Collège : pour une fois, une réforme !

Tribune parue dans L’Obs le 21 mai 2015

La coalition de critiques qui s’époumone contre le projet de Najat Vallaud-Belkacem essaie de nous faire croire qu’on va casser quelque chose qui marche. Il devrait pourtant être plus modeste, ce rassemblement improbable de politiciens conservateurs et de syndicats d’enseignants, qui ont respectivement gouverné pendant une décennie d’effondrement historique des performances de l’éducation, et affermé à leurs intérêts l’école obligatoire.

Rappelons la réalité : le classement PISA de l’OCDE, qui mesure les aptitudes moyennes acquises par des générations d’écoliers, nous a rétrogradés de la 15ème place en 2000 au-delà du 30ème rang en 2015. Et sur le numérique, la France est au 22e rang européen ! Notre jeunesse est mise en situation de handicap.

Notre système est plus cher et plus inégalitaire que celui de tous nos voisins. Au lieu de permettre à tous de maitriser les savoirs fondamentaux de la vie (lire, écrire, compter, réfléchir, parler l’anglais, savoir se servir d’un ordinateur), il multiplie les disciplines, parce qu’il répond aux besoins des professeurs plutôt qu’à ceux des élèves, et s’emploie à sélectionner l’élite plutôt qu’à améliorer la moyenne. Si encore cela rendait l’élite exceptionnelle… mais même plus : aujourd’hui, on rentre plus facilement dans les grandes universités internationales, qui ne sont pas françaises, avec un bac international, basé sur quatre ou cinq disciplines choisies par l’élève, plutôt qu’avec un bac « S ».

En invitant les masses au spectacle de la reproduction d’une élite franco-française inexpugnable et inexportable, notre système décourage, exclut, humilie. L’économiste du bonheur Claudia Selnik a montré de façon convaincante que la propension française à se déclarer malheureux, au rebours de tous les indicateurs de développement social, était entièrement corrélée au temps passé dans le système scolaire français : une certaine manière de recevoir le savoir, d’être sélectionné, d’être jugé, qui marque pour la vie.

Les réformes comportent peu de risques, car nous pouvons difficilement faire pire. Bien sûr, le Gouvernement a commis une erreur en superposant une réforme qui était prête, celle du collège, avec une qui ne l’était pas, celle des programmes.

L’absence d’arbitrage sur les programmes a laissé le champ médiatique à ces précieux ridicules qui constituent le « Conseil supérieur des programmes ». Ces pachas de la novlangue, ambassadeurs du royaume de Charabia, qu’on imagine couverts de turbans et de médailles chez Molière ou Alfred Jarry, excellent à rendre inaudible tout propos sensé qui aurait le malheur d’être dans leur voisinage. Et la coalition des conservatismes a eu beau jeu de discréditer l’ensemble des réformes en leur prêtant l’argument de ces Trissotin jargonnent sur un « outil scripteur » (un stylo) ou une « traverse de l’eau en équilibre horizontal » (la nage).

Mais ce n’est pas le cœur du sujet. Les programmes vont encore passer par beaucoup d’étapes de concertation, même si on peut espérer les recentrer sur l’acquisition des fondamentaux. Car ils ne doivent pas être faits pour éviter aux professeurs de faire évoluer leurs qualifications, mais pour améliorer celles des élèves.

Le cœur du sujet, c’est que la réforme du collège s’attaque à quelques forteresses qu’on croyait inexpugnables : la verticalité des disciplines, la centralisation des programmes, l’absence de pouvoir pédagogique du chef d’établissement. Demander aux enseignants de sortir de leur spécialité et de travailler en équipe sur des programmes pluridisciplinaires, rendre 20% du temps scolaire à l’initiative décentralisée des équipes pour leur permettre d’adapter le programme aux besoins de leurs publics, donner au chef d’établissement un rôle d’arbitrage et d’animation de ces initiatives locales, c’est-à-dire de management, ce sont des réformes considérables. Elles vont exactement à l’encontre de ce qu’impose depuis des années le syndicat dominant de l’Education Nationale. C’est là que va s’engager le fer. Et si on veut pouvoir aller plus loin un jour, cette bataille doit être gagnée.

Les réformateurs de droite et de gauche doivent au public cette once de pédagogie et de sérénité qui nous conduirait à reconnaitre calmement la faillite de notre système, la direction dans laquelle nous devons le réformer, et que la réforme proposée du collège est un premier pas dans ce sens. Et comme il faut que l’opposition s’oppose, qu’elle explique comment elle ira plus loin ou plus vite, plutôt que de saboter aux cotés des syndicats les plus corporatistes le premier effort sérieux depuis des décennies pour accroître l’autonomie et la responsabilité des établissements scolaires.

Les Gracques

 

Réformer ou tomber

Tribune parue dans Le Point le 21 mai 2015.

À quelques jours du Congrès du PS, un mois après l’échec des départementales, un an après celui des municipales et six mois avant celui des régionales, une question domine la scène politique à gauche: sur quels soutiens peut compter la politique engagée depuis un an par le gouvernement ?

Sur celui des Français: les sondages montrent qu’une majorité d’entre eux souhaite que Manuel Valls reste Premier ministre et qu’il poursuive sur la voie des réformes . Sur celui du président de la République qui lui maintient sa confiance. Sur celui de nos partenaires : la Commission et les gouvernements, qui l’approuvent largement.

Et naturellement sur le soutien de la gauche européenne puisque, pour la première fois depuis longtemps, ces orientations sont en phase avec celles de nos voisins sociaux-démocrates. Pas aussi fort ni aussi vite qu’on pourrait le souhaiter ou que l’urgence commande, mais dans la bonne direction. Au delà de l’opposition qui s’oppose comme il va de soi, la question reste donc de savoir quel soutien cette politique va recevoir du Parti socialiste, à l’occasion de son congrès.

Le PS est face à  un dilemme que ses homologues européens ont connu avant lui : assumer l’aggiornamento réformiste,  au risque de chambouler les rapports de force au sein de l’appareil ? Ou s’en tenir au statu quo, en s’accommodant des contradictions croissantes entre le gouvernement et le parti majoritaire.

Tout dépend, comme pour un immeuble, de l’état des fondations et de la structure. Quand elles sont saines, on peut modifier l’édifice. C’est ce qu’ont fait dans le passé les travaillistes britanniques. À la doctrine étatiste d’un Michael Foot, a succédé la troisième voie de Tony Blair avant qu’un retour de balancier ne s’opère sous Ed Miliband. Son programme ayant été  rejeté par les électeurs britanniques, il en a tiré les conséquences en démissionnant pour qu’un nouveau leadership replace le Labour dans la trajectoire gagnante du réformisme.

Mais si une conception obsolète de la société et de l’économie sont le seul ciment de l’ensemble, alors il faut quitter le bâtiment avant qu’il ne s’effondre. C’est ce qu’ont fait les Italiens en 2007 en créant le Parti Démocrate avec les démocrates de gauche, les anciens communistes héritiers d’Enrico Berlinguer, le parti centriste de la Marguerite, le mouvement des républicains européens ainsi que des centristes de gauche et de droite. Les gardiens du temple, c’est à dire ce qui restait du Parti Socialiste et de Gauche démocrate, ont coulé. La rénovation a réussi : débarrassé du Berlusconisme qui empoisonnait la vie politique, le parti démocrate de Matteo Renzi a fait plus de 40% des voix au dernières élections et mis hors jeu les populistes de Grillo, qui fanfaronnait du haut de ses 25% de voix, comme ici le Front National. Renzi – Valls : même combat !

A l’heure où la droite veut s’afficher républicaine, c’est le moment pour une majorité à gauche et au centre de se réinventer démocrate. D’accepter les mécanismes du marché, pourvu qu’il soit correctement régulé ; d’admettre que l’économie n’est pas un jeu à somme nulle où ce que gagnent les uns est nécessairement perdu par les autres ; de mettre en oeuvre les transformations qu’impliquent les progrès technologiques et la globalisation ; de considérer que c’est à l’Etat de se réformer pour accompagner la société et non l’inverse, notamment dans des domaines aussi essentiels que l’éducation ou la santé.

Aux universités des Gracques, François Hollande était venu défendre l’intégration de la politique de l’offre dans la réflexion économique. Manuel Valls avait débattu avec Marielle de Sarnez et Gérard Colomb. Tous les leaders du Parti Démocrate italien y sont venus s’exprimer au fil des années: Veltroni, Rutelli, Monti, Letta. Il est vrai que le manifeste des Gracques fait partie des textes fondamentaux du Parti Démocrate…

Mais face à ce choix décisif à gauche entre conservateurs et réformistes, tranché partout ailleurs -sauf en Grèce- en faveur des réformistes , le congrès du Parti Socialiste a choisi de se dérober. D’un côté la motion A comme Attrape-tout du Premier secrétaire, et qui entend le rester. De l’autre trois autres textes,  qui ne rivalisent que pour toujours plus de dépenses publiques, dans un pays qui bat les records en la matière. Donc pour que rien ne change…

Nulle trace  d’une motion qui proposerait la voie réformiste pour mieux répondre, avec l’appui des élus locaux, aux difficultés quotidiennes des plus défavorisés, à ceux qui se sentent abandonnés par l’Etat, les institutions, les politiques et vont vers le Front national ; un texte qui ferait écho à l’évolution croissante des sympathisants socialistes dont plus d’un tiers estiment « qu’il faut diminuer le rôle de l’Etat et donner aux entreprises le plus de liberté possible »; une ligne claire qui susciterait l’envie d’entreprendre et de réussir chez les jeunes comme chez les entrepreneurs ; et qui pourrait soutenir, avec enthousiasme, la volonté de réforme du gouvernement.

