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Les Gracques aux Rencontres Economiques d’Aix en Provence 2018

Cette année encore, les Gracques seront présents lors des Rencontres d’Aix. Nous participons aux débats des Voix de l’Economie et de nombreux Gracques seront présents pour aborder la question des ruptures technologiques et des conséquences sociales, économiques et éthiques qu’elles emportent.

Lors d’un débat unique qui aura lieu le vendredi 6 juillet après midi, les représentants de 15 think tanks parmi les plus réputés de notre pays , dont Les Gracques, accompagnés d’une dizaine d’intervenants – témoins internationaux tels Jonathan Taplin, Fabienne Arata, Barry Lynn ou Carla Aerts vont discuter de la nécessité d’un New Deal face à cette révolution inédite.

Devant un quasi changement civilisationnel, 4 questions majeures, 4 choix de société se posent à nous:

  • Jusqu’où faut il contrôler internet?
  • Doit-on interdire la recherche sur les embryons?
  • Les Fakenews auront elles la peau de la démocratie?
  • Les GAFAS/BATX sont-ils les nouveaux maîtres?

Ces 7 débats coordonnés par l’Acsel et le Cercle des économistes vont rythmer le vendredi après midi dans les locaux de Aix-Marseille université à Aix-en-Provence, en parallèle des Rencontres Économiques d’Aix-en-Provence. Le dernier débat portera sur les nouveaux enjeux de la science portées par les nouvelles technologies et des enjeux de régulation ou de réglementation internationale des acteurs de la donnée, en présence de Marie-Laure Sauty de Chalon et de René Frydman pour les Gracques et de Benjamin Coriat (Université Paris XIII).

Ces débats sont ouverts à toutes et tous, sur inscription : www.lesrencontreseconomiques.fr 

 

Rencontres économiques d'Aix-en-Provence

Rencontres économiques d’Aix-en-Provence

Le contrat de filière de la “Silver Economie”, une initiative encourageante

Silver Economy Expo

Silver Economy Expo

Rares ont été les reprises dans la presse, et pourtant, l’idée est excellente. Le 12 décembre 2013, Arnaud Montebourg (ministre du Redressement productif) et Michèle Delaunay (ministre déléguée aux Personnes âgées et à l’autonomie) signaient un contrat de filière de laSilver économie, fruit d’un travail interministériel de plus d’une année. Lire la suite

Neutralité du Net : halte aux contre-verités

(Tribune parue dans Les Echos)

 Des géants du Net défiscalisés, des sites censurés par Free, un gouvernement passif, des « inspecteurs » Collin et Colin dépêchés pour inventer de nouveaux impôts… les dernières semaines ont été rudes pour les entreprises françaises qui ont réussi dans l’Internet. Car il y en a, et les mettre en joue en croyant que l’exécution de nos réussites nationales va faire plier les géants américains du secteur est une drôle d’idée.

Commençons par faire justice de quelques contrevérités. Première d’entre elles : l’explosion du trafic vidéo menacerait les fournisseurs d’accès. En réalité, alors que le trafic a été multiplié par 100 environ, le prix de la bande passante s’est effondré. On achetait 675 dollars le mégabit par seconde en 2000, contre de 1 à 2 dollars aujourd’hui. Les marges des fournisseurs d’accès à Internet (FAI) comme Free sont d’ailleurs stables – de l’ordre de 12 % depuis plus de dix ans.

Deuxième contrevérité : les fournisseurs de services et de contenus Internet ne paieraient pas la bande passante. Ils n’ont jamais été des passagers clandestins, ils financent des infrastructures en achetant de la bande passante et des serveurs pour stocker les contenus des utilisateurs. Ils paient des CDN (réseaux de distribution de contenus) pour alléger les réseaux des FAI et améliorer le service. Et ils ne s’adressent gratuitement aux internautes que parce qu’il existe un contrat implicite, qui consiste à recevoir de la publicité en échange de services gratuits. En France, on a toujours tendance à oublier que ce ne sont pas les tuyaux, mais les contenus et services qui génèrent des abonnements. C’est parce qu’il y avait des contenus attractifs que les FAI ont trouvé des clients.

Troisième contrevérité : les FAI devraient faire payer les internautes selon leur consommation. Nous pensons au contraire que cela introduirait un clivage d’accès entre les riches et les pauvres. Cela reviendrait à inciter les familles démunies à s’abonner à un tarif restreint, tandis que l’accès à l’information, à la culture et l’éducation passe aujourd’hui par l’Internet. Il est donc important, pour maintenir un Internet social et démocratique, de permettre l’accès à tous à un tarif équivalent, quels que soient les services et contenus.

Quatrième contrevérité : les FAI devraient faire payer les fournisseurs de services et de contenus. Couper l’accès à la vidéo, à la publicité et à d’autres services ou censurer le modèle gratuit financé par la pub, ou n’importe quel autre modèle économique, provoquerait un déséquilibre de l’écosystème Internet, déjà fragilisé par les grands acteurs américains, et constituerait une entrave à la libre concurrence. A terme, cela nuirait à l’innovation technologique et à la création culturelle. Le maintien de la neutralité du Net est une condition à la survie d’acteurs nationaux comme AlloCiné, Skyrock ou Aufeminin.com et à l’émergence de nouvelles start-up comme Melty, My Little Paris ou Purepeople.

Cinquième contrevérité : on ne pourrait pas taxer les géants du Net, qui par l’optimisation fiscale paient de vingt à trente fois moins d’impôt que les acteurs nationaux. Nous y arriverons quand nous aurons le courage d’harmoniser les politiques fiscales européennes, quand nous apporterons la preuve de l’établissement stable de GoogleApple, Yahoo!, Facebook en France. Pas en jouant les apprentis sorciers avec la taxe dite « Google-Mariani », qui pénalisait tout le marche publicitaire sauf celui dont elle portait le nom. Ni avec la taxation des données personnelles, qui condamnerait les entreprises françaises à une double taxation. Nous demandons au gouvernement le courage politique d’affronter l’évasion fiscale, plutôt qu’une créativité fiscale qui pénaliserait en premier lieu les acteurs du Web français.

Marie-Laure Sauty de Chalon et Christophe Decker sont PDG et DG d’Aufeminin.com

S’ils n’étaient que 3.6 millions

6% de la population française n’est pas logée ou l’est de manière indigne. Si ce phénomène ne concerne « que » 3,6 millions de personnes en France, il faut y ajouter 5,1 millions de personne en situation de réelle fragilité de logement à court ou moyen terme, que la crise actuelle peut faire basculer rapidement dans la première catégorie. 13% de la population dans une telle précarité, cela s’appelle une bombe sociale.

Le rôle de l’Etat doit donc être celui d’un démineur dont le travail s’étalerait sur plusieurs années. Le marché du logement ayant un temps caractéristique d’évolution de l’ordre de l’année, l’Etat-démineur ne pourra voir les effets des mesures prises qu’à cet horizon. Tout effet d’annonce ainsi que toute volonté d’une résolution rapide de la crise du logement sera ainsi vaine.

Cette note a pour objectif d’identifier quelques variables clé de la problématique du logement en France et de suggérer des pistes de réflexion afin de détendre le marché. Il est selon nous nécessaire de produire un choc de l’offre sur le marché du logement en agissant sur deux variables principales : le foncier et la réglementation ayant trait à la construction.

UN MARCHE TENDU

Les tensions sur le marché du logement sont multiples. Il est indispensable de bien les comprendre afin de ne pas se laisser aller à des raisonnements trop rapides.

Le manque de logement en France s’explique moins par la démographie que par la modification des comportements sociologiques. De 1968 à 2007, la population française a augmenté de 24% alors que le parc de logements a progressé de 72%. Même si la vitalité démographique a atteint des sommets jamais observés depuis la fin du Baby Boom et que l’INSEE prévoit une augmentation de 157 500 personnes par an d’ici 2050, il semble que l’explication principale ne soit pas à chercher dans cette direction.

