A Guy…

C’est avec une immense tristesse que les Gracques ont appris la mort de leur ami Guy Carcassonne, grand constitutionnaliste et penseur des institutions.

Ils souhaitent rendre hommage à l’homme d’esprit et de conviction, démocrate et républicain, dénonçant inlassablement les dérives du cumul des mandats et de l’inflation législative, ainsi qu’à l’homme de bien, défenseur des valeurs de solidarité et de progrès, engagé auprès de Michel Rocard.

Professeur aimé et admiré, Guy continuera pour eux d’incarner la simplicité, l’humour, le bon sens, l’intelligence.

Les Gracques présentent leurs profondes condoléances à son épouse et à ses enfants, Marie, Nouria et Martin.

L’université en VF

Université la Sorbonne

Il y a deux ans, les Gracques avaient appelé à l’abrogation immédiate de la circulaire Guéant, et au lancement d’une série de mesures destinées à réparer la réputation de la France à l’international. La ministre de l’enseignement supérieur, Geneviève Fioraso, fait un pas dans cette direction en proposant, entre autre, de généraliser l’usage de l’anglais dans les universités françaises, qui le parlent si mal.

A notre stupeur, cette mesure (pourtant modeste car elle ne concerne que les formations européennes ou jumelées avec une université étrangère!), est aujourd’hui attaquée de toutes parts par ceux-là même qui dénonçaient la circulaire Guéant.

Comme si il était inacceptable de chasser les étudiants étrangers par la loi, mais nécessaire de le faire par la langue.

De Claude Hagège, parlant de l’anglais comme « langue du profit » à Michel Serres comparant la réforme à l’Occupation allemande, en passant par ceux qui semblent imaginer que les scientifiques publient encore en français, ce débat a été l’occasion de redémontrer les fantasmes d’isolationnisme nauséabond qui animent encore certains intellectuels.

Ce qui pénalise la France à l’étranger, c’est précisément son incapacité à comprendre qu’une culture ne souffre pas de l’ouverture à l’altérité. Ceux qui travaillent dans les laboratoires ou étudient dans les universités témoignent du principal reproche des jeunes étrangers : « If you don’t speak French, you’re necessarily excluded » (Confédération Jeunes Chercheurs).

Quelle différence avec les Etats-Unis, où il n’existe même pas de langue officielle !

Il est tout à fait possible d’avoir une langue commune sans penser en commun, comme le montre la richesse de la littérature américaine contemporaine.

Et si il est légitime de se préoccuper de diversité culturelle, ignorer l’autre condamne bien plus sûrement au déclin et au nombrilisme. Pour reprendre Levi-Strauss, « la tolérance n’est pas une position contemplative ».

Qui peut penser que la France est suffisamment importante pour attirer les jeunes chinois ou américains à parler notre langue, sans faire aucune concession envers la leur ? Qui peut penser que notre niveau d’anglais, un des plus faibles d’Europe, et pourtant toujours en chute continue par rapport aux autres pays de l’OCDE, n’est pas relié à cette culture de la défiance ?

Qui peut espérer encourager la création d’entreprises innovantes sans donner à notre jeunesse les outils pour se confronter aux idées des autres ?  La nécessaire promotion de la francophonie dans le monde, et l’apprentissage d’autres langues chez nous sont deux revers de la même médaille.

Il faut donc inverser notre politique : d’abord attirer les étrangers par notre ouverture, puis développer massivement les cours de français sur place.

Cette réforme n’est bien sur pas la panacée, et ne peut se substituer à une simplification drastique de l’accueil administratif des étudiants et à l’amélioration en cours de nos campus. Néanmoins, elle est l’emblème d’un changement nécessaire des mentalités françaises, qui doivent accepter que l’anglais, c’est avant tout la langue du savoir. Et ce changement aurait du commencer dans l’université, parce qu’elle forme les esprits de demain.

D’ailleurs, la plupart de ses enseignants-chercheurs savent déjà que publier en français aujourd’hui, c’est garantir qu’un résultat ne sera lu au mieux que par 10% de la communauté mondiale, c’est garantir aussi une recherche moribonde et mandarinale, une culture incapable de se confronter à la complexité du monde.

Angelina Jolie, ou le retour du pari de Pascal

Article publié ici sur lejdd.fr.

Angelina Jolie, ou le retour du pari de Pascal

Les grands problèmes éthiques d’une époque n’intéressent personne quand ils sont traités par une austère commission d’experts. Mais quand l’Olympe des grands « people » s’en mêle, le débat révèle sa monumentale ampleur. Car Angelina Jolie, en choisissant de recourir à une ablation des seins face à son risque génétique de cancer condense en une histoire toutes les grandes questions de la bioéthique contemporaine : le choix entre la qualité de la vie et le risque de sa fin; le choix provisoire entre deux inéluctables, vieillir et mourir; la place de la prédiction dans les choix thérapeutiques; les avancées de la science du vivant face aux reculs des droits du vivant.