Que cette ligne, fût-elle minoritaire, ne soit pas proposée aux militants, signifie qu’elle a été sacrifiée sur l’autel de l’unité du Congrès pour ne pas mettre en danger la motion du Premier Secrétaire. Aux Gracques, nous le regrettons. Nous soutenons cette ligne. Parce que comme autrefois le parti socialiste italien, le PS doit avoir le courage de débatte et de se réformer. Ou bien il restera hors-champ, décourageant les meilleures bonnes volontés.

Plein champ, lui, l’exécutif devra continuer à avancer : sur l’éducation comme l’a justement entrepris Najat Belkacem ; sur l’emploi des jeunes et l’apprentissage comme l’impulsion en est redonnée par François Rebsamen ; et sur les grands sujets structurels: simplification, marché du travail , retraites , feuille de route européenne. Parce que cette voie réformiste est la voie utile au pays, la seule qui décidera de la confiance à accorder en 2017.

La clarification économique et sociale entraînera la clarification politique qui naîtra de l’élection présidentielle. Car celle-ci ne pourra être gagnée – c’est la leçon italienne et anglaise- qu’avec des soutiens venant d’au-delà de la gauche. Réformer ou tomber.

 

Les Gracques

 

 

Et maintenant ? Mobilisons-nous

Les Gracques vous invitent à vous mobiliser en manifestant demain.

A Paris, rendez-vous est donné Place de la République à 15h pour le début de la marche républicaine.

Cette marche est ouverte à tous : tous, mobilisons-nous, familles, amis et voisins, à Paris et ailleurs.

Je suis Charlie

#JESUISCHARLIE

Je suis Charlie

#JESUISCHARLIE

Vivement Dimanche !

Tribune publiée dans Le Point.

Arrêtons le délire. La frontière entre la gauche et la droite ne passe pas au huitième dimanche travaillé. Ni au treizième.

La gauche, c’est autre chose. C’est la volonté de justice sociale, de solidarité, d’égalité des chances. C’est la protection des faibles et la résistance face aux forts. C’est l’intérêt général, la défense des droits de l’homme, la laïcité, et la défense farouche de toutes les libertés, y compris celles d’entreprendre et de travailler. Si cela venait à être menacé dans notre pays, alors oui, des voix pourraient et devraient s’élever pour appeler à un choix de société ou de civilisation.

Mais le travail le dimanche ! …..

Le drame de la vieille gauche, c’est quand elle ne s’exprime plus que par la voix des professionnels d’appareils partisans qui n’on souvent aucune expérience personnelle de la vie de l’entreprise, ni de la vie tout court. Ils sont les rentiers d’une grande histoire, mais ne partagent plus rien de ce qui a rassemblé des générations autour des plus nobles rêves du monde. Ils pensent l’économie et conçoivent les lois comme on parle entre copains de football ou de météo ; et déclinent leur répertoire de postures, au micro des chaînes d’info ou sur leur blog.

Cette gauche-là défend tous les acquis, jusqu’à ceux des huissiers de justice. Contre tous ceux qui veulent se battre, travailler, créer ; et d’abord contre les jeunes. Ce qu’elle défend au fond, c’est sa vision autocentrée du monde et ses réflexes interventionnistes. Dès que quelque chose bouge, elle le taxe. Si cela bouge encore, elle le régule. Et quand ça ne bouge plus, elle est prête à le subventionner. Rien de plus logique que sa marraine politique retrouve là la continuité de son parcours, de la réduction bureaucratique de la durée du travail à la révolte contre la loi Macron.

Aux armes citoyens, contre… l’ouverture des magasins le dimanche ? A force d’outrances, le débat gauche-droite, hier structurant, a fini par sombrer dans le néant. Le voilà désormais évincé par celui entre la France du bas et celles d’élites qui ont abandonné le peuple. Le peuple le leur fera payer. Le peuple des chômeurs, des jeunes, de tous ceux que l’on prive d’avenir.

Car la France, malgré sa richesse, ses talents, son histoire, son Etat, ses prix Nobel, sa culture, ses immenses atouts, est en train de basculer en deuxième division. Et de mettre en danger l’Europe, projet magnifique mais hors de portée si le couple franco-allemand n’est plus en état de le faire avancer.

La France aujourd’hui fait peur à nos voisins, par sa résistance aux réformes, pourtant plus douces que celles qu’ont réussies les pays du Sud, et par la montée des tentations démagogiques chez les extrémistes ou au sein même des deux partis de gouvernement. Italiens, Anglais, Espagnols, Allemands plus encore, tous nous regardent atterrés, persuadés que le risque de chaos est réel, entre effondrement de l’Euro et déferlante populiste.

Et pendant ce temps-là, la France se demande combien de dimanches….

Pourquoi ce débat sur la loi Macron occupe-t-il tout l’espace public? Parce que les frondeurs y ont vu un marqueur simple pour s’offrir le beau rôle, tout en attaquant l’axe Valls/Fabius/Macron/Rebsamen, c’est à dire la ligne de force et de cohérence de l’exécutif. Parce que les syndicats préfèrent mettre à bas, avant qu’il ne soit voté, un texte qui les renverrait à leur responsabilité en subordonnant l’ouverture dominicale, que de nombreux salariés réclament, à la conclusion d’un accord entre partenaires sociaux. De son côté, l’opposition préfère marquer un point politicien en s’opposant à des réformes qu’elle sait nécessaires, simplement parce qu’elle sont proposées par la gauche.

Mais tout indique, et d’abord les sondages, que les Français ne sont pas dupes. Notre peuple veut qu’on le laisse travailler, consommer et vivre comme il l’entend. Nos étudiants veulent pouvoir accéder à des petits jobs. Nos salariés veulent pouvoir augmenter leurs revenus. Nos concitoyens veulent être libres de faire ce qui leur plaît quand ils en ont envie. Voilà pourquoi le texte que défend Emmanuel Macron est décisif. Il fait rempart entre notre pays et le principe d’irréalité que des gens qui se prétendent de gauche veulent nous asséner. Quitte à provoquer la faillite économique, la destruction de notre protection sociale et le discrédit général. Cette gauche-là est le plus sûr agent électoral de l’extrême droite.

Pour l’exécutif, l’occasion est belle de prouver au monde que la France peut se réformer. Que gouverner ne se réduit pas toujours à des compromis sur tout ; ni la démocratie au blocage de toutes les décisions par l’addition d’oppositions stériles. C’est avant tout à cela que servira la loi Macron : montrer que l’on peut faire bouger les lignes.

La Constitution a prévu une telle situation. Cela s’appelle l’article 49/3: les frondeurs se taisent ; ou ils votent la censure avec la droite, ce qu’ils ne feront pas.

Alors le texte passera. Le pays sera rassuré. L’Europe respirera de savoir qu’indifférent aux aboiements, notre gouvernement est résolu à faire avancer la caravane France. Et que le chaos n’est pas fatal.

Vivement Dimanche! Tribune publiée dans le Point au format .pdf

Pour une remise à plat de la fiscalité des biens professionnels

Alors que s’ouvre le débat sur la remise à plat de la fiscalité, il importe de ne pas poursuivre les mêmes chimères que lors de la campagne présidentielle. Les Gracques avaient mis en garde contre l’obsession de l’équité verticale (c’est-à-dire de la progressivité de l’impôt, qui suppose que les riches paient proportionnellement plus d’impôts que les pauvres).

En effet, même si on en parle moins, l’équité fiscale passe aussi par l’équitéhorizontale : « à revenu égal, impôt égal ». A cet égard, le régime d’imposition des ménages fortunés souffre d’un biais majeur : selon qu’elles sont décapitalisées ou laissées dans le bilan de sociétés, les ressources financières de ces ménages sont traitées très différemment. Et cette différence créée un biais tel qu’elle rétroagit sur l’équité verticale en permettant aux hyper-riches d’échapper presqu’entièrement à l’impôt.

Si le débat sur la remise à plat de la fiscalité risque de se concentrer sur le commun des niches fiscales ouvertes aux investisseurs (Scellier et autres), ces niches destinées aux classes moyennes supérieures ne sont pourtant pas le principal enjeu de l’imposition du dernier « millime » de revenus.