Il faut plutôt considérer les conséquences du « Choc sociologique » qui a vu l’éclatement de la cellule familiale[1], la croissance effrénée du nombre de ménages (+67% de 1968 à 2007) dont 65% ne sont constitués que d’une ou deux personnes, l’explosion du nombre de divorces qui entraine (entre autre) une forte augmentation du nombre de familles monoparentales (20% en 2005 contre 9% en 1968) pour expliquer ces tensions quantitatives sur le parc de logement. Si on y ajoute le vieillissement de la population (58% des ménages de personnes vivant seules sont âgées de plus de 55 ans) et les mobilités professionnelles générant des résidences doubles, on comprend mieux pourquoi le marché du logement a du mal à suivre ce choc sociologique.

A ces tensions quantitatives s’ajoutent également des tensions sur les prix des logements. On montrera que ces tensions sont certes corrélées mais que leurs relations de dépendances n’obéissent pas uniquement au schéma classique de l’offre et de la demande.

Les prix moyens des logements neufs ont doublé en 10 ans avec la particularité étonnante que les prix dans l’ancien ont progressé plus vite que les prix du neuf durant la même période alors que le marché de l’ancien n’est pas tributaire des coûts et des délais de production. On constate également que le ratio du prix de l’immobilier rapporté au revenu disponible des ménages a augmenté de 70% depuis le début des années 2000 alors qu’il était quasiment stable depuis 1970. Le taux d’effort[2] est d’autant plus important que le revenu du ménage est faible et que les personnes le constituant sont jeunes.

A ces tensions s’ajoutent enfin des tensions qualitatives sur le parc de logements. Si les conditions sanitaires ont fortement progressé depuis 20 ans[3], il n’en reste pas moins que, selon l’INSEE, 53,2% des ménages ont une « difficulté de confort » au sein de leur résidence principale en 2008. La surface moyenne des logements a augmenté de plus de 15% en 30 ans ce qui a eu pour effet de diminuer le phénomène de surpeuplement, même si 9% des ménages en souffrent encore.

Les efforts pour soulager les tensions qualitatives sur le marché du logement ont été importants depuis 30 ans mais ils vont devoir changer de nature. Le logement étant responsable de 15% des émissions de gaz à effet de serre et de 35% de la consommation d’énergie du pays, il serait souhaitable de mieux prendre en compte les performances énergétiques des bâtiments (à la fois neufs mais surtout anciens) et d’encourager leur mise aux normes si l’Etat souhaite que les objectifs du Grenelle de l’Environnement soient atteints[4].

AGIR SUR LE FONCIER

La plupart des acteurs du marché du logement s’accordent pour dire que l’insuffisance de la mobilisation des terrains constructibles est la principale cause de la crise du logement.

S’il est juste de dire le foncier « physiquement disponible »  n’est pas rare, force est de constater que c’est l’insuffisance de la production foncière par rapport aux besoins  qui est la cause de l’envolée des prix. Pourtant, on n’observe pas de mise en vente massive de foncier dans notre pays.

Ce paradoxe apparent tient au fait que les propriétaires de terrain à bâtir savent que le temps joue pour eux car les terrains ne cessent de prendre de la valeur, contrairement à d’autres produits financiers. Quand on sait que le système fiscal taxe peu la détention des terrains constructibles et impose les plus-values de manière fortement régressive dans le temps, on comprend mieux pourquoi la rétention foncière est un comportement économique rationnel.

La première action à entreprendre serait de taxer fortement le foncier constructible non bâti de sorte que sa détention « passive » procure un rendement médiocre. Cette taxe devrait cesser de s’appliquer aux terrains en cours d’aménagement. Ainsi, les détenteurs de foncier auraient tout intérêt à céder leurs biens ou à y faire construire des logements.  Il faut que cesse la situation absurde où celui qui construit est davantage taxé que celui qui détient du foncier constructible sans l’utiliser.

Pour accélérer la fluidification du marché, des mesures fiscales devraient être prises. La première pourrait être un abattement fiscal (sur l’impôt sur les sociétés ou sur les plus values de cession par exemple) pour le cédant si  celui-ci vend son terrain à un organisme bâtisseur de logements sociaux. Cet abattement pourrait être modulé en cas de programme de constructions mixtes social/privé. L’idée fondamentale derrière cette mesure est de baisser le coût du foncier pour construire des logements sociaux. Une seconde mesure serait de supprimer les abattements sur le foncier car ils encouragent à la rétention.

Une deuxième action consiste à libérer du foncier détenu par l’Etat et les grandes entreprises publiques. L’effort de recensement des possessions de l’Etat doit être poursuivi en vue d’une cession à un juste prix. Certes, il ne faut pas négliger certaines « cultures ministérielles » ou d’entreprise mais il est grand temps que l’Etat (armée, ministères) et les entreprises publiques (SNCF, RFF, EDF, VNF…) cessent de faire de la rétention. Une autre piste à envisager, si l’Etat ne souhaite pas céder ses terrains, serait de proposer des baux emphytéotiques afin de promouvoir la création de logements sur ce type de terrains.

L’augmentation de la densification des agglomérations est une troisième piste à explorer. La surélévation des bâtiments déjà construits posant des problèmes techniques difficilement supportables, il semble plus opportun d’augmenter le COS dans certains quartiers, sans pour autant créer des immeubles de trente étages en plein  centre de Paris ou Lyon.

Enfin, le marché du foncier est peu liquide et très opaque. Si les mesures précédentes visent à le fluidifier, peu de propositions sont faites en ce qui concerne sont opacité. On constate aujourd’hui que le coût de communication des actes n’est pas négligeable et que les fichiers des actes de mutation sont chers et peu accessibles. Cette opacité du marché ne peut que nourrir la spéculation foncière. On pourrait s’inspirer de l’Allemagne ou des Pays Bas où les actes de vente sont transmis aux pouvoirs publics ou encore des Etats Unis ou de l’Angleterre ou les données foncière sont publiques. Un marché du logement liquide et transparent sera ainsi plus efficient et moins sujet à la spéculation.

 

II. AGIR SUR LA REGLEMENTATION 

L’environnement dans lequel évolue le marché immobilier est peu propice à son développement. Sans entrer dans des détails trop techniques, nous pensons que c’est la philosophie générale de la réglementation immobilière qui est à revoir afin que les différents acteurs (promoteurs, investisseurs, pouvoirs publics…) prennent leurs responsabilités de manière sereine.

La première action à entreprendre serait de diminuer le temps public. Aujourd’hui, les compétences en terme de logement sont éclatés entre l’Etat pour les dispositifs d’aides, les collectivités locales et l’Etat pour les autorisations, les délégataires des aides à la pierre qui ne sont jamais sur le même échelon territorial etc.  Il en est de même au niveau de la planification spatiale ou chacun décide de sa politique à son échelle locale, sans cohérence globale. Les décisions publiques se prennent ainsi dans une logique séquentielle où chacune des strates administratives donne son/ses autorisations l’une après l’autre, sans se soucier de ce que diront des autres… Le temps public s’en trouve ainsi fortement ralenti.

Il est donc temps de revenir à un outil de planification pluriannuelle étatique pour les décisions structurantes. Cet outil aurait, au niveau local, des guichets uniques regroupant sur un territoire tous les intervenants publics de l’acte de construire (données statistiques sur les besoins, autorisations, aides). Le but serait que les acteurs publics et privés travaillent ensemble dès la genèse des projets immobiliers, en supprimant la logique séquentielle pour passer dans une logique de prise de décision collégiale. Ainsi, les différents acteurs pourraient travailler ensemble autour d’un Projet et en appréhender toute sa complexité avant même le début de la mise en chantier.

