Assemblée générale des Gracques

L’assemblée générale aura lieu samedi 25 mai à 10h du matin. Nous invitons tous les membres à se joindre à nous. Si vous souhaitez vous inscrire, veuillez nous contacter à aggracques@gmail.com (nous vous indiquerons le lieu).

Les débats sont ouverts à tous, toutefois pour pouvoir participer au vote, il faudra que les membres soient à jour de cotisation, qu’il sera possible d’acquitter sur place.

Les Gracques

La leçon de Bérégovoy

Pierre Bérégovoy fait encore figure de modèle pour les Gracques, qui lui rendent hommage à l’approche de l’anniversaire de sa disparition. Tribune parue dans le JDD d’hier, sous la plume de Guillaume Hannezo et Denis Olivennes, anciens membres du cabinet de Pierre Bérégovoy (Denis Olivennes est le président de Lagardère Active, propriétaire du JDD).

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Pierre Bérégovoy nous a quittés il y a vingt ans. Ceux qui l’ont connu et aimé pensent à lui. À ce qu’il fut, à ce qu’il a représenté, à l’exemple qu’il est encore.

IL ÉTAIT LE PEUPLE et méprisait les populistes. Immigré de deuxième génération, seul dignitaire du Parti socialiste à être issu du prolétariat, il est aussi le seul ouvrier ayant jamais dirigé un gouvernement de la République. Il n’en parlait pas. Il ne montait pas sur le tonneau en criant « le peuple, le peuple, le peuple ». Il savait que les couches populaires finissent toujours par régler la facture des démagogues. Ce qu’il devait au peuple, ce n’était pas la démonstration de son empathie mais l’exercice de sa compétence et sa capacité de travail inépuisable, patiente, concrète, pratique. Maîtriser (et non mépriser) la complexité de l’économie réelle pour que les avancées de la justice sociale tiennent dans la durée. Voilà pourquoi il avait choisi la famille socialiste et pas les communistes. Puis Mendès France et pas la SFIO.

IL ÉTAIT LE PEUPLE, il était de gauche et il savait expliquer la nécessité des disciplines économiques. Ce qu’on appelle la rigueur. Jamais doctrinaire, toujours courageux, il soumettait sa conception au filtre du doute, mais pas son exécution à la merci de l’opinion. « On ne gouverne pas pour plaire. » Sa rigueur résultait d’un choix politique, car il traitait son appareil technocratique avec autorité et n’aurait jamais laissé les bureaux gouverner l’État. Quand il a rétabli les comptes de la Sécurité sociale, c’est parce qu’il pensait que les plus riches devaient payer pour les plus pauvres et non les générations de demain pour celles d’aujourd’hui. Quand il a redressé les finances de la nation, c’était parce qu’il savait qu’à la fin, le prix des dévaluations, des bouffées d’inflation, des crises d’endettement est toujours acquitté par les plus faibles. La solvabilité de l’État est le patrimoine de ceux qui n’en ont pas.

IL ÉTAIT LE PEUPLE, il était de gauche et il était réformateur. Il pensait qu’il faut plus de régulations là où il y a du marché, mais aussi plus de marché partout où il y a des rentes. Il croyait que la concurrence est utile et la compétitivité nécessaire. Pour redistribuer, il faut d’abord produire. La concurrence était une politique sociale parce que les monopoles sont un obstacle au développement de l’emploi et du pouvoir d’achat. Cette concurrence, il l’a imposée au secteur financier en un temps où les banquiers étaient des fermiers généraux qui taxaient les entreprises et les particuliers lorsqu’ils voulaient accéder aux marchés de l’argent. Cela en a fait baisser le coût, ce qui a aidé la croissance. Bien sûr, ce secteur financier est devenu fou et s’est développé hors de raison, par excès d’endettement et de complexité. Mais c’est le problème de notre temps, pas du sien.

