Enrico Letta à l’université des Gracques 2012

Enrico Letta à l'Université des Gracques

Enrico Letta à l’Université des Gracques

Enrico Letta, désigné par le Parlement italien pour former un gouvernement, participe depuis longtemps aux travaux des Gracques. Il était parmi nous lors de notre université d’été de juin 2012. Voici la retranscription de la passionnante table ronde à laquelle il avait participé avec Rushanara Ali, jeune députée du Labour, Bozidar Djelic, ancien ministre Serbe, et Michel Sapin. Bernard Spitz, président des Gracques, en était le modérateur.

« Réhabiliter le politique en réussissant le changement »

Rushanara Ali, député du Labour.

Bozidar Djelic, ancien vice-premier ministre de Serbie.

Enrico Letta, député au parlement italien, ancien député européen, ancien ministre de l’industrie et du commerce extérieur.

Michel Sapin, ministre du Travail, de l’Emploi, de la Formation professionnelle et du dialogue social.

Animateur : Bernard Spitz

 

Enrico Letta :

La situation politique italienne, avec son gouvernement technique, est très étrange. Ce que fait Mario Monti est remarquable. Toutefois, il s’agit désormais de chercher une coalition politique pour les nouvelles élections. Actuellement le gouvernement dispose de 85% de soutien au Parlement, mais les partis qui soutiennent le gouvernement n’ont que 51% de soutien dans l’opinion.

Le premier grand paradoxe est celui « du donné et de l’enlevé ». Jusqu’à présent la politique se disputait sur « à qui donner quelque chose » : aux classes moyennes, aux riches, aux pauvres… Aujourd’hui la question porte sur « à qui enlever des choses ». Cela rend la politique beaucoup plus exigeante. Le Conseil européen a compris que si cela dure les populismes vont gagner du terrain. La France a une chance, du point de vue des institutions : les populismes sont peu représentés. Inversement, en Italie, le même tiers de vote populistes qu’en France risque de rendre le système ingouvernable. Voici trois constats majeurs.

  • Tout d’abord, internet a changé le mot « autorité » (autorevolezza, qui signifie également crédibilité) dans la politique et dans nos vies. Auparavant l’autorité était liée au monopole de l’information. Désormais c’est l’exemple qui donne la crédibilité, l’exemple de la vie personnelle. Les partis démocratiques, du progrès, doivent faire en sorte que le politique gagne en crédibilité, en plus de la seule autorité.
  • Les citoyens sont dans une situation de fatigue vis-à-vis de la politique, notamment sur les thèmes de l’emploi, de l’avenir des jeunes…  Il est donc important que le politique soit aux côtés des citoyens les plus faibles, qu’il leur dise, même s’il ne peut tout résoudre : « you’ll never walk alone ».
  • Le saut vers une Europe fédérale est nécessaire. Autrement, la financiarisation de l’économie aura gagné. En effet la finance vit dans le temps court, l’industrie et la politique dans le temps long. Le saut vers une Europe politique nous aidera donc à gérer ce qui ne pourra l’être autrement : la finance. Les Etats-Unis ont maîtrisé la crise car ils ont des institutions fédérales. En Europe, le vote à l’unanimité rend cette réactivité impossible : il a fallu 26 sommets européens avant d’aboutir au mécanisme européen de stabilité. Les institutions européennes ne peuvent plus continuer à être à ce point éclatées, entre M Barroso à la Commission, M Van Rompuy au Conseil Européen, la présidence tournante, et Catherine Ashton en tant que Haut Représentant. Il est indispensable d’établir un interlocuteur unique.

 

Voici maintenant l’intégralité du discours de Bozidar Djelic.

Bozidar Djelic, ancien vice-premier ministre de Serbie.

Chers amis,

Merci beaucoup pour votre gentille invitation. J’attends depuis dix ans, depuis mon entrée en politique le moment où la gauche sera en même temps au pouvoir dans mes deux pays d’attache, la France et la Serbie… J’ai bien peur que ce soit encore raté…

En effet,  malgré un résultat très solide aux législatives du 9 mai de notre Parti Démocrate, la très courte et très inattendue défaite du Président Tadic au second tour de la présidentielle du 20 mai a changé la dynamique politique du pays.

Notre allié du gouvernement précédent, le Parti Socialiste de Serbie, appâté par le poste de premier ministre offert par notre concurrent nationaliste, le Parti Progressiste, à son dirigeant Ivica Dacic, a préféré retourner dans le giron où l’avait placé son fondateur Slobodan Milosevic. On ne se refait pas, dirait-on…

Du coup, le parti social-démocrate européen qui a connu la plus forte progression ces dix dernières années, en passant de 10 à 30% des voix, notre Parti démocrate serbe, va malheureusement devenir un  parti d’opposition.

Il ne me reste plus qu’à vous demander de rester au pouvoir suffisamment longtemps en France pour que l’on puisse enfin œuvrer ensemble…

Le renversement d’alliance qui vient d’avoir lieu, joint aux effets de la crise qui a mené à un taux de chômage insupportable de 25%, ne va pas aider à faire réhabiliter la politique en Serbie. C’est notre sujet d’aujourd’hui.

On le sait bien, la politique a mauvaise presse en Europe. Cela a certes toujours été le cas, mais c’est aujourd’hui plus vrai que jamais. Les enquêtes en sont un des témoins.

Ainsi, l’Eurobaromètre de l’UE montre depuis 2007 que les habitants de notre continent font preuve d’un pessimisme croissant sur leur perspective de vie et la capacité des politiques d’améliorer cet état de fait.

On parle de cinq longues années pendant lesquelles en moyenne les trois quarts des citoyens européens ne voient pas le bout du tunnel et ne croient pas que les élites politiques pourront les sortir du pétrin.

Cela étant, en raison du décrochage de la périphérie méditerranéenne par rapport au cœur économique germano-scandinave ces moyennes sont plus trompeuses que jamais. Ainsi, selon le dernier Eurobaromètre, 99% des Grecs, 96% des Espagnols, 91% des Italiens et 86% des Français pensent que cela va mal, alors que 85% des Suédois, 78% des Allemands et 65% des Finlandais et des Autrichiens pensent que les choses vont bien….

Si, sans surprise, la politique va mal là où les choses vont mal, on peut en revanche être très surpris de voir que cela ne va guère mieux pour la politique là où les citoyens pensent que les choses ne vont pas si mal. Le renforcement des extrêmes en Grèce peut attrister mais ne peut surprendre. En revanche, l’émergence d’une droite chauvine aux Pays Pas, qui vient de faire tomber le gouvernement, tout comme en Suède, Finlande ou en Autriche, montre que le succès économique n’est pas la seule déterminante du soutien à une politique rassembleuse et tolérante.

Par ailleurs, le dernier rapport de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement sur la Transition montre une très forte érosion du soutien à la démocratie et aux valeurs européennes à l’Est du continent, en particulier dans les pays qui ont récemment rejoint l’Union européenne.

Cela non plus n’était pas prévu au programme. L’intégration européenne devait être le grand transformateur politique, le pacificateur dont avaient besoin les sociétés post communistes et post conflits comme en ex-Yougoslavie.

Du coup, l’idée rassurante selon laquelle le retour de la croissance et le renforcement dans la douleur de l’Europe vont mécaniquement réhabiliter la politique ne tient pas la route. 

Est-ce grave ?

Certains disent qu’à l’époque des réseaux sociaux et de l’organisation citoyenne la politique traditionnelle, celle de l’homme d’un certain âge, en cravaté délivrant un discours technique par le biais des médias électroniques a fait son chemin.

On voit bien que les politiques cherchent de nouveaux formats,  en allant dans les talk shows, en se précipitant sur Twitter, parfois avec des effets surprenants en France d’ailleurs pendant les élections législatives… Mais ils seront les premiers à reconnaître que cela ne change pas les choses sur le fond.

La politique est le lien entre les citoyens. L’émiettement des couches sociales, le communautarisme, l’absence de buts communs au niveau national et européen, la tendance qui consiste à accuser l’autre de ses propres maux, qu’il soit Rom ou utilisateur de fonds européens, voilà autant d’évolutions qui ont démontré à quel point elles pouvaient être dangereuses.

Donc, oui, la panne de la politique, c’est grave.

Oui, il faut réhabiliter la politique au sens propre du terme. Pour la réhabiliter il faut d’abord se demander ce qui pourrait l’habiliter à conduire le changement.

Etre habilité, c’est être compétent, être apte, avoir la capacité d’intervenir, de diriger.

Le problème avec la politique, c’est que ses méthodes ne sont plus acceptées, que ses capacités sont mises en doute. On voit bien pourquoi, des rayons entiers de livres ont analysé les effets de la mondialisation, l’égoïsme sans précédent de la génération des baby boomers qui refusent de laisser un peu plus d’espace budgétaire à leurs propres enfants, ou encore l’affaiblissement du lien social qui rend toute action collective difficile.

Or, cet état de fait est particulièrement dérangeant pour la gauche, les progressistes, car notre fondement même est la croyance en la possibilité de changer le monde, de travailler ensemble pour aider les plus démunis, pour que cela aille mieux pur tout le monde.

Que faire pour habiliter et donc réhabiliter la politique, là est évidemment la question centrale.

Permettez-moi d’offrir trois pistes pour l’avenir.

Tout d’abord, il faut refonder l’action politique en en définissant les nouvelles limites, en particulier dans le social. Ainsi les citoyens sauront à quoi s’en tenir. Les déceptions mutuelles politiques-citoyens seront ainsi mieux évitées. Le rapport Beveridge a redéfini en son temps le champ du politique et le triangle du dialogue social. Il n’est plus opérant, avec la fiscalisation des régimes sociaux et l’effet corrosif et inévitable de la mondialisation, où les syndicats protègent encore mieux ceux qui sont déjà parmi les plus protégés et ne peuvent en fait rien pour ceux dont le poste est concerné par le partage international et non géré du travail.

La bonne nouvelle est que cette redéfinition n’est pas seulement dans le sens du moins, moins de protection, moins de droits. Le nouveau rapport Beveridge n’est pas seulement la version tronquée du précédent.

Le progrès technologique et la mondialisation font qu’une série de services étatiques sont à présent à la portée du grand nombre. Diagnostic à distance de spécialistes, éducation efficace pour les postes recherchés, l’Etat peut ici faire plus qu’avant. Autant dire clairement où la politique à présent peut faire moins mais aussi plus et définir la nouvelle charte des droits et des obligations, en lien avec le monde réel et tel qu’on le désire.

