Save the Date: La Nuit de l’Europe

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Israël-Hamas

« L’exigence de concorde« : les Gracques se joignent à Hakim El Karoui et soutiennent son appel à la concorde, contre la haine et la violence. Voici le lien pour consulter ce texte et le signer vous aussi.

Voici également notre sélection d’articles pour comprendre la guerre de Soukkot :

  • Dans Libération (9/11/23), Wajdi Mouawad, dramaturge et directeur du Théâtre de La Colline appelle à ne pas tomber dans le piège du Hamas, qui veut exacerber la détestation de l’autre.
  • Dans Grand Continent, une chronologie de la guerre en images, de la veille de la première attaque du Hamas au tournant de la nuit du 27 au 28 octobre avec le raid israélien sur Gaza.
  • La présidente du Parlement européen, Roberta Metsola dans le Figaro (25/10/2023), insiste sur le besoin de clarté: les Vingt-Sept ont des sensibilités différentes mais une responsabilité à exercer. « Faire la différence entre l’Ukraine et Gaza », maintenir une « solidarité avec Israël » mais augmenter l’aide humanitaire à Gaza.
  • Dans la revue américaine Foreign Affairs (25/10/2023), une analyse de ce que pensent réellement les Palestiniens du Hamas, fondée sur une étude réalisée quelques jours avant le début de la guerre: avant le 7 octobre déjà, le Hamas avait largement perdu la confiance des citoyens de Gaza dont les préoccupations principales étaient une solution pacifique et une amélioration des conditions de vie. Le risque est grand que la répression israélienne ravive l’adhésion au Hamas, comme ce fut le cas par le passé.
  • La rabbine Delphine Horvilleur dans Le Monde (15/10/2023) parle de la préservation de notre humanité face à l’atrocité et du « risque d’enfermement dans des empathies sélectives ».
  • L’écrivain Tahar Ben Jelloun dans Le Point (13/10/2023), « la cause palestinienne est morte le 7 octobre 2023, assassinée par des éléments fanatisés, englués dans une idéologie islamiste de la pire espèce ».
  • Le philosophe Abdennour Bidar dans Le Monde (13/10/2023) appelle à une « parole claire et forte des représentants de la communauté musulmane de France », afin d’empêcher que « ne se déchaînent les rejets de l’autre, les repris sur soi, le racisme et l’antisémitisme, les haines et les violences qui nous gangrènent déjà et qui sont toujours plus excités par telle radicalité religieuse ou tel extrémisme politique ».
  • Depuis Israël, le philosophe Bernard Henri Lévy décrit dans Le Point (10/10/2023) un « 11 Septembre qui dure », un « Bataclan avec les missiles tirés d’un Etat confetti voisin » et les « parrains » du Hamas, des soutiens qui ont permis ce déchaînement de violence.

Réforme des retraites: « Il faudra y revenir »

Pour les Gracques, think tank social-libéral, la réforme est indispensable, mais ne suffira pas. En outre, elle sacrifie les jeunes et n’abolit pas les privilèges.

A peine la réforme des retraites présentée, la France se prépare déjà à une nouvelle crise sociale dont notre pays est coutumier. L’ensemble de la gauche, l’extrême droite et les huit principaux syndicats sont vent debout contre un projet dont ils prétendent ne pas voir l’utilité.

Il y a déjà plus de trente ans, Michel Rocard écrivait dans son Livre blanc sur les retraites qu' »une démocratie comme la nôtre doit être capable de débattre à temps de ses problèmes et d’en traiter sereinement ». Il doit aujourd’hui se retourner dans sa tombe en regardant ce qui reste du Parti socialiste plaider pour un retour de l’âge légal de départ à 60 ans.

Article complet à lire dans Le Point.

Tribune: « Non » au confinement: Macron a dix fois raison

« Le Président américain Abraham Lincoln avait conclu une réunion ainsi : « Sept oui, un non, les non l’emportent ». Emmanuel Macron a fait pareil en refusant, presque seul contre tous, de mettre le pays sous cloche une troisième fois. Il a eu dix fois raison.


1. Parce que ça n’est ni la première, ni la dernière pandémie que nous devons apprendre à gérer. Sans remonter à la grippe espagnole, les grippes asiatiques et de Hong Kong avaient autant tué en France à la fin des années 1950 et 1960 en proportion qu’aujourd’hui. Nos sociétés avaient affronté cette épreuve sans fermer les écoles, hystériser les médias ni arrêter l’économie. Le risque de pandémie fait désormais partie de la vie, assumons-le.