LES OBSERVATEURS conjectureront sur la mort choisie de l’homme d’État qui n’a pas supporté l’ombre d’un doute colporté sur une affaire insignifiante. Toutefois, sa marque dans l’Histoire n’est pas celle d’une actualité tragique. C’est celle d’une personnalité et d’une politique qui résonnent comme une promesse d’avenir.

Guillaume Hannezo et Denis Olivennes – Le Journal du Dimanche

dimanche 28 avril 2013

Maintenant ou Jamais !

Tribune publiée dans Le Point

Une fois dissipés les miasmes de l’affaire Cahuzac, la situation économique et sociale de la France redeviendra LA question. Revenons-y tout de suite.

Il n’y a aucun mystère à ce que François Hollande soit devenu plus rapidement impopulaire que Nicolas Sarkozy. Il faut le porter à son crédit.

Nicolas Sarkozy avait promis d’être le « Président du pouvoir d’achat», et commencé par en distribuer aux leaders de l’économie et de l’opinion, comme si la richesse ruisselait de haut en bas. François Hollande avait annoncé qu’il commencerait par le redressement, et le redressement a d’abord été fiscal.

Le précédent Président allumait des incendies idéologiques en lançant de grands chantiers qui s’enlisaient devant les intérêts coalisés jusqu’à ce le fer soit porté ailleurs ; de sorte que chacun avait l’impression que la réforme était pour les autres. Son successeur réforme presque par effraction, mais à la fin il l’impose. Le
paradoxe est que la France aura connu en un an plus d’ajustements, souvent douloureux, qu’au cours de la dernière décennie : plus de deux points de réduction du déficit structurel ; une réforme fiscale qui rend l’effort contributif plus lourd que dans aucun autre pays du monde développé, jusqu’à 57% des revenus du travail et 62% -plus l’ISF-des revenus du capital; une réallocation massive de la fiscalité des entreprises sollicitant durement les sièges de grandes sociétés, mais permettant aussi de réduire de 6% le coût du travail pour les salaires de moins de 2500 euros par mois ; une réforme du marché du travail plus profonde que celle de Mario Monti en Italie, qui permet aux entreprises de s’ajuster en étendant la portée de la négociation sociale. Et bientôt, si l’on ne sort pas des rails, la désindexation des retraites hors les plus modestes, l’allongement de la durée de cotisation, la dégressivité des allocations familiales, le choc de simplification pour débarrasser particuliers et entreprises des normes bureaucratiques produites par la suradministration…

Tout cela n’est peut être pas assez pour le redressement des comptes, et déjà trop pour attirer les centres de décision économiques. Mais, contrairement à ce que d’aucuns disent à la gauche de la gauche, ce n’est pas rien. Ce sont des points de rupture qui marquent clairement une triple orientation : une politique de rigueur, une politique de gauche, une politique de l’offre.

Comment se fait-il qu’entre ces points, on ne voie pas la ligne ?

Pendant la campagne électorale François Hollande n’a pas dit qu’il raserait gratis. Au contraire : il avait annoncé deux années d’effort et s’était positionné, dans un monde ouvert, pour une économie de l’offre. C’était courageux. Et cela ne l’a pas empêché de gagner. Quel dommage que la victoire n’ait pas été suivie immédiatement d’un discours clair pour expliquer aux Français où on les conduisait, et à la majorité qu’elle allait devoir renoncer aux vieilles lunes keynésiennes et social-corporatistes !

Dire d’abord la gravité de la crise économique. Une crise qui n’est pas seulement budgétaire, soluble dans une bonne gestion, mais une crise de compétitivité et de balance des paiements, longtemps masquée par les facilités d’endettement offertes par l’euro. Voici dix ans – nos comptes extérieurs étaient équilibrés à l’époque – que notre économie distribue plus de pouvoir d’achat qu’elle ne fait de gains de productivité. Si les Français l’ignorent, c’est parce que ce pouvoir d’achat a été inégalement distribué et capté par les rentes – comme la rente immobilière, paradoxalement favorisée par les aides publiques, fiscales et budgétaires.

