Articles

Yes, We Can Try

Edito paru dans Le Point

Dans toute l’Europe, la gauche de gouvernement recule, généralement usée par le pouvoir

Il y a 20 ans, elle n’avait pas su tirer parti de la défaite historique du Communisme pour s’imposer à l’ Est de l’Europe : le libéralisme intégriste a ainsi pu s’engouffrer dans la brèche. Aujourd’hui, l’effondrement sur lui-même du capitalisme dérégulé aurait dû sonner l’heure de la revanche. Même pas. L’essoufflement du modèle social-démocrate accompagne le désenchantement d’Europe : moins d’un Européen sur deux a voté aux élections européennes.

En France, le PS n’a pas eu besoin d’être au pouvoir pour s’user lui-même.

Sur tous les grands enjeux actuels, qu’a dit le parti socialiste français ? Sur la régulation du capitalisme mondial, sur l’avènement de l’Asie, sur les nouvelles formes de travail, sur les inégalités générationnelles, sur la promotion de la diversité, sur la concurrence contre les monopoles, sur les voies du désendettement, sur le triomphe des corporatismes, sur la lutte contre la grande pauvreté et l’écrasement des classes moyennes, sur le vieillissement de notre population, sur la réforme de l’Etat, sur le monde vu par Obama… Relisons le discours du Caire et comparons-le à ce que nous entendons ici ! On ne demandait même pas au PS d’avoir un programme, mais une parole, des valeurs, une compréhension du monde réel, un chemin de transformation de la société. Rien de tout cela n’est audible.

Faisons simple : pour gagner en politique, il faut réunir trois atouts : un projet, un leader, des alliés. Aujourd’hui, l’UMP dispose des deux premiers et pense donc pouvoir se passer des troisièmes. Que manque-t-il à la gauche pour rassembler les trois ?

Ayant perdu les classes populaires depuis longtemps et jamais représenté les exclus, le PS ne gagne, hors de ses fiefs historiques, que quand il mobilise le centre gauche, les « libéraux libertaires », les écologistes, la deuxième gauche, les classes moyennes, les « bobos »,… C’est le modèle Delanoë à Paris et Collomb à Lyon. Il perd quand il abandonne la vision des syndicats réformistes au profit d’un discours frileux de résistance et  de protection des acquis. Il ne parle alors qu’à ces 15% de l’électorat, pour qui la protection du statut passe avant le reste. Comme la gauche est forcée de les décevoir quand elle arrive au pouvoir, c’est par une sagesse populaire immanente qu’elle n’y arrive pas.

Et pourtant, les élections successives expriment les tâtonnements d’un bloc de centre gauche à vocation clairement majoritaire. Il est volatile, se tourne un jour vers le PS, un autre vers Francois Bayrou, aujourd’hui vers les écologistes. Peu importent ses choix d’un jour : il n’est pas plus demandeur de la sortie du nucléaire quand il vote Cohn Bendit, que de l’antisarkozysme, quand il choisit le Modem. Il est aussi sensible à l’ouverture, à travers des figures comme celle de Bernard Kouchner. Cet électorat-là attend autre chose que le ni/ni :un discours neuf de transformation sociale et de  solidarité – y compris entre générations – un langage ancré dans le réel.

Qu’est ce qui les a séduits aux élections européennes ? Que les Verts n’aient pas parlé que de politique intérieure. Mais d’Europe, de morale publique et de responsabilité vis à vis des générations futures : joli paradoxe au passage  que ce soit le représentant le plus emblématique de la génération de 68, celle qui a creusé la dette, dépensé et joui sans entraves, qui s’interroge sur le monde que nous transmettrons à nos enfants ; et qui appelle à la modération pour limiter les deux pollutions essentielles que nous laissons aux générations suivantes : la couche d’ozone et la dette publique.

Des alliés ? Potentiellement, il y en a. Un leader ? Il ou elle viendra, ou reviendra, ou pas ; ce n’est pas de notre ressort. Reste le projet. Ce projet, nous devons tous nous y atteler : les briques de la maison commune viendront d’horizons divers et la société civile doit jouer son rôle d’aiguillon exigeant pour les professionnels de la politique. Nous essaierons d’y prendre notre part. Cela passait par la rédaction d’un manifeste démocrate, social et européen: il a été publié (www.lesgracques.fr).  Cela passait par le rassemblement de ceux qui pouvaient nous aider à penser : cela a été fait, avec l’organisation d’universités ouvertes. Leurs deux premières éditions autour d’Anthony Giddens, Marcel Gauchet, François Chérèque, Michel Rocard, Peter Mandelson, Jorge Semprun, François Hollande, Erik Orsenna, Walter Veltroni, Daniel Cohen, Benoît Hamon, Jacques Attali, et tant d’autres qui l’ont permis, en attendant la troisième édition, cet automne. Cela passait par un rapprochement avec les autres think-tanks européens progressistes: nous les avons réunis pour la première fois à Paris en août dernier. Cela passait par des interventions sur les sujets d’actualité : dans Le Monde, sous le titre « La Bourse ou la vie, le chantage des marchés » , nous avons ainsi formulé cinq propositions sur la crise financière inédites à l’époque : quatre d’entre elles ont été retenues au G20 – nous n’avions pas trop mal visé.

