Un Pacte civique pour changer d’échelle dans la lutte contre les exclusions

Le chômage de masse et l’exclusion ne sont pas une fatalité. Les Gracques proposent un nouveau Pacte civique permettant de changer d’échelle dans la lutte contre l’exclusion.

Pour faire face au chômage et à l’exclusion, il faut changer d’échelle, élargir le processus d’inclusion. Nous devons pour cela d’abord revoir nos priorités, et investir plus dans l’accompagnement des plus fragiles, qui en bénéficient le moins aujourd’hui. Pour favoriser leur insertion nous devons également définir de nouvelles règles, par exemple par une obligation d’embauche pour les entreprises. Mais l’Etat ni les entreprises ne pourront pas tout : c’est la mobilisation de chacun d’entre nous, l’exercice au quotidien de notre solidarité, qui fondera le socle, et le succès de ce nouveau Pacte civique.

Exclusion : changer l’échelle de la lutte

Le chômage de masse a cassé la course au progrès et a engendré le phénomène particulier de l’exclusion moderne. Face à cela, de nombreuses politiques ont été mises en œuvre, souvent innovantes. Pourtant, non seulement elles n’ont pas réussi à juguler le phénomène, mais celui-ci est ravivé par la crise.

Notre société est confrontée non pas à une mais à trois dettes: la dette sociale, celle du non-respect du droit au travail, la dette écologique, qui impose de respecter les générations futures, et la dette financière qui implique de respecter ses créanciers. Aucune ne doit être sacrifiée. Cela va impliquer des efforts importants, un effort de partage et de redistribution dans une société minée par un individualisme souvent confondu avec le chacun pour soi. L’État ne pourra pas tout. Il ne pourra pas faire à notre place. Il aura besoin  du concours de la société toute entière.

Face à l’exclusion, il faut changer d’échelle : élargir le processus d’inclusion. Et en renforcer les normes, qui sont désormais trop lâches.

Une solidarité nouvelle

C’est en premier lieu la société toute entière qui doit devenir plus solidaire et autrement solidaire.

Il faut passer de l’armée de métier (les institutions sociales, les travailleurs sociaux, les bénévoles) à la levée en masse, une sorte de service civique généralisé de lutte entre les exclusions, service formel ou informel. Chacune et chacun doivent se sentir concernés, à un titre ou à un autre, là où il ou elle est, là où il ou elle peut agir.

La révolution copernicienne à réaliser est la suivante : accepter de vivre, de travailler, de faire avec celles ou ceux avec qui on a, a priori, peu d’appétence, que nous ne considérons pas comme rentables, à un titre ou un autre. Comprendre que trouver le ton juste, le rapport convivial, avec l’Autre non gratifiant est la condition du développement de chacun. Que c’est en s’accompagnant les uns les autres, à défaut de s’aimer, que l’on assurera le développement de la société et le respect du principe fraternité. La société toute entière qui doit développer une fonction accompagnante, devenir elle-même accompagnante. Prendre soin d’elle-même et, ce faisant réactiver les politiques publiques. Est-ce possible? Oui, à certaines conditions.

Tirer les leçons des expériences associatives d’insertion tout d’abord. Elles réussissent lorsqu’elles suscitent des espaces de délibération et du lien social, ainsi que des règles qui organisent les capacités d’initiative et de coopération, toutes choses que les politiques publiques, toutes tournées vers l’efficacité instrumentales, ignorent superbement. Ainsi, l’expérience de Solidarités nouvelles face au chômage montre que, grâce à des méthodes souples mais rigoureuses et auto-formatrices, fondées sur le partage du temps et du revenu, des bénévoles peuvent créer des emplois et accompagner efficacement vers le travail des demandeurs d’emploi en difficulté. Ces méthodes peuvent être transposée et étendues, et permettre de mobiliser plus largement la société : Ce pourrait être l’objet d’un service civique s’étendant progressivement à tous les jeunes et à toutes les générations, comme le propose le Pacte civique.