Cet outil centralisé pourrait en outre générer des statistiques pertinentes pour savoir quels types de logements construire sur quels territoires et à quels prix : il s’agit d’inverser les pratiques en ayant une connaissance plus fine des besoins au niveau local. C’est le type de logement à bâtir qui doit s’adapter aux réalités du terrain : il serait bien naïf de se contenter de bâtir sur un territoire des logements inadaptés en espérant que le marché se régulera tout seul…

De manière générale, revenir à une planification étatique pluriannuelle permettrait de rétablir une stabilité réglementaire. En effet, il est inconcevable que la réglementation change tous les ans alors que la réalisation des opérations immobilières prend en moyenne 5 ans. Il en est de même pour la fiscalité sur l’immobilier frappant les acheteurs : promoteurs et investisseurs ont horreur de l’incertitude.

Une seconde action consisterait à créer des procédures accélérées pour des projets d’envergure ou à l’impact social crucial. Après tout, quand il s’agit de construire rapidement pour de grandes manifestations sportives (Jeux d’Albertville, Coupe du monde de football), la France sait très bien le faire…Dans le même esprit, il serait bon de légiférer pour encadrer les recours abusifs et les rackets organisés au permis de construire qui ralentissent considérablement les projets et découragent l’ensemble des acteurs de la filière.

Enfin, il faut agir véritablement sur la fiscalité. Une mesure comme (feu) la déductibilité des intérêts d’emprunts n’a jamais incité personne à investir dans un logement pour le louer alors que son coût (1,2 milliards d’euros par an) était trois fois supérieur au montant des aides à la pierre. Il faut combattre ce type de mesures dont les effets ponctuels et à long terme (à cause de l’inertie du marché) sont dévastateurs.

 

III. QUE FAIRE SUR UN PARC DEJA CONSTRUIT ?

Il faut cesser les mesures électoralistes et autres coups d’éclats médiatiques dans ce domaine.

Le dernier en date, le blocage des prix des loyers à la relocation, permettra peut être un meilleur taux de rotation dans les logements[5] et un freinage de l’augmentation des loyers. Mais il engendrera à coup sûr une baisse du rendement locatif pour les propriétaires qui ne seront pas encouragés à effectuer des travaux (entretien, améliorations des performances énergétiques etc.). Pire encore, il est possible que les propriétaires, notamment dans les grandes villes, préfèrent louer leur appartement en saison à des touristes ce qui réduirait encore l’offre.

Il serait à notre avis plus efficace de cibler des aides pour ceux qui en ont le plus besoin, en laissant le marché évoluer à la hausse comme à la baisse. Ces aides pourraient être des APL ou bien une contre garantie de l’Etat en ce qui concerne la caution du logement, notamment pour les étudiants. Coupler ces aides à une surveillance accrue des abus[6], quitte à les sanctionner fiscalement (voire juridiquement pour certains) permettrait de revenir à des rapports apaisés entre locataires et propriétaires.

Une seconde mesure serait d’instaurer une forte taxe sur le non occupé réel. Il y avait environ 7% de logements vacants en 2011 (sur 33,7 millions en 2011), dont une grande partie l’était pour des raisons administratives (succession, vente en cours etc.). Néanmoins, remettre ne serait ce que 10% de ces logements vacants sur le marché représenterait un afflux de 200 000 logements supplémentaires d’un coup, ce qui n’est pas rien !

Le plus gros chantier concerne la rénovation énergétique des bâtiments. En effet, comme le logement est responsable de 35% de la consommation d’une énergie qui deviendra inéluctablement de plus en plus chère, il est nécessaire de proposer des mesures à même d’améliorer l’efficacité thermique des bâtiments. Si de (trop) nombreuses normes existent concernant les constructions neuves, force est de constater que de nombreux bâtiments anciens sont de véritables épaves thermiques. Il incombe aux propriétaires de les rénover. Pour ce faire, il faudrait taxer significativement[7] les bâtiments qui n’obéissent pas aux critères de performances énergétiques afin d’inciter les propriétaires à faire des mises aux normes. Ces travaux pourraient faire l’objet d’un crédit d’impôt. Parmi les mesures envisagées, l’installation de panneaux solaires thermiques[8], destinés à produire de l’eau chaude[9], pourrait diminuer grandement la quantité d’énergie consommée ainsi que les tensions sur les réseaux électriques.

 

CONCLUSION

Les idées ne manquent pas afin de mettre sur pieds une politique du logement cohérente. Le logement n’est pas un marché comme les autres, régi uniquement par les lois de l’offre et de la demande. Au contraire, il a besoin, pour évoluer de manière raisonnable, d’un cadre général étatique au sein duquel chacun des acteurs exerce sa liberté de construire, d’autoriser ou d’investir de manière libre.

Aux mesures développées dans cette note s’ajoutent des mesures plus techniques destinés à rendre la construction de logements neufs moins chères (réduction de la TVA, des taxes locales et redevances, forfaitisation des honoraires et des dépenses proportionnelles du côté du promoteur, encadrement du tarif des assurances et mise en place d’une assurance étatique spécifique au secteur du logement etc.). C’est une autre condition sine qua non si l’on veut pouvoir proposer des logements neufs à des prix abordables.

L’Etat doit donc revenir aux commandes pour ce qui concerne la politique du logement afin d’apaiser toutes les tensions qui minent ce secteur. La bombe sociale n’a pas encore explosé mais nul doute que si les rangs mal logés continuent à grossir, la déflagration se fera entendre jusque dans les couloirs des ministères !

 



[1] Le nombre moyen de personnes par logement est passé de 2,8 en 1978 à 2,3 en 2006 soit une chute de 18%.
[2] Rapport entre les revenus et l’ensemble {loyer+charges}
[3] L’inconfort sanitaire touchait 15% des logements en 1984 contre 1,5% des logements en 2006.
[4] Réduction de 38% de la consommation d’énergie et de 50% des émissions des gaz à effet de serres d’ici 2020 selon le plan « Bâtiment » du Grenelle II.
[5] Et ainsi une meilleure adéquation entre le logement (taille/loyer) et ses occupants (revenus, nombre de personnes présentes sous le même toit)
[6] Loyers exorbitants sur les appartements à petites surfaces ou loyers supplémentaires versés au noir exigés par certains propriétaires par exemple.
[7] Imposer une taxe de 500€ par an s’il y a 10 000€ de travaux de rénovations à faire n’incitera jamais un propriétaire à les entreprendre…
[8] Ces panneaux sont fabriqués de façon standard. Le retour sur investissement d’une installation « thermique » est de moins de 2 ans. Ils peuvent être installés sur les toits et, couplés à un « ballon d’eau chaude », ils peuvent proposer de l’eau chaude même hors des périodes d’ensoleillement.
[9] Pour le chauffage, la climatisation ou les machines à laver.

Vouloir la mondialisation, mais comment ?

NASA-Earth Résumé : Cette note appelle à « vouloir la mondialisation », parce qu’elle porte des valeurs essentielles d’humanisme, de tolérance, de diversité et de solidarité, parce qu’elle seule peut permettre à la France de préserver son influence internationale, parce qu’elle préserve ses intérêts dans le long terme, et parce que son économie en a besoin. Pour autant, la mondialisation est ce que l’on en fait, et la façon dont elle a été gérée est la raison principale pour laquelle elle suscite aujourd’hui des craintes et des oppositions. Car l’exigence de changement rapide qu’elle implique a été synonyme pour de nombreux individus d’incertitude et de précarité, voire d’exclusion. Il est nécessaire de refonder le rôle économique de l’Etat et de repenser les politiques publiques, notamment les politiques sociales et les politique d’aménagement du territoire. Plutôt qu’une diplomatie du repli, la France doit s’engager dans une diplomatie active et dans une négociation internationale exigeante et difficile, visant à faire évoluer et consolider le cadre de règles internationales en matière sociale, économique, commerciale, financière et environnementale.