Pour cette catégorie de contribuables, le vrai sujet est plutôt celui de la fiscalité des biens professionnels, qui touche autant à l’imposition du patrimoine qu’à celle des revenus. En effet, le taux d’imposition moyen au sein de ce dernier millime est très variable, suivant le degré de capitalisation des ressources financières. Parmi les possesseurs d’entreprises ou de participations, les « moins riches » ont besoin, pour financer leurs dépenses, de se verser des dividendes soumis à prélèvement libératoire. Au sommet de la pyramide, les contribuables les plus aisés peuvent au contraire se permettre de laisser une plus grande part de leurs revenus financiers dans des entités intermédiaires (sociétés diverses, holdings, etc.). Or devenus biens professionnels, les produits du patrimoine financier ne sont soumis ni à l’impôt sur le revenu, ni à l’ISF. C’est essentiellement par ce mécanisme que la contribution fiscale des très grandes fortunes se trouve, injustement, réduite à la portion congrue.

Il serait parfaitement possible de taxer ces biens professionnels au titre du patrimoine à hauteur de 0,2 ou 0,3%. Par l’instauration d’une telle fiscalité, nous amènerions le cercle très restreint des grands actionnaires particuliers à participer plus raisonnablement aux dépenses publiques.

Pour parvenir à une parfaite équité fiscale, cette nouvelle imposition du patrimoine financier pourrait tout simplement remplacer la fiscalité des revenus financiers : décapitalisés ou laissés dans les entités intermédiaires, ces revenus seraient ainsi soumis au même prélèvement.

Voilà comment mettre fin à une vraie injustice de notre système fiscal, de manière simple et difficilement contestable.

Soutien à la rencontre Histoires croisées France/Maghreb

Le dimanche 1er décembre 2013 au Palais du Luxembourg (15 ter rue de Vaugirard) une grande rencontre (Histoire croisée France/Maghreb) va rendre hommage à la longue histoire des arabo-orientaux en France, aux engagement contre le racisme (marche de 1983 pour l’égalité et contre le racisme et marche aux Etats-Unis de 1963 des Afro-Américains) et aux enjeux d’égalité au regard de nos histoires communes, autour de deux films en avant-première, de trois expositions inédite (à découvrir : http://www.senat.fr/evenement/histoires_croisees_francemaghreb.html), et des conférences et de deux grandes tables rondes avec des intellectuels, des chercheurs, des acteurs politiques et associatifs, des artistes et des écrivains, pour bâtir un autre regards sur la France actuelle.

VENEZ NOMBREUX !

Rencontre Histoires croisées France/Maghreb

Palais du Luxembourg (15 ter rue de Vaugirard)

organisée par le Groupe de recherche Achac

Dimanche 1er décembre 2013

tables rondes, conférences, témoignages inédits, expositions, films documentaires

 

Métro lignes 4 et 10 : Station Odéon

RER B : Luxembourg

Inscription obligatoire pour les cessions du matin et/ou de l’après midi

Coupons-réponses à remplir et à envoyer à contact@achac.com

Informations / réservation 01 43 18 38 88

Economie financière, économie réelle: il n’y a qu’une économie de marché

Des gouvernements qui s’écroulent pour avoir perdu sur quelques gestes la confiance des investisseurs, ou parce que leurs banques ont failli; des banques qui meurent, de leur faute ou parce que leur Gouvernement est en faillite,  ferment, et menacent de renvoyer des nations entières quelques siècles en arrière, avant l’invention de la monnaie scripturale ; une noria de transactions virtuelles qui circulent à la vitesse d’un clic et mettent en jeu des masses nominales de capitaux incomparablement supérieures aux échanges de marchandises et de services ; une compétition mondiale pour attirer les opérations de ces capitaux en transit, exacerbée par les paradis réglementaires et fiscaux , véritables passagers clandestins de la mondialisation. Trente ans après le grand mouvement de libération des mouvements de capitaux qui a initié ce qu’on appelle parfois la « mondialisation libérale », et qui est plus précisément la globalisation de l’économie financière, il faudrait avoir le cœur bien accroché pour maintenir que la liberté totale donnée à ces transactions a fait progresser la civilisation. Même le FMI ne le dit plus.

Pour autant, il n’est pas toujours vrai, et rarement utile, de se lamenter que « c’était mieux avant ». Il y a trente ans, les capitaux fous envoyaient à la cave les monnaies plutôt que les banques ou les Etats. Les banquiers étaient des fermiers généraux  qui installaient, à l’abri de toute concurrence, leur octroi pour accéder aux marchés. L’argent était très cher. L’inflation rognait l’épargne des plus modestes. Et si on remonte plus loin dans le temps, bien des choses qui nous arrivent ne sont que des répétitions à l’échelle mondiale de crises financières bien connues, que nous avions oubliées dans la fausse sécurité de cette sorte d’ « entre deux guerres » économique qui a  marqué l’avènement de l’euro .

Comme l’histoire européenne nous l’apprend, au moins depuis que les Rois s’endettaient auprès des juifs et des Templiers, les débiteurs, quand ils ont le pouvoir, ont tendance à reprocher aux financiers les créances qu’ils ont contractées auprès d’eux : et parfois à effacer le banquier en même temps que la créance . Et en sens inverse, on sait depuis des siècles que  les marchés financiers ne savent pas bien estimer les solvabilités : ils financent trop longtemps les gens qui se surendettent, comme ils l’ont fait pour la Grèce, et tout d’un coup ils s’arrêtent, sans préavis.

Et l’histoire mondiale fourmille d’exemples qui nous apprennent que les solvabilités des Etats et des banques sont inextricablement liées : des Etats peuvent faire faillite de n’avoir pas surveillé leurs banques, comme on l’a vu en Islande ; des populistes peuvent gagner 15 points dans les sondages et rendre un pays ingouvernable parce qu’il a fallu secourir une seule banque : c’est ce qui s’est produit, encore cette année, en Italie. C’est dire que ces sujets de réglementation financière  doivent être pris au sérieux.

1/ Si les modèles de la crise sont connus des historiens, ce qui a changé, c’est que la taille de l’économie financière s’est extraordinairement accrue au cours des dernières décennies, et que ses convulsions sont immédiatement mondiales. Il n’y a plus une crise de tulipes aux Pays-bas, une crise de la compagnie des Indes à Paris, une crise immobilière aux Etats-Unis, une crise des pays émergents. Il y a une crise des balances des paiements mondiale, qui se noue ici, sur les subprimes américains, ou là, sur une Grèce dont le PIB est inférieur à celui de la quinzième ville chinoise, ou sur un confetti de paradis fiscal chypriote, et qui grippe immédiatement les mécanismes globaux de recyclage des capitaux , réduisant l’accès au crédit des entreprises, faisant monter au ciel les taux italiens ou espagnols, faisant que déjà un euro dans une banque du Sud n’a plus tout à fait la même mobilité ou la même valeur qu’un euro dans une banque du Nord , et que le coût de l’argent des entreprises en Europe dépend déjà plus de l’adresse de leur domicile que de la solidité de leurs comptes.

Il n’est pas douteux que l’économie financière, des deux cotés de l’Atlantique, s’est développée au cours des vingt dernières années dans des proportions qui menacent le bon développement du reste de l’économie. Certains chercheurs (voir par exemple article du chief economist de la BRI, Stephen Ceccetti : is globalisation great ?) ont même tenté d’établir statistiquement la limite (environ 6,5% de la valeur ajoutée et 3,2% des emplois) en deçà de laquelle l’accroissement du secteur financier améliore la productivité globale, en assurant la fluidité du marché des capitaux, et au-delà de laquelle au contraire elle ralentit les progrès de productivité et de croissance. Pour des raisons que tout le monde comprend : attractivité de placements purement financiers au détriment d’investissements plus directs dans les entreprises, perturbations crées par la volatilité des marchés, surpondération de l’immobilier par rapport aux activités créatrices de richesse, attraction d’une part excessive des talents mathématiques au détriment des métiers d’ ingénierie et de recherche, etc….La finance fonctionne exactement comme le droit : plus de droit, de procès, d’avocats, de juges,  dans des économies comme celles de l’ancien bloc soviétique , cela permettrait de mieux assurer l’ordre, les contrats et la confiance , et donc de favoriser la croissance ; mais plus d’avocats et de class actions aux Etats-Unis, c’est juste un poids pour toute l’économie productive.

L’objectif d’une bonne régulation est donc de suivre la parabole de Boucle d’Or : rapprocher le secteur de sa juste taille, c’est-à-dire, en Europe occidentale et plus encore en Angleterre et aux Etats-Unis, le réduire. Le réduire, ce n’est pas jeter un anathème moral sur telle ou telle partie du métier, mais construire une régulation qui s’attaque aux sources de l’inflation non désirée.  Ce n’est pas réduire une fracture entre « économie financière » et « économie réelle », comme s’il y avait une « bonne finance », celle qui finance les entreprises et les Etats, et une mauvaise, celle qui joue au casino. Si les activités de marché n’étaient qu’un casino, un jeu à somme nulle ou s’échangent des paris, ce serait une activité socialement inutile, mais économiquement inoffensive. Or, c’est bien plus grave que cela : les activités de marché aussi financent les déséquilibres de l’économie réelle, et leurs dysfonctionnement ont des impacts réels sur la vie des gens. Le problème est que le concept d’ « économie réelle » n’a pas beaucoup plus de consistance théorique que celui de « France d’en bas » ou de « classes moyennes » : tout le monde prétend en être, plus ou moins. Et avec quelque raison, car il n’y a qu’une économie de marché, à la fois financière et réelle, et le rôle d’une finance efficace est de recycler les excédents de certains acteurs de l’économie réelle  pour financer les emprunts d’autres acteurs de l’économie réelle.