D’autre part, la nécessité d’inclure dans la force de travail les nouvelles générations, celles où une moitié n’a jamais travaillé et où une bonne partie de l’autre moitié a le sentiment de galérer, nous force à hiérarchiser plus honnêtement les objectifs vis-à-vis des jeunes générations.

Doit-on vraiment maintenir les objectifs quantitatifs volontaristes record pour l’éducation supérieure classique dans la décennie à venir ? On ne reparlera pas de l’exemple usé jusqu’à la corde de la formation courte puis continue allemande, mais on voit bien qu’entre les besoins cent fois avérés du marché et la préférence sociale il y a encore un fossé.

On ne peut plus faire semblant qu’il n’y a pas de Chine et d’Inde où se trouvent les concurrents directs pour les postes des jeunes des banlieues ou des classes moyennes inquiètes. Tout le monde ne pourra pas sortir par le haut, par une avance technologique, c’est déjà trop tard. Autant prendre le taureau par les cornes et définir sur quels métiers et comment gagner les postes que nous concurrencent les grands acteurs émergents.

Enfin, en jouant de sa puissance économique pour devenir un acteur politique, l’Europe pourrait aider la politique nationale à se réhabiliter tout en se sauvant elle-même.

Les élites disent que l’Europe est l’espace pertinent pour adoucir les effets de la globalisation. Les citoyens s’en méfient. Les deux ont raison. Peut-être est-ce parce que l’Europe n’a plus gagné de bataille depuis l’Airbus.

Les débats durs d’aujourd’hui, du dernier sommet, où le Royaume Uni tout comme les autres ennemis de l’Union politique sortent du jeu, ouvrent peut être une fenêtre d’opportunité. Pour une Europe plus forte car ancrée dans la nécessité. Pour une Europe plus appréciée car autorisée à ne plus être l’éternelle naïve que les Etats Unis et la Chine prennent pour argent comptant, toujours ouverte et jamais suffisamment unie pour faire valoir son droit.

Voilà trois débats où les progressistes ont un avantage concurrentiel certain. Autant l’utiliser.

Merci beaucoup pour votre attention.

 

Michel Sapin :

La situation en France est plus simple que dans d’autres pays : Président, Parlement et régions sont de la même couleur politique. La question est donc : comment retrouver l’efficacité du politique ? Les constats sont les suivants :

  • Nous vivons dans un monde global.
  • Il se caractérise par la financiarisation, c’est-à-dire le court-termisme de l’information.
  • La multiplication des acteurs. Le syndicalisme (patronal ou salarial) en est l’illustration.

Est-ce pour autant la fin du politique ? C’est l’inverse. C’est parce que le monde devient global, de court terme et avec de nombreux acteurs que le politique est nécessaire. Je souhaite vous faire part de trois constats.

  • La maîtrise du temps. Le manque de maîtrise du temps est le reproche que l’on peut faire à l’Europe, qui agit toujours « trop peu, trop tard ». Avec le dernier sommet  européen, peut-être a-t-on enfin retrouvé un temps d’avance.
  • La question productive. L’ambition d’Alain Madelin, ministre de l’Industrie, était qu’il n’y ait plus de ministère de l’industrie. Cela a changé, il est désormais temps de revenir à une politique industrielle. Les questions stratégiques, de mise en commun, au-delà d’une entreprise ou d’un pays, de l’innovation et de la recherche, rendent leur légitimité à l’Etat stratège.
  • La capacité à trouver un consensus pour répondre aux difficultés majeures du moment. Depuis la fin des Trente Glorieuses le dialogue social a échoué à trouver une solution, on a donc demandé à l’Etat de s’y substituer. L’Etat doit donc surmonter la multiplicité des acteurs pour créer des synergies. Le politique retrouve donc la capacité de proposer des démarches pour mettre en route ces synergies. Ainsi, la grande conférence sociale n’a pas pour objectif d’aboutir à des décisions concrètes, mais de définir un agenda et des procédures : la concertation, l’autonomie totale des partenaires sociaux.

 

Rushanara Ali :

 

Chaque parti a sa part de responsabilité dans la perte de crédibilité du politique. Au Royaume-Uni, après le scandale des banques et des écoutes téléphoniques, les institutions ont perdu de leur crédit. Pour restaurer ce crédit, il est important de donner aux jeunes l’exercice des responsabilités, pour éviter que la génération perdue au sens économique ne devienne aussi une génération perdue au sens politique. Les jeunes doivent pouvoir être impliqués dans la politique, dans les partis. En particulier il faut éviter que les énergies ne se perdent à l’issue des élections. La question principale concernant les jeunes est de rendre la politique intéressante et excitante pour eux.

 

Enrico Letta :

 

Mario Monti a un rôle politique, au-delà de l’actuel gouvernement technique. Mario Monti avait commencé à chuter dans les sondages ; aujourd’hui il triomphe car les citoyens voient un homme politique qui ne cherche pas quelque chose pour lui, mais au contraire qui inclut un maximum de partenaires. Le couple moteur est désormais Hollande-Monti, car Hollande dispose d’une légitimité que Merkel n’a plus. Concernant le cumul des mandats, la règle actuelle est de trois mandats mais un débat est en cours. Il est important que les citoyens aient des représentants qui ne soient pas uniquement des professionnels de la politique.

 

Bozidar Djelic :

 

En Serbie, la loi obligera à ce qu’il y a ait un tiers de femmes au Parlement.

Je me félicite que les financements de l’innovation augmentent. Mais cela ne suffira pas : la Chine produit 25 millions de diplômés par an, dont beaucoup dans les sciences et les techniques. En contrepartie, on espère que la Chine s’embourgeoisera assez rapidement pour ne pas détruire nos systèmes sociaux. C’est déjà en partie le cas. La Serbie, qui a les salaires les plus faibles d’Europe, est, dans certains secteurs, de nouveau compétitive par rapport à la Chine, on observe donc des phénomènes de relocalisation. Il y a là une opportunité de réindustrialisation européenne.

Auparavant la France et l’Allemagne avaient le même surplus commercial dans l’industrie automobile, ensuite leurs situations ont divergé. Que s’est-il passé ? L’Allemagne a joué la carte de l’Europe, beaucoup plus que la France, en délocalisant une partie de son industrie en Europe de l’Est. La France n’avait jusqu’ici quasiment rien délocalisé, elle doit donc, avec la crise, délocaliser massivement.

L’Europe dispose d’un atout, les pays du pourtour méditerranéen. En donnant à ces pays, elle reçoit également, à l’instar de ce qu’a fait l’Allemagne avec l’Europe de l’Est. C’est par cette voie que l’on retrouvera des emplois de qualité en Europe.

 

 

 

Michel Sapin :

 

Concernant le dialogue social, un fossé se creuse entre ceux qui ont un emploi, bien formalisé et protégé, et ceux qui vivent dans un monde peu formalisé et peu reconnu mais qui devient majoritaire dans la société : CDD, intérim… L’enjeu est que ce monde revienne dans le champ de la négociation sociale.

 

Au niveau européen, promouvoir l’idée qu’il ne peut y avoir une économie performante sans une société qui fonctionne bien est décisif. Cela ne peut pas de faire dans un seul pays. Par exemple, la notion de salaire minimum doit s’appliquer dans tous les pays européens. Et inversement, ce salaire minimum pourra être assoupli en France, car certains salaires conventionnels peuvent être plus avantageux que le salaire minimum.

 

Autorevolle’ signifie en italien avoir confiance, donner confiance. C’est donc faire en sorte que le politique, malgré ses difficultés, soit respecté, et que les citoyens aient des attentes envers lui, sur le fond et non sur la forme. Plus on a d’ambition politique, plus on doit avoir de modestie dans l’exercice des responsabilités. Mario Monti en est l’exemple.

Le temps et la durée. Nous avons un avantage en France, qui donne une grande autorité : le fait d’avoir une majorité stable pendant cinq ans. Mais cette force ne doit pas se transformer en usure du temps. Dans l’opposition, on emmagasine du savoir et, au pouvoir, on le régurgite. Puis on s’épuise de nouveau. On ne peut surmonter ce cycle sans s’inscrire dans une durée de dix ans, car c’est à cette échelle de temps que se traduit une politique industrielle, d’éducation… Il faut donc que ceux qui n’exercent pas le pouvoir apportent ce renouvellement continu, afin que la pensée politique soit toujours en avance sur le temps d’aujourd’hui.

Florange, hélas…

Si Durkheim était toujours de ce monde, sans doute s’amuserait-il de voir les Français troquer, quand il s’agit de leurs usines, leurs Lumières pour des totems. La récente épopée de Florange a montré, ces dernières semaines, le prix exorbitant que la France est prête à payer pour le très symbolique maintien de certaines activités sur son territoire.

Notre démocratie sait être rationnelle quand il s’agit de donner un coût à la vie humaine : elle comprend par exemple la retenue du gouvernement lorsqu’il s’agit de payer le prix du sang. Plusieurs de nos compatriotes sont aujourd’hui otages au Mali : on ne peut pas dire que tout le monde s’en moque, mais les Français admettent qu’il faut parfois procéder à un arbitrage entre enjeux politiques (la France ne peut pas systématiquement plier devant le terrorisme) et humains. Les Français comprennent également que cet arbitrage intègre certaines conséquences indirectes : on peut accepter de payer pour des otages, mais pas trop cher, sauf à renchérir la libération des otages futurs.

Nous sommes, de ce point de vue, beaucoup plus mûrs et résilients que les démocraties israélienne ou américaine : placés dans cette situation, les gouvernements de ces pays sont soumis à des pressions terribles des familles, qui les conduisent à des actes non rationnels du point de vue de l’intérêt collectif. On voit ainsi ces puissances libérer des dizaines de prisonniers contre une dépouille de soldat…

Il est donc d’autant plus étrange de voir les sages démocraties européennes perdre leur sang froid quand il s’agit de sauver des emplois, dont la perte est en principe moins dramatique que celle de vies humaines.

De quoi a-t-on parlé à Florange ?

De s’aliéner un groupe qui représente 20 000 emplois en France pour sauver 630 postes, dont les occupants devaient en tout état de cause être reclassés. D’envisager de débourser de 500 millions à 1 milliard d’euros (plus d’1,5 millions par emploi !) pour une nationalisation temporaire, évitée in extremis. Est-ce bien raisonnable pour éviter à des salariés le traumatisme, certes tout à fait réel, de changer de métier ?