Les Français vivent la mondialisation de façon schizophrénique et paradoxale : d’une part, la France est respectivement le 6ème exportateur et 4ème importateur mondial de marchandises et le 4ème exportateur et 6ème importateur mondial de services. C’est dire l’importance de son insertion dans le commerce mondial tant pour le dynamisme économique de ses entreprises et pour l’innovation technologique que pour le niveau de vie de ses consommateurs qui se précipitent sans état d’âme sur les produits de grande consommation importés. La France pèse encore par ailleurs, pour des raisons culturelles, politiques et historiques, « plus que son poids  économique » dans les affaires du monde, par son influence, son rôle en Europe et sa diplomatie. D’autre part, pourtant, les sondages placent les Français parmi les peuples les plus méfiants et craintifs vis-à-vis de la mondialisation. Lors d’une visite en avril 2010 à l’Ecole d’Economie de Paris, Pascal Lamy, directeur général de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), s’interrogeait avec son auditoire sur la sorte d’exception qui faisait de notre pays l’un des seuls pays à théoriser le protectionnisme, alors que les autres pays industrialisés tendent plutôt à théoriser le libre-échange.

Or, cette exception est à nouveau revendiquée, à l’occasion de la crise économique et financière mondiale, de la crise de la dette européenne et de la campagne électorale qui s’est engagée à l’occasion de la primaire socialiste. Le thème de la « dé-mondialisation » s’est ainsi imposé dans le débat, notamment porté par Arnaud Montebourg, après avoir été lancé au printemps par le livre que lui a consacré l’économiste Jacques Sapir. Mais il ne paraît plus tout à fait aussi exceptionnel. Dans de nombreux pays industrialisés, la mondialisation a mauvaise presse. Elle est tenue pour au moins en partie responsable des problèmes d’emploi et d’inégalité qui se sont aggravés, surtout avec la crise économique et financière depuis 2007, mais aussi de la crise elle-même, des excès spéculatifs, de l’incertitude et de l’instabilité de l’environnement économique. On lui reproche aussi de priver les gouvernements de la marge de manœuvre nécessaire pour jouer le rôle qu’on attend d’eux dans l’économie et la société. Et de grands pays émergents, comme la Chine, qui continuent d’afficher une croissance vigoureuse et accumulent les excédents commerciaux, font figure de menaces pour l’emploi et la prospérité. L’écho que rencontrent ces thèses donne à réflexion : quelle place donner à la mondialisation dans une vision d’avenir de la France ? Comment faire partager cette vision ?

On peut s’accorder sur une partie du diagnostic. La mondialisation telle qu’elle a été gérée n’a pas éliminé les problèmes existants, les a parfois aggravés et en a probablement amené de nouveaux. Certains pays, notamment les grands pays émergents, ont su en tirer une dynamique de croissance suffisante pour conduire l’ajustement social nécessaire. Dans d’autres pays, notamment les pays industrialisés, la sécurité des emplois et des revenus est devenue un souci majeur. En interaction avec le progrès technique, la dynamique de la mondialisation a conduit à une polarisation des sociétés en valorisant un capital humain inégalement réparti et en accentuant les difficultés pour les travailleurs moins qualifiés, entraînant une reprise des inégalités internes aux pays après plusieurs décennies de réduction de ces inégalités. Elle s’est aussi appuyée sur une financiarisation excessive dont la crise récente a montré les dimensions les plus coûteuses (insuffisante régulation, mauvaise appréhension et maîtrise des risques, gestion à court terme de stratégies d’endettement publiques et privées qui se sont transformées en crises de la dette, perte de contact avec le réel) et qui a conduit l’économie mondiale dans une impasse dont il est aujourd’hui difficile de sortir. L’interdépendance des politiques économiques a été très mal gérée, chaque pays s’employant à maintenir l’autonomie des politiques monétaires et budgétaires nationales et laissant le système monétaire international ainsi que le niveau des dettes publiques et de l’endettement extérieur servir de mécanisme d’ajustement. Mais dans un monde interdépendant, l’absence de solidarité se paie, par l’accroissement de la pauvreté dans certains cas, y compris à l’intérieur des pays riches, mais aussi par la montée de déséquilibres entre pays qui finissent par s’avérer insupportables.

Ce sont des problèmes que l’on ne peut donc pas ignorer, non seulement parce qu’ils signalent d’importants dysfonctionnements, mais aussi parce qu’ils sont au cœur des préoccupations des Français. Pour de nombreux parmi eux, la mondialisation apparaît comme source de problèmes et d’insécurité, et ce n’est pas parce qu’ils se trompent. C’est parce qu’elle impose un rythme de changement social que le marché du travail ne sait pas absorber suffisamment rapidement et que les politiques publiques ne savent plus accompagner. Le thème de cette note, loin de l’appel à la démondialisation, est qu’il faut « vouloir la mondialisation », mais qu’il faut aussi l’accompagner, la contrôler et en maîtriser les effets.

Pourquoi vouloir la mondialisation ?

La première raison de vouloir la mondialisation renvoie à la vision du monde que l’on souhaite promouvoir et que la France doit porter, et aux valeurs universelles auxquelles nous devrions être attachés et que la Gauche pourrait et devrait incarner : celles de l’humanisme, de la tolérance, de la diversité, de la solidarité. Ces valeurs s’expriment naturellement dans la gestion de l’ouverture plutôt que dans le repli sur soi pour se protéger des autres. On aimerait que le débat politique passe davantage de temps à réaffirmer ces valeurs fondamentales, dont l’Histoire montre qu’on ne peut jamais les tenir pour acquises et qu’il faut continuellement en porter le flambeau, surtout lorsque de graves crises amènent naturellement à rechercher des solutions dans l’égoïsme et le repli.

Vouloir la mondialisation, c’est aussi pour la France vouloir préserver et consolider son influence. La France représente aujourd’hui moins de 4% du PIB mondial (mesuré en parité de pouvoir d’achat), elle en représentera probablement moins de 2% en 2050. Les Etats-Unis devraient voir leur poids relatif passer de plus du quart à environ un sixième ; tandis que la Chine pourrait passer de 18% à plus d’un tiers (graphique 1). En 2030, si l’on en croit l’extraordinaire travail d’Angus Maddison, l’Europe pourrait retrouver le poids qu’elle avait dans le Monde au début du Moyen-âge et avant la forte expansion de la Renaissance. D’ores-et-déjà, notre taille signifie que seuls, nous pouvons peu de choses, y compris sur le plan économique, et que notre avenir tient à notre capacité à organiser l’interaction avec le reste du monde. Le marché pertinent pour nos entreprises n’est ni français, ni même européen ; il est mondial, et marqué par la forte croissance de la demande dans les pays émergents. C’est sur les marchés mondiaux qu’elles pourront tirer profit des rendements croissants. En outre, même si la situation en France est plus favorable que chez ses voisins européens, nos sociétés sont vieillissantes. Notre projection à l’extérieur est un élément essentiel d’une stratégie d’avenir, visant à préserver le rôle et le statut international de la France en dépit de ces évolutions. Ce rôle et cette influence s’exerceront par l’exportation du savoir faire et de la capacité d’innovation, par le dynamisme entrepreneurial, par la rigueur macroéconomique, par la modernité des approches, par la défense de valeurs universelles mentionnées précédemment et qui peuvent fonder une diplomatie exemplaire. Comment construire une stratégie crédible d’influence en préconisant le repli ?