Nous allons donc continuer, en lien avec tous ceux qui partagent l’envie de moderniser la gauche.  Avec l’objectif d’avancer progressivement un ensemble de valeurs, de propositions, de méthodes dont nous verrons bien qui s’en inspirera et qui prendra ses distances. Le refus des réformes en leur opposant des discours incantatoire étant l’alibi de ceux qui ne pensent pas, ce ne sera pas le nôtre. Soyons libres dans nos têtes, sans agenda caché. Nous sommes pour un Etat qui assure les solidarités et régule l’économie tout en optimisant la création de richesse. Nous sommes pour une vision équilibrée et pragmatique des rapports entre monde public et monde privé. Nous sommes persuadés que les Français veulent rester dans le peloton de tête des grands pays mais pas au prix d’un déni de ce qu’ils sont ; et que dans une perspective de sortie de crise, ils aspireront à retrouver les pratiques démocratiques normales d’un Etat transparent, modeste et efficace.

C’est pourquoi notre projet n’est pas de statu quo mais d’adaptation et de mouvement ; un projet qui privilégie le long terme et préserve les solidarités intergénérationnelles. Un projet européen, de gauche, progressiste, de transformation sociale, de justice. Et qui plus est, un projet moral. Yes, we can try, ….

Primaires ou supérieures ?

Les plus anciens se souviennent de la célèbre réplique d’Alain Peyrefitte, à qui Georges Marchais reprochait naguère de faire de l’anticommunisme primaire : « Eh bien, M. Marchais, faites du communisme supérieur et je ferai de l’anticommunisme supérieur ! »…

On est quelquefois pris de l’envie de répondre la même chose à ceux des socialistes qui, depuis la débâcle des élections européennes, ont fait du thème des élections primaires l’alpha et l’oméga du redressement du Parti socialiste. Le P.S. souffre certes aujourd’hui de l’absence d’un leader, sinon incontesté, du moins en situation de l’emporter. Il souffre surtout de l’absence d’un projet capable d’entraîner l’adhésion des Français par la pertinence des réponses qu’il propose aux problèmes du pays.

On nous dira : dans le système de la Vè République, l’un ne va pas sans l’autre. Ce n’est pas faux : un projet, porté par un candidat. À la fin des années 80, quand Michel Rocard disputait le leadership du P.S. à François Mitterrand, c’était bien deux projets de société, deux visions différentes du socialisme et de l’action publique, qui s’opposaient. L’âpreté de la confrontation n’a pas affaibli le P.S., elle l’a plutôt renforcé.

Mais aujourd’hui, on peine à distinguer les projets différents qui permettraient de choisir entre les prétendants. Il y a ceux qui brandissent leur extrait de naissance pour revendiquer le tour de leur génération. Ceux qui mettent en avant leurs états de service d’ancien (Premier ministre, Premier secrétaire, candidate), mus par le secret espoir qu’en dépit de l’aspiration des électeurs au renouvellement, leur expérience leur serve de piédestal. Ceux, chaque jour plus nombreux, qui pensent qu’au pays des aveugles… pourquoi pas moi ? Rien de tout cela, naturellement, ne suffit à incarner un projet.

La comparaison avec l’exemple italien ou américain, abondamment mis en avant par les tenants du projet des primaires, souffre d’un sérieux handicap : dans les deux cas précités, le parti démocrate était dominant à gauche, et il s‘agissait essentiellement d’agglomérer à sa démarche des électeurs indéterminés ou abstentionnistes. En France, la situation est sensiblement différente. Le P.S. n’est plus la force dominante de la gauche, même s’il demeure la formation la plus importante. S’il y a de nombreux abstentionnistes de gauche, il y aussi une proportion substantielle d’électeurs dont la préférence partisane va à un autre parti que le P.S. : quel sens prendrait leur participation à des primaires pour choisir le candidat socialiste si, au premier tour, ils continuent à voter pour le candidat de leur premier mouvement ? On sait, dans le système américain, que certains électeurs républicains peuvent aller voter aux primaires démocrates pour favoriser le candidat qui leur paraissait le moins susceptible de l’emporter1.