La solidarité est un devoir ; mais les fonds de l’Etat ne sont pas sans fond et la poursuite de l’intérêt général exige une forme de proportionnalité dans l’intervention publique. Ne perdons pas de vue que 10 000 emplois se créent et disparaissent (par des fins de contrats temporaires) chaque jour en France. Les Luxembourgeois l’ont bien compris, eux qui ont su transformer, juste de l’autre côté de la frontière, des territoires industriels en zones d’activités largement tertiaires qui emploient de plus en plus de…Français. Selon l’Insee, près de 73 000 lorrains étaient  ainsi travailleurs frontaliers en 2010.

On nous explique que Florange est un « symbole ». Mais il faut nous interroger sur la valeur que la collectivité peut consentir aux symboles et sur la responsabilité du système médiatique qui les produit…

Le redressement, c’est maintenant !

Texte publié dans Le Point :

« Au regard de la dégradation de l’économie française et notamment de sa compétitivité, de la force de la contrainte extérieure, de l’ouverture des marchés, de la situation de nos industries, on ne peut plus laisser penser que par une simple stimulation des revenus, la croissance pourrait revenir d’elle-même ». Ces mots sont de François Hollande ; ils ont été prononcés à l’Université d’été des Gracques en 2009. Ce jour-là, le futur candidat à l’élection présidentielle annonçait que la gauche ajouterait un volet politique de l’offre à sa politique de la demande  – ce qu’il appelait la « gestion keynésienne » – pour que le projet économique socialiste puisse marcher sur deux jambes.

A sa conférence de presse du 13 novembre, le Président de la République a renoué avec cette vision réformiste. Le cap qu’il a défini, après l’engagement de Jean-Marc Ayrault pour la compétitivité, marque un nouveau départ. Il y avait urgence, car la situation économique est à la fois plus mauvaise qu’elle ne le devrait, et plus dangereuse qu’il n’y paraît.

Plus mauvaise qu’elle ne le devrait, parce que le pays pâtit toujours du laxisme passé : celui des déficits permanents, de l’excessive fiscalité des entreprises – réduisant leurs marges, donc leur capacité à investir- et du surendettement. Plus mauvaise qu’elle ne le devrait également, à cause de certains choix de la nouvelle majorité. La hausse de la tranche supérieure à 45%, le plafonnement des niches et même les 75% pour deux ans, étaient des décisions de justice fiscale permettant de relégitimer l’action publique. Mais l’accumulation de mesures complexes, la surtaxation des entrepreneurs et détenteurs d’actions, et des déclarations inutilement agressives ont conduit les investisseurs à l’attentisme et détérioré notre image à l’étranger. La défiance s’est emparée des entrepreneurs, ceux-là même qui auraient dû être choyés quand la récession menace. Parce que seule la prise de risque de l’entrepreneur peut créer les emplois dont les Français -et nos jeunes- ont tant besoin.

 

Une gauche sociale-démocrate avait été élue pour apaiser le corps social, redonner espoir à la jeunesse, favoriser l’initiative et ouvrir des espaces de liberté : après six mois, elle avait laissé se creuser un fossé sans précédent entre les secteurs public et privé. C’était intenable. Le Président a heureusement sifflé la fin de cette partie.

 

D’autant que notre situation peut s’avérer plus dangereuse qu’il n’y paraît. Si la France s’endette  à des taux d’intérêt bas, cela tient autant à la crédibilité de nos objectifs qu’à un ensemble de circonstances, des achats d’euros par la Suisse aux difficultés de nos voisins du Sud. Les marchés réévalueront leurs positions, en comparant les efforts de rigueur et les réformes structurelles menées en France avec d’autres comme l’Italie. La dégradation par Moody’s pourrait n’être qu’un prélude aux difficultés qui s’annoncent pour 2013 : plans sociaux, montée du chômage et respect des 3% de déficit nous lancent un redoutable défi macroéconomique.

 

Redisons-le : la plus grande des inégalités, c’est de ne pas avoir d’emploi. Le gouvernement n’atteindra ses objectifs dans ce domaine qu’avec un peu de croissance et donc d’investissement: soutenir les entreprises qui investissent c’est soutenir l’emploi et accroître nos chances de rétablir les comptes. C’est dire si le cap présidentiel était nécessaire et même vital. Pourra-t-il être tenu malgré le scepticisme d’une partie de la majorité, qui y voit des concessions excessives au patronat ? Et sera-t-il pour autant suffisant pour nous mener à bon port ? Nous répondons oui : à condition de garder le cap et surtout de forcer l’allure, en y associant tous les Français. Pour le redressement – et donc pour l’emploi- c’est maintenant !

 

Le gouvernement devra d’abord réussir l’union nationale derrière le redressement économique, seul gage de notre souveraineté. Pour croître, nous n’avons plus le choix: il nous faut redevenir compétitifs. Le crédit d’impôt, rapide et sans contreparties en soutien à l’emploi peu qualifié, la stabilité fiscale sur le quinquennat, le soutien à l’épargne de long terme et des simplifications administratives massives sont nécessaires. Aux mesures pour les grandes entreprises qui mènent recherche et développement, doit s’ajouter l’effort vers les sociétés innovantes, celles qui créent des emplois à haute valeur ajoutée et portent les percées technologiques qui en feront les champions internationaux de demain. Or si le progrès ne se décrète pas, il s’accompagne et se finance : les jeunes pousses ont besoin de campus performants et de fonds propres pour franchir les premiers stades de développement, pour lesquels la seule Banque publique d’investissement ne pourra suffire. Plus généralement, il faut  inciter à l’investissement dans les PME et les activités innovantes exposées à la concurrence internationale plutôt que d’entretenir de coûteux et artificiels dispositifs d’incitations fiscales supposés aider l’outremer ou l’immobilier. Nous ne parviendrons à rien en ménageant les vieilles rentes…

 

Pour soutenir la création de valeur, il faut aussi en finir avec la culture de méfiance qui prospère dans le secteur public : chaque administration, chaque échelon de gouvernance, doit se mettre au service des entreprises, grandes ou petites, en troquant ses habitudes de contrôle pour des logiques de partenariat. Rompons, dès maintenant, avec l’inflation de normes et de procédures qui font que construire un bâtiment en France est deux fois plus long que n’importe où ailleurs !

 

Dans le domaine budgétaire ensuite, l’exécutif devra désendetter sans faiblesse mais avec méthode. Cela implique de vrais choix : assez d’émiettement de l’action publique, concentrons nos moyens sur les politiques prioritaires. Le gouvernement devra commencer par reprendre la main sur le processus budgétaire lui-même: si les arbitrages se résument si souvent à la demi-somme de positions contradictoires, c’est parce que l’inertie des administrations a conduit à la paralysie ou à l’adoption de règles d’économies aveugles comme le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux, partout, tous les ans. La réforme du secteur public est ainsi plus nécessaire que jamais, tant pour réduire les coûts que pour améliorer la qualité du service. François Hollande l’a dit : on peut faire mieux avec moins. Pour économiser 60 milliards de dépenses publiques, il faudra que les collectivités territoriales prennent leur part, ce qui signifie définir des priorités collectives sans que les différents niveaux de « compétence générale » viennent annuler ces choix. Et puis repenser l’équilibre de nos transferts sociaux. Ce sont les plus pauvres, les plus démunis qui auraient le plus à perdre au statu quo : il incombera donc à la gauche de conduire ces changements avec pédagogie, justice et efficacité.

 

Dans le domaine de l’emploi enfin, beaucoup va se jouer dans les prochaines semaines. La négociation des partenaires sociaux autour de Michel Sapin est fondatrice. Elle pourrait, si elle débouche sur de vraies réformes structurelles, à la fois en matière de flexibilité du marché du travail et de sécurisation des parcours, devenir un atout majeur pour notre compétitivité et notre démocratie sociale. Il en va des espoirs de la génération montante, à laquelle nous nous devons d’offrir un avenir professionnel. Si cette réforme aboutit, le signal sera donné que des partenaires politiques et sociaux responsables sont capables de bouger les lignes dans d’autres domaines en crise : retraites, santé, formation professionnelle, politique familiale…

 

Il est possible de passer des 3D qui nous plombent – déficit, dette et défiance – aux 3C qui permettront le redressement : constance, croissance, confiance. Constance dans le cap affiché par le Président avec l’avènement d’un Etat plus stratège et moins glouton. Croissance fondée sur une politique de l’offre suscitée par l’investissement. Confiance des entreprises, des épargnants et des salariés ; et confiance en l’Europe, plus que jamais notre planche de salut dans la mondialisation : l’Allemagne nous tend la main, saisissons-la ; le fédéralisme permet des économies budgétaires, construisons-le.

 

Le destin historique de François Hollande, celui de fédérateur entre première et deuxième gauche, avait commencé sur le plan politique lors de la campagne présidentielle. L’acte fondateur sur le plan économique, a été lancé ce 13 novembre. Le changement dont le Président de la République est porteur n’est pas seulement celui qui résulte de la victoire de la gauche sur la droite. Il est  aussi celui d’une réinvention de la gauche. L’enjeu est immense : il s’agit bien, au moment où la droite explose sous ses contradictions, d’engager enfin, et de façon irréversible, la gauche française sur la voie d’une social-démocratie moderne, pro-croissance et donc pro-entreprises et pro-européenne.

De la gauche au centre, c’est maintenant!

En présentant dès l’automne nos propositions dans un livre, nous voulions faire passer les sujets de fond avant les compétitions de personnes.  Comment mieux vivre ensemble ? Comment faire redémarrer la croissance et l’ascenseur social ? Comment réinventer notre destin avec l’Europe?…

Voici le texte complet de notre article paru dans Le Point

Mieux vivre ensemble. Notre société est soudée par ses peurs au lieu de l’être par l’espérance collective et le respect d’autrui…Pour retrouver confiance, il faudra beaucoup de concret et d’exemplarité : assurer à chacun un toit, un emploi, une formation utile, l’accès au système de soins, la sécurité pour soi et les siens ; et montrer que les efforts seront partagés, les rentes abandonnées, la justice appliquée, sans discrimination de sexe, d’âge ni d’origine. Ce fut dit dans la campagne, un peu…

Retrouver la croissance. Nous dépensons trop et mal. Résultat : nous laissons aux jeunes le chômage, la dette, le financement de la retraite et de la santé. Les candidats visitent les haut-fourneaux, mais ce sont les nouvelles technologies, les énergies renouvelables et l’innovation qui sont les leviers de la croissance. La hausse de la fiscalité ne résoudra  pas tout : ce sont nos entreprises qui créent des emplois, pas nos impôts. Il faudra donc réduire certaines dépenses publiques, favoriser la croissance par l’investissement, encourager les entrepreneurs de demain. Ce fut un peu dit, dans la campagne,  trop peu.

