existante. L’annonce du projet de loi comme anxiolytique du sentiment populaire, en quelque sorte…      Trois mois plus tard, l’émotion est retombée, le problème soulevé par ces deux crimes aurait pu être examiné à froid, rationnellement, avec recul. Mais le Gouvernement reste empêtré par ses effets d’annonce comme le capitaine Haddock par son sparadrap. D’autant que les deux pulsions en cause, la mort et la folie, sont parmi celles qu’il est le plus difficile d’appréhender, au plan individuel et plus encore collectivement.

Chacun sait aujourd’hui que la population carcérale comporte une proportion élevée de malades mentaux, à la fois en raison de la situation catastrophique de l’hospitalisation psychiatrique publique en termes de capacité d’accueil et de soins, et parce que, ces dernières années, les juges (et les experts judiciaires) ont fait un usage beaucoup plus parcimonieux que par le passé de la notion d’ « abolition du discernement »2. En prison, ces malades mentaux sont peu ou mal soignés et dès lors, à l’issue de leur peine, le risque de récidive est élevé. On instaure ainsi une sorte de course à l’échalote entre deux des institutions les plus sinistrées de la République : l’asile et la prison.

Un autre mérite de la décision du Conseil constitutionnel est justement d’avoir assorti son assentiment relatif à la création de la mesure de rétention de sûreté d’une forte réserve d’interprétation, puisque ce dispositif ne sera applicable que si l’administration est en mesure de justifier que les personnes concernées ont pu bénéficier « pendant l’exécution de leur peine des soins adaptés au trouble de la personnalité dont elles souffrent ». Le sparadrap s’accroche donc de plus belle aux doigts du pouvoir, qui ne pourra pas se prévaloir, pour maintenir en détention des malades mentaux ayant purgé leur peine, de l’insuffisance des soins qu’ils auront reçus en prison. La loi ne trouvera donc à s’appliquer effectivement, pas seulement sur des questions de calendrier, mais aussi en fonction d’efforts qui seront nécessairement considérables (et progressifs, parce que considérables) pour développer les soins psychiatriques en milieu carcéral.

Le Conseil constitutionnel a donc finalement redit des choses simples, que la médiatisation des faits-divers avait contribué à occulter : un criminel est un criminel, un malade mental est un malade mental. Après quoi, la consultation du Premier Président de la Cour de cassation est apparue pour ce qu’elle était : une tentative assez vaine de se défausser de la patate chaude, quitte à creuser un peu plus le fossé entre l’opinion et l’institution judiciaire.

Aussi, puisqu’il a été annoncé que l’enseignement de la morale et de l’instruction civique retrouverait une place éminente à l’école primaire, les sujets des deux premières leçons sont-ils tout trouvés. Instruction civique : « Je respecte l’autorité de la chose jugée ». Morale : « Je ne dis pas de gros mots au salon de l’agriculture ».

Les Gracques


[1] Art. 8 de la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen : « La Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une Loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée. »

[2] Art. 122-1 du code pénal : « N'est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes. / La personne qui était atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes demeure punissable ; toutefois, la juridiction tient compte de cette circonstance lorsqu'elle détermine la peine et en fixe le régime. »

Annoncer d’abord, réfléchir ensuite

Cette perte de confiance, rapide et massive, que traduisent les sondages, dix mois à peine après une élection présidentielle marquée par un regain démocratique, une participation très élevée et un résultat qui conférait à Nicolas Sarkozy une légitimité incontestable, est le produit de deux causes principales, aux effets cumulatifs.