Graphique 1 : Répartition de l’économie mondiale (Poids en %, dollars de PPP 1990)

Source : Travaux d’Angus Maddison (www.ggdc.net)

Troisièmement, le politique. Il a une dimension externe et interne. La dimension externe concerne le discours. Arnaud Montebourg insiste régulièrement sur le fait que les Etats-Unis et d’autres pays adoptent sans état d’âme des mesures protectionnistes. Il a raison sur ce point. Il en déduit que la France ne doit pas hésiter à vouloir le protectionnisme. Mais ce n’est pas la même posture ! Dans un cas, on a un discours offensif sur l’ouverture des marchés et sur la mondialisation, assorti de politiques volontaristes et pragmatiques ; dans l’autre un discours protectionniste, assorti de politiques finalement réalistes et qui ressemblent aux précédentes.  Mais le discours n’est pas indifférent, et il change tout dans la posture internationale et dans la dynamique du changement. Paradoxalement, vouloir la mondialisation, c’est-à-dire donner à l’autre un message qu’on est prêt à l’accepter et à négocier, peut rendre plus acceptable, au plan international, que l’on se donne les moyens d’y parvenir en mettant en place les politiques adaptées. La dimension interne concerne la gestion des rapports de force entre groupes d’intérêt et la gestion des rentes. De la même façon que la mondialisation permet de transformer des monopoles locaux en entreprises soumises à la concurrence internationale, elle permet aussi de relativiser le poids de groupes de pression susceptibles de bloquer toute réforme interne. Par ailleurs, les politiques publiques génèrent des rentes de situation pour leurs principaux bénéficiaires. Cela n’enlève rien à la nécessité de leur mise en place, mais cela peut nuire à leur efficacité dans le long terme, et cela crée aussi des incitations pour les détenteurs de ces rentes pour bloquer toute réforme. Les politiques publiques, de ce fait, tendent à se sédimenter par accumulation de couches successives,  plutôt qu’à évoluer en s’adaptant à des contextes eux-mêmes changeants. Il est utile, pour l’économie politique interne, de pouvoir s’appuyer sur la dynamique de mondialisation pour questionner régulièrement les rentes existantes et faire évoluer les politiques de protection.

Quatrièmement, l’économie. Pour un pays de taille moyenne, l’accès aux marchés extérieurs est fondamental. Dans le cas de la France, on pourrait penser que le marché européen suffit. Ce marché est fondamental pour notre pays. Mais il est largement mature, et ce serait se priver du potentiel formidable des marchés des pays émergents en pleine croissance, ce qui n’est dans l’intérêt ni de notre pays, ni de l’Union européenne. Pour accéder à ces marchés, il faut évidemment aussi accepter les importations en provenance des pays concernés, et c’est d’ailleurs une source importante de maintien de notre propre niveau de vie (les consommateurs se rendent-ils compte des avantages qu’ils tirent des importations, en termes de prix et de variété, sans compter l’accroissement de la qualité et de l’innovation qu’a permis la concurrence internationale ?). On retrouve là la tension inéluctable entre l’accroissement du niveau de vie et le besoin d’ajustement économique et social, tension qu’entretiennent tant la mondialisation que le progrès technique. Le parallèle avec le progrès technique renvoie aussi au cœur du sujet : il faut aussi vouloir le progrès technique, mais c’est aux politiques publiques d’apprendre à en maîtriser les dimensions éthiques, politiques, économiques et sociales tout en préservant les incitations au dynamisme et à l’innovation.

 Quels enjeux de politique publique ?

 Pourquoi le débat a-t-il sombré dans un manichéisme simplificateur tendant à faire de la mondialisation le principal coupable ? Sans doute est-ce parce que ses partisans l’ont présentée de façon tout aussi simpliste et déterministe comme un vecteur incontestable de bien-être et de prospérité. Or, elle l’a en effet été à la fois globalement et pour certains pays, ou pour certains groupes de personnes, mais pas pour d’autres. Elle a nourri une expansion sans précédent de l’économie mondiale, mais les fruits en ont été très inégalement répartis, aussi bien entre pays qu’à l’intérieur des pays. Cela renvoie aux errances de politiques publiques qui n’ont pas su évoluer et qu’il faut aujourd’hui reconstruire. La mondialisation souligne la crise du rôle de l’Etat dans l’économie, et c’est sur ce rôle qu’il faut faire porter les efforts. Elle a rendu caduques ou non viables de nombreuses politiques publiques construites au cours des décennies précédentes et que l’on a démantelé sans les remplacer par de nouvelles, dans le cadre d’une idéologie appelant au retrait généralisé de l’Etat. En même temps, elle rendait l’Etat de plus en plus nécessaire, alors même qu’il était de bon ton de le nier. Le résultat, c’est à la fois que l’Etat, loin de se retirer, a progressé dans la plupart des pays, comme en témoigne l’évolution de la part des dépenses publiques et de la protection sociale un peu partout (graphique), mais que cela s’est fait dans un vide doctrinal sidéral et sidérant, conduisant à l’accumulation d’une dette publique non maîtrisée et à la mise en place de politiques d’appoint qui ne font pas système et ne réponde pas à la question fondamentale du renouveau des politiques publiques.

Graphique 2 : Evolution des dépenses publiques des pays de l’OCDE (% du PIB, 1960-2010)

Source : OCDE – graphique tiré de Benassy-Quéré, A., B. Coeuré, P. Jacquet et J. Pisani-Ferry, Politique Economique, DeBoeck Université 2009.

 Prendre position contre la mondialisation revient à refuser ce défi et à enfermer l’Etat dans le rôle étroit d’un protectionnisme généralisé et unilatéral qui ne conduirait pas à une alternative viable. Il y a une certaine illusion à croire que les politiques publiques seraient plus efficaces si l’on réintroduisait systématiquement des barrières protectionnistes. L’effet immédiat de telles barrières serait une hausse des coûts internes (puisque cela revient à renchérir les biens importés, ou à relâcher la concurrence avec eux) et de l’inflation. A moyen et long terme, elles introduiraient des distorsions susceptibles de nuire au potentiel de croissance de l’économie. Et, mises en œuvre de façon unilatérale, elles s’accompagneraient très probablement de mesures de rétorsion fermant les marchés pertinents à nos entreprises. Croire que cela contribuerait à la création d’emplois est une erreur. Il ne s’agit pas de réfuter idéologiquement l’utilisation de politiques publiques actives et ciblées, mais simplement d’attirer l’attention sur leur caractère nécessairement ponctuel et la nécessité d’en gérer attentivement les effets induits.

 Le chantier de reconstruction du rôle de l’Etat (et du politique dans un monde qui a largement écouté les sirènes technocratiques) mérite qu’on s’y attelle sans tarder. Il doit être conduit dans l’Union européenne et dans la mondialisation, ce qui implique d’en faire une plate-forme exigeante de négociation. Autrement dit, la vision de la mondialisation derrière laquelle il faut s’engager n’est pas le démantèlement des politiques publiques et sociales ou des réglementations, ni la loi de la jungle propice à toutes les prédations. C’est celle d’une reconnaissance mutuelle entre politiques nationales, principe qui doit beaucoup à la construction européenne, fait d’un socle minimal d’harmonisation au-delà duquel prévaut l’acceptation des différences. Ce socle a vocation à se développer et à se déplacer au fur-et-à-mesure que l’intégration progresse, comme l’a amplement montré la négociation commerciale multilatérale, à la fois dans la poursuite de l’abaissement des barrières douanières et dans l’extension de la négociation à bien d’autres aspects des politiques nationales liées au commerce. Vouloir la mondialisation, c’est s’engager de façon volontariste et ferme dans une telle négociation. Cela ne signifie pas qu’on la croie simple ni immédiate. Mais c’est un pari nécessaire.