Exister avec l’Europe dans le monde. La puissance ne se compte plus en chars. Elle repose sur l’attractivité du territoire, la compétitivité des entreprises, la qualité de l’éducation, notre gestion de la zone Euro. Autant d’objectifs qui relèvent d’un double défi, national et européen. Ce  fut peu  dit dans la campagne, si peu.

C’est de tout cela pourtant que dépend notre avenir commun.

L’avenir  de tous. Y compris de cette France protestataire qui pèse un tiers de l’électorat, celle dont on traite les frustrations entre grand soir fiscal et viande Hallal, de l’argent des riches à la viande des pauvres. Lorsqu’ils se rebellent contre la perte de leurs emplois comme contre l’insécurité dans les cités, les exclus rappellent les politiques à leurs devoirs essentiels.

Il est facile de tout mettre sur le dos de boucs émissaires commodes tels l’immigration et la mondialisation financière. Il faudra de la solidarité pour répondre à l’angoisse des plus défavorisés mais aussi de la croissance pour préserver la production et l’emploi. Nous devrons donc motiver ceux qui en sont les moteurs, entrepreneurs, salariés qualifiés et investisseurs en tête. Notre pays ne réussira qu’en rassemblant ses talents.

Voilà les défis qui attendent la France de 2012. Nous somme capables de nous adapter au monde qui change. Saurons-nous le faire dans la cohésion sociale, en donnant leurs chances aux nouvelles générations?  Et qui peut le mieux nous guider dans cette voie ?

Pour nous, le programme de François Hollande répond plus aux besoins du pays que celui de Nicolas Sarkozy. Car il entraînera mieux la majorité de la société française dans la voie des changements essentiels à nos yeux : sur les jeunes, l’Europe, la méthode de gouvernement.

La priorité accordée à la jeunesse est essentielle, puisqu’elle est porteuse de priorités politiques structurantes, seules à même d’éviter la désespérance de la société, le conflit des générations et le déclin de la France. Son choix européen, notamment sa volonté de prendre en compte la croissance du continent, nous paraît aussi le mieux assuré.

Quant à sa volonté de privilégier le dialogue social, elle est la seule voie pour  négocier les profonds changements nécessaires en matière de travail, d’administration de l’Etat, d’organisation territoriale, de réformes structurantes comme pour les retraites et le système de santé. Tous les hommes d’entreprise le savent : le changement n’est accepté que lorsqu’il est expliqué et négocié. C’est ce qui a fait le succès des Scandinaves.On ne préside pas un pays en dressant des Français contre d’autres Français. L’absence d’écoute du candidat Sarkozy, pire son rejet des corps intermédiaires, nous apparaît aussi dangereux qu’inapproprié. Une démocratie qui marche a toujours autant d’autorité qu’un chef qui veut seul trancher de tout ; plus d’efficacité, aussi…

Certes, les solutions à gauche valorisent le levier fiscal par rapport à la baisse des dépenses. A droite, on retrouve la même inclinaison pour la taxation, au contraire de l’Allemagne pourtant citée en modèle. Nos déficits n’ont ainsi cessé de se creuser, au-delà des effets de la crise, en dépit du diagnostic de « quasi-faillite » établi par le Premier ministre au début de son mandat.

Il faudra donc faire des économies dans nos dépenses publiques. Puisqu’elles ne se feront pas sur l’école, la police, la justice, ni la recherche, elles se feront ailleurs : sur la gestion de l’Etat et de nos collectivités territoriales, notamment.

Et puisque nous appelions il y a 5 ans à une recomposition politique, constatons que le sujet n’est pas clos, même s’il se pose en des termes différents. Le premier tour l’a montré : la sympathie pour les idées que défend François Bayrou n’a pas recueilli les votes de 2007. Pour autant, la droitisation de la campagne de Nicolas Sarkozy, confirmée au soir du premier tour, est inacceptable pour ses électeurs. Alors que le dessein démocrate, social, européen et humaniste qu’il représente a toute sa place pour amplifier la dynamique du changement dans le pays, sans céder au populisme et à la démagogie. Ceux qui ont voté François Bayrou se retrouveront ainsi plus dans le gouvernement respectueux de François Hollande que dans l’exercice solitaire du pouvoir de la démocratie référendaire prônée par Nicolas Sarkozy.

L’ampleur du rétablissement à accomplir milite donc en faveur d’un élan partagé entre la gauche, les écologistes et le centre face au camp conservateur et aux extrêmismes. L’offre politique en sera clarifiée. Les Français, avec un système électoral en partie proportionnel, seront réconciliés avec leurs représentants et avec l’Europe. La France pourra alors entrer avec  François Hollande dans le XXIème siècle : une France vraiment forte, parce que largement rassemblée autour d’une économie sociale de marché.

 « Ce qui ne peut plus durer », Albin Michel 

Le sucre tue comme l’alcool et le tabac, taxons le comme tel

Un article paru dans Nature, prestigieuse revue scientifique, vient de confirmer le diagnostic que nous faisions dans notre livre : le sucre sera un des plus grands fléaux du 21e siècle. Il est maintenant avéré scientifiquement qu’il est aussi dangereux que l’alcool ou le tabac. Il est temps que les politiques publiques en tiennent compte, et le taxent comme tel.

Dans notre livre, nous proposions une taxe de l’ordre 15 à 30 centimes le litre pour les boissons sucrées, et à réfléchir à une taxation modulable en fonction de la qualité nutritionnelle de l’aliment. L’ampleur du problème, et les recherches récentes, appellent sans doute à aller plus loin. Tout le monde sait en tous cas que la taxe symbolique mise en place par le gouvernement il y a quelques mois, 3 puis 7 centimes par litre n’aura qu’un effet limité.
Mais l’Etat ne doit pas réagir que par l’impôt. Il est aussi nécessaire de changer les perceptions, de faire comprendre les dangers des sucres, en en particulier des mauvais sucres, au grand public. Cela se heurtera à une résistance farouche de la part des industriels, et donnera lieu à des contorsions en tous points semblables à celles des tabagistes de Mad Men…
Si on enlève de l’équation quelques études scientifiques douteuses et commanditées, l’argument principal de ces industries est le pouvoir d’achat. Pourtant, les recherches ont montré que se nourrir sainement n’est pas toujours plus cher… Boire de l’eau du robinet plutôt que du Coca aide le pouvoir d’achat. Les fast-food sont extrêmement chers par rapport à un diner fait maison.
Il faudra le courage politique de ne pas tenir compte de ces intimidations rhétoriques.
Bonnes feuilles de notre livre sur le sujet : « Mieux vaut prévenir (et maigrir) que guérir
Le complément naturel du bouclier sanitaire est la prévention. On parle ici d’abord de l’intérêt des populations : en matière de maladies cardiovasculaires par exemple, il est plausible que le recul de l’infarctus du myocarde, étant associé à une survie plus longue, soit à l’origine de surcoûts de santé liés à des maladies plus coûteuses comme les cancers ou les démences, et à la plus grande fréquence de survenue de dépendance. Mais dans des systèmes de santé où les affections de longue durée représentent l’essentiel des dépenses, la prévention peut diminuer de façon considérable les victimes du diabète comme celles du tabac et de l’alcool.

Ce n’est donc pas seulement pour des raisons économiques qu’il faut faire de la prévention, notamment contre l’obésité. C’est parce que la prévention réduit  les inégalités sociales devant  la maladie, comme le montre le succès du dépistage organisé du cancer du sein. Elle doit se développer là où sont les gens, notamment au travail, pour faire face à la croissance des pathologies professionnelles et l’allongement nécessaire de la durée de vie active

La politique de prévention doit être conçue et conduite avec pertinence et sélectivité, en privilégiant les démarches à succès établies par l’évaluation de pratiques étrangères ou les expérimentations françaises. Elle doit adapter les messages et les modalités aux caractéristiques particulières des populations dont on cherche à influencer les comportements en se rappelant qu’à l’ère d’internet, des réseaux sociaux et des sites médicaux, les messages venus du sommet ne suffisent plus à emporter la conviction du grand public. Elle doit donc s’accompagner d’un professionnalisme dont la campagne pour la vaccination contre la grippe aviaire – dite H1N1- fut le contre-exemple parfait avec au total, une désorganisation générale et un surcoût pour les finances publiques.

La prévention commence dès le plus jeune âge, y compris pour lutter contre certaines maladies graves, notamment les maladies cardiovasculaires ou les cancers. Elle doit prémunir les enfants et adolescents contre les fléaux tels que les addictions et aussi l’obésité, l’un des candidats au titre de « mal du siècle ».

Historiquement, l’homme a évolué dans un monde caractérisé par le manque, et n’a donc pas développé de mécanismes pour lutter contre le trop plein, contre l’excès. Dans cette évolution millénaire, l’année 2010 marque une  rupture : c’est la première fois dans l’histoire du Monde où, à en croire les statistiques de l’ONU sur  l’ensemble de la planète, les complications du surpoids ont fait plus de victimes mortelles que les ravages de la faim. Et, comme s’il y avait une courbe en cloche du progrès, un Américain  a aujourd’hui à la naissance une espérance de vie inférieure à celle de ses parents. A cause de l’obésité.

Ne nous drapons pas derrière le cynisme des stéréotypes : la France est exactement sur la même tendance, elle progresse même plus vite que les Etats-Unis vers l’obésité de masse. Laurent Degos, président de la Haute Autorité de Santé, affirme que « seuls les pays qui auront su maîtriser l’épidémie d’obésité pourront préserver leur système de protection sociale ». L’enjeu n’est donc pas « mince ». Et s’il est extrêmement compliqué de résorber l’obésité adulte, nous sommes en devoir d’en protéger les enfants.

C’est bien sûr l’industrie agro-alimentaire qui est la première responsable de l’épidémie, en proposant des aliments trop caloriques vendus à l’aide de publicités qui ciblent  les enfants et les jeunes pour provoquer l’addiction. Aujourd’hui, le principal client français de Mac Do, Pepsi, ou Ferrero, c’est la Sécurité Sociale, qui paie 14 milliards d’euros par an à éponger les dégâts de la surconsommation de leurs produits.

Il faut donc changer de paradigme. Si la malbouffe et les boissons sucrées tuent autant que le tabac et l’alcool, traitons-les de la même façon ! La publicité pour le tabac est interdite, celle sur l’alcool sévèrement régulée : qu’il en aille de même pour les aliments trop gras et trop sucrés. Le tabac est taxé pour en décourager la surconsommation. Pourquoi pas les sodas ? Les Français  achètent 3,6 milliards de litres de sodas pour un chiffre d’affaire de 2,5 milliards. Taxer 15 à 30 centimes le litre, un taux bien inférieur à celui de l’alcool fort, rapporterait donc à l’Etat entre 0.5 et 1 milliard par an.