2/Pourquoi la finance a-t-elle pris tant de place dans nos économies ?

La première raison vient de ce qui est le coeur de son métier. La finance ne travaille presque qu’une seule matière première, qui est la dette. Les marchés de l’equity, au plan mondial, sont très petits par rapport aux marchés de la dette. La finance ne fait rien d’autre que formater, placer, racheter, revendre, démembrer, assurer ….des dettes. Dire que la finance prend trop de place, c’est exactement la même chose que de dire qu’il y a trop de dettes chez ceux qui s’endettent, et aussi trop d’excédents chez ceux qui prêtent. C’est la faute des créanciers qui accumulent au-delà de leurs projets d’investissement et acceptent de financer trop de mauvais risques, mais aussi quand même un peu des mauvais risques qui s’endettent au-delà de ce qu’ils peuvent rembourser.

Trop de dettes publiques, c’est-à-dire trop de déficits budgétaires, et ce sont les crises grecques, italiennes, et, dans les périodes d’incertitude, les tensions françaises. Notons d’ailleurs que, dans le cas français, le déficit de financement extérieur s’exprime essentiellement dans le déficit public. Il n’y a pas de surendettement privé. C’est pour cela que les banques françaises, à l’exception de Dexia, n’ont rien coûté au contribuable. Heureusement d’ailleurs, car leurs opérations internationales leur ont fait atteindre des tailles de bilan qui les mettent au-delà des capacités de l’Etat français, s’il fallait les secourir- ce qui n’est pas rassurant d’un point de vue systémique : elles ne sont plus seulement « too big to fail », mais aussi « too big to be rescued ». C’est-à-dire « too big », tout court.

Trop de dettes privées, et ce sont les crises islandaises, irlandaises, espagnoles, qui finissent d’ailleurs par devoir être prises en charge par les budgets publics. Ou trop de chaque, comme dans le cas américain. Et qu’il y ait trop de dettes publiques, détenues par des étrangers qui peuvent à tout moment perdre confiance, ou trop de dettes privées, le fond du problème est un déficit de balance des paiements : plus ces déséquilibres mondiaux se développent, plus la finance s’étend, pour financer les déficits avec des dettes ; et plus elle se mondialise, puisqu’il faut bien aller chercher l’épargne dans les pays en excédent pour financer les déficits de paiement courants.

Réduire la taille de la finance, retrouver l’indépendance des nations dans la conduite de leurs politiques, c’est donc d’abord le travail d’une coordination des politiques macroéconomiques, qui doit réduire les déséquilibres de paiement de l’économie réelle. Ces déséquilibres s’expriment sous la forme du déficit budgétaire, qui accroît la dette de l’Etat, ou du déficit de la balance des paiements, qui accroît celle de la Nation. Mais ce sont les mêmes : ils apparaissent quand, sur longue période, plus de pouvoir d’achat a été distribué que l’économie n’a réalisé de gains de productivité. C’est le cas de la France depuis 2002, date à laquelle, on ne le rappelle pas assez, nos comptes extérieurs étaient équilibrés –après une décennie de gains de compétitivité par rapport à l’Allemagne- et notre déficit inférieur à 3%. Ces déséquilibres se corrigent par un effort sur la consommation et le pouvoir d’achat, et des réformes structurelles pour accroître l’investissement et la productivité. Politique de rigueur, rarement populaire. Dans une zone dont les comptes extérieurs sont équilibrés comme la zone euro, et qui n’a pas vocation à accumuler les excédents comme une grande Allemagne, ces ajustements marchent mieux si les pays en excédent travaillent de leur coté à réduire leurs surplus. On ne peut pas leur demander de les donner, mais il faut qu’ils les dépensent, c’est-à-dire qu’ils accroissent leurs revenus distribués. C’est plus facile à faire, et nos encouragements aux revendications des travailleurs allemands sont de ce point de vue légitimes.

3/Mais les déséquilibres de l’économie réelle n’expliquent pas tout de l’inflation de la sphère financière. La taille des bilans du secteur financier s’est accrue non seulement par augmentation des endettements, c’est-à-dire par la taille des prêts qui deviennent des emprunts, mais parce que le système, sur le chemin entre le prêteur et l’emprunteur, fait tourner l’argent plusieurs fois, entre plusieurs acteurs, ce qui rend à la fois l’intermédiation plus efficiente et le système plus fragile.

Prenons deux  exemples simples pour illustrer le propos.

Premier exemple : une simple Sicav d’actions françaises, comme en gérait Jérôme Kerviel ….Kerviel, d’après ce qu’on comprend,  ne travaillait pas sur des produits « sophistiqués » ni spéculatifs, comme l’a dit la presse, mais sur des produits très simples qui se trouvent sans l’ombre d’un doute du « bon » coté de la frontière entre les banques tracé par la loi bancaire. Kerviel aujourd’hui serait, tout à fait à juste titre, du coté de la « banque utile », garantie par l’Etat.

Kerviel faisait des trackers, c’est-à-dire des SICAV low cost dont l’objet était de permettre à des investisseurs d’acheter des actions en panachant « un peu de chaque »  à proportion de l’indice. Pas des choses de hedge fund. Plutôt des produits d’entrée de gamme pour des investisseurs simples qui ne veulent pas spéculer tel ou tel titre, mais seulement prendre une position globale sur l’indice sans payer trop de frais bancaires.

Non sans quelques détours et un peu de complexité. Les trackers « physiques », très nettement préférés aujourd’hui,  sont des Sicav qui achètent exactement à proportion les actions de l’indice, et mettent donc l’épargnant à peu près dans la même situation que s’il avait acheté « un peu de chaque action » : sauf que les intermédiaires, pour améliorer le rendement, prêtent parfois ces actions à titre temporaire, ce qui peut provoquer des problèmes en cas de crise systémique.

Kerviel, lui, semblait travailler plutôt sur des trackers « synthétiques » ou le gestionnaire achète comme sous- jacent des titres qui ne sont pas nécessairement ceux de l’indice, plutôt ceux que la banque a en trop, et ensuite échange avec d’autres contreparties bancaires la performance de ces titres contre  celle des actions de l’indice, afin de reproduire « synthétiquement » l’indice.

Deux choses sont intéressantes à noter ici. L’épargnant a demandé un produit simple, un panier d’actions. On lui donne, en toute transparence d’ailleurs s’il lit la notice, un produit un peu plus compliqué : un panier d’autres actions que celles qu’il a demandées, plus un bouquet de créances sur des banques matérialisant l’échange des performances contre les actions qu’il veut, moins un bouquet de dettes matérialisant l’autre jambe de l’échange.

Le produit synthétique, évidement, a fait grossir le bilan de tout un tas de banques, puisqu’il multiplie partout les créances et les dettes. Il est donc beaucoup plus sensible en cas de crise bancaire, au risque de contrepartie : l’épargnant du produit physique  a des actions Danone, celui du produit synthétique des actions d’une autre société dont une banque a promis à une autre banque qu’elle rajouterait le complément de performance par rapport au titre Danone… ce qui est la même chose qu’une action Danone si aucune des deux banques n’est menacée.

Plus sensible au risque de contrepartie,  le produit l’est aussi au risque opérationnel : quelque chose peut ne pas marcher dans toute cette mécanique qui transforme des actions quelconques en actions Danone. Et Kerviel a montré que ce risque opérationnel n’est pas théorique, puisqu’il a réussi à fausser les entrées comptables au point de faire perdre 5 milliards à la Socgen, sur un produit assez simple, qui permet d’orienter l’épargne vers les entreprises, sur lequel ni l’acheteur ni l’intermédiaire n’avait d’intention spéculative, et qui se trouve donc du coté de la « banque utile ».

Banque utile, donc, mais banque dangereuse.

Deuxième exemple : une toute bête obligation d’entreprise. Suivons son circuit, dans la finance de papa, puis dans la finance sophistiquée.

Dans des marchés traditionnels, elle émettait des titres  qu’elle plaçait auprès d’investisseurs non financiers, qui les gardaient le plus souvent jusqu’à maturité. Le bilan du secteur financier n’était impacté, de 100 millions, qu’un instant de raison dans la banque A, jusqu’à ce que le produit soit porté, sans risque pour les banques, par les investisseurs finaux, qui le mettent en compte titres dans leur banque, à la banque Z, où ils reçoivent les coupons et se font rembourser au terme.