La première est sans nul doute le décalage entre les promesses de la campagne (« Je serai le président du pouvoir d’achat et de l’augmentation des petites retraites ») et la réalité (« Les caisses sont vides ») qui a rattrapé le volontarisme verbal du chef de l’Etat Ce décalage a été accentué par l’affichage ostentatoire du goût du luxe et de l’argent, les vacances sur les yachts ou avec les jets privés des amis milliardaires, l’augmentation – même pour des raisons techniquement fondées – du salaire du Président. Nul doute cependant que l’opinion aurait pardonné cet étalage « strass et paillettes » si, depuis mai 2007, le pouvoir d’achat et les petites retraites avaient été revalorisés de 3 %…

Ce n’est pas (au sens institutionnel du terme) une crise politique, ce n’est pas une crise économique, ce n’est pas une crise sociale, c’est une crise de confiance. Elle n’atteint, de façon significative, ni le Premier ministre, ni les principaux ministres. Elle ne provient pas d’un regain d’attractivité de l’opposition, de son projet ou de ses chefs : comme en 2004, les victoires que la gauche est en mesure d’espérer aux municipales seront des succès par défaut. Non, le problème, c’est le Président, sa façon de gouverner et le doute que cette méthode nourrit sur les finalités de son action.

Cette perte de confiance, rapide et massive, que traduisent les sondages, dix mois à peine après une élection présidentielle marquée par un regain démocratique, une participation très élevée et un résultat qui conférait à Nicolas Sarkozy une légitimité incontestable, est le produit de deux causes principales, aux effets cumulatifs.

La première est sans nul doute le décalage entre les promesses de la campagne (« Je serai le président du pouvoir d’achat et de l’augmentation des petites retraites ») et la réalité (« Les caisses sont vides ») qui a rattrapé le volontarisme verbal du chef de l’Etat Ce décalage a été accentué par l’affichage ostentatoire du goût du luxe et de l’argent, les vacances sur les yachts ou avec les jets privés des amis milliardaires, l’augmentation – même pour des raisons techniquement fondées – du salaire du Président. Nul doute cependant que l’opinion aurait pardonné cet étalage « strass et paillettes » si, depuis mai 2007, le pouvoir d’achat et les petites retraites avaient été revalorisés de 3 %…

La deuxième est dans la multiplication des annonces, non pas tant de réformes, mais de mesures ou de sujets à dimension polémique, selon la technique désormais éprouvée du « storytelling ». Ce mot désigne une méthode de communication, expérimentée sur un mode professionnel par Bill Clinton, importée avec succès en Europe par Tony Blair et son conseiller Alistair Campbell, qui consiste pour le pouvoir à imposer son actualité aux médias pour éviter que ceux-ci ne lui imposent la leur.

D’où les discours sur la place du fait religieux, les promesses faites aux pêcheurs du Guilvinec, aux métallurgistes de Gandrange, le projet de noter les ministres, la conférence de presse de début d’année comportant pêle-mêle la fin des 35 heures souhaitée pour 2008, la fin de la publicité sur les chaînes audiovisuelles du service public et le prochain mariage avec Melle Carla Bruni, le parrainage des enfants juifs martyrs de la Shoah par les élèves de CM2… Peu importe que ces annonces ou ces discours soient, dans les jours suivants, démentis, atténués, corrigés : la polémique entretient la machine à « bruit médiatique ». Un peu comme Salvador Dali le disait aux journalistes : « Parlez de moi, même en bien »…

Seulement, la multiplicité de ces annonces a fini par donner le tournis à l’opinion publique, le mélange de ce qui relève de la vie publique et de la vie privée fait perdre le sens de l’essentiel, les corrections, atténuations et démentis donnent un sentiment chaotique d’improvisation. Parce que l’existence même de l’annonce, aussi éphémère qu’une actualité qui chasse l’autre, l’emporte sur son contenu, la méthode se résume à : on annonce d’abord, on délibère après.

D’où le pataquès autour du rapport Attali, emporté par l’engagement inconsidéré d’en mettre en œuvre « toutes les propositions, sauf trois », par le discours « c’est à prendre ou à laisser » de son auteur, et par… deux journées de manifestation des chauffeurs de taxis : la rupture dans le verbe et la bonne vieille soumission aux corporatismes dans la réalité.

