Le quinquennat de l’inflation ?
Même si nous avons mieux calibré que les Américains notre plan de soutien lors de la crise sanitaire, la guerre en Ukraine a changé la donne et le scénario d’une spirale inflationniste prix-salaires ne peut être écarté. Les Gracques indiquent les mesures que doit prendre le gouvernement pour limiter les dégâts.
Pour le président de la Bundesbank K.O. Pöhl : « L’inflation, c’est comme le dentifrice – sortie du tube, impossible de l’y faire rentrer. » Son conseil : « Ne pas appuyer trop fort. »
Les Européens, à la différence des Américains, l’ont écouté. Nos plans de soutien pendant la crise sanitaire ont été calibrés au plus juste pour éviter la surchauffe. Cette prudence aurait suffi si la guerre en Ukraine n’avait changé la donne. En avril, l’inflation atteint 7,5 % en zone euro et devrait dépasser 4 % en France sur l’année. Selon les marchés, la probabilité que l’inflation dépasse 4 % sur l’ensemble du quinquennat est désormais de 25 %.
Le scénario d’une spirale inflationniste prix-salaires ne peut donc être écarté. À court terme, mobiliser la politique budgétaire reste la bonne stratégie. Elle joue son rôle d’amortisseur social tout en limitant les demandes salariales. Le « bouclier tarifaire » sur le gaz et l’électricité et la « remise à la pompe » ont réduit l’inflation de 2 points. Alors que dure la guerre, de nouvelles mesures sont indispensables. Pour quel montant et sous quelle forme ?
Une mesure d’urgence sur les logements
L’Insee anticipe une baisse du pouvoir d’achat de 2 % entre décembre 2021 et juin 2022, soit 8 milliards d’euros. Au-delà de l’indexation anticipée des retraites et prestations sociales, un budget de 4 milliards d’euros pourrait financer une nouvelle « indemnité inflation ». Cette indemnité a le mérite de préserver le « signal-prix » nécessaire sur la consommation d’énergie. On devrait la moduler pour aider davantage les ménages modestes les plus exposés à l’inflation alimentaire, et les ménages avec plusieurs enfants.
Nous pensons nécessaire d’y ajouter une mesure d’urgence sur les logements. Première dépense des ménages, les loyers peuvent être revalorisés annuellement par le propriétaire. Une « bombe à retardement » injuste d’autant que l’inflation favorise les propriétaires bailleurs qui ont bénéficié de crédits à taux fixe. Nous proposons de lisser l’indexation des loyers sur plusieurs exercices.
Si l’on peut espérer que les prix ralentissent, il faut se préparer au scénario déplaisant d’une inflation forte et durable. La politique budgétaire et l’encadrement des prix et des loyers devraient alors laisser la place à d’autres stratégies.
Une réflexion sur l’indexation du SMIC
Rappelons-nous 1982 : le blocage des prix et des revenus a été suivi par l’incitation des partenaires sociaux à intégrer dans les négociations salariales non plus l’inflation passée mais l’objectif affiché dans le budget de l’Etat. Nous plaidons pour que le gouvernement crée vite les conditions d’un dialogue tripartite visant à définir des mécanismes de revalorisation salariale non inflationnistes – et laisser le dentifrice dans le tube.
Une réflexion sur l’indexation du SMIC devra en faire partie. Seuls quatre pays de l’OCDE indexent le salaire minimum sur l’inflation, dont la France, qui va au-delà en ajoutant la moitié du gain de pouvoir d’achat du salaire horaire de base ouvrier. Or il n’est pas soutenable que les efforts attendus des salariés et entreprises s’accompagnent d’une compression systématique de la hiérarchie salariale et d’une hausse du coût du travail par l’effet du SMIC. Suspendre l’automaticité de la revalorisation serait un levier pour l’Etat dans la négociation tripartite.
Restent les bénéficiaires de minima sociaux et les retraités, dont les revenus sont indexés sur l’inflation passée.
Viser le meilleur, c’est se préparer au pire
Le niveau de vie des retraités est supérieur de 3 % au reste de la population – 9 % en prenant en compte qu’ils sont souvent propriétaires de leur logement. Les retraités doivent partager l’effort avec les salariés. Au-delà d’un seuil protégeant les plus modestes, les pensions pourraient être revalorisées moins que l’inflation en 2023.
Quant aux minima sociaux, leur pouvoir d’achat devrait être mieux protégé grâce à une indexation sur l’inflation anticipée et non l’inflation observée, comme avant 2016.
Ce n’est évidemment pas un début de quinquennat rêvé. Mais en politique, viser le meilleur passe aussi par la préparation au pire.
Tribune à retrouver dans les Echos