Le moment y est propice. Partout, des voix s’élèvent pour demander le changement. La responsabilité des politiques aujourd’hui est de maintenir une vision du monde dans laquelle la coopération internationale s’approfondit au lieu de se déliter. On peut identifier au moins trois pistes pour y parvenir :

  1. Lancer un chantier international sur les politiques sociales, à la fois au niveau européen et mondial, avec l’élaboration d’un filet de sécurité mondial, et dans leurs dimensions nationales, avec une réflexion sur les principes, les objectifs et les instruments qui devraient faire l’objet de discussions internationales, d’élaboration de bonnes pratiques et d’adoption de principes communs. On connaît aujourd’hui beaucoup moins de choses sur les politiques sociales, leur rôle et leur fonctionnement, que sur le commerce mondial. Ce n’est pas normal, d’autant que ce dernier a des implications sociales importantes. Un tel chantier aurait donc une composante de développement de travaux universitaires, et une composante de partage d’expériences entre pays ?
  2. Remplacer l’objectif implicite (mais trompeur) de libéralisation par celui de la construction d’un cadre de règles du jeu mondial, bien au-delà des seules politiques commerciales, intégrant explicitement les dimensions sociales et environnementales, mais aussi la dimension migratoire, en créant ou renforçant les institutions internationales nécessaires pour cela. L’agenda de libéralisation a été très utile pour construire un système international ouvert et multilatéral tout au long du dernier demi-siècle. Mais il est trompeur, parce qu’un marché efficace est nécessairement fondé sur des règles, du droit et des pratiques. Et les nombreuses défaillances de marché, en termes de circulation de l’information, de prédations non concurrentielles ou d’externalités diverses imposent des interventions publiques. C’est cela qu’il faut négocier. De fait, l’OMC est gardienne d’un système de règles commerciales acceptées par tous. Ce rôle est beaucoup plus important que le degré de « libéralisation », car ce qui compte pour favoriser l’accès aux marchés est la connaissance et la stabilité de tous les coûts et conditions des transactions, beaucoup plus que la poursuite de l’abaissement de certains de ces coûts.
  3. Saisir toutes les marges de manœuvre disponibles au niveau national et européen pour orienter les politiques publiques vers les défis de la mondialisation. En particulier, l’un des atouts non mobiles et caractéristique des Etats nations est leur territoire. Les politiques d’aménagement du territoire sont donc fondamentales pour s’inscrire dans la mondialisation. Ce sont elles qui permettent de renforcer l’attractivité du territoire, par l’effort de recherche et d’éducation, les capacités d’accueil dans les universités, l’équipement en infrastructures collectives, la réflexion sur l’aménagement durable des espaces et l’efficacité des modes urbains, le climat de l’investissement et l’accueil des personnes. Ce sont elles également qui paraissent essentielles pour éviter la dilution des assiettes fiscales. La concurrence par les territoires apparaît aujourd’hui comme une dimension sous-exploitée de la construction des avantages comparatifs.

Conclusion

Nous sommes à nouveau, probablement un peu comme après la seconde guerre mondiale, dans un moment charnière de reconstruction du système mondial. Celui qui a été en effet mis en place craque de tous les côtés. Cette reconstruction ne peut pas reposer simplement sur un message comminatoire aux nouvelles puissances, les invitant à respecter « nos » règles du jeu, d’autant plus que ces dernières doivent aussi substantiellement évoluer. D’une certaine façon, c’est maintenant qu’il faut « construire » la mondialisation et la doter d’un cadre de règles du jeu sur tous les grands enjeux collectifs : économique, social, financier, environnemental, sécuritaire. La construction précédente n’était que partielle, à la fois géographiquement et substantiellement. La réponse à ses insuffisances n’est pas le repli sur soi, dans une diplomatie conflictuelle et étriquée, mais dans une approche offensive consistant à « vouloir » la mondialisation et à la façonner collectivement, en continuant à s’appuyer sur l’intégration européenne pour faire poids dans les affaires mondiales.

Les Gracques

Crédits photo : la photo utilisée pour illustrer cet article est issue de la NASA et du Goddard Space Flight Center

Pour un choc d’offre sur le marché du logement

Résumé : Le prix du logement devient écrasant pour de très nombreux ménages. Or la flambée des prix a été largement alimentée par les politiques successives de solvabilisation de la demande, qui ont subventionné les propriétaires vendeurs tout en poussant les classes moyennes à s’endetter lourdement. Afin de relâcher la pression sur les prix des logements, les Gracques proposent un choc d’offre immobilière.

Le prix du logement : trois problèmes en un 

Depuis le milieu des années 2000, les Français consacrent en moyenne un quart de leur budget à leur logementet à son fonctionnement énergétique (chauffage, éclairage). Cette part n’était que de 16% en 1960. 10% du revenu individuel disponible a été donc capté, en 50 ans, par ce seul poste de dépenses, soit l’équivalent en termes de pouvoir d’achat de l’ensemble des hausses d’impôts depuis 1970.

La hausse du prix des logements pose simultanément un véritable problème de justice sociale. D’abord, cette hausse des coûts exclut d’emblée une part de la population de l’accès au logement décent. Dans son rapport annuel de 2010, la fondation Abbé Pierre dénombrait 3.5 millions de mal-logés et 6.5 millions de personnes en état de « fragilité », susceptibles de basculer dans la première catégorie. La fondation imputait notamment cette fragilité au recul des « marges budgétaires » des Français, dont 15 millions jouent, selon le médiateur de la République, leurs fins de mois à 50 ou 150 euros près. Que les loyers (48% des Français du premier quintile de revenus étant locataires, contre seulement 18% dans le quintile le plus aisé) continuent d’augmenter au rythme moyen de 3.2% par an et ces familles seront prises à la gorge avant la fin de la prochaine législature.

Enfin, le prix du logement présente un enjeu de redistribution et de confort de vie des classes moyennes. L’augmentation des dépenses contraintes des ménages simplement modestes (jusqu’à 1750 euros/mois) a été deux fois supérieure, en proportion, à la hausse des dépenses contraintes des ménages aisés (9ème décile de revenu). Le député Jean-Marie Le Guen parle ainsi de « crise globale » en région parisienne, affectant le commun des familles. A la location comme l’achat, on relèvera également le caractère « régressif » du prix du mètre carré : les appartements de petite surface, majoritairement occupés par les moins fortunés, atteignent dans les grandes villes des prix prohibitifs lorsqu’on les rapporte à leur taille. Les grands appartements, s’ils sont plus onéreux en valeur absolue, font ainsi figure de bon rapport surface/prix pour leurs occupants.

Un nécessaire changement de paradigme

La formation d’un prix repose principalement sur l’offre et la demande. La demande de logement elle, a explosé en deux générations sous l’effet de deux facteurs : l’augmentation de globale la population d’une part, et la réduction de la taille moyenne des foyers d’autre part. Ce dernier phénomène qui s’expliquait, pour la génération précédente, par la généralisation du modèle de famille nucléaire (on ne vit plus sous le même toit que ses parents ou grands-parents), s’explique aujourd’hui par un éclatement des cellules familiales lié à l’augmentation du taux de divorce : lorsqu’un couple se sépare, il lui faut deux logements au lieu d’un.

L’offre, elle, n’a pas connu de croissance naturelle comparable. Si la France a beaucoup construit pour reconstruire durant les trente glorieuses, la raréfaction du foncier disponible dans les grandes agglomérations n’a pas permis de multiplier les logements neuf à la hauteur de la demande. S’en est suivi une hausse des prix sans précédent, que les spécialistes n’hésitent pas à qualifier de bulle immobilière. En France, les prix moyens à l’achat ont ainsi doublé entre 2001 et 2011.

Or la réponse des gouvernements successifs dans ce domaine a été d’accroître les aides, notamment à l’achat, pour soutenir les ménages face à l’envol des prix. C’est la logique de (feu) la défiscalisation des intérêts d’emprunt ou du nouveau prêt à taux zéro. Mais en solvabilisant la demande, nous avons versé de l’huile sur le feu : cette stratégie a évidemment alimenté la spirale ascendante des prix. Elle est par ailleurs dangereuse, dans la mesure où elle incite les ménages à un très fort endettement (l’enquête logement Insee de 2006 avait montré que 565 000 ménages propriétaires avaient rencontré des difficultés pour payer leurs charges ou remboursements de prêts immobilier) et profondément inégalitaire puisqu’elle injecte de l’argent public dans des opérations commerciales bénéficiant aux propriétaires vendeurs.