Chez les romains, il était usuel de négocier son destin avec les dieux. Jésus exhortait les hommes qui convoitent des femmes mariées à s’arracher l’oeil, car il était préférable d’entrer au paradis borgne que de voir l’enfer avec deux yeux. Dans le monde chrétien, le pari de Pascal consistait à faire des sacrifices durant sa vie pour profiter des plaisirs de la vie éternelle, pari qui a inauguré les calculs de probabilité autour de l’existence.

Puis, les avancées de la médecine ont caché la mort (dans des hôpitaux) et relégué le choix entre qualité de vie et risque de mort à des catégories restreintes de la population (les personnes en fin de vie et les malades chroniques). Les Modernes ne se posaient donc plus ces questions existentielles.

Ce qui choque les esprits dans le choix d’Angelina Jolie, c’est qu’aujourd’hui, la détection des risques génétiques oblige à nouveau les bien-portants à se confronter au pari pascalien, à peser la qualité de leur vie contre la possibilité de leur mort et surtout, à faire un choix médical irrévocable, qui doit impérativement être éclairé. Ce qu’utilise un médecin dans un cas comme celui d’Angelina Jolie, c’est la technique du « pari ordinaire ». Il demande à un patient confronté à un risque génétique de choisir entre mener une vie plus pénible (ici avec ablation des seins), ou bien de « jouer » à une loterie morbide, où les résultats sont soit de vivre une vie normale sans inquiétude, soit de mourir instantanément avec une probabilité de x%. Le médecin pose la question plusieurs fois avec un risque de mourir de 1%, 2%, 10% etc, jusqu’à ce que le patient arrête de « jouer » à cette loterie. Il  a ainsi quantifié le risque acceptable pour chacun et le compare avec le risque réel (ici le risque génétique de cancer du sein) pour décider si le patient désire de façon rationnelle l’ablation.

Cette technique, dérivée de l’analyse économétrique et du concept d’utilité, fait l’objet d’améliorations théoriques constantes afin de s’assurer que le choix à un temps T d’un individu reflète bien son utilité future, mais elle ne doit néanmoins ni être le prétexte aux paranoïas du tout-génétique, ni l’occasion de sombrer dans l’aphorisme du docteur Knock selon qui « la bonne santé est un état précaire qui ne présage rien de bon ».  La grande majorité des cancers du sein ne sont pas expliqués par la génétique et même ces risques génétiques ne sont jamais certains de se réaliser. Néanmoins, l’affaire révèle les difficultés psychologiques inhérentes à la nature du cancer : c’est souvent le corps lui-même qui est en cause, et non un agent extérieur; c’est souvent le traitement qui provoque la douleur, et non la maladie, longtemps asymptomatique. Il est si naturel de chercher des causes, dans ce cas génétiques, à cette maladie intérieure, cachée et parfois fondamentalement aléatoire.

Enfin, peut-on breveter le vivant? C’est la troisième question fascinante que pose cette affaire. Car si le test de la mutation des gènes BRCA 1/2, responsable du risque accru de cancer, coûte si cher aux Etats-Unis (3000 dollars), c’est qu’une entreprise, Myriad Genetics, a pu breveter les gènes BRCA1/2 eux-même! Alors que les substances naturelles ne peuvent normalement pas être brevetées, Myriad argumente qu’elle a breveté la version « isolée en laboratoire » du gène, qui est légèrement différente du gène « humain »… mais ce brevet lui donne tout de même le droit exclusif d’examiner les mutations de BRCA chez l’humain, puisqu’il faut pour cela passer par la version « isolée en laboratoire ».

Ironie du sort, l’annonce de mardi intervient juste au moment où la Cour Suprême américaine examine ce cas, majeur pour des pans entiers de la recherche biomédicale : 20% des gènes font aujourd’hui l’objet de brevets. Il y a trois ans, une cour de première instance avait annulé le brevet de Myriad, affirmant une spécificité de l’ADN par rapport aux autres molécules brevetables, puisque c’est l’information qu’il contient, et non sa structure chimique, qui est pertinente. Le droit des brevets doit permettre aux entreprises innovantes d’être rémunérées de leur risque, mais surtout à la science d’avancer et aux progrès de se diffuser, ce qui exige que l’innovation ne se transforme pas en rente.

 Les jeunes Gracques