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La leçon de Bérégovoy

Pierre Bérégovoy fait encore figure de modèle pour les Gracques, qui lui rendent hommage à l’approche de l’anniversaire de sa disparition. Tribune parue dans le JDD d’hier, sous la plume de Guillaume Hannezo et Denis Olivennes, anciens membres du cabinet de Pierre Bérégovoy (Denis Olivennes est le président de Lagardère Active, propriétaire du JDD).

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Pierre Bérégovoy nous a quittés il y a vingt ans. Ceux qui l’ont connu et aimé pensent à lui. À ce qu’il fut, à ce qu’il a représenté, à l’exemple qu’il est encore.

IL ÉTAIT LE PEUPLE et méprisait les populistes. Immigré de deuxième génération, seul dignitaire du Parti socialiste à être issu du prolétariat, il est aussi le seul ouvrier ayant jamais dirigé un gouvernement de la République. Il n’en parlait pas. Il ne montait pas sur le tonneau en criant « le peuple, le peuple, le peuple ». Il savait que les couches populaires finissent toujours par régler la facture des démagogues. Ce qu’il devait au peuple, ce n’était pas la démonstration de son empathie mais l’exercice de sa compétence et sa capacité de travail inépuisable, patiente, concrète, pratique. Maîtriser (et non mépriser) la complexité de l’économie réelle pour que les avancées de la justice sociale tiennent dans la durée. Voilà pourquoi il avait choisi la famille socialiste et pas les communistes. Puis Mendès France et pas la SFIO.

IL ÉTAIT LE PEUPLE, il était de gauche et il savait expliquer la nécessité des disciplines économiques. Ce qu’on appelle la rigueur. Jamais doctrinaire, toujours courageux, il soumettait sa conception au filtre du doute, mais pas son exécution à la merci de l’opinion. « On ne gouverne pas pour plaire. » Sa rigueur résultait d’un choix politique, car il traitait son appareil technocratique avec autorité et n’aurait jamais laissé les bureaux gouverner l’État. Quand il a rétabli les comptes de la Sécurité sociale, c’est parce qu’il pensait que les plus riches devaient payer pour les plus pauvres et non les générations de demain pour celles d’aujourd’hui. Quand il a redressé les finances de la nation, c’était parce qu’il savait qu’à la fin, le prix des dévaluations, des bouffées d’inflation, des crises d’endettement est toujours acquitté par les plus faibles. La solvabilité de l’État est le patrimoine de ceux qui n’en ont pas.

IL ÉTAIT LE PEUPLE, il était de gauche et il était réformateur. Il pensait qu’il faut plus de régulations là où il y a du marché, mais aussi plus de marché partout où il y a des rentes. Il croyait que la concurrence est utile et la compétitivité nécessaire. Pour redistribuer, il faut d’abord produire. La concurrence était une politique sociale parce que les monopoles sont un obstacle au développement de l’emploi et du pouvoir d’achat. Cette concurrence, il l’a imposée au secteur financier en un temps où les banquiers étaient des fermiers généraux qui taxaient les entreprises et les particuliers lorsqu’ils voulaient accéder aux marchés de l’argent. Cela en a fait baisser le coût, ce qui a aidé la croissance. Bien sûr, ce secteur financier est devenu fou et s’est développé hors de raison, par excès d’endettement et de complexité. Mais c’est le problème de notre temps, pas du sien.

LES OBSERVATEURS conjectureront sur la mort choisie de l’homme d’État qui n’a pas supporté l’ombre d’un doute colporté sur une affaire insignifiante. Toutefois, sa marque dans l’Histoire n’est pas celle d’une actualité tragique. C’est celle d’une personnalité et d’une politique qui résonnent comme une promesse d’avenir.

Guillaume Hannezo et Denis Olivennes – Le Journal du Dimanche

dimanche 28 avril 2013