Sans plus d’esprit de système que celui des promoteurs de la taxe carbone, on pourrait d’ailleurs imaginer que les impôts indirects sur les produits alimentaires évoluent vers une taxation « lipido-modulable ». Il faut naturellement s’assurer de ne pas grever le budget des plus pauvres, ceux dont l’alimentation est la plus déséquilibrée. Mais la malbouffe est  aussi l’une des pires inégalités d’aujourd’hui ! On n’a pas hésité à  lutter contre le tabac au  prétexte que les ouvriers fumeraient davantage.

Une politique nationale ne suffit pas. L’alimentation est un sujet intime, identitaire, régional, qui doit être traité au niveau local. De même, le manque d’exercice physique, deuxième grande cause d’obésité, est un problème que seules les villes ou les régions peuvent traiter. Il est donc nécessaire de lancer de grandes campagnes d’expérimentation, en récompensant les villes ayant trouvé les meilleurs remèdes. Néanmoins, quelques grands axes de cette politique peuvent déjà être dégagés.

Passer de « Manger Bouger » – qui a fini par devenir « Manger manger » ! – à « Bouger Bouger ». Favoriser la création de pistes cyclables et d’espaces piétons. Développer les heures d’exercice physique dans les écoles, et surtout, donner des cours d’alimentation aux enfants, mais aussi aux femmes enceintes ou aux seniors. Réguler strictement l’installation de fast-foods…

Ce genre de programme a été expérimenté dans des petites villes, et s’est révélé très efficace, pour un coût étonnamment faible (pas plus de 2 à 4 € par habitant et par année, soit 200 millions à l’échelle de la France), finançable par des taxes sur l’industrie agro-alimentaire. Des sommes dérisoires par rapport à l’explosion des coûts de santé qui s’annonce dans les années à venir si nous n’agissions pas aujourd’hui…… « 

Le programme des Gracques passe dès le premier tour

Dans « Ce qui ne peut plus durer », les Gracques dénonçaient les paradoxes de l’actuelle politique du logement. Etrange politique en effet, qui consiste à soutenir la demande par une aide à l’épargne et à l’endettement des acheteurs, dont l’écot finit toujours dans la poche… du vendeur. Nous préconisions de cesser d’alimenter ainsi la rente foncière des propriétaires, en privilégiant un choc d’offre – par la construction de logements neufs et une meilleure occupation du parc existant -, seul à même de tirer les prix immobiliers vers le bas et de rendre le logement à nouveau abordable pour tous.

Peut-être les Gracques ont-ils été élus par le Président de la République, dont les annonces sur le logement – qui contredisent la ligne adoptée depuis cinq ans par la défiscalisation des intérêts d’emprunt, le PTZ, le PTZ+… – rappellent les bonnes feuilles que nous vous livrons ci-dessous…

Petit retour en arrière sur les mesures décrites dimanche soir par le chef de l’Etat:

1°) Le relèvement, pendant trois ans, du coefficient d’occupation des sols de 30%, c’est-à-dire la possibilité pour « tout terrain, toute maison, tout immeuble » de voir « sa construction augmenter de 30% » (en surface imagine-t-on). Voilà une sage décision, qui fait écho à ce que nous proposions déjà en septembre dernier. Le chapitre 10 de « Ce qui ne peut plus durer » faisait l’apologie d’un
assouplissement des règles d’urbanisme, permettant une densification de l’habitat, notamment par un allègement des règles encadrant la hauteur des immeubles. Nous proposions ainsi d’autoriser toutes les copropriétés en zone de tension d’ajouter un
étage à leurs immeubles…

2°) La libération immédiate de terrains appartenant à l’Etat. Loin de revendiquer la paternité de ce qui n’est in fine qu’un peu de bon sens, nous rappellerons seulement que l’idée de faire de place pour construire était centrale dans notre livre. Nous insistions notamment sur la libération de friches ferroviaires ou industrielles détenues par des grands opérateurs détenus par l’Etat
(SCNF, RFF, RATP, EDF…) et souvent situées au cœur même de grandes villes où le foncier manque.
Et quid du programme de François Hollande ? On retrouve parmi les propositions socialistes une modération des loyers et un durcissement de l’application des quotas SRU, que les Gracques abordaient également, mais également quelques similitudes avec
les mesures annoncées par le chef de l’Etat, notamment sur la mise à disposition du foncier public pour la construction d’habitations. L’un aurait-il inspiré l’autre ? L’autre aurait-il copié l’un ? Les Gracques préfèrent voir dans le consensus la marque des réelles bonnes idées, et l’espoir d’un retour prochain à la cohérence en matière de logement.

***

« Depuis le milieu des années 2000, les Français consacrent en moyenne un quart de leur budget à leur logement et à son fonctionnement énergétique (chauffage, éclairage). Cette part n’était que de 16% en 1960. 10% du revenu individuel disponible a été donc capté, en 50 ans, par ce seul poste de dépenses, soit l’équivalent en termes de pouvoir d’achat de l’ensemble des hausses d’impôts depuis 1970. Des hausses concentrées d’ailleurs sur les locataires et les accédants, dont les plus favorisés sont donc exemptés.

Ceci exclut d’emblée une part de la population de l’accès à un logement décent. Dans son rapport annuel de 2010, la fondation Abbé Pierre dénombrait 3.5 millions de mal-logés et 6.5 millions de personnes en état de « fragilité », pouvant basculer dans la première catégorie. Au-delà de la situation des plus exclus, le prix du logement présente un enjeu de redistribution et de confort de vie des classes moyennes. Et les prix au mètre carré les plus élevés, à la location comme à l’achat, sont pour les appartements de petite taille, occupés par les plus modestes.

La formation d’un prix repose principalement sur l’offre et la demande. La demande de logement a explosé en deux générations sous l’effet de deux facteurs, l’augmentation globale de la population d’une part, et la réduction de la taille moyenne des foyers d’autre part (divorces, femmes isolées…). L’offre, elle, n’a pas connu de croissance naturelle comparable. En France, les prix moyens à l’achat ont ainsi doublé entre 2001 et 2011, un phénomène spécifiquement français. Or la réponse des gouvernements successifs dans ce domaine a été d’accroître les aides, notamment à l’achat, pour soutenir les ménages face à l’envol des prix. C’est la logique de (feu) la défiscalisation des intérêts d’emprunt ou du nouveau prêt à taux zéro. Mais  c’était verser de l’huile sur le feu : cette stratégie a alimenté la spirale ascendante des prix. Elle est par ailleurs dangereuse dans la mesure où elle incite les ménages à un très fort endettement ; et profondément inégalitaire puisqu’elle injecte de l’argent public qui bénéficie in fine aux propriétaires vendeurs.

Il est donc globalement temps de réfléchir au bien-fondé de la politique actuelle du « tous propriétaires ». L’accession à la propriété correspond à des aspirations légitimes de sécurité et d’épargne. Mais il faut, d’une part, cesser de pousser les foyers modestes dans le piège de l’achat d’une résidence dont ils ne peuvent assumer le paiement; et d’autre part dégonfler la bulle existante pour revenir à un juste prix de l’habitat. Le plus important, c’est de rééquilibrer le marché, c’est à dire de créer les conditions d’un choc d’offre brutal sur le marché du logement. Ce n’est pas une politique de la demande, et moins encore une politique de répartition de la pénurie, qui réglera un problème d’abord lié à l’insuffisance de l’offre, notamment en zone tendue. Sortir de la pénurie, c’est améliorer le taux de remplissage du parc existant, mais c’est surtout multiplier la construction de logements neufs, et pas n’importe où. Là où les gens ont besoin d’être, c’est-à-dire dans les grandes agglomérations et pas dans les quelques endroits excentrés où les promoteurs arrivent à construire des « Scellier » à bon marché, sans s’occuper de savoir si les investisseurs pourront trouver des locataires. Et pas à n’importe quel prix : à des coûts maitrisés, sans être plombés par des normes de construction absurdes, par exemple deux parking par logement, qui semblent écrites pour rendre impossible la construction. Et c’est aller plus vite pour donner des permis de construire, et décourager les recours qui ne participent souvent qu’à un racket dilatoire.

Notre administration a le génie d’interminables procédures bureaucratiques et de rentes du type de celle des architectes des bâtiments de France, qui allongent les délais moyens de construction de façon insupportable et découragent nos concitoyens.
Mais elle sait aussi aller vite, quand il s’agit de mobiliser pour de grandes causes; quand il faut construire en quelques mois pour les JO d’Albertville, ou pour créer de grandes infrastructures (TGV, autoroutes, énergie) on sait le faire. Or aujourd’hui, les Français ont besoin qu’on construise des logements en nombre suffisant pour en faire baisser les prix. Appliquons donc ce que nous savons faire, en créant des guichets uniques autour d’échelons déconcentrés, dirigés par des préfets du logement, dont le rôle ne sera plus d’instruire ou de refuser des permis de construire, mais de trouver des solutions pour qu’il s’en construise plus et plus vite.

On peut d’abord libérer de la place pour construire de nouveaux logements dans les zones de forte pression démographique. D’importantes marges de constructibilité existent, en raison des grandes réserves foncières accumulées par certains opérateurs publics (SNCF, RFF, RATP, EDF), et privés (Renault, PSA etc…). Il faut les utiliser sans tarder, en incitant ces groupes à les libérer au plus vite. Les anciennes gares de triage, les sites de production électrique désaffectés sont légions dans les agglomérations, souvent en centre-ville. De très grands sites pourraient être libérés à brève échéance pour construire des logements.

La SNCF et RFF se sont déjà engagées dans cette voie : RFF a identifié 4 000 hectares de terrains cessibles. La SNCF a prévu, de son côté, de libérer de quoi construire cinq à six mille logements d’ici fin 2012. Certaines zones, comme le 16ème arrondissement à Paris sont insuffisamment denses : selon Jean-Marie Le Guen, 2 000 logements supplémentaires pourraient être édifiés sur les simples contre-allées… de l’avenue Foch. C’est un excellent exemple. En fait le manque de foncier n’est qu’un prétexte qui cache une réalité plus profonde : celle d’une règlementation tatillonne, souvent absurde, qui ne sert qu’à permettre de rester entre soi à ceux qui sont déjà inclus. Il y a du foncier ; s’il ne se libère pas, c’est parce qu’on veut laisser les barbares aux portes de la ville.