Dans des marchés sophistiqués, il se passe beaucoup de choses entre temps. Entre l’entreprise et sa banque : l’entreprise va chercher la liquidité là où elle en trouve à un moment donné, cela peut être sur le marché des obligations en dollars à taux variable, alors qu’elle veut s’endetter en euros à taux fixe : elle va donc demander à des banques, pas forcément les mêmes, de lui échanger (swap) le taux fixe contre le variable, et l’euro contre le dollar ; ces banques prennent un risque qu’elles vont replacer auprès d’autres banques qui ont des positions inverses. Du coté du souscripteur, on aura moins de détentions directes jusqu’à maturité, plutôt des fonds obligataires qui vont faire tourner les produits, prêter leurs titres, gérer leurs risques en achetant auprès d’autres banques des couvertures de taux ou de solvabilité, etc.

Le résultat, c’est que la même obligation, qui ne se trouvait dans la finance traditionnelle que l espace d’un instant dans le bilan de la banque de l’entreprise, puis déposée pour compte de tiers dans la banque de l’investisseur, se trouve maintenant, sous une forme ou une autre, par fragments de risque, dans le bilan d’une dizaine ou d’une vingtaine de banques.

On voit bien, dans cette noria, que les banques sous-estiment un risque : le risque que leurs collègues, les autres banques, ou d’ailleurs les fonds auxquels elles revendent les risques,  fassent faillite. Dans le schéma traditionnel, le système bancaire n’était exposé que l’espace d’un instant à un client industriel. Dans le nouveau circuit, l’opération est perdante si l’une des 10 ou 20 banques qui se sont échangé le risque tourne de l’œil.

Il n’y a pas, dans le système décrit plus haut, un produit financier qui ne correspond à rien de réel, qui circulerait dans une économie éthérée au niveau d’abstraction d’un pari. Il n’y a qu’une créance d’une entreprise réelle, placée à la fin chez des investisseurs réels , et qui tournoie de banque à banque dans une noria d’opérations dont chacune peut exciper d’une bonne justification économique , mais dont le cumul donne le tournis…

Toutes ces opérations ne sont pas des jeux de casino. Il est extrêmement probable que les trackers  qu’opèrent les collègues de Kerviel permettent d’orienter plus d’épargne vers les actions d’entreprises, et que les boucles que suit notre obligation  permettent à une entreprise de l’économie « réelle » d’émettre une dette moins chère ; une dette moins chère, parce qu’elle est levée sur un marché mondial , que si elle avait été se financer sur son bassin d’origine ; moins chère que si le porteur avait été bloqué 5 ou 10 ans sur un marché illiquide ; moins chère que si on n’avait pas été chercher la liquidité , à un moment donné, dans une autre devise, quitte à revenir au risque naturel, etc… Mais le fait que l’argent tourne autant aboutit à ce que toutes les banques sont en risque de contrepartie majeur les unes sur les autres, ce qui accroît la fragilité du système. Joseph Stiglitz compare à juste titre les paradoxes de la régulation du secteur financier à un problème de conception d’un circuit électrique : avoir un système intégré est moins coûteux et réduit la probabilité d’un black out ; mais une rupture à un seul endroit du système, si elle advient, peut entraîner tout le réseau. C’est pourquoi il faut des coupe-circuits.

4/Instaurer des coupe-circuits dans le secteur financier, c’est d’abord forcer les banques à s’intéresser à leurs risques de contrepartie, et pour cela rompre la garantie automatique dont l’Etat leur fait bénéficier sur leurs opérations de marché.

Dans un environnement traditionnellement capitaliste, ce risque de contrepartie serait mesuré pour chaque opération , et ne serait pris que sur une petite partie du bilan seulement quand l’avantage d’une structuration supplémentaire l’emporte nettement sur le risque d’une complexité additionnelle . Les banques se regarderaient entre elles comme elles regardent… leurs clients.

Mais il y a aveuglement au risque de contrepartie, d’abord parce que c’est un risque extrême qu’il est difficile de calculer et de tarifer, comme toutes les queues des courbes de Gauss. Les modèles mathématiques calculent des probabilités d’occurrence de ces catastrophes  en projetant sur quelques millénaires l’expérience de quelques décennies, et sous l’hypothèse d’une dispersion gaussienne des probabilités réelles, puis laissent les décideurs se rassurer en choisissant un niveau de confort ou de prise de risque qui leur garantit « scientifiquement » qu’ils n’ont pas plus d’une chance sur mille, ou dix mille, ou cent mille, de subir un évènement extrême. C’est comme cela que plusieurs Prix Nobel ont fondé LTCM.

Si tout cela était vrai, on le saurait. Mais on saurait aussi expliquer pourquoi les catastrophes , dont les modèles nous assurent qu’elles ne peuvent arriver que tous les millénaires , persistent à se représenter  toutes les décennies, au moins . On ne sait pas si c’est parce que tous les grands risques, aux extrêmes, deviennent corrélés, ou parce que les données sont fausses, ou parce que le risque n’est pas gaussien. Toujours est-il que les risques, comme disent les mathématiciens, ont une grosse queue (fat tail). Ou pour utiliser le langage plus simple des traders : « shit happens ».

Mais aussi le risque de contrepartie, comme d’autres risques, est négligé parce que le contribuable est l’assureur ultime de tous les risques bancaires extrêmes.

Pourquoi s’inquiéter de vérifier si l’économie de s’endetter en livres sterling  et swaper le risque avec Barclays justifie de prendre le risque, fut il minimum, d’une faillite de Barclays dans les prochaines années ? Puisque de toutes façons, si cela arrive, l’Etat britannique devra rembourser.

Sauf justement que l’Etat britannique est en train de convaincre le marché qu’au terme du long processus initié par la réforme Vickers , si Barclays fait faillite, ses activités de marché ne feront pas l’objet d’un sauvetage public . Cela va obliger les contreparties des banques britanniques à mettre un prix sur ce risque de défaut. Et la consommation du risque de contrepartie, comme toutes les choses  dont le prix augmente, et particulièrement celles qui cessent d’être gratuites, va baisser en quantité.

Cela va faire tourner moins l’argent pour un volume égal de financements réels, réduire la taille des bilans des banques, réduire le volume, les effectifs, les revenus de la banque de marché, en laissant les règles du marché sélectionner les opérations sur lesquelles portera cette déflation.

C’est exactement ce qu’il faut faire.

5/ Alors, pourquoi ne le fait-on pas tout de suite ? Pour deux raisons ; d’abord parce que le problème a été posé en termes moraux plutôt que systémiques, en cherchant à séparer la « bonne » banque utile, et la « mauvaise » banque spéculative et inutile, alors qu’il faudrait plutôt voir deux banques utiles, mais dont l’une est risquée. Ensuite parce que la banque de marché, la banque risquée, permet quand même à l’économie de se financer à moindre coût, et que sa rétractation rapide peut être récessive si le terrain n’est pas préparé pour une nouvelle finance de marché ; à défaut, le financement de l’économie et la croissance pourrait y perdre, même si la sécurité y gagnerait.

La Parlement français a voté une loi utile d’assainissement bancaire plutôt que de séparation bancaire. C’est dans un cadre européen que devra être appliquée progressivement la législation qui permettra au moins, en cas de crise, la séparabilité des activités de la banque de marché.

Que se passe-t-il quand un législateur cherche, dans une économie de marché et dans la forêt d’opérations de grandes banques universelles, à séparer les opérations utiles et les opérations inutiles ? Et bien, il regarde, et il conclut à l’évidence que presque tout est utile. C’est ce qu’il a fait en mettant presque toutes les activités bancaires du coté de la banque de dépôt, censée être seule utile. Et c’est très logique, car la banque d’affaires, elle aussi, est utile. Et si elle n’était pas utile d’ailleurs, dans une économie de marché, elle n’aurait pas été inventée ! Les opérateurs sur un marché ne s’échangent des risques que s’ils le jugent utile ; et c’est précisément l’utilité d’un marché que de permettre aux gens d’échanger des choses. Toute cette discussion sur la « banque utile » part au fond d’une méconnaissance du fonctionnement d’une économie de marché…

Prenons quelques exemples sans tomber dans le jargon des marchés financiers.

Il est utile que la banque gère des dépôts, et utile qu’elle place ces dépôts pour financer des créations d’entreprise et des nouveaux investissements « réels » des entreprises existantes (banque de dépôts). Utile aussi, à l’évidence, qu’elle permette à des entreprises d’augmenter leur capital en émettant de nouveaux titres en Bourse (activité d’intermédiaire boursier), pour financer d’autres investissements réels quand elle a atteint sa limite d’endettement ; utile même qu’elle garantisse le placement sur son propre bilan (risque de marché) pour en décharger l’entreprise.

Tout cela est utile, car cela finance des investissements nouveaux. Mais personne n’investit dans une entreprise ou une action s’il ne peut pas, un jour, la revendre : même si on investit à très long terme, même si on n’a pas l’intention de revendre, il faut au moins pouvoir le faire. Pour qu’il y ait un marché « primaire »  utile, il est donc également utile qu’il y ait un marché de l’occasion, où se rachètent les parts des entreprises existantes, ou leurs dettes. Et que ce marché soit liquide et profond, c’est-à-dire animé par des teneurs de marché qui s’occupent de rapprocher au maximum, à chaque instant, les acheteurs et les vendeurs.