Mais aujourd’hui, de quelque côté qu’on regarde l’ajustement – accroître l’investissement et la compétitivité des entreprises, réduire les importations et le déficit budgétaire – il n’y a rien à distribuer. Mieux vaut le dire et abandonner quelques fables. Les fables racontées par la gauche de la gauche, qui voudrait nous faire croire qu’il y a un trésor caché chez les riches, de sorte que la charge de l’effort pourrait être prise par 1% de la population : c’est fait, et cela ne suffit pas. Et celles venant de la droite, qui parle comme si la réduction nécessaire des dépenses publiques n’allait pas affecter le revenu de ceux à qui elles sont versées.

Douloureux, l’effort d’ajustement est nécessairement impopulaire. Il rompt avec un modèle de croissance artificielle par la demande et l’endettement. Assumons-le. Et à la parole politique de lui donner des marqueurs, un horizon, une direction, un sens.

Les marqueurs montrent que nous avançons. La moitié du chemin est faite sur la réduction du déficit budgétaire structurel, même s’il reste maintenant à s’attaquer à l’inflation des dépenses publiques. Quant au crédit d’impôt, certes d’une complexité encore éloignée du choc de simplification promis, il permettra aux entreprises de regagner une partie de l’écart de coûts unitaires creusé depuis dix ans avec l’Allemagne.

L’horizon, ce n’est pas l’austérité. C’est une croissance tirée par l’initiative, l’innovation, les entrepreneurs et la concurrence. Les expressions répétées de défiance profonde vis-à-vis du monde de l’entreprise, la tolérance pour les excès populistes, la volonté de défendre les situations acquises, l’illusion des 75%, tout cela a sapé l’effort de redressement aux yeux des entrepreneurs français comme des investisseurs étrangers. C’est au contraire en luttant contre les rentes, en réduisant la bureaucratie et les contrôles qu’on favorisera la création d’emplois, qu’on préservera le pouvoir d’achat et qu’on inspirera confiance à nos partenaires.

Poursuivons en rendant du pouvoir d’achat aux habitants des zones denses grâce à un choc massif d’offre de terrains et de construction de logements qui fasse baisser les prix. Avançons dans la fusion de nos échelons territoriaux, au-delà de l’échec symbolique du référendum alsacien, sans imposer un jardin à la française : ce peut être – comme le fait Gérard Collomb à Lyon – aller vers un couple région-métropole; ailleurs, reconnaître que le département reste un échelon utile et fusionner communes et agglomérations

La direction doit être ferme. Qu’elle le soit d’abord sur les dépenses publiques et sur la cohérence de la politique économique. Moins de ministres, une cohésion sur une ligne tranchée, une autorité indiscutée et lisible à Bercy.

Le sens, c’est l’avenir de notre jeunesse. Celle-ci nous envoie un message effroyable en nous disant, à l’occasion d’un  récent sondage, qu’elle irait vivre ailleurs si elle le pouvait. Du reste, beaucoup le font déjà : étudiants, jeunes professionnels, jeunes issus de l’immigration, vont chercher hors les frontières la chance qu’on leur refuse ici.

Pourquoi partent-ils ? Parce qu’ils ont le sentiment que les obstacles à leurs aspirations personnelles et professionnelles sont plus élevés en France que partout ailleurs ; qu’une sélection par l’échec règne toujours en maître dès l’école ; que les places sont prises par ceux qui ont construit leurs rentes ; et que l’idée même de réussite n’est nulle part ailleurs aussi suspecte et donc aussi dépréciée…

A François Hollande qui avait accordé sa priorité aux jeunes, ces départs adressent un signal. Ce n’est qu’une petite partie de la jeunesse pour le moment ; mais elle est le symptôme et la traduction de l’état d’esprit de toute une classe d’âge.

Que nous arrive–t-il collectivement ? Est-ce le vertige du déclin qui nous paralyse? Cela suffit, maintenant ! La France doit rompre avec cette trajectoire mortifère. Et pour cela, que la majorité assume la politique sociale-démocrate qu’elle mène, et qu’elle la mène jusqu’au bout.