Par ailleurs, qui ne peut pas construire en largeur peut toujours construire en hauteur. Sans faire de Paris ou de Marseille de nouveaux Manhattan, nous proposons d’adapter la taille des bâtiments pour ajouter une « couche » supplémentaire à la
surface habitable. Selon une étude-test menée sur douze rues parisiennes, un surhaussement des immeubles permettrait de gagner 466 000 m2 sur ces seules artères moyennes. Soit près de 10 000  logements, seulement sur douze rues. Projeté à la taille de Paris, donner aux copropriétés le droit de construire un étage de plus, en le décidant à la majorité simple et nonobstant toute disposition
contraire, cela bouleverserait l’économie du logement. Il n’y a même pas besoin d’argent public, la valeur de la rente foncière est telle que les copropriétés pourraient financer aisément les travaux ; dans certains secteurs, on pourrait même envisager de réserver le bénéfice de cet étage supplémentaire au logement intermédiaire. Seules quelques adaptations aux règlements d’urbanisme sont
nécessaires : il suffirait, dans une majorité de cas, d’amender les articles des plans locaux d’urbanisme régissant la hauteur limite des bâtiments, notamment par rapport aux rues qui les bordent.

A Paris par exemple, seules quelques axes (la perspective des champs Elysées par exemple) et trois zones (le Marais, le 7ème arrondissement et le jardin du Luxembourg) bénéficient d’une protection juridique particulière du point de vue de la hauteur des constructions ; dans les autres quartiers des articles du PLU et un « plan des hauteurs » définissent respectivement les grandeurs relatives et absolues maximales des immeubles. Il est aisé de les modifier, même si cela ne plaira pas à ceux qui veulent rester entre soi.

Outre la construction, une meilleure utilisation des espaces existants permettrait d’enrichir l’offre de logements. L’INSEE dénombrait fin 2010 plus de 2 millions de logements individuels et collectifs vacants. Une part substantielle de ces logements
n’est pas inoccupée sans raison : il peut s’agir de logements en cours de vente, en attente de règlement de succession, ou de logements de fonctions en attente d’attribution ; une autre part de ces habitations est vide parce qu’insalubre. Mais si seulement 10% de ces logements sont habitables, la réintroduction soudaine de 200 000 logements sur le marché correspondrait à près de 50% des logements construits en un an.

Les logements sociaux ne doivent pas être en reste. En ce qui concerne la construction, le problème est largement affaire de courage politique et de positionnement institutionnel. La loi SRU, dont le fameux article 55 impose aux communes de plus de 3 500 habitants (1 500 en région parisienne) de se doter de 20% de logements sociaux, fait l’objet d’un bilan pour le moins décevant. Depuis l’adoption de la loi en 2000, près de la moitié des communes assujetties  (de l’ordre de 400 pour environ 800 villes concernées) n’ont construit aucun logement social.

Tout montre en réalité que la commune n’est pas le bon échelon de pilotage de la loi SRU : les besoins de construction de logements sociaux doivent s’apprécier à plus grande échelle, sur un bassin de vie et d’activité ; et la réalisation de programmes HLM est tellement politique qu’elle est dominée par la vision électoraliste des maires. Pour reprendre la main sur cette politique stratégique, une solution pourrait consister à généraliser le transfert de la compétence et des obligations en matière de logement social aux intercommunalités, dont les territoires sont plus vastes et les décisions moins politiques, en donnant aux préfets des objectifs de
respect de la loi SRU pour les inciter à se substituer aux collectivités inactives en la matière. Notons qu’ils ont déjà le pouvoir de faire,  mais qu’ils s’en abstiennent prudemment pour ne pas se brouiller avec des élus locaux influents.
Une reprise en main par l’Etat de la gestion du parc semble aussi nécessaire. Le quotidien Le Parisien avait révélé en septembre 2010, que le taux de vacance de logement de certains bailleurs sociaux pouvait atteindre 10% et estimait le nombre total d’appartements HLM non attribués à 20 000 ou 25 000 sur l’ensemble du territoire. A l’ « absence d’attribution » il faut évidemment ajouter les « mal-attributions », fruit du clientélisme électoral  . Pour combattre ce mal, qui touche directement les 700 000 familles en attente de logements sociaux, nous proposons  de confier l’attribution de ces logements à des commissions locales indépendantes, présidées par des magistrats.

On ne peut pas renoncer à la France des propriétaires sans, corrélativement, se soucier de la hausse du prix des loyers, systématiquement supérieure à l’inflation durant les dernières années. De ce point de vue, le marché français est déjà très
réglementé : les loyers sont difficilement révisables en cours de bail, même si les propriétaires conservent la possibilité de faire tous les ajustements souhaités entre deux locataires. Par ailleurs, il faut évidemment s’abstenir de trop réguler ce marché pour ne pas dissuader les propriétaires de louer.

Mais quelques ajustements doivent être envisagés pour les plus petites surfaces, cible de choix des marchands de sommeil. Sur les petits appartements, le taux de rotation est particulièrement important : les étudiants ne le restent pas toute leur vie, les couples font des enfants, et les locataires de passage changent de ville. Cela permet aux propriétaires un ajustement beaucoup plus régulier des loyers, et donc une flambée des prix plus rapide sur ce segment de marché. Au moins pendant une période intermédiaire, le temps que le choc d’offre fasse son effet, un plafonnement des loyers à la relocation pourrait être envisagé. »

Les Gracques aux Etats Généraux du Renouveau

Les Gracques étaient présents ce week-end à Grenoble pour les troisièmes Etats Généraux du Renouveau, organisés par Libération et Marianne sur le thème « Vivre la République ».

Nous avons porté  huit tables rondes sur des sujets divers tels que l’écologie, l’immigration, l’entreprise, l’eau ou, à l’invitation de la rédaction de Libération la gauche moderne, et décliné nos propositions sur ces sujets. Réorganisation de nos transports en faveur du fret et des autocars, plus efficaces écologiquement et économiquement, séparation des banques de dépôts et des banques d’investissement, bouclier sanitaire, mise en place d’une fiscalité beaucoup plus progressive, libération de terrains publics pour soutenir massivement la construction de nouveaux logements, réforme du quotient familial…

Toutes ces mesures, que nous défendons depuis longtemps et que nous sommes heureux de voir reprises en grande partie dans le programme du PS, sont nécessaires.

Nécessaires pour la France bien sûr, car elles augmentent à long terme son potentiel de croissance sans sacrifier la génération d’aujourd’hui, mais aussi nécessaires pour une gauche moderne, car elles sont réalistes. Ce qui différencie la gauche française de toutes les autres gauches européennes, c’est qu’elle est incapable de gagner deux élections générales de suite, donc de gagner sur son bilan, et non sur son programme.

A la question « Qu’est-ce qu’une gauche moderne? », nous avons donc répondu que c’était avant tout une gauche durable, une gauche qui comme le déclarait François Hollande, ne veut rien promettre qu’elle ne pourra tenir.

Vous pouvez retrouver certaines de ces conférences en ligne ici

 Si vous souhaitez également retrouver toutes nos propositions n’hésitez pas à  consulter notre ouvrage Ce qui ne peut plus durer (édition Albin Michel, septembre 2011).

Pour un nouveau pacte social d’entreprise

Si les Gracques ont un point de vue progressiste sur la société, c’est notamment parce qu’ils et elles sont pour beaucoup des hommes et des femmes d’entreprises, confrontés directement et quotidiennement aux défis de la compétition économique. Mais il faut bien constater que l’entreprise reste en général difficile à penser pour la gauche française, et qu’elle a souvent été le bouc émissaire des programmes de gouvernement : objet purement macro-économique, considéré au mieux comme un sujet de droit social et fiscal, au pire comme responsable de l’aliénation des salariés et espace privilégié de la lutte des classes. Un point de vue à faire évoluer d’urgence, car l’entreprise revient à juste titre au cœur du débat présidentiel, comme source de la création de richesse et d’activité permettant de résoudre nos grands déséquilibres – budgétaires, sociaux, commerciaux.

Notre point de vue de Gracques, c’est que nous pouvons et nous devons avoir un discours de gauche sur l’entreprise qui soit sans caricature, à la fois réaliste et optimiste : lieu où les individus sont à la fois salariés, consommateurs, parfois actionnaires et toujours citoyens ; lieu de vie et d’échanges; lieu de conflit mais aussi de lien social ; lieu possible pour la réforme et l’expérimentation sociétale. Bref, une vision de l’entreprise qui ne se satisfasse pas de la résignation néolibérale à la loi du plus fort et du tous contre tous, et une approche qui réconcilie les français avec le travail en rendant les citoyens plus entrepreneurs et les entreprises plus citoyennes.

La note que nous publions aujourd’hui est une tentative pour penser une réforme globale du fonctionnement de l’entreprise qui tienne compte de la complexité de l’économie de marché mondialisée. Elle tire les conséquences du naufrage, dans la crise financière globale, d’un capitalisme excessivement dérégulé qui sacralise le cours de bourse. Elle donne les pistes pour instaurer un capitalisme modernisé qui reconnaisse et renforce l’utilité sociale de l’entreprise, en alliant création de valeur et respect des valeurs. Elle propose des solutions concrètes, opératoires, pour réconcilier (à défaut de réaligner) les intérêts des protagonistes de la vie de l’entreprise : des actionnaires aux syndicats en passant par les dirigeants et les salariés.

Bonne lecture !

Pour un nouveau pacte social d’entreprise

Le rapport des Français avec l’entreprise n’a jamais été simple. Aujourd’hui encore, les entreprises sont l’objet d’un paradoxe majeur.

Si la plupart des Français s’accommodent de l’économie de marché, il est clair cependant qu’ils souhaitent un capitalisme plus respectueux des équilibres sociaux et environnementaux. Ils désirent que l’activité de l’entreprise soit plus bénéfique à l’intérêt de la société et moins exclusivement à celui de ses actionnaires.

Dès lors, un projet pour le prochain gouvernement pourrait être d’équilibrer le partage capitalistique français : faire naître un capitalisme nouveau, efficace, mais aussi plus conforme aux valeurs fondamentales portées par les Européens et plus particulièrement par les Français. En un mot, réconcilier l’efficacité capitaliste avec l’équité, la motivation du profit avec son partage.