Même chose d’ailleurs pour les Etats : il est utile qu’ils placent de la dette pour financer leurs déficits nouveaux, qui viennent de ce qu’ils financent l’économie « réelle », c’est-à-dire les salaires des fonctionnaires et les prestations sociales,   au-delà de ce qu’ils y prélèvent, ie les impôts. Il est utile qu’ils les placent les plus largement possible, pour faire baisser les taux, à des gens qui veulent bien sur pouvoir les revendre à tout instant sur un marché liquide et profond. Et utile peut être, pour faire baisser les taux et accéder à la population la plus large d’investisseurs, de leur permettre de séparer le risque de variation du taux et le risque de non remboursement in fine….ce en quoi consiste l’émission de CDS souverains.

L’existence d’un marché de la revente est donc aussi utile que celle d’un marché primaire.

Et l’existence d’investisseurs à court terme, c’est-à-dire de spéculateurs, est utile à ce que le marché soit liquide pour les investisseurs de long terme. Que serait-ce  qu’un marché où il n’y aurait que des investisseurs à long terme ? Ce serait un marché où on ne trouverait rien à vendre et rien à acheter, c’est-à-dire un marché où il serait très difficile de se défaire d’un investissement en cas de problème, et donc  un marché où il serait imprudent de prendre des positions de long terme.

Et les dérivés ? Y a-t-il de bons dérivés, par exemple ceux qui permettent aux entreprises de s’ « assurer » contre la hausse des taux ou celle du pétrole , et des mauvais , ceux qui permettent de « spéculer » sur les mêmes valeurs ? Mais si tout le monde cherchait à s’assurer contre les hausses, on ne pourrait pas s’assurer. Il faut donc bien qu’il y ait quelqu’un qui joue en sens inverse, quelqu’un qui offre l’assurance, et détermine son prix. Le spéculateur (activité inutile) ou l’assureur (activité utile) ? Mais au fait quelle est la différence ? Pour qu’on puisse s’assurer sur la vie, il faut qu’il y ait un assureur, c’est-à-dire quelqu’un qui spécule sur la mort.

Pour fonctionner, les marchés ont besoin d’entrepreneurs, mais aussi  de spéculateurs ; comme les films hollywoodiens ont besoin de méchants, et cela ne les empêche pas de se terminer bien ; ou comme les éco-systèmes ont besoin de prédateurs. Ils ne sont menacés que  s’il y en a  trop.

Tout cela est-il « moral »? Question intéressante, mais qui n’a pas grand-chose à voir avec l’économie politique.

Il n’est pas douteux qu’il y ait une différence de « qualité morale » entre l’entrepreneur de long terme et le spéculateur. Mais justement, l’économie de marché n’est ni morale, ni immorale. Elle est  a-morale. Il y a de ce fait une limite à appliquer une approche purement morale pour légiférer sur l’économie financière.

Certes, les banques ont montré à l’occasion des années de crise de nombreux  cas de défaillances très graves, et très visibles par l’opinion, par rapport aux standards minima d’intégrité qu’on peut attendre dans toute industrie. Mais il n’y a pas que cela : poursuivre et réparer les atteintes à l’éthique doit être poursuivi avec sévérité et à l’abri de tous les lobbies ; Mais cela ne suffira pas à réparer le système. Les actions des uns et des autres, sur les marchés financiers, n’ont pas seulement besoin d’être moralisées – approche kantienne qui consiste à sonder les intentions-, mais surtout d’être régulées, approche positiviste qui consiste à analyser les effets.

L’économie de marché n’est pas un projet de société. Elle n’a d’autre prétention que d’être efficiente pour assurer de manière quotidienne et décentralisée l’affectation primaire (c’est-à-dire avant redistribution sociale) des ressources rares appropriables à titre individuel (donc hors biens publics)   La question est simplement de savoir si l’économie de marché est efficace pour l’allocation des ressources financières, et quelle régulation peut la rendre plus efficace. Bien sûr, les marchés ne sont pas toujours efficients, ils sont moutonniers, volatiles, il y a des bulles et des krachs, et on aurait aimé des chemins moins sinueux. Mais on n’a encore rien trouvé de mieux pour apprécier la valeur des actifs et permettre qu’ils se vendent.

La mauvaise question était donc de chercher à séparer les activités moralement inférieures, car ce n’est pas le problème, ou  inutiles, parce qu’il y en a très peu. La bonne question est de savoir comment on ferait, si par malheur il en était besoin, pour séparer, afin de les mettre en faillite, les activités utiles risquées,  c’est-à-dire la banque d’affaires, afin de sauver la banque de dépôts, qui constitue une utilité publique essentielle, ou pour être plus clair, un service public.

La faillite d’une grande banque d’affaires, comme Lehman Brothers, est une grande calamité, dont nous avons eu une expérience récente : elle entraîne des faillites en chaîne, et a participé  fortement à la récession mondiale. C’est pour éviter cela que la banque d’affaires doit, elle aussi, être très régulée, et pour cela que les Gouvernements hésitent avant de laisser tomber, une fois de temps en temps, pour l’exemple, une banque de marché.

Mais la faillite d’une banque de dépôts, a fortiori de plusieurs s’entraînant les unes les autres, c’est juste impensable. Cela voudrait dire des gens modestes faisant la queue devant leurs banques pour récupérer ce qui reste, et trouver porte close. La menace n’est pas celle d’une récession, mais d’une dépression profonde, comme on en a vu après la faillite de la Kreditranstalt et jusqu’à l’avènement du nazisme. Voire d’un retour de l’économie en arrière de quelques siècles, avant l’invention de la monnaie sous sa forme scripturale.

Donc, cela ne peut pas arriver. Tout le monde sait, et les marchés les premiers, que les Etats sont les garants ultimes des banques de dépôts. Si elles sont en difficulté, même sur les activités de marché, même sur leurs marchés étrangers, ce sont les contribuables de leur Etat d’origine qui devront payer l’addition.

Cette garantie latente existe depuis toujours, et dans tous les pays. Mais ce qui est nouveau, et spécifique aux pays européens, c’est que la garantie implicite donnée par les États porte sur des banques dont la taille totale des engagements est, pour chacune, de même ordre de grandeur que les budgets et les PIB annuels des Etats qui en sont les garants ultimes.

Cela signifie que s’il y avait aujourd’hui en Europe une grande banque qui appliquait la stratégie du Crédit lyonnais dans les années 90, ou un Kerviel qui rajoutait juste un zéro à ses fausses entrées comptables, il faudrait augmenter l’impôt sur le revenu, ou la TVA, pour une génération, sauf à ce que l’Etat fasse défaut ; et ce n’est pas une solution, car le défaut d’un Etat entraîne celui de ses banques.

A un certain point de crise extrême, il serait sans doute préférable de ne sauver que l’utilité publique essentielle, c’est-à-dire la banque de dépôts, en nationalisant pour sa valeur économique l’activité de dépôts et de prêts directs, en laissant le reste faire faillite. C’est-à-dire accepter un nouveau Lehman, mais pas un nouveau Kreditanstalt.

Le véritable enjeu de cette affaire de séparation est de permettre ce choix de « containment » de dernier recours. Force est de reconnaître que le projet voté au Parlement ne contient pas par lui-même beaucoup de dispositions pour avancer dans cette voie, car s’il isole les activités les plus spéculatives, l’essentiel des activités de marché restent du coté de la banque garantie. Il faudra donc compter sur la réglementation pour approfondir les « living wills » ,(plans de résolution) , en forçant progressivement les banques, sous le contrôle des régulateurs,  à  » tracer les pointillés » qui permettent de procéder à ces découpes dans des situations extrêmes. Ce travail de régulation devra être mené avec beaucoup de détermination et de minutie.

Mais cela ne se fait pas en un jour, ni en une réforme, et il faut arbitrer entre les bénéfices d’une sécurité accrue du système et le caractère nécessairement récessif d’une réglementation plus contraignante. C’est d’ailleurs pour cela que la réforme anglaise, avec beaucoup de sagesse, n’aura son plein effet qu’en 2018.

6/Mieux protéger le système d’un risque d’effondrement général va donc demander toute une série demesures qui doivent être prioritisées, car elles comportent toutes des risques sur la croissance :

-réduire les niveaux d’endettement nets, c’est-à-dire les déficits budgétaires des Etats et les déficits de balance des paiements courants : autrement dit, appliquer dans la durée une politique de rigueur. Ce qui est en cours.

– recréer quelques « coupe-circuits » sur les marchés financiers mondiaux, où tous les actifs se trouvent aujourd’hui corrélés en cas de risque extrême ; ce qui veut dire, dans une proportion qui doit être très prudente, « re-compartimentaliser » un peu, voir « renationaliser » les circuits de financements. C’est d’ailleurs ce qui se produit naturellement, par aversion au risque, depuis la crise européenne ;  mais cela ne facilitera pas le financement des pays les plus en déficits.

