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Drame dans le drame, la situation particulière des femmes migrantes doit être mieux prise en compte

Dans l’afflux sans précédent de migrants qui arrivent en Europe, la part des femmes et des enfants ne cesse d’augmenter: elle a doublé, passant du quart à plus de la moitié des réfugiés depuis le début de l’année. De plus en plus nombreuses, ces femmes migrantes sont exposées à de terribles agressions physiques et psychologiques durant leur périple. L’Europe, qui s’est justement émue du drame du nouvel an de Cologne, ne saurait se désintéresser du sort de ces femmes, qui doivent bénéficier des mêmes droits fondamentaux que les citoyens de l’Union.

Les menaces qui pèsent sur les femmes réfugiées

Les rapports de terrain du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés et d’Amnesty International font état de nombreuses violences sexuelles et sexistes commises contre ces femmes par des passeurs, des gardes de sécurité, des policiers ou encore d’autres réfugiés. Toutes les migrantes interrogées par Amnesty International ont dit s’être senties en danger, et beaucoup racontent s’être vues proposer de la nourriture, des habits ou des réductions en échange de relations sexuelles.

La pression psychologique qui pèse sur ces femmes est donc énorme. Outre le traumatisme qu’elles fuient, la peur du viol est tellement présente que certaines « se préparent » en prenant une contraception pour éviter toute grossesse non désirée. Quant aux femmes enceintes, elles évoquent le manque de nourriture et de services de santé essentiels, ou disent avoir été écrasées par des mouvements de foule aux frontières et aux points de transit.

Le peu -voire l’absence- de moyens à disposition de ces femmes pour signaler les agressions aux autorités laisse supposer que la grande majorité des violences sexuelles et sexistes infligées aux femmes réfugiées passent inaperçues. L’ONG La Strada souligne d’ailleurs que ces femmes sont souvent menacées de représailles par les hommes de leur propre famille si elles osent raconter leur agression. Al Jazeera a ainsi rapporté que le viol collectif de deux filles afghanes à la frontière serbo-hongroise n’avait été découvert qu’après une bagarre au cours de laquelle l’un des violeurs fut poignardé à mort.

Nivellement par le bas

Face à cet afflux migratoire sans précédent, certains Etats membres de l’Union européenne dégradent volontairement leurs conditions d’accueil pour dissuader les migrants de se présenter à leur frontière. Le député européen Guy Verhofstadt a ainsi évoqué le « nivellement par le bas entre les Etats européens, qui se livrent concurrence pour devenir le moins attrayant possible pour les migrants ».

Or certaines de ces « mesures repoussoir » mettent directement en danger les femmes et les enfants migrants. La très controversée règle de confiscation des biens des réfugiés adoptée par le Danemark a ainsi occulté une disposition plus grave encore: le retardement des regroupements familiaux. Ce retardement signifie que lorsqu’un père bénéficie du « statut de protection temporaire » au Danemark, sa famille peut devoir attendre dans une zone de conflit ou un camp de réfugié pendant trois ans avant de pouvoir le rejoindre!

Quelles solutions apporter?

Certaines mesures doivent être prises pour éviter ces violences. Premièrement, le HCR et Amnesty International indiquent qu’en raison du manque de sanitaires séparés pour les hommes et les femmes, beaucoup de femmes cessent de s’alimenter ou de boire pour ne pas devoir utiliser les toilettes, où des hommes pourraient les suivre et les regarder. Certaines femmes quittent même les camps pour dormir dehors, car elles s’y sentent plus en sécurité que dans un dortoir partagé avec des hommes étrangers. Des toilettes et dortoirs séparés seraient une première avancée -certes minimale- dans l’amélioration du sort de ces femmes.

Deuxièmement, les Etats membres doivent améliorer les mécanismes d’identification des violences sexuelles et sexistes, afin que ces dernières ne passent plus inaperçues et puissent être efficacement prévenues et sanctionnées. L’essentiel de ce travail d’identification est aujourd’hui réalisé par le HCR et les ONG telles qu’Amnesty International. Pour ce faire, les équipes d’agents déployées par les Etats membres doivent être spécifiquement formées et une meilleure parité homme-femme doit être assurée en leur sein. S’il y avait plus de femmes parmi ces fonctionnaires, les réfugiées auraient sans doute plus de facilités à se confier et à dénoncer les persécutions dont elles sont victimes.

Troisièmement, la lutte contre les violences faites aux femmes doit être pleinement intégrée dans les politiques migratoires et dans la réponse apportée à la crise des réfugiés. En particulier, les politiques de regroupement familial, de relocalisation ou de réinstallation doivent impérativement tenir compte de leurs conséquences particulières sur la sécurité des femmes et des enfants qui tentent de rallier l’Europe.