Un nouveau Pacte civique

Le Pacte civique vise à créer un consensus autour d’une démarche globale de changement et de progrès de civilisation, un peu comme le consensus modernisateur qui s’était mis en place en 1945 : il n’empêchait par les conflits, mais les orienterait vers un but commun.

Ce qui est nouveau aujourd’hui, c’est que le changement doit porter simultanément sur les comportements individuels (qui doivent être plus citoyens, plus équilibrés, plus frugaux, plus solidaires) sur les fonctionnements des organisations (dont les normes de rentabilité ou d’efficacité contredisent souvent l’humain) et sur les institutions et politiques publiques qui doivent élever fortement leur niveau de qualité démocratique: pratiquer une vraie éthique de la discussion avant de décider quoique ce soit, aider ceux qui sont dans l’exclusion à s’organiser pour co-construire et évaluer les politiques qui les concernent, subordonner les activités financières à leur fonctions économiques, fixer les règles d’un contrat fiscal juste et redistributif, organiser un « Grenelle » de l’emploi pour faire de celui-ci, enfin, une priorité vraiment partagée, évaluer puis relancer les politiques d’accès de tous aux droits de tous.

Renforcer les normes garantissant l’inclusion sociale

Ces trois formes du changement sont complémentaires, aucune ne peut suffire à elle seule. Mais nous manquons de procédures et de méthodes pour manier l’ensemble. Le Pacte civique essaie, imparfaitement sans doute, de combler cette lacune.

Cet élargissement de la solidarité doit se compléter d’un renforcement des normes qui visent à garantir l’inclusion sociale.

Le droit à l’accompagnement des demandeurs d’emploi ou des allocataires du RSA doit devenir effectif et constituer l’un des éléments de la sécurisation des parcours. Aujourd’hui, les plus éloignés de l’emploi sont, à quelques belles exceptions près, les moins accompagnés. On fait de la discrimination négative, là où il faudrait non pas discrimination positive, mais simple proportionnalité de l’aide aux besoins de la personne à aider. Les personnes en contrats aidés ne sont pratiquement plus accompagnées, au moment même où l’accompagnement peut devenir plus efficace. Tout cela parce que Pôle emploi manque de moyens. Ne serait-il pas temps que les trois fonctions publiques adhérent à l’assurance-chômage  pour donner au service public de l’emploi, au sens large du terme, les moyens qui lui font de faut?

Investir dans l’accompagnement des plus fragiles

La volumétrie des contrats aidés pourrait ainsi être déterminée sur des bases plus rationnelles, leur qualité mieux assurée, et des expériences locales de droit à l’emploi conditionnellement opposable pour des chômeurs de longue durée menées ici et là. Veut-on en finir avec la plaie du chômage de longue durée et du chômage récurrent? Si c’est le cas, il faut créer une obligation d’embauche de ces demandeurs d’emploi particuliers pour les entreprises et les administrations, sanctionnée, en cas de défaut, par une taxe qui serait affectée au financement des contrats aidés. Ainsi serait mise en œuvre une nouvelle discipline collective, une nouvelle régulation, susceptible de résorber peu à peu cette anomie sociale. Étant admis cependant qu’une telle discipline ne fonctionne bien que si elle a été suffisamment  débattue et si elle fait l’objet d’un consensus suffisant.

La solidarité a désormais besoin d’être nourrie de l’esprit de fraternité. L’une et l’autre sont devenus indissociables, et, loin d’être incompatibles avec l’individualisme bien compris, elles sont la condition de son plein épanouissement.

Le sucre tue comme l’alcool et le tabac, taxons le comme tel

Un article paru dans Nature, prestigieuse revue scientifique, vient de confirmer le diagnostic que nous faisions dans notre livre : le sucre sera un des plus grands fléaux du 21e siècle. Il est maintenant avéré scientifiquement qu’il est aussi dangereux que l’alcool ou le tabac. Il est temps que les politiques publiques en tiennent compte, et le taxent comme tel.