– réduire le levier des banques en les forçant à mettre plus de capital pour un même volume de prêts, surtout sur les engagements les plus risqués, ce qui est déjà décidé avec la réforme des ratios de solvabilité. Notons au passage que les banques sont aujourd’hui le seul métier du monde qui ne vaut pas la moitié de ses fonds propres. Il suffit de mettre un euro dans une banque pour que tout de suite, le marché ne vous le valorise plus qu’à 50 cents, ce qui donne une idée du respect du marché pour ses propres titans.  En conséquence de quoi, il n’y aura pas d’augmentation de capital des banques, mais une réduction de leurs prêts. Cela ne va pas aider non plus.

– à quoi il est vrai qu’il faudrait ajouter l’autonomisation de la banque d’affaires, afin de forcer les banques à simplifier leurs circuits de financement. La stabilité du système y gagnera, mais le coût du crédit augmentera.

Ces différentes mesures ont des objectifs différents : la restauration de la solvabilité des Etats vise juste à éviter un Armageddon général. Des ratios de solvabilité plus sévères pour les banques visent à réduire la probabilité de faillites bancaires. La séparation, ou au moins la séparabilité, des banques d’affaires vise à réduire l’ampleur des catastrophes si ces faillites arrivent quand même, malgré les probabilités.

Il est normal par ailleurs que ces transitions aient besoin d’être préparées. Car le retrait des banques du financement d’une partie de l’économie, pour réduire les risques et les leviers, ne va pas réduire la place des marchés. Elle va l’augmenter, au contraire. Il va falloir réinventer des marchés permettant de mettre en place des circuits de financement directs et de marché, de l’épargnant vers l’entreprise, sans passer par les banques. Cela nécessite de mettre en place tout un tas de mécanismes de titrisations « éthiques » qui ressembleront assez aux problématiques de la sécurité alimentaire, comme d’ailleurs les scandales financiers ressemblent à ceux de la vache folle ou de la viande de cheval : complexité des circuits, multiplicité des intermédiaires,  problèmes de transparence des étiquettes, produits toxiques et pollutions systémiques. On offrira  bientôt assez largement aux particuliers des investissements en obligations directes dans des entreprises qu’ils connaissent, ou des immeubles qu’ils trouveront sur Google map, ou en autres produits « traçables ». Et il y aura des titrisations « éthiques » comme il y a de la nourriture « bio », desproduits financiers « garantis sans dérivés ajoutés » (comme déjà les trackers physiques qui écrasent les trackers synthétiques). Mais comme les marchés bio, ce sera plus cher.

Des Etats à la diète, des banques qui prêtent moins, des produits financiers moins risqués mais plus chers… Entre toutes ces décisions récessives, il est normal de faire des priorités et de privilégier les plus urgentes.

Le plus urgent, c’est la solvabilité des Etats, car elle a été sérieusement mise en cause pendant la crise européenne. Le risque le plus sérieux que l’économie revienne à l’âge de pierre, aujourd’hui, ce n’est pas la faillite de la BNP, c’est celle de l’Italie ou de l’Espagne.

Et d’ailleurs, pour en rester aux banques, si une faillite d’une banque globale comme Deutsche Bank ou la BNP serait une catastrophe systémique pour toute l’Europe, elle serait beaucoup plus grave, mais aussi infiniment moins probable, que celle de caisses d’épargne locales espagnoles, qui à force de restreindre leur horizon de prêts à une économie où personne n’était compétitif, ont fini par ne plus prêter qu’à l’immobilier. C’est l’argument le plus solide des défenseurs de la banque universelle : assez grande pour participer aux recyclages mondiaux d’argent, pour arbitrer entre les régions, elle n’est pas forcément prisonnière d’une vision locale ou provinciale, ou d’une influence politique. Et il est exact que ce sont les banques locales et les banques politisées qui font le plus souvent faillite.

Il y a ensuite un débat pour savoir s’il faut pousser les feux sur la réduction du levier des banques, en durcissant plus ou moins vite les ratios de solvabilité, ou sur la protection du cœur de la banque, en assurant la séparabilité des activités risquées. Nous pensons, parce que nous ne croyons pas beaucoup aux probabilités dans la prévision des évènements extrêmes, qu’il y a de bons arguments pour choisir la seconde option : privilégier le damage control dans le pire des cas, plutôt que se contenter de réduire asymptotiquement la probabilité de l’incident majeur. C’est-à-dire aller vers des systèmes permettant de séparer la banque d’affaires en cas de faillite, quitte à adoucir les contraintes, largement pro-cycliques, des ratios de solvabilité. D’autant que les américains, qui sont à l’origine de la crise, semblent eux aussi retarder la mise en application de ces normes.

Bien sûr, le niveau de décision n’est pas le même : réglementation européenne et mondiale pour les ratios de solvabilité, réglementation nationale, en principe, pour la loi bancaire.

Mais cela change vite ; la loi que le Parlement est en train de voter est probablement la dernière qui se joue au niveau national. La perspective de l’Union bancaire, si elle se concrétise, ce qui est essentiel pour restaurer le crédit des Etats, contribuera à régler un problème fondamental : que la France est trop petite pour réguler BNPP et l’Allemagne trop petite pour réguler Deutsche Bank.

Le débat tel qu’il se jouera en Europe autour du rapport Likanen est donc beaucoup plus important que le débat français. De toutes façons, les partisans de la régulation et de la séparabilité des banques d’affaires savent que ce n’est pas une décision qui pouvait se prendre à la faveur d’une loi triomphante, mais un processus qu’il faut conduire sur au moins la décennie.

C’est d’ailleurs ce que font certains de nos partenaires les plus menacés par la pollution d’une taille excessive de l’économie financière, comme les anglais et les suisses. Ils sont en avance sur nous dans les inconvénients de la financiarisation, et il est donc normal qu’ils soient en avance dans la correction de ses effets. Observons donc avec intérêt le processus qu’ils ont lancé, et faisons en sorte que l’Europe, qui seule pourra traiter demain d’un sujet si sérieux, en tire les leçons sans faiblesse.

L’objectif est simple : avant quelques années, c’est-à-dire avant le prochain retournement conjoncturel majeur, les Etats européens doivent disposer d’un outil juridique et opérationnel qui leur permette, en cas de crise extrême,  de nationaliser en un week-end, pour sa valeur économique, le seul service public essentiel que constitue la banque de dépôts, selon des pointillés tracés à l’avance, sans avoir à garantir les autres activités. Et les marchés doivent anticiper que les Etats ne garantissent plus les  évènements extrêmes de l’activité de marché.

Si cet objectif est atteint au terme d’un processus qui maîtrisera l’impact du dégonflement progressif des activités de marché des banques, la sécurité des Etats aura fait un pas en avant considérable, car ils ne pourront plus être pris en otage par les grandes banques. Et la loi bancaire française apparaîtra pour ce qu’elle est : une étape.

Guillaume Hannezo

L’université en VF

Université la Sorbonne

Il y a deux ans, les Gracques avaient appelé à l’abrogation immédiate de la circulaire Guéant, et au lancement d’une série de mesures destinées à réparer la réputation de la France à l’international. La ministre de l’enseignement supérieur, Geneviève Fioraso, fait un pas dans cette direction en proposant, entre autre, de généraliser l’usage de l’anglais dans les universités françaises, qui le parlent si mal.

A notre stupeur, cette mesure (pourtant modeste car elle ne concerne que les formations européennes ou jumelées avec une université étrangère!), est aujourd’hui attaquée de toutes parts par ceux-là même qui dénonçaient la circulaire Guéant.

Comme si il était inacceptable de chasser les étudiants étrangers par la loi, mais nécessaire de le faire par la langue.

De Claude Hagège, parlant de l’anglais comme « langue du profit » à Michel Serres comparant la réforme à l’Occupation allemande, en passant par ceux qui semblent imaginer que les scientifiques publient encore en français, ce débat a été l’occasion de redémontrer les fantasmes d’isolationnisme nauséabond qui animent encore certains intellectuels.

Ce qui pénalise la France à l’étranger, c’est précisément son incapacité à comprendre qu’une culture ne souffre pas de l’ouverture à l’altérité. Ceux qui travaillent dans les laboratoires ou étudient dans les universités témoignent du principal reproche des jeunes étrangers : « If you don’t speak French, you’re necessarily excluded » (Confédération Jeunes Chercheurs).

Quelle différence avec les Etats-Unis, où il n’existe même pas de langue officielle !

Il est tout à fait possible d’avoir une langue commune sans penser en commun, comme le montre la richesse de la littérature américaine contemporaine.

Et si il est légitime de se préoccuper de diversité culturelle, ignorer l’autre condamne bien plus sûrement au déclin et au nombrilisme. Pour reprendre Levi-Strauss, « la tolérance n’est pas une position contemplative ».

Qui peut penser que la France est suffisamment importante pour attirer les jeunes chinois ou américains à parler notre langue, sans faire aucune concession envers la leur ? Qui peut penser que notre niveau d’anglais, un des plus faibles d’Europe, et pourtant toujours en chute continue par rapport aux autres pays de l’OCDE, n’est pas relié à cette culture de la défiance ?