Et puis, pour plagier Anne Roumanoff, « on ne nous dit pas tout »… Les promoteurs du système des primaires conviennent que ce processus reviendra à choisir un projet en même temps qu’un candidat. Que restera-t-il, alors, du rôle traditionnel des partis politiques : élaborer un projet et désigner un candidat ? Le rapport d’Arnaud Montebourg à Martine Aubry tente de camoufler leur disparition programmée en disant qu’ils auront l’éminente responsabilité d’organiser les scrutins et tenir les bureaux de vote de ces élections primaires…

On peut considérer que les partis politiques, tels que la République les a progressivement façonnés pour « concourir à l’expression du suffrage », ont fait leur temps. Que la démocratie d’opinion les a rendus obsolètes. Qu’il faut passer à autre chose. Mais alors, l’honnêteté élémentaire commande d’afficher la couleur. Michel Rocard avait coutume de dire que, dans toute société humaine, on n’a jusqu’ici observé que trois façons d’organiser la dévolution du pouvoir : à travers les armées, les églises ou les partis. Et que les partis sont, comme la démocratie, le pire des systèmes après tous les autres… Il faut aujourd’hui y ajouter les médias. Est-ce une raison suffisante pour s’y soumettre ?

En commençant par les primaires destinées à sélectionner des candidats, on court le risque considérable de faire l’impasse sur le projet. Nous proposons au contraire de commencer par organiser des conventions ouvertes, auxquelles prendraient part tous ceux qui le souhaitent, encartés ou non dans une formation politique, et qui permettraient, sur les sujets majeurs : l’économie et la redistribution, le développement durable, la protection sociale, le rôle de l’Etat et des collectivités locales, la formation, la mondialisation…, de dégager des idées-forces et l’armature d’un projet de société. Au cours de ce processus, au demeurant, les postulants auraient l’occasion de s’exprimer, de faire connaître leur point de vue, de dégager la cohérence de leur projet. Dans un deuxième temps seulement, tous ceux qui auraient participé à cette élaboration collective seraient appelés, éclairés et informés, à participer au choix du candidat ou de la candidate le mieux à même de porter ce projet et de l’emporter.

Est-ce un vœu pieux que de vouloir faire de la politique supérieure avant de s’engager dans les primaires ?

Les Gracques 

1
 Et si cette démarche (« traverser la frontière », dans le jargon des primaires américaines) n’a pas joué contre Barack Obama, elle s’est avéré payante, dans d’autres occasions, contre John Kerry ou, longtemps avant, contre George McGovern…

Après le compromis de Lisbonne

L’accord intervenu entre les dirigeants européens sur un traité destiné, après deux ans de paralysie, à se substituer à la Constitution mort-née était tout sauf évident. Nous n’avons donc aucune réticence à reconnaître le caractère positif du déblocage obtenu, en particulier par le président français et son gouvernement qui devrait permettre une meilleure « gouvernance » de l’Union.

Pour autant, le résultat final met un peu plus en évidence l’inanité des arguments des partisans du « non » à la Constitution : l’Europe sociale est passée à la trappe, la charte des droits fondamentaux n’est plus qu’une référence distante, les symboles de l’Union (devise, hymne, drapeau) ont disparu, les possibilités de coopérations renforcées sont rendues plus contraignantes et contrôlées… par ceux qui n’y participeront pas !
Bref, il n’y a ni plan B, ni plan C mais bien plutôt un traité « plan-plan » qui certes permettra de mieux faire fonctionner la mécanique institutionnelle, mais qui reste désespérément muet sur les finalités et les objectifs de l’Union européenne, bref, sur tout ce qui aurait été de nature à rendre un peu de confiance aux populations qui doutent.

La gauche est désormais au pied du mur. Les partis et associations souverainistes, qui se disent de gauche ou d’extrême-gauche, sont fidèles à leur vision de l’Europe dans un seul pays en appelant à rejeter le compromis de Lisbonne. D’autres, probablement candidats au prix Nobel de la bouffonnerie, réclament un référendum auquel ils prôneraient… l’abstention.

Il est temps qu’à gauche, une ligne l’emporte : pour le Parti socialiste, ce ne peut être que celle que son histoire a tissée, celle de la construction européenne. Aujourd’hui, elle passe par l’adoption du compromis de Lisbonne. Demain, elle exigera, avec les États qui le souhaitent, des coopérations approfondies dans le domaine fiscal, social, éducatif et diplomatique.

Le Parti socialiste doit se rendre compte que la « réconciliation du oui et du non » sur une autre base que celle-ci serait comme le mélange de l’eau chaude et de l’eau froide : elle ne produirait que de l’eau tiède.