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Macron en tête au premier tour – présidentielle 2017

En portant en tête dès le premier tour Emmanuel Macron, la France vient de se livrer à l’un de ces coups de théâtre qui jalonnent son histoire et en font une nation à nulle autre semblable.
Que de fois n’avait-on pas dit que l’élection présidentielle ne pouvait se jouer hors le cadre des Partis politiques traditionnels? Ou que la France, pays vieilli et rétif au changement, se réfugierait dans un vote conservateur?

C’est tout le contraire qui s’est produit.

Ils viennent de signifier leur volonté de changement, non seulement dans la conduite des affaires du pays mais aussi dans l’état d’esprit général. Assez de pessimisme et de récriminations. Sauvons l’Europe et redressons le pays, en y faisant repartir la croissance et l’ascenseur social: voici la feuille de route qui attend le futur chef de l’Etat et avec lui, les nouvelles générations qu’il incarne.

Interdiction de décevoir.
Le 7 mai, nous voterons donc, comme ce dimanche, avec l’ardent espoir de remettre la France En Marche.

Les Gracques

M Le magazine du Monde – L’alliance Bayrou-Macron : la revanche des Gracques

Article de Zineb Dryef publié dans M Le magazine du Monde du 4 mars 2017.

C’était le 22 mars 2007. La campagne présidentielle, haletante, battait son plein. Nicolas Sarkozy ? Ségolène Royal ? François Bayrou ? Toutes les hypothèses étaient encore plausibles. Les sondages virevoltaient, indécis, quelques semaines avant le premier tour. C’est alors qu’un mystérieux groupe a fait son apparition sur la scène publique : les Gracques (du nom de deux hommes d’Etat réformistes romains, Tiberius et Gaius Gracchus). Une sorte d’amicale d’anciens hauts fonctionnaires de gauche, convertis aux joies du libéralisme. Ils ont jeté, ce jour-là, un gros pavé dans la mare en publiant une tribune dans Le Point qui leur a valu leur quart d’heure de célébrité. Un appel à une « coalition de progrès » entre la candidate socialiste et le candidat centriste.
L’histoire s’est écrite autrement. Nicolas Sarkozy l’a emporté. Et les membres du club sont retournés à leurs affaires, sans jamais vraiment structurer leur mouvement, mais sans pour autant fermer boutique.

Nous voilà dix ans plus tard. Encore un 22, février cette fois. Le Tout-Paris médiatique et politique attend une nouvelle candidature de François Bayrou. Mais, coup de théâtre, il fait une proposition d’« alliance » à Emmanuel Macron, qui s’empresse d’accepter. Les temps ont changé. Et voilà cet attelage qui fait désormais figure de challenger de Marine Le Pen pour le premier tour et de favori du second. Comme si les Gracques, enfin, étaient sur le point de voir leurs rêves exaucés.

« C’est une forme d’aboutissement politique d’une démarche intellectuelle, admet Alexandre Wickham, directeur de collection chez Albin Michel, qui est à la fois membre des Gracques et leur éditeur. On nous disait : “C’est irréaliste.” Mais notre combat n’a pas été inutile. » René Silvestre, fondateur de L’Étudiant, désormais dirigeant de pépinières d’entreprises, et membre des Gracques depuis 2007, accueille régulièrement dans son vaste appartement des soirées qui s’éternisent à refaire la gauche. Pour lui, l’alliance des deux hommes ne peut être que réjouissante. Même s’il tempère l’ardeur des complotistes : il appelle, modeste, à ne pas exagérer le rôle de ce petit lobby. « L’alliance de la gauche avec Bayrou, ce sont des idées qu’on distille depuis dix ans, mais nous ne sommes pas les artisans du rapprochement avec Macron. Si on y a un peu contribué, tant mieux. Disons que l’Histoire a un sens et qu’on est allés dans le sens de l’Histoire… »