Dans notre livre, nous proposions une taxe de l’ordre 15 à 30 centimes le litre pour les boissons sucrées, et à réfléchir à une taxation modulable en fonction de la qualité nutritionnelle de l’aliment. L’ampleur du problème, et les recherches récentes, appellent sans doute à aller plus loin. Tout le monde sait en tous cas que la taxe symbolique mise en place par le gouvernement il y a quelques mois, 3 puis 7 centimes par litre n’aura qu’un effet limité.
Mais l’Etat ne doit pas réagir que par l’impôt. Il est aussi nécessaire de changer les perceptions, de faire comprendre les dangers des sucres, en en particulier des mauvais sucres, au grand public. Cela se heurtera à une résistance farouche de la part des industriels, et donnera lieu à des contorsions en tous points semblables à celles des tabagistes de Mad Men…
Si on enlève de l’équation quelques études scientifiques douteuses et commanditées, l’argument principal de ces industries est le pouvoir d’achat. Pourtant, les recherches ont montré que se nourrir sainement n’est pas toujours plus cher… Boire de l’eau du robinet plutôt que du Coca aide le pouvoir d’achat. Les fast-food sont extrêmement chers par rapport à un diner fait maison.
Il faudra le courage politique de ne pas tenir compte de ces intimidations rhétoriques.
Bonnes feuilles de notre livre sur le sujet : « Mieux vaut prévenir (et maigrir) que guérir
Le complément naturel du bouclier sanitaire est la prévention. On parle ici d’abord de l’intérêt des populations : en matière de maladies cardiovasculaires par exemple, il est plausible que le recul de l’infarctus du myocarde, étant associé à une survie plus longue, soit à l’origine de surcoûts de santé liés à des maladies plus coûteuses comme les cancers ou les démences, et à la plus grande fréquence de survenue de dépendance. Mais dans des systèmes de santé où les affections de longue durée représentent l’essentiel des dépenses, la prévention peut diminuer de façon considérable les victimes du diabète comme celles du tabac et de l’alcool.

Ce n’est donc pas seulement pour des raisons économiques qu’il faut faire de la prévention, notamment contre l’obésité. C’est parce que la prévention réduit  les inégalités sociales devant  la maladie, comme le montre le succès du dépistage organisé du cancer du sein. Elle doit se développer là où sont les gens, notamment au travail, pour faire face à la croissance des pathologies professionnelles et l’allongement nécessaire de la durée de vie active

La politique de prévention doit être conçue et conduite avec pertinence et sélectivité, en privilégiant les démarches à succès établies par l’évaluation de pratiques étrangères ou les expérimentations françaises. Elle doit adapter les messages et les modalités aux caractéristiques particulières des populations dont on cherche à influencer les comportements en se rappelant qu’à l’ère d’internet, des réseaux sociaux et des sites médicaux, les messages venus du sommet ne suffisent plus à emporter la conviction du grand public. Elle doit donc s’accompagner d’un professionnalisme dont la campagne pour la vaccination contre la grippe aviaire – dite H1N1- fut le contre-exemple parfait avec au total, une désorganisation générale et un surcoût pour les finances publiques.

La prévention commence dès le plus jeune âge, y compris pour lutter contre certaines maladies graves, notamment les maladies cardiovasculaires ou les cancers. Elle doit prémunir les enfants et adolescents contre les fléaux tels que les addictions et aussi l’obésité, l’un des candidats au titre de « mal du siècle ».