D’où aussi, d’une certaine manière, le pataquès de Neuilly : même pour une population aussi peu encline à la révolte contre ses chefs que l’électorat UMP, le parachutage du favori d’hier, sans débat ni discussion, a fait atteindre le seuil d’acceptabilité de la soumission, et donc de la confiance.

Le brouillard de la méthode est aussi un brouillage du sens et des finalités de l’action : est-il européen le Président qui, sur l’interpellation grossière d’un pêcheur du Guilvinec, jette par-dessus bord tous les accords communautaires en matière de politique de pêche ? Est-il libéral le Président qui propose que l’Etat prenne des participations dans le groupe Arcelor-Mittal ? Est-il laïque le Président qui considère que l’instituteur est moins bien placé que le prêtre pour parler du bien et du mal ? Est-il réformateur le Président qui, après avoir cédé aux chauffeurs de taxis, s’incline devant les buralistes ruraux ?

Pourtant, quelques autres et rares exemples montrent que des réformes peuvent, même s’il y a des conflits inévitables, être acceptées de l’opinion et réussir à faire progresser notre pays : le « Grenelle de l’environnement », l’autonomie des universités ou la réforme des régimes spéciaux sont là pour en témoigner. Ce qui les distingue des annonces à finalité médiatique, c’est que la délibération y a précédé la décision. Comme pour nous rappeler que la délibération est l’essence même de la démocratie et le principal ressort de la confiance politique.

Tu veux ou tu veux pas ?

Quel est le point commun entre la royauté et la gauche en France ? Versailles ne leur réussit pas.

On sait comment Louis XVI a mal fini pour avoir méconnu depuis la Cour le sort de ses sujets mécontents. Le PS pourrait connaître après le 4 février la même malédiction. Réunis avec le Parlement en Congrès pour se prononcer sur la ratification du traité de Lisbonne, les socialistes sont pourtant face à un choix d’une rare simplicité. Ou ils considèrent que le mini traité est un moindre mal qui permet à l’Europe politique de repartir et ils votent la révision constitutionnelle. Ou bien ils estiment que ce texte est néfaste et ils votent contre.

Mais dès qu’il s’agit d’Europe, le PS vire marxiste, tendance Groucho. Ou encore Zaniniste , du nom d’un chanteur qui connût une gloire éphémère il y a quelques décennies avec des paroles dont on ignorait qu’elle deviendraient le discours programme des socialistes de 2008 : « si tu veux, tant mieux. Si tu veux pas, tant pis. J’en ferai pas une maladie ». Le titre de la chanson était « Tu veux ou tu veux pas ? ».

Le fait est que le PS ne sait toujours pas s’il veut de l’Europe. Il sait qu’il voulait d’un referendum pour embêter Nicolas Sarkozy ; comme il ne l’a pas eu, il a dit qu’il boycotterait en représailles le Congrès de Versailles. C’était tellement gros que même Groucho Marx n’aurait pas trouvé cela drôle. Alors le PS a dit qu’il irait à Versailles, mais pour s’y abstenir. ça, c’était drôle ! Voilà donc la tragi-comédie à laquelle se livrent les socialistes français à qui l’on souhaite bonne chance lorsqu’ils devront expliquer leur position à leurs homologues européens.

Comment en sont-ils arrivés là ? Les tenants du non ont continué de mener le combat au sein du Parti socialiste. Et la direction du Parti est hors d’état de leur imposer un point de vue, si tant est qu’elle en ait un. A quelques mois d’un congrès décisif, la confusion est à son comble.

Pourtant, trois ans après le fiasco de 2005, chacun sait à quoi s’en tenir. Le non au référendum était l’expression d’un rejet profond de la construction européenne, de sa volonté de créer un modèle social original en économie de marché. Tous les arguments de circonstances invoqués par les « nonistes » ont fait long feu : il  n’y avait pas de plan B. Il n’y avait aucun rapport entre le traité et l’adhésion turque ; le rejet de la troisième partie n’a rien changé aux politiques communes ou communautaires. Les réponses apportées aux questions institutionnelles étaient et restent le meilleur équilibre. Se rallier au projet de traité simplifié, c’est en prendre acte.