Difficile de résumer ce groupe de surdiplômés (ENA, Polytechnique, HEC), passés autrefois par les cabinets ministériels socialistes (Rocard, Jospin, DSK, Bérégovoy) et désormais souvent des pointures du monde des affaires. Les intellectuels Erik Orsenna et Pascal Blanchard les ont rejoints. Le célèbre obstétricien René Frydman également. Ce dernier résume: « Les Gracques, ce sont des gens divers qui sont actifs dans la société, et se situent, grosso modo, sur une ligne réformiste. » « C’est à la fois un cénacle, un think tank, une société secrète qui opère à visage découvert », avance Alexandre Wickham. Bernard Spitz, président de la Fédération française de l’assurance, aime beaucoup l’expression employée un jour par le journaliste Jean Daniel: « Un groupe de réflexion et de pression. » Depuis, il l’a reprend. « Personne ne nous a mieux définis, sourit l’infatigable et volubile président des Gracques. Ce n’est pas une société secrète. Si vous allez sur le site des Gracques et que vous signez le manifeste, vous êtes un Gracque! » Bernard Spitz revendique 2 000 signataires, dont de nombreux jeunes.

En 2007, il rêve d’un groupe qui incarnerait un courant, une voix qu’il ne trouve nulle part. « Un courant progressiste, une sorte de rocardisme moderne »,  définit-il. Lors d’une réunion de ces « réformistes européens » tenue pendant leur université d’été en 2008, le rapporteur des débats est un jeune inspecteur des finances, tout juste entré chez Rothschild: Emmanuel Macron. Il ne s’éloignera plus guère. En 2015, il prend la parole lors d’un colloque organisé par le groupe. En septembre 2016, le Sommet des réformistes organisé par l’Institut Montaigne et par les Gracques à Lyon, sur les terres de Gérard Collomb, dont il est proche, a pris la forme d’un grand raout politique autour de l’ancien ministre de l’économie, qui clôturait l’événement.

Fait-il partie des Gracques? « C’est un compagnon de route », « tout le monde le connaît », « c’est un ami des Gracques », éludent ses membres qui reconnaissent pour certains avoir trouvé en lui leur candidat de rêve. Un candidat « issu de la gauche » qui affirme haut et fort: « Je suis libéral. » Pour autant, Bernard Spitz répète que « collectivement » les Gracques ne roulent pour personne mais pour des idées.

Construite pour infléchir la ligne de Solférino, l’association les Gracques n’a désormais plus vocation à regarder du côté du PS. Un des plus anciens membres du groupe reconnaît que « la donne a changé ». Depuis l’apparition d’Emmanuel Macron, « l’avenir de la gauche et du pays n’est plus au PS. De ce point de vue-là, on est quasiment tous partis pour soutenir cette candidature à titre individuel. » « Les deux tiers des Gracques connaissent Macron, admet un Gracque. Beaucoup travaillent pour lui. » Un autre ajoute: « J’ai adhéré à En Marche!, mais je ne suis pas dans l’équipe de campagne. » René Sylvestre, lui, n’a pas cette fausse pudeur. A bientôt 70 ans, le « plus vieux et le moins diplômé des Gracques », selon sa propre formule, assume son adhésion à En Marche! « Je ne suis ni de droite ni de gauche. Les Gracques me plaisent, il y a un côté gaulliste dans notre démarche, un côté pragmatique, non idéologique que je retrouve chez Macron. » Silvestre et sa femme ont contribué à hauteur de 15 000 euros à la campagne de l’ex-ministre de l’économie (« j’aurais donné davantage, si c’était autorisé! ») et participe à la rédaction des propositions dans ses domaines: entreprise et éducation. Macron est à l’écoute de ces « sages ». Il est le seul candidat à avoir reçu René Frydmand après l’appel de l’obstétricien à légaliser la PMA. « Il ne l’a pas fait parce que je suis un Gracque », nuance le professeur. Jacques Galvani, énarque et consultant en communication stratégique, membre des Gracques depuis cinq ans, se retrouve lui aussi (« évidemment ») dans les propositions d’En Marche!, auquel il a adhéré. Il rappelle que « cette idée qui a beaucoup été moquée », les cars Macron, a été proposée dès 2011 par les Gracques. Page 212 de leur livre-manifeste: « Développons donc le transport en autocar, avec des bus Greyhound à la française. » En 2014, lorsque Jean-Pierre Jouyet, membre fondateur des Gracques, entre à l’Élysée (et démissionne du groupe) et qu’Emmanuel Macron atterrit à Bercy, certains y voient la main du think tank. Accusés par Aquilino Morelle, conseiller déchu de François Hollande, d’avoir oeuvré en coulisses pour pousser le président à prendre un tournant libéral, les Gracques rigolent. « Si 10% de ce qu’on lisait sur les Gracques était vrai, on aurait changé le pays il y a dix ans », s’amuse Jacques Galvani.