Qui peut espérer encourager la création d’entreprises innovantes sans donner à notre jeunesse les outils pour se confronter aux idées des autres ?  La nécessaire promotion de la francophonie dans le monde, et l’apprentissage d’autres langues chez nous sont deux revers de la même médaille.

Il faut donc inverser notre politique : d’abord attirer les étrangers par notre ouverture, puis développer massivement les cours de français sur place.

Cette réforme n’est bien sur pas la panacée, et ne peut se substituer à une simplification drastique de l’accueil administratif des étudiants et à l’amélioration en cours de nos campus. Néanmoins, elle est l’emblème d’un changement nécessaire des mentalités françaises, qui doivent accepter que l’anglais, c’est avant tout la langue du savoir. Et ce changement aurait du commencer dans l’université, parce qu’elle forme les esprits de demain.

D’ailleurs, la plupart de ses enseignants-chercheurs savent déjà que publier en français aujourd’hui, c’est garantir qu’un résultat ne sera lu au mieux que par 10% de la communauté mondiale, c’est garantir aussi une recherche moribonde et mandarinale, une culture incapable de se confronter à la complexité du monde.

Maintenant ou Jamais !

Tribune publiée dans Le Point

Une fois dissipés les miasmes de l’affaire Cahuzac, la situation économique et sociale de la France redeviendra LA question. Revenons-y tout de suite.

Il n’y a aucun mystère à ce que François Hollande soit devenu plus rapidement impopulaire que Nicolas Sarkozy. Il faut le porter à son crédit.

Nicolas Sarkozy avait promis d’être le « Président du pouvoir d’achat», et commencé par en distribuer aux leaders de l’économie et de l’opinion, comme si la richesse ruisselait de haut en bas. François Hollande avait annoncé qu’il commencerait par le redressement, et le redressement a d’abord été fiscal.

Le précédent Président allumait des incendies idéologiques en lançant de grands chantiers qui s’enlisaient devant les intérêts coalisés jusqu’à ce le fer soit porté ailleurs ; de sorte que chacun avait l’impression que la réforme était pour les autres. Son successeur réforme presque par effraction, mais à la fin il l’impose. Le
paradoxe est que la France aura connu en un an plus d’ajustements, souvent douloureux, qu’au cours de la dernière décennie : plus de deux points de réduction du déficit structurel ; une réforme fiscale qui rend l’effort contributif plus lourd que dans aucun autre pays du monde développé, jusqu’à 57% des revenus du travail et 62% -plus l’ISF-des revenus du capital; une réallocation massive de la fiscalité des entreprises sollicitant durement les sièges de grandes sociétés, mais permettant aussi de réduire de 6% le coût du travail pour les salaires de moins de 2500 euros par mois ; une réforme du marché du travail plus profonde que celle de Mario Monti en Italie, qui permet aux entreprises de s’ajuster en étendant la portée de la négociation sociale. Et bientôt, si l’on ne sort pas des rails, la désindexation des retraites hors les plus modestes, l’allongement de la durée de cotisation, la dégressivité des allocations familiales, le choc de simplification pour débarrasser particuliers et entreprises des normes bureaucratiques produites par la suradministration…

Tout cela n’est peut être pas assez pour le redressement des comptes, et déjà trop pour attirer les centres de décision économiques. Mais, contrairement à ce que d’aucuns disent à la gauche de la gauche, ce n’est pas rien. Ce sont des points de rupture qui marquent clairement une triple orientation : une politique de rigueur, une politique de gauche, une politique de l’offre.

Comment se fait-il qu’entre ces points, on ne voie pas la ligne ?

Pendant la campagne électorale François Hollande n’a pas dit qu’il raserait gratis. Au contraire : il avait annoncé deux années d’effort et s’était positionné, dans un monde ouvert, pour une économie de l’offre. C’était courageux. Et cela ne l’a pas empêché de gagner. Quel dommage que la victoire n’ait pas été suivie immédiatement d’un discours clair pour expliquer aux Français où on les conduisait, et à la majorité qu’elle allait devoir renoncer aux vieilles lunes keynésiennes et social-corporatistes !

Dire d’abord la gravité de la crise économique. Une crise qui n’est pas seulement budgétaire, soluble dans une bonne gestion, mais une crise de compétitivité et de balance des paiements, longtemps masquée par les facilités d’endettement offertes par l’euro. Voici dix ans – nos comptes extérieurs étaient équilibrés à l’époque – que notre économie distribue plus de pouvoir d’achat qu’elle ne fait de gains de productivité. Si les Français l’ignorent, c’est parce que ce pouvoir d’achat a été inégalement distribué et capté par les rentes – comme la rente immobilière, paradoxalement favorisée par les aides publiques, fiscales et budgétaires.

Mais aujourd’hui, de quelque côté qu’on regarde l’ajustement – accroître l’investissement et la compétitivité des entreprises, réduire les importations et le déficit budgétaire – il n’y a rien à distribuer. Mieux vaut le dire et abandonner quelques fables. Les fables racontées par la gauche de la gauche, qui voudrait nous faire croire qu’il y a un trésor caché chez les riches, de sorte que la charge de l’effort pourrait être prise par 1% de la population : c’est fait, et cela ne suffit pas. Et celles venant de la droite, qui parle comme si la réduction nécessaire des dépenses publiques n’allait pas affecter le revenu de ceux à qui elles sont versées.

Douloureux, l’effort d’ajustement est nécessairement impopulaire. Il rompt avec un modèle de croissance artificielle par la demande et l’endettement. Assumons-le. Et à la parole politique de lui donner des marqueurs, un horizon, une direction, un sens.

Les marqueurs montrent que nous avançons. La moitié du chemin est faite sur la réduction du déficit budgétaire structurel, même s’il reste maintenant à s’attaquer à l’inflation des dépenses publiques. Quant au crédit d’impôt, certes d’une complexité encore éloignée du choc de simplification promis, il permettra aux entreprises de regagner une partie de l’écart de coûts unitaires creusé depuis dix ans avec l’Allemagne.

L’horizon, ce n’est pas l’austérité. C’est une croissance tirée par l’initiative, l’innovation, les entrepreneurs et la concurrence. Les expressions répétées de défiance profonde vis-à-vis du monde de l’entreprise, la tolérance pour les excès populistes, la volonté de défendre les situations acquises, l’illusion des 75%, tout cela a sapé l’effort de redressement aux yeux des entrepreneurs français comme des investisseurs étrangers. C’est au contraire en luttant contre les rentes, en réduisant la bureaucratie et les contrôles qu’on favorisera la création d’emplois, qu’on préservera le pouvoir d’achat et qu’on inspirera confiance à nos partenaires.

Poursuivons en rendant du pouvoir d’achat aux habitants des zones denses grâce à un choc massif d’offre de terrains et de construction de logements qui fasse baisser les prix. Avançons dans la fusion de nos échelons territoriaux, au-delà de l’échec symbolique du référendum alsacien, sans imposer un jardin à la française : ce peut être – comme le fait Gérard Collomb à Lyon – aller vers un couple région-métropole; ailleurs, reconnaître que le département reste un échelon utile et fusionner communes et agglomérations

La direction doit être ferme. Qu’elle le soit d’abord sur les dépenses publiques et sur la cohérence de la politique économique. Moins de ministres, une cohésion sur une ligne tranchée, une autorité indiscutée et lisible à Bercy.

Le sens, c’est l’avenir de notre jeunesse. Celle-ci nous envoie un message effroyable en nous disant, à l’occasion d’un  récent sondage, qu’elle irait vivre ailleurs si elle le pouvait. Du reste, beaucoup le font déjà : étudiants, jeunes professionnels, jeunes issus de l’immigration, vont chercher hors les frontières la chance qu’on leur refuse ici.

Pourquoi partent-ils ? Parce qu’ils ont le sentiment que les obstacles à leurs aspirations personnelles et professionnelles sont plus élevés en France que partout ailleurs ; qu’une sélection par l’échec règne toujours en maître dès l’école ; que les places sont prises par ceux qui ont construit leurs rentes ; et que l’idée même de réussite n’est nulle part ailleurs aussi suspecte et donc aussi dépréciée…

A François Hollande qui avait accordé sa priorité aux jeunes, ces départs adressent un signal. Ce n’est qu’une petite partie de la jeunesse pour le moment ; mais elle est le symptôme et la traduction de l’état d’esprit de toute une classe d’âge.

Que nous arrive–t-il collectivement ? Est-ce le vertige du déclin qui nous paralyse? Cela suffit, maintenant ! La France doit rompre avec cette trajectoire mortifère. Et pour cela, que la majorité assume la politique sociale-démocrate qu’elle mène, et qu’elle la mène jusqu’au bout.

Alors le triste numéro des duettistes que sont Le Pen et Mélenchon cessera de séduire un public lassé ; alors les messages de l’action publique pourront être entendus, les errements individuels surmontés et la confiance revenir.

Comme le disait un général célèbre : « toutes les défaites se résument en deux mots : trop tard». Monsieur le Président, il est juste encore temps pour gagner. Maintenant.