2. Parce que le choix collectif du tout confinement n’est pas probant. La Corée du Sud ou Taiwan s’en sont dispensés, avec succès. Le sacrifice de l’activité en France a conduit à des résultats sanitaires à peine meilleurs qu’en Suède où l’on n’a pas confiné.

3. Parce que l’essentiel des victimes sont les personnes âgées, fragiles ou malades, ce sont elles qu’une société solidaire doit protéger au maximum. En compensant leur perte de revenus intégralement quand ils ne peuvent plus travailler, en les vaccinant en premier et en les accompagnant à domicile ou en établissement pour leurs besoins domestiques et de santé. Les protéger donc, sans tout geler pour les autres.

4. Parce que c’est la peur de représailles judiciaires qui a inhibé les décideurs, au moment où ils sont au pied du mur de leurs responsabilités. Conséquence : on s’en remet à des médecins pour recommander voire endosser les décisions alors que c’est le rôle des politiques qui ont été élus pour cela.

5. Parce que l’administration n’achète ni ne distribue aussi bien que le privé avec lequel la collaboration est souvent difficile. Elle sait établir des procédures, contrôler ou interdire, au risque d’infantiliser, alors qu’en temps de crise ce sont bon sens, pragmatisme et humanité qui entraînent l’acceptabilité populaire, donc l’efficacité.

6. Parce que le facteur clé aux yeux des médecins est la peur de se retrouver avec des hôpitaux débordés par le nombre de malades par rapport aux lits d’accueil. Le plus urgent est donc de se mobiliser sur ce point. Des moyens supplémentaires et des lits en trop coûtent infiniment moins cher que la cessation de l’activité du pays.

7. Parce que fermer les activités dites « non essentielles » a été une erreur économique et culturelle. Le mot traduit l’incompréhension de ce qui fait l’âme de notre pays et affecte sa psychologie collective. Pourquoi interdire cinéma, théâtre, bibliothèques, musées, quand on peut aisément y espacer le public, bien plus qu’en avion ou en train ? On ne punit pas le bobo parisien, c’est la France qu’on brutalise, ce pays où le spectacle et la culture font partie de l’intimité des êtres. Pourquoi fermer petits commerces et grands magasins où la jauge est aisée à respecter ? Quant aux restaurants, au lieu de céder à la facilité d’une décision nationale, fixer des règles adaptées aux situations locales permettrait de travailler aux établissements disposant d’espace et d’indemniser complètement les autres.

8. Parce que le « quoi qu’il en coûte » doit se limiter à ce qui est nécessaire et utile pour l’avenir. Le soutien à l’économie a combiné l’action des banques avec bpifrance, l’Ademe, la Caisse des Dépôts. Laissons prendre leur risque aux entreprises privées qui ont su s’adapter ou se réinventer pour survivre, sans qu’on leur demande.

9. Parce qu’aujourd’hui, c’est la rapidité de la vaccination qui redonnera confiance. La priorité doit donc être donnée à développer la production, assurer la logistique et mobiliser tous les praticiens capables de faire l’injection à ceux qui la veulent, plutôt qu’à chercher à convaincre les autres qui ont le temps de changer d’avis.

10. Parce que les jeunes sont au premier rang des victimes. Eux qui sont les moins exposés au virus ont vu le confinement éteindre vie sociale, études, voyages, stages, petits boulots, apprentissage, emploi, relations familiales ; et leur laisser le fardeau d’une dette massive. Si la mobilisation doit être déclarée, c’est à leur égard. Le confinement à répétition est donc la plus douloureuse des réponses à la pandémie. Dix problèmes, autant de solutions : accepter la réalité, protéger les plus fragiles, appliquer les règles d’hygiène et les gestes barrières, faire coopérer public et privé, laisser la décision au politique, tenir compte des situations locales, accroître le nombre de lits, accélérer la vaccination, décélérer l’endettement et responsabiliser chacun. Dix principes pour redonner espoir au pays plutôt que l’enfoncer dans la dépression économique, psychologique et sociale. »

Bernard Spitz, à lire dans Les Echos

Tribune : « Souveraineté : le cloud oui, Carrefour pas forcément »

« Alors que la France s’est inquiétée de voir passer Carrefour dans le giron canadien, de peur que la souveraineté alimentaire soit menacée, l’Europe est chaque jour rendue plus vulnérable par une révolution numérique qui se fait sans elle.