Alors le triste numéro des duettistes que sont Le Pen et Mélenchon cessera de séduire un public lassé ; alors les messages de l’action publique pourront être entendus, les errements individuels surmontés et la confiance revenir.

Comme le disait un général célèbre : « toutes les défaites se résument en deux mots : trop tard». Monsieur le Président, il est juste encore temps pour gagner. Maintenant.

Enrico Letta à l'Université des Gracques

Bonne chance à Enrico Letta et à son gouvernement !

Enrico Letta à l’Université des Gracques

Enrico Letta à l’université des Gracques 2012

Enrico Letta à l'Université des Gracques

Enrico Letta à l’Université des Gracques

Enrico Letta, désigné par le Parlement italien pour former un gouvernement, participe depuis longtemps aux travaux des Gracques. Il était parmi nous lors de notre université d’été de juin 2012. Voici la retranscription de la passionnante table ronde à laquelle il avait participé avec Rushanara Ali, jeune députée du Labour, Bozidar Djelic, ancien ministre Serbe, et Michel Sapin. Bernard Spitz, président des Gracques, en était le modérateur.

« Réhabiliter le politique en réussissant le changement »

Rushanara Ali, député du Labour.

Bozidar Djelic, ancien vice-premier ministre de Serbie.

Enrico Letta, député au parlement italien, ancien député européen, ancien ministre de l’industrie et du commerce extérieur.

Michel Sapin, ministre du Travail, de l’Emploi, de la Formation professionnelle et du dialogue social.

Animateur : Bernard Spitz

 

Enrico Letta :

La situation politique italienne, avec son gouvernement technique, est très étrange. Ce que fait Mario Monti est remarquable. Toutefois, il s’agit désormais de chercher une coalition politique pour les nouvelles élections. Actuellement le gouvernement dispose de 85% de soutien au Parlement, mais les partis qui soutiennent le gouvernement n’ont que 51% de soutien dans l’opinion.

Le premier grand paradoxe est celui « du donné et de l’enlevé ». Jusqu’à présent la politique se disputait sur « à qui donner quelque chose » : aux classes moyennes, aux riches, aux pauvres… Aujourd’hui la question porte sur « à qui enlever des choses ». Cela rend la politique beaucoup plus exigeante. Le Conseil européen a compris que si cela dure les populismes vont gagner du terrain. La France a une chance, du point de vue des institutions : les populismes sont peu représentés. Inversement, en Italie, le même tiers de vote populistes qu’en France risque de rendre le système ingouvernable. Voici trois constats majeurs.

  • Tout d’abord, internet a changé le mot « autorité » (autorevolezza, qui signifie également crédibilité) dans la politique et dans nos vies. Auparavant l’autorité était liée au monopole de l’information. Désormais c’est l’exemple qui donne la crédibilité, l’exemple de la vie personnelle. Les partis démocratiques, du progrès, doivent faire en sorte que le politique gagne en crédibilité, en plus de la seule autorité.
  • Les citoyens sont dans une situation de fatigue vis-à-vis de la politique, notamment sur les thèmes de l’emploi, de l’avenir des jeunes…  Il est donc important que le politique soit aux côtés des citoyens les plus faibles, qu’il leur dise, même s’il ne peut tout résoudre : « you’ll never walk alone ».
  • Le saut vers une Europe fédérale est nécessaire. Autrement, la financiarisation de l’économie aura gagné. En effet la finance vit dans le temps court, l’industrie et la politique dans le temps long. Le saut vers une Europe politique nous aidera donc à gérer ce qui ne pourra l’être autrement : la finance. Les Etats-Unis ont maîtrisé la crise car ils ont des institutions fédérales. En Europe, le vote à l’unanimité rend cette réactivité impossible : il a fallu 26 sommets européens avant d’aboutir au mécanisme européen de stabilité. Les institutions européennes ne peuvent plus continuer à être à ce point éclatées, entre M Barroso à la Commission, M Van Rompuy au Conseil Européen, la présidence tournante, et Catherine Ashton en tant que Haut Représentant. Il est indispensable d’établir un interlocuteur unique.