« Ce n’est pas raisonnable de penser qu’on a influencé le tournant de François Hollande, juge un Gracque qui préfère rester anonyme. Il avait annoncé lors de notre université d’été de 2008 que les socialistes devaient faire prévaloir l’offre plutôt que la demande. Son tournant ne nous a donc pas étonnés. Nous l’avions appelé de nos voeux, mais nous n’étions qu’une voix parmi d’autres. » Le tournant est « arrivé trop tard », regrette même Jacques Galvani. « La fenêtre de tir était désormais trop courte pour obtenir des résultats. Psychologiquement, les électeurs n’ont rien compris. Il aurait fallu commencer de suite, dès 2012. »

« Les Gracques sont un groupe d’influence. Ils expriment leurs idées face à des gens qui eux détiennent le pouvoir », explique un membre. Les deux premières années de la présidence Hollande, les membres du « bureau », qui désigne le noyau dur des Gracques actifs, font passer des notes, demandent à être reçus, participent à des réunions en off dans les ministères. Un travail collectif toujours signé les Gracques. « On a un réseau important, lié à nos études, à nos expériences politiques et professionnelles. » Bernard Spitz est reçu trois fois à l’Élysée, à titre individuel. « Sous Hollande, on s’est dit: « Il faut agir! »; plus que des livres, on a fait passer des notes, on a rencontré des gens au pouvoir », raconte un des membres. « On plonge en sous-marin pendant six à huit mois et on ressurgit là où on ne nous attend pas », résume Alexandre Wickham. En l’occurrence, dans des tribunes assassines dans Le Point. Novembre 2012: « Pour les réformes, c’est maintenant! » Avril 2013: « C’est maintenant ou jamais! » (ce texte contrarie durablement Jean-Marc Ayrault). « Si Hollande affectait une certaine indifférence, il demeurait attentif à ce que les Gracques disaient ou publiaient », affirme Wickham.

Dix ans après leur appel à une alliance du PS et du Centre, la rupture semble consommée avec le parti de leur « jeunesse » dont ils jugent la ligne « archaïque ». En janvier, le soir du premier tour de la primaire à gauche, ils ne suivent le scrutin que pour la forme. « Par intérêt citoyen », corrige Bernard Spitz. Le « bureau » a organisé l’une de ces soirées d’appartement qu’ils affectionnent. L’élection de Bernoît Hamon les consterne. « Bien sûr, on aurait préféré que Manu (Valls) l’emporte, raconte l’un des membres. Mais Solférino est un astre mort. » « Le PS s’est replié sur son appareil. C’est un parti d’attachés parlementaires », ajoute un autre. « Les Gracques? Des « zozos », disait d’eux Hamon en 2007. Aujourd’hui, autour de lui s’est créé un groupe de réflexion monté par des jeunes gens pas tendance gauche libérale du tout. Ils s’appellent « les Grecs ».

Article de Zineb Dryef publié dans M Le magazine du Monde du 4 mars 2017.

Le changement, c’est maintenant

François Bayrou votera donc pour François Hollande.

Le choix du leader du Modem est la réponse que les Gracques attendaient à l’article qu’ils ont publié dans Le Point a la suite du premier tour. Nous nous en rejouissons profondément et vous appelons tous a voter sereinement dimanche.

Les Gracques

Du remaniement à la présidentielle

Jean-Louis Borloo n’aurait jamais dû se trouver dans la situation de jouer les leurres dans la course à Matignon. Pour deviner l’issue du remaniement, il lui aurait suffi de se remémorer le verdict de Nicolas Sarkozy au salon de l’Agriculture : «L’environnement, ça commence à bien faire.»