Certains faits devraient pourtant tirer le signal d’alarme, et provoquer a minima le même sursaut. La veille de son départ, Donald Trump signait un décret pour faciliter la rétention de données des opérateurs de cloud américains. Plus tôt, le refus des géants du cloud d’héberger le réseau social Parler suffisait à le faire temporairement disparaître. En seulement quelques jours, 2021 nous rappelle combien la technologie est un élément clé de souveraineté.

Il est temps de réévaluer nos priorités, à un moment où la crise rend ces questions de souveraineté d’autant plus visibles. Car lorsqu’il faut se protéger, on ne peut souvent compter que sur soi-même. La crise sanitaire l’a montré : l’approvisionnement poussif en masques, tests, médicaments, respirateurs, et même vaccins, est symptomatique de la position de faiblesse de l’Europe dans les chaînes de production mondiales.

Le cloud, aspirateur de valeur

La crise a aussi révélé que la technologie constituait une nouvelle zone de vulnérabilité, alors que les mesures de distanciation faisaient exploser les usages numériques et renforçaient la place des mondes virtuels dans nos vies. Notre dépendance aux services, matériels et infrastructures technologiques américains et chinois s’est encore accentuée, creusant le retard du Vieux Continent qui n’a jamais aussi bien porté son nom aux yeux du reste du monde, pendant que les siens restaient fermés.

L’erreur serait de croire que l’ère digitale efface le rôle des Etats. Le nouvel internet qui se construit sur le cloud est aux antipodes de la vision utopiste d’un cyberespace décentralisé et pluraliste. Redoutablement efficace pour les entreprises comme les consommateurs, le cloud sous-tend la plupart de nos services et aspire la valeur, jusqu’à celle de nos objets connectés, dont l’intelligence est progressivement centralisée et partagée depuis les centres de données.

Cette valeur est captée et concentrée par quelques géants, dont aucun n’est européen. Le point commun d’Amazon, Google et Microsoft : faire partie du top 5 des plus grosses capitalisations boursières… et concentrer 70% du marché du cloud. Leurs homologues chinoises, Tencent et Alibaba, ne sont pas loin derrière. L’Europe est absente de la carte, si bien que lorsque l’Etat français cherche un service de cloud pour ses données de santé, elle s’adresse à Microsoft.

Investir et lever les freins

Les technologies dominantes se succèdent sans que jamais l’Europe n’en prenne le leadership. Pour cesser d’avoir toujours une révolution de retard, elle doit jouer dès aujourd’hui les batailles de demain, et investir massivement. L’effort est pour l’instant en-deçà des enjeux : en 2020, l’investissement dans la tech française (5 milliards d’euros) était cinq fois moins important que la collecte du seul livret A (26 milliards), tandis que le capital-risque européen levait trois fois moins de capitaux qu’aux Etats-Unis.

Les initiatives existent, il faut les accélérer. Et déverrouiller certains freins. Pour n’en citer qu’une poignée : la réglementation prudentielle des assureurs (Solvency II) et banquiers (Bâle III) qui pénalise encore trop lourdement l’investissement dans les entreprises non cotées ; les placements de long terme contrôlés par l’Etat, comme les fonds affectés à la garantie de la protection sociale, qui sont encore trop peu mobilisés ; les programmes d’investissement public qui donnent encore trop peu de chances aux entreprises innovantes.

A trop s’attacher aux attributs de notre puissance passée, qui file pourtant inexorablement entre nos doigts, on laisse passer notre chance pour l’avenir. Avec le risque que le mouvement Schumpétérien qui s’accélère ne laisse à l’Europe que la déstructuration, tandis que la création des éléments neufs se fait ailleurs : une véritable bombe à retardement politique, économique et sociale. »

Florian Giraud, vice-président de Shadow, dans Les Echos du 25 janvier 2021.

2020 en bref

[pdf-embedder url= »http://lesgracques.fr/wp-content/uploads/2020/12/Gracques_rapport_annuel-_2020-compressé.pdf » title= »Gracques_rapport_annuel _2020-compressé »]

Consultez ici notre rapport d’activité pour l’année 2020.

 

Souviens-toi, cher Emmanuel.

Une tribune d’Erik Orsenna, parue dans le JDD du 13 décembre 2020. https://www.lejdd.fr/Culture/exclusif-orsenna-interpelle-macron-sur-la-culture-cher-emmanuel-reviens-au-grand-louvre-4011864

« Souviens-toi, cher Emmanuel, monsieur le président.