 

Voici maintenant l’intégralité du discours de Bozidar Djelic.

Bozidar Djelic, ancien vice-premier ministre de Serbie.

Chers amis,

Merci beaucoup pour votre gentille invitation. J’attends depuis dix ans, depuis mon entrée en politique le moment où la gauche sera en même temps au pouvoir dans mes deux pays d’attache, la France et la Serbie… J’ai bien peur que ce soit encore raté…

En effet,  malgré un résultat très solide aux législatives du 9 mai de notre Parti Démocrate, la très courte et très inattendue défaite du Président Tadic au second tour de la présidentielle du 20 mai a changé la dynamique politique du pays.

Notre allié du gouvernement précédent, le Parti Socialiste de Serbie, appâté par le poste de premier ministre offert par notre concurrent nationaliste, le Parti Progressiste, à son dirigeant Ivica Dacic, a préféré retourner dans le giron où l’avait placé son fondateur Slobodan Milosevic. On ne se refait pas, dirait-on…

Du coup, le parti social-démocrate européen qui a connu la plus forte progression ces dix dernières années, en passant de 10 à 30% des voix, notre Parti démocrate serbe, va malheureusement devenir un  parti d’opposition.

Il ne me reste plus qu’à vous demander de rester au pouvoir suffisamment longtemps en France pour que l’on puisse enfin œuvrer ensemble…

Le renversement d’alliance qui vient d’avoir lieu, joint aux effets de la crise qui a mené à un taux de chômage insupportable de 25%, ne va pas aider à faire réhabiliter la politique en Serbie. C’est notre sujet d’aujourd’hui.

On le sait bien, la politique a mauvaise presse en Europe. Cela a certes toujours été le cas, mais c’est aujourd’hui plus vrai que jamais. Les enquêtes en sont un des témoins.

Ainsi, l’Eurobaromètre de l’UE montre depuis 2007 que les habitants de notre continent font preuve d’un pessimisme croissant sur leur perspective de vie et la capacité des politiques d’améliorer cet état de fait.

On parle de cinq longues années pendant lesquelles en moyenne les trois quarts des citoyens européens ne voient pas le bout du tunnel et ne croient pas que les élites politiques pourront les sortir du pétrin.

Cela étant, en raison du décrochage de la périphérie méditerranéenne par rapport au cœur économique germano-scandinave ces moyennes sont plus trompeuses que jamais. Ainsi, selon le dernier Eurobaromètre, 99% des Grecs, 96% des Espagnols, 91% des Italiens et 86% des Français pensent que cela va mal, alors que 85% des Suédois, 78% des Allemands et 65% des Finlandais et des Autrichiens pensent que les choses vont bien….

Si, sans surprise, la politique va mal là où les choses vont mal, on peut en revanche être très surpris de voir que cela ne va guère mieux pour la politique là où les citoyens pensent que les choses ne vont pas si mal. Le renforcement des extrêmes en Grèce peut attrister mais ne peut surprendre. En revanche, l’émergence d’une droite chauvine aux Pays Pas, qui vient de faire tomber le gouvernement, tout comme en Suède, Finlande ou en Autriche, montre que le succès économique n’est pas la seule déterminante du soutien à une politique rassembleuse et tolérante.

Par ailleurs, le dernier rapport de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement sur la Transition montre une très forte érosion du soutien à la démocratie et aux valeurs européennes à l’Est du continent, en particulier dans les pays qui ont récemment rejoint l’Union européenne.

Cela non plus n’était pas prévu au programme. L’intégration européenne devait être le grand transformateur politique, le pacificateur dont avaient besoin les sociétés post communistes et post conflits comme en ex-Yougoslavie.

Du coup, l’idée rassurante selon laquelle le retour de la croissance et le renforcement dans la douleur de l’Europe vont mécaniquement réhabiliter la politique ne tient pas la route. 