Nicolas Sarkozy est un pragmatique pour qui aucune conviction ne résiste à un mauvais sondage. L’ouverture ne parvient plus à semer la zizanie dans le camp d’en face et chagrine l’électorat de droite ? La diversité ne fait plus recette? Les citrons pressés sont jetés sans ménagement. Le débat sur l’identité nationale mobilise l’électorat du Front national au lieu de le neutraliser? A la trappe le ministère qui était censé veiller sur elle ! Les mesures du Grenelle de l’environnement sont sans effet sur l’électorat écologiste et éloignent de l’UMP les deux tiers de l’électorat agricole ? Exit.

A ce compte-là, les jours du bouclier fiscal, «symbole d’injustice», selon les termes de François Baroin, sont comptés. Sarkozy est aussi un réaliste. Il sait qu’une part essentielle de la défaveur de l’exécutif dans l’opinion publique lui est personnellement imputable. Qu’une fraction substantielle de l’électorat de droite, âgé, conservateur, provincial, catholique, éprouve à son endroit un sentiment de rejet. Il lui suffit d’observer l’évolution de sa courbe de popularité et celle de son Premier ministre. Alors, s’inspirant des judokas, il a résolu de transformer ses faiblesses en points d’appui. Fillon pose ses conditions pour rester Premier ministre ? Parfait : il aura davantage de latitude pour diriger le gouvernement, Guéant sera prié de se faire discret. Copé veut prendre la tête de l’UMP, pour éviter que Fillon ne s’en empare avant 2017 ? Soit : l’activisme du nouveau secrétaire général sera mis à profit pour remettre le parti en ordre de marche et faire oublier l’hyperprésidence.

Borloo, vexé de ne pas être à Matignon, veut s’employer à regrouper les rameaux épars de la famille centriste ? Momentanément fâcheux mais au bout du compte profitable : trois, voire quatre candidats potentiels pour cajoler l’électorat centriste dans les dix-huit mois qui viennent, c’est plus qu’il n’en faut. Et si, de Borloo, Morin, Bayrou, voire Villepin, il pouvait en rester deux au premier tour de la présidentielle, ce serait une bonne façon d’atomiser une menace potentielle.
C’est ainsi qu’il faut lire le «remaniement». Opération politique visant à préparer le premier tour de 2012. Après l’échec de la majorité aux élections régionales, Sarkozy avait joué cartes sur table : à l’automne, il y aurait le remaniement, puis on commencerait à «délégiférer». C’est-à-dire à désamorcer les bombes à fragmentation accumulées depuis 2007, à commencer par le bouclier fiscal. Il n’est pas sûr que cela suffise. Les effets de la crise, tant sur les déficits des comptes publics que sur le niveau du chômage, restent très présents. La défiance à l’égard des élites atteint un niveau record. Les lignes de fracture au sein de la société française, entre catégories sociales, générations, territoires, entre exposés, abrités et relégués, demeurent profondes et les marges de manœuvre très réduites. En 2007, Sarkozy avait su donner un sens à son entreprise de conquête du pouvoir ; en 2012, il n’aura plus comme projet que de s’y maintenir, perspective dont il n’est pas certain qu’elle mobilise les enthousiasmes.

Face à cela, le succès de sa stratégie dépendra de ce qu’entreprendra le PS. La gauche est, de son côté, confrontée à un défi : le modèle économique et social de l’Etat-providence sur lequel elle s’est construite est épuisé et elle peine à en inventer un nouveau qui intègre la préservation de l’environnement ; la dégradation des comptes publics disqualifie par avance la multiplication des promesses et elle subit comme la droite le discrédit de la politique ; la société française, vieillissante, demeure majoritairement conservatrice tandis qu’une fraction croissante de la jeunesse et des couches populaires, tenues en lisière de l’emploi, est séduite par la radicalité ; l’Europe, qui a longtemps été moteur de progrès, s’enlise dans les marécages d’un marché bancal et dérégulé.

On voit le défi auquel doit faire face le PS. Ni le rejet de la personne de Sarkozy, ni les bonnes performances dans les élections locales, ni le mouvement social contre la réforme des retraites n’apportent de réponses. La gauche doit à la fois construire un projet fédérateur, qui donne du sens à l’action publique et soit porteur d’espérance, et proposer des solutions qui rétablissent les équilibres économiques et la justice sociale. Elle devra présenter une vision qui conjugue espoir, raison, rigueur et justice.

C’est pour l’y aider que les Gracques proposeront d’ici quelques mois leur contribution à ce projet.