Pour un choc d’offre immobilière

Un gouvernement nouvellement élu pourrait trouver, dans une politique de logement intelligente, le moyen de rendre du pouvoir d’achat aux ménages tout en répondant à une forte préoccupation sociale. Parvenir à diminuer les dépenses moyennes de logement de 10% correspondrait à une hausse moyenne du pouvoir d’achat de 2.5%, soit l’équivalent de l’effort fiscal qui sera globalement demandé aux français pour rétablir l’équilibre des finances publiques.

En premier lieu, il faut mettre en place les conditions d’un choc d’offre sur le marché du logement. Deux moyens existent pour créer un tel choc, à la fois dans le parc privé et dans le parc social : multiplier la construction de logements neufs et améliorer le taux de remplissage du parc existant. 

Des solutions existent, d’abord, pour libérer la place de construire de nouveaux logements dans les zones de forte pression démographique. Le député Jean-Marie Le Guen a rappelé aux responsables du grand Paris que d’importantes marges de constructibilité existent, en raison de grandes réserves foncières accumulées notamment par certains opérateurs de l’Etat (SNCF, RFF, RATP, EDF). Les anciennes gares de triage, les sites de production électrique désaffectés sont effectivement légions dans les agglomérations, souvent en plein centre-ville. Sans mettre en péril le développement futur des transports en commun ou de l’approvisionnement énergétique, de très larges sites pourraient être libérés à brève échéance pour construire des logements. La SNCF et RFF se sont déjà engagées dans cette direction : RFF a identifié 4 000 hectares de terrains cessibles. La SNCF a prévu, de son côté, de libérer de quoi construire cinq à six mille logements d’ici fin 2012. Certaines zones, comme le 16ème arrondissement à Paris sont accessoirement insuffisamment denses : toujours selon Jean-Marie Le Guen, 2 000 logements supplémentaires pourraient être édifiés sur les simples contre-allées de l’avenue Foch. L’éternel prétexte du manque de foncier doit donc être remis en juste perspective.

Par ailleurs, qui ne peut pas construire en largeur peut toujours construire en hauteur. Sans faire de Paris ou de Marseille de nouveaux Manhattan, il est possible d’adapter la taille des bâtiments pour ajouter une « couche » supplémentaire à la surface habitable. Selon une étude-test menée sur douze rues parisiennes, un surhaussement des immeubles permettrait de gagner 466 000 m2 sur ces seules artères moyennes. Pour ce faire, seules quelques adaptations aux règlements d’urbanisme sont nécessaires : il suffirait, dans une majorité de cas, d’amender les articles des plans locaux d’urbanisme régissant la hauteur limite des bâtiments, notamment par rapport aux rues qui les bordent. A Paris par exemple, seules quelques axes (la perspective des champs Elysées par exemple) et trois zones (le Marais, le 7ème arrondissement et le jardin du Luxembourg) bénéficient d’une protection juridique particulière du point de vue de la hauteur des constructions ; partout ailleurs, des simples articles du PLU et un « plan des hauteurs » définissent respectivement les grandeurs relatives et absolues maximales des immeubles. Autoriser l’ensemble des copropriétés à rajouter, par dérogation à ces documents, un étage aux bâtiments permettrait d’améliorer sensiblement l’offre disponible. Un dispositif d’incitation financière, par exemple par une défiscalisation des travaux, permettrait de rendre attractif ce type d’opérations. Ces aménagements, s’ils sont correctement pensés, ne porteront nullement atteinte à la qualité de vie, les grandes villes s’étant, historiquement, toujours élevées sans pour autant que leur attrait diminue.

Outre la construction, une meilleure utilisation des espaces existants permettrait d’enrichir l’offre de logements. L’INSEE dénombrait fin 2010 plus de 2 millions de logements individuels et collectifs vacants. Une part substantielle de ces logements n’est pas inoccupée sans raison (il peut s’agir de logements en cours de vente, en attente de règlement de succession, ou de logements de fonctions en attente d’attribution) ; une autre part de ces habitations est vide parce qu’insalubre. Mais si seulement 10% de ces logements sont habitables, la réintroduction soudaine de 200 000 logements sur le marché correspondrait à près de 50% des logements construits en un an. Or pour optimiser la rotation du parc privé, il existait jusqu’en 1965 une imposition du « loyer fictif ». Une telle correction du revenu imposable, dont on pourrait exonérer la résidence principale, serait une incitation à ne pas laisser de logement secondaire vacant : se voir imposer sur un « loyer fictif » alors que l’habitation concernée est inoccupée fait évidemment réfléchir. Les Gracques proposent d’étudier la faisabilité d’une telle mesure.

Les logements sociaux ne doivent pas être en reste. En ce qui concerne la construction, le problème est largement affaire de courage politique et de positionnement institutionnel. La loi SRU, dont le fameux article 55 impose aux communes de plus de 3 500 habitants (1 500 en région parisienne) de se doter de 20% de logements sociaux, fait l’objet d’un bilan pour le moins décevant. Depuis l’adoption de la loi en 2000, près de la moitié des communes assujetties à la loi (de l’ordre de 400 pour environ 800 villes concernées) n’ont construit aucun logement social. Pour ce faire, les Gracques soutiennent l’idée, mise en avant par Martine Aubry, d’une quote-part obligatoire de logements sociaux et d’accessions à la propriété dans tous les nouveaux programmes de construction. Toutefois par souci de cohérence, il est préférable de limiter la quote-part minimale de logements sociaux à 20%, sous peine de défavoriser les communes qui respectent déjà la loi SRU (la quote-part d’un tiers proposée par la même Martine Aubry étant inadéquate de ce point de vue).

Rappelons enfin que les préfets ont d’ores et déjà le pouvoir de se substituer aux collectivités qui ne respectent pas la loi SRU : ils s’en abstiennent, notamment, pour ne pas se heurter à de puissants élus locaux dont l’aura à Paris dépasse souvent la leur. Un engagement du Président de la République nouvellement élu à soutenir systématiquement les préfets dans cette démarche serait une manifestation utile de sa volonté de bien loger les Français.

Fusion Impôt sur le revenu et CSG : débat le 21 septembre autour de Thomas Piketty et Michel Taly

Lorsqu’on demandait à Paul McCartney si, et quand il reformerait les Beatles, il répondait : « Pas tant que John Lennon sera mort ! ». Finalement, la fusion de l’impôt sur le revenu (IR) et la CSG, c’est un peu le même principe.

Piketty-TalyCette proposition, partagée par une grande partie de l’UMP, est la pierre angulaire du projet de « Révolution fiscale » de Thomas Piketty, Camille Landais et Emmanuel Saez. Ce consensus transpartisan sur un sujet aussi clivant que l’impôt (et dont on peut donc légitimement s’étonner) offre à ceux qui s’en revendiquent la possibilité de répondre, lorsqu’on leur demande quand, au juste, nous rénoverons notre fiscalité : « Pas tant que l’impôt sur le revenu (IR) et la CSG seront séparés. »

Ce qui revient, au fond à dire : « D’abord il nous faut fusionner ces deux impôts ; et après, on se mettra autour d’une table pour rénover notre fiscalité vers plus de justice sociale et d’efficacité économique ».

Côté Gracques, nous nous sommes occupés de mettre la table à disposition. Et notre point de vue, c’est que la fusion IR/CSG n’est qu’une technique, pas un projet, et encore moins un véritable sujet de campagne. Le vrai projet, ce devrait plutôt être : quel profil souhaitons-nous pour l’impôt sur le revenu ? Quelles niches supprimer ou atténuer ? Comment régler le problème des très hauts revenus ? Autant de questions qu’il importe de traiter sans perdre de temps, plutôt que de tabler sur une fusion qui, au-delà de sa complexité intrinsèque, risque de ne pas atteindre les buts escomptés.