Le tango ridicule qu’a dansé le PS ces dernières semaines ne s’explique que parce qu’il n’a toujours pas choisi entre les mirages de la gauche radicale et les vrais espoirs de réformes que portent les autres partis socialistes d’Europe. Il n’est pourtant que temps. En ce qui les concerne, les Gracques ont choisi : ils se retrouvent avec la social-démocratie européenne à voter, sans état d’âme, pour le traité simplifié. Ils demanderont à adhérer au parti socialiste européen, qui incarne ce choix et cette famille de pensée. Et ils plaideront pour que, cet automne, le parti socialiste choisisse enfin clairement la voie de la réforme en Europe.

L’ami de Kadhafi

Appelons un chat un chat, et Kadhafi, un terroriste faussement pénitent doublé d’un vrai dictateur. Pas n’importe quel terroriste : combien de victimes sur le vol d’UTA dont il a commandité l’attentat, ou dans le Boeing de Lockerbie ? C’est aussi un dictateur, qui bafoue les droits de l’homme et des femmes dans son pays, enlevant au passage des ressortissants étrangers, dont les infirmières bulgares.

La diplomatie oblige parfois à parler avec des personnages peu recommandables. On peut souscrire à l’idée de ramener terroristes et dictateurs aux règles du droit international. Mais justement, il ne faut pas faire montre de faiblesse avec ceux qui ont jusqu’ici usé de la force plutôt que du droit. Et les règles de la diplomatie n’obligent pas à les traiter en amis, encore moins à les laisser nous insulter sur notre propre sol. Le colonel Kadhafi n’était pas le bienvenu. Il était pourtant là, cinq jours durant, ce qui est un traitement exceptionnel, et qui plus est pendant la journée des droits de l’homme, ce qui est une provocation.

Ainsi, en matière diplomatique, la rupture sarkoziste a sombré. On assiste au contraire au retour de la réalpolitik de carton pâte, celle dont Valéry Giscard d’Estaing et François Mitterrand ont usé et  abusé avec tous les Amin Dada, Bokassa, Ceausescu, Khomeiny et autres Hafez El Assad de la Terre. Sinistre club dans lequel, pour quelques contrats de plus, nous avons trahi nos principes et laissé assassiner nos ressortissants, à commencer par l’ambassadeur Louis Delamare au Liban. Il est d’ailleurs symbolique que, pour accueillir Kadhafi, l’on soit allé chercher le barreur de petit temps de la diplomatie mitterrandienne, Roland Dumas, droit dans ses Berlutti, venu remplacer les parlementaires de gauche comme de droite refusant l’humiliation.

Winston Churchill, parlant de Munich, avait dit : « Vous acceptez la honte pour éviter la guerre, vous aurez la honte et la guerre ». La dimension munichoise de notre diplomatie persiste : naguère, la France avait une politique, aujourd’hui elle n’a plus que des intérêts. Quand bien même ces intérêts prennent souvent la forme de contrats virtuels et que ces contrats portent sur des équipements qui sont loin de servir le développement des pays du sud…

Alors que l’on n’a jamais eu de ministre des affaires étrangères au passé aussi irréprochable et au silence aussi assourdissant, c’est de l’intérieur des rangs même du gouvernement qu’est venue la critique la plus forte. Rama Yade, en nous ramenant au rang de paillasson, avait – selon l’échelle de l’honneur et de la dignité – hélas raison.

Au fait, qui donc disait le 6 mai dernier que : « La France sera du côté des opprimés du monde, c’est le message de la France, c’est l’identité de la France, c’est l’histoire de la France. » ? Réponse : l’ami de Kadhafi.

Les Gracques
Les Gracques vous donnent rendez-vous, pour leur prochain éditorial, début janvier 2008 et d’ici là, vous adressent tous leurs vœux pour la nouvelle année