Au soir de ta victoire, à qui avais tu choisi de dédier tes premiers pas, après cette longue marche qui t’avait conduit au pouvoir ? Au Grand Louvre.

Rappelle toi, tu avançais dans la nuit, ta première nuit de président .

Je ferme les yeux et je te revois car j’étais là.

Je ferme les yeux et j’entends les mots.

Louvre : l’œuvre et l’ouverture.

Grand Louvre, ouvrir grand.

Ouvrir grand la porte au possible.

Et je me disais, ce soir là, puis cette nuit là, je me disais : l’essentiel va revenir, l’élan, la confiance, le dépassement. Oui , l’essentiel est de retour. Vive ce joli mois de mai !

Car telle est la culture, sa raison d’être, depuis le premier dessin sur les parois d’une grotte, depuis la première musique issue d’une flûte taillée dans l’os d’un animal , le premier il était une fois : ouvrir. S’ouvrir pour se grandir.

Ce premier soir, tu ouvrais.

Et maintenant, jour après jour, on ferme .

Quel plus terrible symbole que cette ouverture du Panthéon à un écrivain, en même temps, en même temps que la clôture des librairies ?

Il se trouve, qu’occupant à l’Académie française, depuis maintenant vingt deux ans, le fauteuil de Pasteur, j’ai rencontré dans son Institut d’immenses savants qui m’ont appris des choses en médecine et en épidémies. Je serai donc le dernier à minimiser la crise sanitaire qui nous frappe.

Il se trouve qu’économiste, aussi économiste, je connais les chiffres : la culture est l’un des moteurs les plus dynamiques de notre économie.

De ces deux petits savoirs me viennent deux petites questions toutes simples : sur quelles études vous fondez vous, membres du Comité Scientifique, pour déclarer une foule non contagieuse dès lors qu’elle déferle dans un magasin, et d’autant moins dangereuse que le dit magasin est vaste ? Et pourquoi défendre, quoiqu’il en coûte, l’emploi partout, et se moquer du million d’autres hommes et d’autres femmes, les travailleurs de la Culture ?

La culture, le manque de culture , nous en voyons le résultat avec le désastre de nos enfants en mathématiques. Le virus s’éteindra. Notre déclin s’accélère.

Qui suis-je pour oser tutoyer ?

Qui suis je pour te parler ainsi ?

Un ami perd-t-il le statut d’ami quand son ami devient Président ?

Oui, qui suis je pour oser me permettre cette mise en garde ?

Cher Emmanuel, monsieur le président, reviens au Grand Louvre .

Pourquoi la culture? Aucune réponse n’est plus simple : au lieu de seulement consommer, toujours et encore consommer, la culture, c’est le chemin pour devenir plus grands, plus divers, plus vivants que nous mêmes.

Nous savons que ce maudit virus adore le froid.

Justement : la Culture, c’est la chaleur. La chaleur de l’humanité en nous.

La chaleur de tous tes jours auprès de Paul Ricoeur, le philosophe de la fraternité.

La chaleur et l’espérance de tes premières heures de président.

La chaleur du Grand Louvre.

La chaleur du possible.

Bon Noël, cher Emmanuel, monsieur le Président. »

Vers l’Europe allemande

Si, à la fin, c’est encore l’Allemagne qui gagne, la France a des atouts à mettre en avant. Notre tribune à lire dans Le Point : https://www.lepoint.fr/debats/les-gracques-vers-l-europe-allemande-08-12-2020-2404727_2.php

De la balance virtuelle à la décapitation réelle : un simple clic

« Nous sommes tous concernés. Tous une cible potentielle. Peut-être demain ou dans un mois, dans un an. Ou peut-être jamais. Mais personne ne peut prétendre avec certitude pouvoir y échapper. Tous concernés et touchés par la barbarie de l’assassinat de Samuel Paty, mais aussi par le modus operandi. Irréprochables ou pas, nous sommes tous prisonniers de la toile et les réseaux sociaux nous surveillent.

Quand la colère subjective et biaisée d’un père est balancée sur la toile invisible des réseaux sociaux, fait le tour de la planète avec peut-être des escales privilégiées et revient, quelques jours après, entre les mains, elles bien réelles, d’un jeune fanatique, extérieur et étranger aux faits mais psychologiquement programmé, cela engendre la décapitation du discret et apprécié professeur Samuel Paty, qui enseignait, la semaine dernière encore, à ses élèves de 4ème dans un lycée de Conflans- Sainte-Honorine, la liberté d’expression en montrant une caricature du prophète Mahomet. Il n’enseignera plus.