Pour y réfléchir et vous faire votre avis, venez assister au débat qui rassemblera Thomas Piketty et Michel Taly à Sciences Po, Amphithéâtre Jacques Chapsal, le mercredi 21 septembre 2011, de 19h15 jusqu’à 21 heures (27 rue Saint-Guillaume, 75007 Paris) et que nous organisons en partenariat avec l’association Jeune République.

Thomas Piketty et Michel Taly :

 

Thomas Piketty, ancien élève de l’École normale supérieure, est spécialiste de l’étude desinégalités économiques, en particulier dans une perspective historique et comparative. Il a reçu en2002 le Prix du meilleur jeune économiste de France. Promoteur majeur de l’École d’économie de Paris, il y est aujourd’hui professeur. Proche du parti socialiste, il a publié avec Camille Landais et Emmanuel Saez « Pour une révolution fiscale, Un impôt sur le revenu pour le XXIe siècle » préconisant de remettre à plat notre système d’imposition et de réformer en profondeur l’impôt sur le revenu.

A sa sortie de l’Ena, Michel Taly choisit la direction générale des impôts. Chargé de mission pour les questions fiscales au cabinet de Michel Rocard, alors Premier ministre, il devient par la suite Directeur de la législation fiscale. Il poursuit sa carrière de fiscaliste au barreau. Il est aujourd’hui avocat associé au sein du cabinet Arsene Taxand. Grand technicien, praticien et engagé, il propose sur son blog http://www.debateco.fr/category/blog/le-blog-de-michel-taly ses analyses sur les dernières évolutions législatives et, entre autres, les ambigüités fiscales de la gauche.

Dépenses d’hier, dettes d’aujourd’hui et impôts de demain

La trajectoire de l’endettement public et celle du taux des prélèvements obligatoires le montrent clairement : depuis 1974, nos gouvernements successifs ont globalement choisi de recourir à l’endettement plutôt qu’à une hausse de la pression fiscale pour financer les déficits publics…

Cette stratégie aurait eu quelque sens si nous avions structurellement connu un excédent primaire (c’est-à-dire si, en rythme de croisière, nos recettes fiscales avaient été supérieures aux dépenses) et s’il s’était agit de financer quelques campagnes d’investissement en ne recourant à la dette que pour lisser l’effort financier dans le temps. Mais nous avons financé, par cette dette, des dépenses de fonctionnement ou de transfert qui ont naturellement vocation à être prises en charge par la fiscalité.

Plusieurs raisons ont été mises en avant pour justifier un tel choix. La première tient à la mobilité de la base fiscale : les économistes les plus libéraux et, d’une manière générale, les ardents pourfendeurs de toute mesure fiscale supplémentaire ne manquent pas une occasion de brandir le risque de voir, si les impôts sur les plus riches ou sur les entreprises venaient à augmenter, tout ce petit monde se réfugier en Suisse.

S’agissant des entreprises, l’argument de la mobilité n’est pas sans poids. On a pu observer l’attrait des taux d’IS pratiqués par l’Irlande, et l’enjeu est particulièrement fort pour les activités de services : lorsqu’il n’est pas besoin de déplacer des usines, mais seulement quelques serveurs et quelques cerveaux, la délocalisation des entreprises pour des raisons fiscales peut être un vrai sujet.

Mais en ce qui concerne les particuliers, l’histoire montre que les contribuables ne sont pas si prompts à fuir qu’on tente de nous le faire croire. En effet, l’expérience française a démontré par le passé que la tranche supérieure de l’impôt sur le revenu pouvait atteindre 75% (en 1980) sans pour autant que des hordes n’aient quitté le pays. Les Etats-Unis ont eux aussi pratiqué des taux marginaux à la limite du confiscatoire pour les très hauts revenus, et ce même sous le très libéral Ronald Reagan !

On objectera peut-être que les conditions de la mobilité des revenus et des patrimoines n’étaient sans commune mesure à l’époque : c’est faux, les paradis fiscaux sont aussi vieux que l’impôt lui-même (on en retrace des exemples jusqu’à l’an 2000 avant JC) et il était plus facile il y a 30 ans de détenir un compte en Suisse que cela ne l’est aujourd’hui…

L’existence de forts taux d’imposition par le passé a également mis à mal un autre argument libéral : celui de la courbe de Laffer, c’est-à-dire l’idée que trop d’impôt « tue l’impôt » lorsque la fiscalité devient dissuasive. Les années 70 et 80 ont été des années de croissance et nous n’avons pas trace d’un découragement de l’activité lié à une pression fiscale excessive au-delà d’un certain revenu. En réalité, les théories économiques dites du « cycle de vie » tendent plutôt à montrer que les individus raisonnent par objectifs de patrimoine : pour caricaturer, ils travaillent jusqu’à ce qu’ils aient pu s’offrir la maison qu’ils désirent (raisonnablement), la voiture qu’ils désirent, ou la piscine dont ils rêvent pour leurs vieux jours, et ce quel que soit leur taux moyen d’imposition.

Il est également illusoire de penser que l’endettement serait moins douloureux pour la croissance qu’une hausse bien calibrée des contributions. Certes, en empruntant sur les marchés internationaux, les Etats évitent, à l’instant t de prélever la totalité des liquidités dans les circuits économiques domestiques : on met l’étranger à contribution. Mais enfin, il faut bien rembourser un jour en prenant l’argent dans les caisses de l’Etat, c’est-à-dire dans les poches du contribuable. A moyen terme, les arguments tenant au financement de l’économie sont donc spécieux lorsqu’il faut choisir entre la dette et l’impôt.

Non, les seules, les vraies raisons qui ont pu conduire les gouvernements à préférer la dette à l’impôt sont, d’une part, une éthique de conviction, c’est-à-dire le refus pour des raisons idéologiques d’aller au-delà d’un certain taux de prélèvements obligatoires (c’était la logique de feu le bouclier fiscal), mais qui ne s’est pas accompagnée de l’éthique de responsabilité qui voulait que les dépenses soient réduites corrélativement et, d’autre part, de purs arguments électoralistes. Car s’endetter c’est surtout faire porter au gouvernement suivant le chapeau de la hausse des impôts.

Quelles sont les morales de cette histoire ?

La première, c’est qu’il faut arrêter de jeter de l’argent public par les fenêtres en laissant l’Etat s’endetter sur les marchés financiers plutôt que d’augmenter les impôts. En clair : lorsque l’Etat s’endette, il reporte dans le futur la décision d’augmenter les prélèvements obligatoires. Le fait de repousser cette échéance permet aux contribuables de placer ou d’utiliser leur argent dans cet intervalle de temps : cette opportunité a une valeur, un prix de « préférence pour le présent ». Or lorsque l’Etat emprunte à des taux beaucoup plus élevés que ce simple prix du temps en raison d’importantes primes de risques, liées aux doutes des marchés sur sa solvabilité, la collectivité perd de l’argent : elle paie plus cher que ce que lui rapporte la possibilité de remettre à plus tard une hausse des impôts.

C’est d’autant plus vrai que la France dispose d’un très fort taux d’épargne, plutôt mal rémunérée en moyenne : tout en repoussant à prix d’or la décision de renforcer la fiscalité, l’Etat laisse beaucoup d’argent peu productif dans les bas de laine.

La deuxième conclusion, c’est que la meilleure de toutes les règles d’or est le mandat unique, au sens de non-renouvelable ! Un gouvernement qui ne joue pas sa réélection sur son approche de la fiscalité sera beaucoup plus susceptible de limiter le recours à l’endettement. Parmi toutes les garde-fous contre les déficits publics, limiter les principaux mandats exécutifs à un seul tour de piste serait peut être le plus solide…

Les Gracques