L’attitude réformiste que nous proposons d’adopter se distingue tant des tentatives de moralisation du comportement des dirigeants, que des politiques dites de « développement durable » ou de « responsabilité sociale des entreprises », qui, tout en étant indispensables, reposent in fine pour une trop large part sur la bonne volonté des dirigeants. Or les dirigeants étant soumis aux actionnaires, seuls les actionnaires adoptant un comportement éthique peuvent avoir du poids.

Notre conviction est qu’il est plus efficace de faire appel à la motivation économique classique des acteurs, et d’en changer les conditions pour que cette motivation conduise à un meilleur respect des intérêts de la société. Autrement dit, pour réaligner l’intérêt de l’entreprise sur l’intérêt général c’est sur l’intérêt bien compris des acteurs qu’il faut agir.

Nous proposons d’agir sur 3 leviers pour réformer le capitalisme et mieux le soumettre à l’intérêt général :

réenchanter le travail par une meilleure gouvernance interne de l’entreprise ;

donner un nouveau souffle aux relations sociales ;

mieux aligner les intérêts de l’entreprise avec ceux de la société : faire évoluer la manière dont l’entreprise rend des comptes à la société.

3.1. Réformer la gouvernance interne de l’entreprise

L’ambition de ce nouveau capitalisme est de replacer le respect du travail au centre de l’entreprise.

Sa principale innovation sera de redéfinir un statut du travail donnant au salarié le sentiment qu’il est un acteur qui compte dans la vie de l’entreprise.

Deux voies principales sont à explorer en ce sens : la première est celle d’une réforme de la gouvernance interne de l’entreprise, visant à modifier la nature du rapport des salariés à l’entreprise ; la seconde est celle d’une évolution des relations sociales au sein de l’entreprise.

Il n’est plus acceptable que le travail soit considéré comme une marchandise régulée par un marché. Il faut faire en sorte, dans l’intérêt des deux parties, que le travail devienne participation à une œuvre commune. Un contrat de libre association unit les différents partenaires, même s’ils ont des droits et des devoirs de natures différentes, dans une structure d’échange réciproque.

En d’autres termes, il faut réhabiliter l’idée selon laquelle l’entreprise est une communauté de destin d’individus vivant du même projet productif. Cette mutation qualitative contribuera à changer ce que le travail salarié représente pour l’individu : le regard du salarié, devenu citoyen de l’entreprise, va pouvoir changer car l’aliénation subie (ou consentie) sera remplacée par un acte libre et volontaire au travers duquel le travailleur aura gagné une dignité nouvelle.

Les organisations productives qui trouveront le moyen de désaliéner le travail connaîtront à terme une compétitivité plus grande.

Pourquoi ? Car une entreprise disposant d’un excellent réseau de relations internes, par le jeu notamment de la qualité du travail de son conseil de surveillance où figurent actionnaires et salariés, devrait voir se développer un moral et une morale d’ordre supérieur. Et une telle entreprise pourrait alors avoir foi en son avenir, quel que soit son devenir, car elle devrait développer tout un ensemble de motivations positives évidentes dont il résulterait à la fois une plus grande satisfaction à y travailler et une productivité meilleure.

Pour réussir, une entreprise a besoin de quelque chose d’autre que du capital et du travail : elle a un certain état d’esprit collectif dont la présence ou l’absence fait bien souvent la différence en termes de productivité. La participation des salariés à la gouvernance de l’entreprise n’est rien d’autre que la mise en œuvre de ce projet social

L’innovation principale dont ce contrat pourrait être porteur est celle consistant à réorganiser la gouvernance de l’entreprise entre un directoire et un conseil de surveillance, plutôt qu’entre un président et un conseil d’administration. Le conseil de surveillance associerait des représentants des différentes parties prenantes de l’entreprise, et notamment des représentants élus des salariés, qui auraient un rôle délibératif et non pas seulement consultatif.

Le conseil de surveillance contrôle, et le directoire dirige. C’est le conseil de surveillance qui désignera le directoire, éventuellement sur proposition des représentants des actionnaires exclusivement. Le directoire détiendra, seul, le pouvoir exécutif, en rendant des comptes périodiquement au conseil de surveillance. Le conseil de surveillance devra notamment approuver la stratégie de l’entreprise, son bilan financier, social et environnemental de l’entreprise. Il donnera quitus au directoire pour la gestion de l’entreprise.

En ce qui concerne les groupes, notre proposition est que cette réforme s’applique pleinement aux filiales françaises de groupes internationaux, et, inversement, que les comités de groupe des groupes français multinationaux associent des représentants de l’ensemble de leurs salariés.

La holding ou le groupe étranger n’auront ainsi plus, dans notre proposition, la possibilité de prendre des décisions seuls face aux problèmes concernant leur filiale : tout choix ayant une incidence sur elle devra être approuvé par son conseil de surveillance.

Ce conseil de surveillance ne ressemble pas à nos actuels conseils d’administration, qu’ils ont vocation à remplacer. Un organe de surveillance et de contrôle s’installe entre les actionnaires et le pouvoir de gestion, mais, dans ce conseil de surveillance, les actionnaires ne sont pas tous seuls et doivent compter avec les autres partenaires de l’entreprise.

Les assemblées générales d’actionnaires garderont leurs fonctions traditionnelles et auront surtout pour mission de choisir les représentants des actionnaires qui siégeront au conseil de surveillance.

La loi fixera les différentes catégories de partenaires (actionnaires, salariés, dirigeants, voire certains gros clients ou sous-traitants ou filiales) siégeant au conseil, mais la composition détaillée relèvera du statut de l’entreprise afin de garder une structure souple adaptée aux besoins réels de chaque entreprise. Les représentants du personnel au conseil de surveillance pourraient être élus sur le même mode que les représentants au comité d’entreprise, voire en couplant les deux élections.

La philosophie de cette réforme est de miser sur la concertation plutôt que sur l’affrontement, qui marque encore trop les relations sociales dans nos entreprises. On peut ainsi espérer que, peu à peu, les représentants du personnel deviennent d’authentiques partenaires positifs de l’entreprise au même titre que les actionnaires.

Introduire de la démocratie représentative ne peut qu’augmenter l’efficacité de l’entreprise. Les représentants des salariés seront tout aussi, sinon plus, intéressés à la bonne marche de l’entreprise que les actionnaires, et ils apporteront une compétence et une connaissance de l’entreprise précieuses. Les salariés sont d’ailleurs généralement plus impliqués par l’avenir à long terme de l’entreprise que les actionnaires.

Afin d’assurer le financement des syndicats, l’entreprise verserait chaque année à chaque salarié une indemnité d’un montant fixe, égal pour tous et fixé par la loi, qui permettrait au salarié de choisir un syndicat et d’y cotiser.

Il nous semble essentiel que le salarié puisse intervenir en tant partie prenante de l’entreprise, et non pas en tant que détenteur d’actions. Or, la cogestion tend à confondre les responsabilités, ce qui conduit à ce que la place des salariés soit très minoritaire, et que les décisions soient prises en dehors du conseil de surveillance, ce qui les vide de toute signification.

3.2. Donner un nouveau souffle aux relations sociales

En complément d’une réforme de la gouvernance interne de l’entreprise donnant un nouveau statut au travailleur, il convient de donner un nouveau souffle aux relations sociales. 

Comme lors de la première alternance politique, la question des droits des travailleurs est en effet à nouveau posée. Le contexte est différent, avec la concurrence des pays émergents, la montée puis la crise du néolibéralisme, l’affaiblissement du contrepouvoir syndical et la montée de l’individualisme. Mais comme en 1981, la clé est de nouveau, la recherche de l’équilibre des intérêts et la place de la négociation collective, qui comme à l’époque, constituent le cœur des lois Auroux.

Il y a en la matière beaucoup à faire, dans un pays qui a aussi depuis longtemps un problème avec la négociation, particulièrement au niveau de l’entreprise et interprofessionnel, un pays où il a fallu mai 1968 pour reconnaître les délégués syndicaux, et mai 1981 pour obliger les entreprises à négocier tous les ans.

Deux lois récentes, issues de la volonté majoritaire des partenaires sociaux, modifient les règles du jeu :

la loi du 31 janvier 2007, au lendemain des errements du CPE, oblige le gouvernement avant de réformer le code du travail à offrir aux partenaires sociaux, patronat et syndicats, l’option de la négociation préalable entre eux.

la loi du 20 août 2008 fait un pas important vers les accords majoritaires, et base la représentativité syndicale sur l’audience.

Ces deux lois constituent des progrès significatifs, et la mesure de la représentativité syndicale début 2013, au lendemain des élections présidentielle et législative, sera un rendez-vous important.

Il n’en reste pas moins qu’il reste beaucoup à faire pour donner un nouveau souffle au dialogue social, avec la relance de la négociation en fil rouge.

La reconnaissance mutuelle entre les acteurs, la recherche de l’équilibre des intérêts, la négociation de bonne foi, l’anticipation plutôt que la gestion des conséquences, la négociation au niveau adéquat qui n’est pas le même selon que l’on parle de stratégie ou d’organisation et de conditions de travail, le suivi des accords et de leurs conséquences collectives et individuelles, sont à nouveau à l’ordre du jour. Les propositions, mises au débat, qui suivent portent à la fois sur le champ de la négociation, les acteurs de la négociation et la conception de l’entreprise.

De nouveaux champs sont à ouvrir pour la négociation collective obligatoire dans les entreprises et les groupes.

Il faut compléter l’obligation d’échanger sur la stratégie de l’entreprise et sur l’anticipation de l’évolution des métiers et des activités, par celle de négocier sur les orientations et le plan de formation.

Il faut placer le DIF non utilisé (20 heures de formation par an à la demande du salarié et avec l’accord de l’entreprise) sur un compte individuel formation, alors que certaines entreprises jouent la montre en attendant que ce droit s’éteigne au bout de 6 ans.

La négociation collective doit enfin s’ouvrir aux questions de l’environnement. Le Grenelle de l’environnement proposait d’élargir les CHSCT à l’environnement, de mettre en place des commissions élargies aux élus et aux associations pour les sites classés, de développer les négociations sur la responsabilité sociétale de l’entreprise. Faisons de ces préoccupations des préoccupations durables.

Une nouvelle loi Auroux devrait aussi obliger à une négociation de groupe qui détermine la place relative de la négociation de groupe et de la négociation d’entreprise. Des questions comme la mobilité interne et la gestion des restructurations devraient être encadrées au niveau du groupe.