Est-ce grave ?

Certains disent qu’à l’époque des réseaux sociaux et de l’organisation citoyenne la politique traditionnelle, celle de l’homme d’un certain âge, en cravaté délivrant un discours technique par le biais des médias électroniques a fait son chemin.

On voit bien que les politiques cherchent de nouveaux formats,  en allant dans les talk shows, en se précipitant sur Twitter, parfois avec des effets surprenants en France d’ailleurs pendant les élections législatives… Mais ils seront les premiers à reconnaître que cela ne change pas les choses sur le fond.

La politique est le lien entre les citoyens. L’émiettement des couches sociales, le communautarisme, l’absence de buts communs au niveau national et européen, la tendance qui consiste à accuser l’autre de ses propres maux, qu’il soit Rom ou utilisateur de fonds européens, voilà autant d’évolutions qui ont démontré à quel point elles pouvaient être dangereuses.

Donc, oui, la panne de la politique, c’est grave.

Oui, il faut réhabiliter la politique au sens propre du terme. Pour la réhabiliter il faut d’abord se demander ce qui pourrait l’habiliter à conduire le changement.

Etre habilité, c’est être compétent, être apte, avoir la capacité d’intervenir, de diriger.

Le problème avec la politique, c’est que ses méthodes ne sont plus acceptées, que ses capacités sont mises en doute. On voit bien pourquoi, des rayons entiers de livres ont analysé les effets de la mondialisation, l’égoïsme sans précédent de la génération des baby boomers qui refusent de laisser un peu plus d’espace budgétaire à leurs propres enfants, ou encore l’affaiblissement du lien social qui rend toute action collective difficile.

Or, cet état de fait est particulièrement dérangeant pour la gauche, les progressistes, car notre fondement même est la croyance en la possibilité de changer le monde, de travailler ensemble pour aider les plus démunis, pour que cela aille mieux pur tout le monde.

Que faire pour habiliter et donc réhabiliter la politique, là est évidemment la question centrale.

Permettez-moi d’offrir trois pistes pour l’avenir.

Tout d’abord, il faut refonder l’action politique en en définissant les nouvelles limites, en particulier dans le social. Ainsi les citoyens sauront à quoi s’en tenir. Les déceptions mutuelles politiques-citoyens seront ainsi mieux évitées. Le rapport Beveridge a redéfini en son temps le champ du politique et le triangle du dialogue social. Il n’est plus opérant, avec la fiscalisation des régimes sociaux et l’effet corrosif et inévitable de la mondialisation, où les syndicats protègent encore mieux ceux qui sont déjà parmi les plus protégés et ne peuvent en fait rien pour ceux dont le poste est concerné par le partage international et non géré du travail.

La bonne nouvelle est que cette redéfinition n’est pas seulement dans le sens du moins, moins de protection, moins de droits. Le nouveau rapport Beveridge n’est pas seulement la version tronquée du précédent.

Le progrès technologique et la mondialisation font qu’une série de services étatiques sont à présent à la portée du grand nombre. Diagnostic à distance de spécialistes, éducation efficace pour les postes recherchés, l’Etat peut ici faire plus qu’avant. Autant dire clairement où la politique à présent peut faire moins mais aussi plus et définir la nouvelle charte des droits et des obligations, en lien avec le monde réel et tel qu’on le désire.

D’autre part, la nécessité d’inclure dans la force de travail les nouvelles générations, celles où une moitié n’a jamais travaillé et où une bonne partie de l’autre moitié a le sentiment de galérer, nous force à hiérarchiser plus honnêtement les objectifs vis-à-vis des jeunes générations.

Doit-on vraiment maintenir les objectifs quantitatifs volontaristes record pour l’éducation supérieure classique dans la décennie à venir ? On ne reparlera pas de l’exemple usé jusqu’à la corde de la formation courte puis continue allemande, mais on voit bien qu’entre les besoins cent fois avérés du marché et la préférence sociale il y a encore un fossé.