Nous devons également soutenir les initiatives telles que le rapport de la Commission des droits des femmes du Parlement européen sur la situation des réfugiées et des demandeuses d’asile dans l’Union européenne. Ce rapport propose notamment d’admettre que certains pays d’émigration ou de transit aujourd’hui considérés comme « sûrs » -c’est-à-dire vers lesquels les migrants sont systématiquement reconduits- peuvent l’être pour les hommes, mais pas pour les femmes. Il s’agirait d’un premier pas vers la reconnaissance de la situation spécifique des migrantes et des dangers auxquelles elles sont exposées.

Article publié sur: http://www.huffingtonpost.fr/fabrice-aubert/femmes-crise-migrants-international_b_9399888.html 

Auteurs:

Fabrice Aubert, Haut fonctionnaire, membre des think tanks progressistes Les Gracques et Bouger Les Lignes. 

Marika Andersen, Politologue, conseillère pour l’ONG norvégienne Bellona et co-fondatrice de EUPanelwatch.com

Brieuc Van Damme, Economiste, chef de cabinet adjoint de la Ministre belge des Affaires sociales et de la Santé publique

Lampedusa : non aux boat-people, oui aux plane-people

À situation d’urgence, solution d’urgence. Pour stopper les naufrages et noyades en Méditerranée, mettons les futurs réfugiés (« would-be refugees » comme dit la presse britannique) dans des avions vers l’Europe.

Depuis un an, environ la moitié des migrants de Méditerranée sont des demandeurs d’asile. L’autre moitié est est formée de migrants économiques. Pour eux, c’est une autre histoire qui n’est pas l’objet de cette tribune.

En 2015, deux migrants sur trois sont des demandeurs d’asile venant de cinq pays : Syrie, Afghanistan, Erythrée, Somalie, Nigeria, selon le UNHCR (Haut-Commissariat de l’Onu pour les Réfugiés).

Sur les barcasses de la mort donc, un migrant sur deux a le droit de venir en Europe. Mieux, l’Europe a le devoir de les protéger. La Convention de Genève de 1951 protège toute personne « craignant, avec raison, d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ». L’Europe protège (cela s’appelle la protection subsidiaire, temporaire) aussi ceux qui prennent des risques graves s’ils décident de rentrer au pays. ..
Problème : tant qu’ils n’ont pas obtenu un statut de réfugié ou de protégé ou au moins un « visa d’asile », ils ne peuvent pas se présenter aux comptoirs des aéroports. Pourtant, le voyage serait moins cher et infiniment moins risqué comme le montre la vidéo du démographe, très pédagoque, Hans Rosling.

La solution de bon sens est accorder le statut de réfugié ou de protégé sur place. Pour cela, il faut répondre à deux questions : qui accorde le statut? Et où, sur place?
Première piste : un centre de l’UNHCR à Tripoli ou ailleurs sur la côte africaine. Avec le pouvoir d’accorder le statut de réfugié ou de protégé, au nom des pays européens.
Seconde piste: une ambassade de l’Union européenne, avec le même pouvoir, dans quelques pays sûrs (et avec des vols vers un pays européen) : Algérie? Tunisie? Maroc? Soudan? Djibouti? Kenya? Liban? Plus sûrs que ceux que fuient les « boat-people »: Erythrée, Syrie (pour la moitié d’entre eux, en 2015). Mais aussi : Somalie, Nigeria, Afghanistan, Irak…
Et tout cela à toute vitesse comme cette situation d’urgence l’exige. Rappelons qu’actuellement, très peu de futurs réfugiés demandent dans un consulat français en Afrique un « visa d’asile » autorisant à venir en France pour ensuite y demander asile ou proection, auprès de l’OFPRA (l’instruction par cet office prend de trois mois à deux ans).
Pour les deux pistes (via l’UNHCR ou via une ambassade de l’Union européenne), restera à répartir le nombre de réfugiés au sein des 28 pays. Par exemple selon deux critères: population, puissance économique (PIB par habitant) et bien sûr langues étrangères parlées par les réfugiés.
Autre avantage de cette solution sur place : diminuer en Europe le grand nombre de demandeurs d’asile refusés et y restant en situation irrégulière (environ 3 sur 4) et précaire.

Voilà dix ans que j’interviewe à Lampedusa de jeunes Africains et Africaines. Durant leur voyage, en théorie « de l’enfer africain au paradis européen », tous ont été volés, rackettés, exploités, certains torturés (voir le documentaire Voyage en barbarie), d’autres violées. Sans parler de tous les morts noyés…
Pourquoi avoir pris de tels risques? Abdi, 15 ans, et Sihan, 17 ans, ont quitté le chaos en Somalie. Mohamed, Erythréen de 18 ans, a refusé l’enrôlement de force et à vie dans l’armée du dictateur. Comme Abel, 16 ans et Rubel, 17 ans. Gift, Nigériane de 18 ans, a fui Boko Haram. Cynthia, orpheline nigériane de 18 ans, a été vendue par son oncle.
Une fois qu’ils m’ont raconté leur histoire, à chaque fois je me suis dit : à leur place, moi aussi j’aurais fui vers la Méditerranée.

François Dufour