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Primaire à gauche: Cohn-Bendit à l’Université des Gracques

Daniel Cohn-Bendit s’exprime sur l’intérêt d’une primaire à gauche pour les présidentielles de 2017, dans le cadre de la 5ème Université des Gracques.

Primaires ou supérieures ?

Les plus anciens se souviennent de la célèbre réplique d’Alain Peyrefitte, à qui Georges Marchais reprochait naguère de faire de l’anticommunisme primaire : « Eh bien, M. Marchais, faites du communisme supérieur et je ferai de l’anticommunisme supérieur ! »…

On est quelquefois pris de l’envie de répondre la même chose à ceux des socialistes qui, depuis la débâcle des élections européennes, ont fait du thème des élections primaires l’alpha et l’oméga du redressement du Parti socialiste. Le P.S. souffre certes aujourd’hui de l’absence d’un leader, sinon incontesté, du moins en situation de l’emporter. Il souffre surtout de l’absence d’un projet capable d’entraîner l’adhésion des Français par la pertinence des réponses qu’il propose aux problèmes du pays.

On nous dira : dans le système de la Vè République, l’un ne va pas sans l’autre. Ce n’est pas faux : un projet, porté par un candidat. À la fin des années 80, quand Michel Rocard disputait le leadership du P.S. à François Mitterrand, c’était bien deux projets de société, deux visions différentes du socialisme et de l’action publique, qui s’opposaient. L’âpreté de la confrontation n’a pas affaibli le P.S., elle l’a plutôt renforcé.

Mais aujourd’hui, on peine à distinguer les projets différents qui permettraient de choisir entre les prétendants. Il y a ceux qui brandissent leur extrait de naissance pour revendiquer le tour de leur génération. Ceux qui mettent en avant leurs états de service d’ancien (Premier ministre, Premier secrétaire, candidate), mus par le secret espoir qu’en dépit de l’aspiration des électeurs au renouvellement, leur expérience leur serve de piédestal. Ceux, chaque jour plus nombreux, qui pensent qu’au pays des aveugles… pourquoi pas moi ? Rien de tout cela, naturellement, ne suffit à incarner un projet.

La comparaison avec l’exemple italien ou américain, abondamment mis en avant par les tenants du projet des primaires, souffre d’un sérieux handicap : dans les deux cas précités, le parti démocrate était dominant à gauche, et il s‘agissait essentiellement d’agglomérer à sa démarche des électeurs indéterminés ou abstentionnistes. En France, la situation est sensiblement différente. Le P.S. n’est plus la force dominante de la gauche, même s’il demeure la formation la plus importante. S’il y a de nombreux abstentionnistes de gauche, il y aussi une proportion substantielle d’électeurs dont la préférence partisane va à un autre parti que le P.S. : quel sens prendrait leur participation à des primaires pour choisir le candidat socialiste si, au premier tour, ils continuent à voter pour le candidat de leur premier mouvement ? On sait, dans le système américain, que certains électeurs républicains peuvent aller voter aux primaires démocrates pour favoriser le candidat qui leur paraissait le moins susceptible de l’emporter1.

Et puis, pour plagier Anne Roumanoff, « on ne nous dit pas tout »… Les promoteurs du système des primaires conviennent que ce processus reviendra à choisir un projet en même temps qu’un candidat. Que restera-t-il, alors, du rôle traditionnel des partis politiques : élaborer un projet et désigner un candidat ? Le rapport d’Arnaud Montebourg à Martine Aubry tente de camoufler leur disparition programmée en disant qu’ils auront l’éminente responsabilité d’organiser les scrutins et tenir les bureaux de vote de ces élections primaires…

On peut considérer que les partis politiques, tels que la République les a progressivement façonnés pour « concourir à l’expression du suffrage », ont fait leur temps. Que la démocratie d’opinion les a rendus obsolètes. Qu’il faut passer à autre chose. Mais alors, l’honnêteté élémentaire commande d’afficher la couleur. Michel Rocard avait coutume de dire que, dans toute société humaine, on n’a jusqu’ici observé que trois façons d’organiser la dévolution du pouvoir : à travers les armées, les églises ou les partis. Et que les partis sont, comme la démocratie, le pire des systèmes après tous les autres… Il faut aujourd’hui y ajouter les médias. Est-ce une raison suffisante pour s’y soumettre ?

En commençant par les primaires destinées à sélectionner des candidats, on court le risque considérable de faire l’impasse sur le projet. Nous proposons au contraire de commencer par organiser des conventions ouvertes, auxquelles prendraient part tous ceux qui le souhaitent, encartés ou non dans une formation politique, et qui permettraient, sur les sujets majeurs : l’économie et la redistribution, le développement durable, la protection sociale, le rôle de l’Etat et des collectivités locales, la formation, la mondialisation…, de dégager des idées-forces et l’armature d’un projet de société. Au cours de ce processus, au demeurant, les postulants auraient l’occasion de s’exprimer, de faire connaître leur point de vue, de dégager la cohérence de leur projet. Dans un deuxième temps seulement, tous ceux qui auraient participé à cette élaboration collective seraient appelés, éclairés et informés, à participer au choix du candidat ou de la candidate le mieux à même de porter ce projet et de l’emporter.

Est-ce un vœu pieux que de vouloir faire de la politique supérieure avant de s’engager dans les primaires ?

Les Gracques 

1
 Et si cette démarche (« traverser la frontière », dans le jargon des primaires américaines) n’a pas joué contre Barack Obama, elle s’est avéré payante, dans d’autres occasions, contre John Kerry ou, longtemps avant, contre George McGovern…