On ne peut plus faire semblant qu’il n’y a pas de Chine et d’Inde où se trouvent les concurrents directs pour les postes des jeunes des banlieues ou des classes moyennes inquiètes. Tout le monde ne pourra pas sortir par le haut, par une avance technologique, c’est déjà trop tard. Autant prendre le taureau par les cornes et définir sur quels métiers et comment gagner les postes que nous concurrencent les grands acteurs émergents.

Enfin, en jouant de sa puissance économique pour devenir un acteur politique, l’Europe pourrait aider la politique nationale à se réhabiliter tout en se sauvant elle-même.

Les élites disent que l’Europe est l’espace pertinent pour adoucir les effets de la globalisation. Les citoyens s’en méfient. Les deux ont raison. Peut-être est-ce parce que l’Europe n’a plus gagné de bataille depuis l’Airbus.

Les débats durs d’aujourd’hui, du dernier sommet, où le Royaume Uni tout comme les autres ennemis de l’Union politique sortent du jeu, ouvrent peut être une fenêtre d’opportunité. Pour une Europe plus forte car ancrée dans la nécessité. Pour une Europe plus appréciée car autorisée à ne plus être l’éternelle naïve que les Etats Unis et la Chine prennent pour argent comptant, toujours ouverte et jamais suffisamment unie pour faire valoir son droit.

Voilà trois débats où les progressistes ont un avantage concurrentiel certain. Autant l’utiliser.

Merci beaucoup pour votre attention.

 

Michel Sapin :

La situation en France est plus simple que dans d’autres pays : Président, Parlement et régions sont de la même couleur politique. La question est donc : comment retrouver l’efficacité du politique ? Les constats sont les suivants :

  • Nous vivons dans un monde global.
  • Il se caractérise par la financiarisation, c’est-à-dire le court-termisme de l’information.
  • La multiplication des acteurs. Le syndicalisme (patronal ou salarial) en est l’illustration.

Est-ce pour autant la fin du politique ? C’est l’inverse. C’est parce que le monde devient global, de court terme et avec de nombreux acteurs que le politique est nécessaire. Je souhaite vous faire part de trois constats.

  • La maîtrise du temps. Le manque de maîtrise du temps est le reproche que l’on peut faire à l’Europe, qui agit toujours « trop peu, trop tard ». Avec le dernier sommet  européen, peut-être a-t-on enfin retrouvé un temps d’avance.
  • La question productive. L’ambition d’Alain Madelin, ministre de l’Industrie, était qu’il n’y ait plus de ministère de l’industrie. Cela a changé, il est désormais temps de revenir à une politique industrielle. Les questions stratégiques, de mise en commun, au-delà d’une entreprise ou d’un pays, de l’innovation et de la recherche, rendent leur légitimité à l’Etat stratège.
  • La capacité à trouver un consensus pour répondre aux difficultés majeures du moment. Depuis la fin des Trente Glorieuses le dialogue social a échoué à trouver une solution, on a donc demandé à l’Etat de s’y substituer. L’Etat doit donc surmonter la multiplicité des acteurs pour créer des synergies. Le politique retrouve donc la capacité de proposer des démarches pour mettre en route ces synergies. Ainsi, la grande conférence sociale n’a pas pour objectif d’aboutir à des décisions concrètes, mais de définir un agenda et des procédures : la concertation, l’autonomie totale des partenaires sociaux.

 

Rushanara Ali :

 

Chaque parti a sa part de responsabilité dans la perte de crédibilité du politique. Au Royaume-Uni, après le scandale des banques et des écoutes téléphoniques, les institutions ont perdu de leur crédit. Pour restaurer ce crédit, il est important de donner aux jeunes l’exercice des responsabilités, pour éviter que la génération perdue au sens économique ne devienne aussi une génération perdue au sens politique. Les jeunes doivent pouvoir être impliqués dans la politique, dans les partis. En particulier il faut éviter que les énergies ne se perdent à l’issue des élections. La question principale concernant les jeunes est de rendre la politique intéressante et excitante pour eux.