Historiquement, l’homme a évolué dans un monde caractérisé par le manque, et n’a donc pas développé de mécanismes pour lutter contre le trop plein, contre l’excès. Dans cette évolution millénaire, l’année 2010 marque une  rupture : c’est la première fois dans l’histoire du Monde où, à en croire les statistiques de l’ONU sur  l’ensemble de la planète, les complications du surpoids ont fait plus de victimes mortelles que les ravages de la faim. Et, comme s’il y avait une courbe en cloche du progrès, un Américain  a aujourd’hui à la naissance une espérance de vie inférieure à celle de ses parents. A cause de l’obésité.

Ne nous drapons pas derrière le cynisme des stéréotypes : la France est exactement sur la même tendance, elle progresse même plus vite que les Etats-Unis vers l’obésité de masse. Laurent Degos, président de la Haute Autorité de Santé, affirme que « seuls les pays qui auront su maîtriser l’épidémie d’obésité pourront préserver leur système de protection sociale ». L’enjeu n’est donc pas « mince ». Et s’il est extrêmement compliqué de résorber l’obésité adulte, nous sommes en devoir d’en protéger les enfants.

C’est bien sûr l’industrie agro-alimentaire qui est la première responsable de l’épidémie, en proposant des aliments trop caloriques vendus à l’aide de publicités qui ciblent  les enfants et les jeunes pour provoquer l’addiction. Aujourd’hui, le principal client français de Mac Do, Pepsi, ou Ferrero, c’est la Sécurité Sociale, qui paie 14 milliards d’euros par an à éponger les dégâts de la surconsommation de leurs produits.

Il faut donc changer de paradigme. Si la malbouffe et les boissons sucrées tuent autant que le tabac et l’alcool, traitons-les de la même façon ! La publicité pour le tabac est interdite, celle sur l’alcool sévèrement régulée : qu’il en aille de même pour les aliments trop gras et trop sucrés. Le tabac est taxé pour en décourager la surconsommation. Pourquoi pas les sodas ? Les Français  achètent 3,6 milliards de litres de sodas pour un chiffre d’affaire de 2,5 milliards. Taxer 15 à 30 centimes le litre, un taux bien inférieur à celui de l’alcool fort, rapporterait donc à l’Etat entre 0.5 et 1 milliard par an.

Sans plus d’esprit de système que celui des promoteurs de la taxe carbone, on pourrait d’ailleurs imaginer que les impôts indirects sur les produits alimentaires évoluent vers une taxation « lipido-modulable ». Il faut naturellement s’assurer de ne pas grever le budget des plus pauvres, ceux dont l’alimentation est la plus déséquilibrée. Mais la malbouffe est  aussi l’une des pires inégalités d’aujourd’hui ! On n’a pas hésité à  lutter contre le tabac au  prétexte que les ouvriers fumeraient davantage.

Une politique nationale ne suffit pas. L’alimentation est un sujet intime, identitaire, régional, qui doit être traité au niveau local. De même, le manque d’exercice physique, deuxième grande cause d’obésité, est un problème que seules les villes ou les régions peuvent traiter. Il est donc nécessaire de lancer de grandes campagnes d’expérimentation, en récompensant les villes ayant trouvé les meilleurs remèdes. Néanmoins, quelques grands axes de cette politique peuvent déjà être dégagés.

Passer de « Manger Bouger » – qui a fini par devenir « Manger manger » ! – à « Bouger Bouger ». Favoriser la création de pistes cyclables et d’espaces piétons. Développer les heures d’exercice physique dans les écoles, et surtout, donner des cours d’alimentation aux enfants, mais aussi aux femmes enceintes ou aux seniors. Réguler strictement l’installation de fast-foods…

Ce genre de programme a été expérimenté dans des petites villes, et s’est révélé très efficace, pour un coût étonnamment faible (pas plus de 2 à 4 € par habitant et par année, soit 200 millions à l’échelle de la France), finançable par des taxes sur l’industrie agro-alimentaire. Des sommes dérisoires par rapport à l’explosion des coûts de santé qui s’annonce dans les années à venir si nous n’agissions pas aujourd’hui…… «