Le schéma est désormais connu. L’écran faisant écran, la parole, bien plus que libérée, se met facilement et avec une abjecte frénésie à divaguer et à extrapoler. Paul Valéry écrivait qu’il y a plus faux que le faux, c’est le mélange du faux et du vrai. Comme galvanisé par le succès viral de sa délation originelle, le père suivi de son entourage, rapidement encouragés par leurs amis et frères d’âmes, ont poursuivi la vindicte populaire en multipliant et fédérant les appels à soutien, en jetant en pâture le nom de l’enseignant, son numéro de téléphone portable et l’adresse de son collège et en poussant la surenchère en proférant des accusations fantaisistes de harcèlement prétendument commis par le professeur pour brandir l’étendard intouchable de l’atteinte aux enfants, « à nos enfants ».

Soutenir que le professeur d’histoire-géographie a été décapité par les réseaux sociaux serait excessif, mais la vérité n’est hélas pas si loin. La mort de Samuel Paty est un assassinat terroriste, mais aussi un échafaud médiatique, une guillotine qui a fonctionné au vu de tous, de nous tous, en plein jour, en pleine rue. Sur la place publique, la vraie, dans un pays qui a aboli la peine de mort il y a 50 ans.

Ce drame, qui aurait pu rester un atroce fait divers s’il avait été question d’un règlement de comptes direct entre un professeur et un parent d’élève, soulève autant de questions qu’il a suscité de réactions de tristesse, d’angoisse, de colère, de rassemblements et de soutiens.

Au premier rang des accusés, la toute et folle puissance d’internet et des réseaux sociaux. Au nom de la transparence, tout est permis et la délation, encore elle, pourtant de tous temps si méprisable, semble devenue morale. Dans ce nouveau monde, qui surgit dans l’indifférence générale, on peut dire tout et n’importe quoi, l’essentiel est aujourd’hui de briser le silence en toutes circonstances, à la moindre contrariété et d’en faire profiter tout le monde. Dans un tel contexte, on comprend bien qu’il est devenu impossible de distinguer le vrai du faux, tous les amalgames sont permis, un simple détail modifie tout et l’exagération devient meurtrière. Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’on laisse faire. Les morts se suivent et ne se ressemblent pas, mais l’exécuteur de la pire des basses œuvres est le même : la toile. Là où tout le monde balance tout le monde. Là où rien ne s’efface. Là où tout se voit dans un monde qui reste aveugle et tolérant face au monstre qu’il a créé.

Evidemment et comme souvent, de nombreuses interrogations légitimes, mais qui peuvent prendre la forme de procès d’intention plus ou moins acceptables, surgissent et succèdent aux lendemains sanglants.

Comment se fait-il, en effet, que les menaces manifestement sérieuses qui pesaient sur ce professeur n’aient pas été suivies de mesures de protection ? A fortiori en plein procès Charlie et quelques jours après l’homme au hachoir à proximité des anciens locaux de Charlie ? Comment se fait-il que l’assassin abattu, âgé de 18 ans, dont on rappelle à l’envi les origines tchéchènes, n’ait pas été identifié par nos services de renseignements, compétents et aux aguets, alors que d’aucuns évoquent plutôt une radicalisation, éloignée de la mosquée et des clichés, qui serait survenue dans sa chambre en surfant sur les réseaux sociaux ? Tiens, que c’est surprenant, un jeune homme de 18 ans enfermé dans sa chambre, scotché à son téléphone et nourri aux réseaux sociaux ! Enfin, au cœur de cette tragédie repose l’enjeu de l’indispensable enseignement, notamment à nos enfants, de la liberté d’expression, fondamentale mais pas absolue, qui autorise la critique, le blasphème voire l’insulte d’une religion mais pas de ses adeptes et qui interdit la diffamation, l’injure ou encore les appels à la haine, les propos racistes ou homophobes et qui a acquis sur les réseaux sociaux une dimension sans limite et sans fin. Difficile de ne pas ressentir la profonde crainte de certains enseignants, qui hier encore se sentaient libres et aujourd’hui menacés de mort. En France. En 2020.

Si nous savions notre monde déjà petit, l’assassinat de Samuel Paty nous rappelle, bien tristement, que les réseaux sociaux l’ont rendu minuscule et la monstruosité de ce monde virtuel s’oppose radicalement à la condition humaine de l’assassin et de sa victime. »

Marie Burguburu
Avocate au Barreau de Paris

Tribune à retrouver également en version courte dans l’Opinion du 22 octobre 2020.