 

Enrico Letta :

 

Mario Monti a un rôle politique, au-delà de l’actuel gouvernement technique. Mario Monti avait commencé à chuter dans les sondages ; aujourd’hui il triomphe car les citoyens voient un homme politique qui ne cherche pas quelque chose pour lui, mais au contraire qui inclut un maximum de partenaires. Le couple moteur est désormais Hollande-Monti, car Hollande dispose d’une légitimité que Merkel n’a plus. Concernant le cumul des mandats, la règle actuelle est de trois mandats mais un débat est en cours. Il est important que les citoyens aient des représentants qui ne soient pas uniquement des professionnels de la politique.

 

Bozidar Djelic :

 

En Serbie, la loi obligera à ce qu’il y a ait un tiers de femmes au Parlement.

Je me félicite que les financements de l’innovation augmentent. Mais cela ne suffira pas : la Chine produit 25 millions de diplômés par an, dont beaucoup dans les sciences et les techniques. En contrepartie, on espère que la Chine s’embourgeoisera assez rapidement pour ne pas détruire nos systèmes sociaux. C’est déjà en partie le cas. La Serbie, qui a les salaires les plus faibles d’Europe, est, dans certains secteurs, de nouveau compétitive par rapport à la Chine, on observe donc des phénomènes de relocalisation. Il y a là une opportunité de réindustrialisation européenne.

Auparavant la France et l’Allemagne avaient le même surplus commercial dans l’industrie automobile, ensuite leurs situations ont divergé. Que s’est-il passé ? L’Allemagne a joué la carte de l’Europe, beaucoup plus que la France, en délocalisant une partie de son industrie en Europe de l’Est. La France n’avait jusqu’ici quasiment rien délocalisé, elle doit donc, avec la crise, délocaliser massivement.

L’Europe dispose d’un atout, les pays du pourtour méditerranéen. En donnant à ces pays, elle reçoit également, à l’instar de ce qu’a fait l’Allemagne avec l’Europe de l’Est. C’est par cette voie que l’on retrouvera des emplois de qualité en Europe.

 

 

 

Michel Sapin :

 

Concernant le dialogue social, un fossé se creuse entre ceux qui ont un emploi, bien formalisé et protégé, et ceux qui vivent dans un monde peu formalisé et peu reconnu mais qui devient majoritaire dans la société : CDD, intérim… L’enjeu est que ce monde revienne dans le champ de la négociation sociale.

 

Au niveau européen, promouvoir l’idée qu’il ne peut y avoir une économie performante sans une société qui fonctionne bien est décisif. Cela ne peut pas de faire dans un seul pays. Par exemple, la notion de salaire minimum doit s’appliquer dans tous les pays européens. Et inversement, ce salaire minimum pourra être assoupli en France, car certains salaires conventionnels peuvent être plus avantageux que le salaire minimum.

 

Autorevolle’ signifie en italien avoir confiance, donner confiance. C’est donc faire en sorte que le politique, malgré ses difficultés, soit respecté, et que les citoyens aient des attentes envers lui, sur le fond et non sur la forme. Plus on a d’ambition politique, plus on doit avoir de modestie dans l’exercice des responsabilités. Mario Monti en est l’exemple.

Le temps et la durée. Nous avons un avantage en France, qui donne une grande autorité : le fait d’avoir une majorité stable pendant cinq ans. Mais cette force ne doit pas se transformer en usure du temps. Dans l’opposition, on emmagasine du savoir et, au pouvoir, on le régurgite. Puis on s’épuise de nouveau. On ne peut surmonter ce cycle sans s’inscrire dans une durée de dix ans, car c’est à cette échelle de temps que se traduit une politique industrielle, d’éducation… Il faut donc que ceux qui n’exercent pas le pouvoir apportent ce renouvellement continu, afin que la pensée politique soit toujours en avance sur le temps d’aujourd’hui.