La représentativité syndicale dans les PME devrait s’asseoir sur des commissions paritaires territoriales de branches. Le syndicalisme n’aura jamais les mêmes formes dans une petite entreprise que chez Renault ou à la SNCF, mais il droit y avoir droit de cité. Les badges « pas de syndicat dans l’entreprise » aux dernières Assises de la CGPME sont attristants. Il doit y avoir des lieux pour se parler en amont des prud’hommes ! Il serait enfin utile d’examiner ce qu’il convient de rapprocher entre le droit du travail du public et celui du privé, les fonctions publiques sont loin d’être exemplaires en bien des domaines.

3.3. Mieux aligner les intérêts de l’entreprise sur ceux de la société

Par quels moyens l’intérêt du dirigeant ou de l’actionnaire pourraient-ils se rapprocher de l’intérêt général ?

L’activité de l’entreprise entraîne des conséquences pour la société, en termes d’utilisation de ressources naturelles, ou de conséquences sociales ou environnementales de ses décisions, qui ne sont pas toujours supportées par les entreprises, par exemple en matière de production. C’est ce qu’en économie on appelle des « externalités ».

Il est parfaitement légitime, du point de vue de la société, et normal du point de vue économique, d’ « internaliser ces externalités », c’est-à-dire de faire en sorte que l’entreprise assume l’intégralité des conséquences de son activité.

En matière d’évaluation, notre projet est de donner aux agences de notations sociétales une importance comparable aux agences de notation financières. « Dis-moi à qui et comment tu rends des comptes, je te dirai comment tu te comportes ».

Il importe pour cela que les informations nécessaires soient disponibles au niveau de l’entreprise. Il conviendrait donc de rendre plus complet le bilan social et le bilan environnemental, et d’ajouter un bilan sur l’impact de l’entreprise sur les modes de consommation et sur son devenir à long terme, afin de pouvoir couvrir correctement les 5 domaines dans lesquels les effets du capitalisme ont tendance à ne pas correspondre à l’intérêt général.

Les rapports seraient rédigés par le directoire, puis vérifiés par des cabinets d’audit spécialisés et labellisés et dont la fonction serait de valider les informations fournies (mais sans évaluer l’entreprise). Ils seraient ensuite approuvés par le conseil de surveillance, puis transmis aux agences de notation, qui émettraient sur chacun des thèmes une notation selon la classification des compagnies d’assurance (A, B, C, D, E, A étant excellent et E médiocre). Après discussion contradictoire, ces rapports seraient publiés.

Si la publication suffit à produire des effets importants sur le comportement des entreprises, il sera possible de s’en tenir là. Il est également envisageable d’attacher des sanctions ou des récompenses aux résultats de la notation, avec des systèmes de bonus-malus fiscaux.

Le système qui est proposé devrait être non seulement favorable à l’environnement, mais également gagnant-gagnant entre l’entreprise et la société. En effet si les coûts induits par chaque entreprise sont internalisés, c’est-à-dire supportés par elle-même, au lieu qu’ils le soient par la collectivité, celle-ci pourra traduire la baisse des charges qu’elle supporte par des baisses de prélèvements.

L’exemple du marché des « droits à polluer » pour les émissions de CO2 a ainsi montré que l’application du principe du « pollueur-payeur » conduit à un meilleur optimum économique et environnemental.

Il est parfaitement envisageable d’élargir ce mécanisme à d’autres domaines, dans le domaine de la gestion des ressources humaines notamment, pour faire ne sorte que la gestion par chaque entreprise de ses ressources humaines conduise à un meilleur optimum social. Pour l’évaluation de l’entreprise, de nombreux facteurs pourraient être pris en compte : taux d’accident du travail et gestion préventive de la santé du personnel, effort de formation, taux de précarité, de mise en chômage et conditions de licenciement, qualité du dialogue social, hiérarchie des rémunérations… Selon la notation A, B, C, D ou E de chaque entreprise, un bonus-malus fiscal (via le taux d’IS ou de cotisations sociales par exemple) pourrait être mis en œuvre, afin que ce soit l’entreprise qui bénéficie ou qui compense les effets de ses pratiques ayant des répercussions sur le reste de la société.

Cette illustration met en évidence la nécessité d’envisager une longue période d’expérimentation progressive, si l’on veut que le système mis en place soit à la fois pertinent et efficace, sans être arbitraire ni source de lourdeurs inutiles. C’est pourquoi une juridiction arbitrale devrait être prévue, comme c’est déjà le cas en matière de droit du travail ou de droit fiscal.

Ainsi l’entreprise resterait libre face au marché, mais un jeu de préférences collectives serait introduit, avec ce système de notation entraînant des bonus/malus, afin de se rapprocher le plus possible de l’optimum social.

C’est bien là la caractéristique principale de ce nouveau capitalisme que nous recherchons.

 Cette démarche se distingue également du courant de l’économie solidaire, qui, tout en étant remarquable, dépend trop fortement de l’éthique spécifique qui anime ses membres et qui ne peut pour cette raison servir de modèle pour l’économie dans son ensemble.

 Comme il n’est pas question de rendre la syndicalisation obligatoire, les « indemnités syndicales » non utilisées seraient affectées directement au comité d’entreprise.

 Ces réflexions s’inspirent largement du livre de Henri Rouilleault, « Où va la démocratie sociale ? », Editions de l’Atelier, Paris, 2010.

 Les quatre lois et l’ordonnance  sur le temps de travail et les accords dérogatoires de 1982

 Henri Rouilleault (2010), « Où va la démocratie sociale ? », Editions de l’Atelier

 Un salarié sur deux du secteur privé seulement est dans une entreprise de plus de 50 salariés, mais un sur deux dans un groupe de plus de 300 salariés

La circulaire de la honte

Le 31 mai 2011, une circulaire, alors passée inaperçue, a restreint les possibilités pour de jeunes diplômés étrangers, ayant effectué leurs études en France, de commencer leur carrière professionnelle dans notre pays.

Au cours des derniers mois, des centaines d’étudiants de toutes origines ont ainsi vu leurs demandes de changement de statut, permettant de passer d’un visa étudiant à un visa salarié, être refusées par les préfectures. Parmi eux, on retrouve de nombreux étudiants issus des plus prestigieuses institutions françaises : Polytechnique, Centrale, HEC, l’ESSEC, Sciences po, Dauphine etc. Ces jeunes diplômés, qui bénéficiaient souvent d’offres d’embauche de la part d’entreprises basées en France, sont aujourd’hui menacés d’expulsion.

Certains ont déjà dû quitter le territoire pour rentrer dans leur pays natal. D’autres ont accepté des offres d’emploi dans des pays tiers, y compris chez nos plus proches voisins européens, qui accueillent bras ouverts cette élite hautement qualifiée qu’ils n’ont pas eu à former.

La circulaire du 31 mai est une ineptie économique.

Ce texte chasse hors de France des jeunes femmes et hommes talentueux, polyglottes pour la plupart et qui pourraient permettre à nos entreprises de s’ouvrir à de nouveaux marchés. Ce sont désormais d’autres pays qui bénéficieront de leur créativité et de leur expertise. Dans une société française vieillissante, le retour de la croissance ne sera pourtant possible que par l’apport d’une immigration jeune, qualifiée et dynamique. C’est elle qui permet la circulation des idées et des capitaux. A titre d’exemple, le succès de la Silicon Valley repose en grande partie sur de jeunes chercheurs de toutes origines, ayant fait leurs doctorats à Berkeley ou Stanford, et auxquels la possibilité est donnée de commencer leur carrière aux Etats-Unis.

D’autre part, de nombreux étudiants étrangers ont bénéficié de bourses pour financer leurs études en France. Ils ont ainsi pu étudier dans d’excellentes conditions. Alors qu’ils souhaiteraient aujourd’hui rendre à la France ce qu’elle leur a donné en travaillant dans notre pays et en y payant leurs impôts, le gouvernement le leur interdit.

Le désir de la France de se fermer en cette période de crise, nourri par des considérations démagogiques et politiciennes, est donc extrêmement dangereux. La circulaire du 31 mai s’inscrit dans une politique qui affaiblit dangereusement le tissu économique français, privé d’une partie de ses talents.

La circulaire du 31 mai est aussi condamnable sur le plan moral.

Cette circulaire est une trahison à l’égard de celles et ceux qui avaient choisi de venir étudier en France, d’apprendre notre langue et de se familiariser avec notre culture. Elle brise leur espoir de pouvoir y travailler un jour.

Certains étudiants avaient également souscrit des emprunts pour financer leurs études. La perspective d’être expulsés et l’impossibilité pour eux d’accepter des offres d’emploi en France les placent donc dans une situation de détresse financière et morale.

La circulaire du 31 mai a durablement entaché l’image de la France à l’étranger.

A l’heure où les pays mènent une lutte sans merci pour attirer les meilleurs étudiants, la circulaire du 31 mai a fait grand bruit dans le monde.

Lorsqu’ils doivent décider dans quel pays poursuivre leur parcours, ce texte fait l’effet d’un repoussoir pour les étudiants étrangers. Tous les universitaires et directeurs de grandes écoles présents sur les forums internationaux l’affirment : les étudiants et professeurs étrangers ne cessent de leur parler de la circulaire Guéant et de s’en inquiéter. Tous les efforts faits par la France depuis dix ans pour attirer des élites du monde entier sont en passe d’être réduits à néant. The Australian, grand quotidien de Sydney, résume d’une phrase lapidaire ce que pensent les autres pays de la circulaire du 31 mai : « L’approche française est plus qu’une leçon sur ce qu’il ne faut pas faire ».

Quelle est la situation aujourd’hui ?

Devant les contestations, Claude Guéant s’est engagé le 23 décembre à ce que la circulaire soit modifiée en 2012. Il a en revanche refusé tout retrait du texte.

Le 4 janvier, le gouvernement a proposé une circulaire complémentaire sur les étudiants étrangers qui n’apporte aucune solution concrète. Le texte se limite à des modifications de forme qui ne résoudront pas les dégâts causés par la circulaire du 31 mai.

Le 6 janvier, la Conférence des présidents d’université (CPU), la Conférence des grandes écoles (CGE), la Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs (Cdefi) et le Collectif du 31 mai, qui représente les étudiants victimes de cette circulaire, ont donc travaillé ensemble à l’élaboration d’un nouveau texte qui a été transmis au gouvernement.

Les Gracques appellent donc le gouvernement français à retirer dans les plus brefs délais la circulaire du 31 mai et à adopter le nouveau texte qui lui a été soumis. Par ailleurs, les Gracques demandent à ce que les dossiers en attente de plus de 900 jeunes diplômés menacés d’expulsion soient régularisés d’ici la fin du mois de janvier 2012.

Ce qui ne peut plus durer

Chers amis,

Vous l’aurez constaté en vous rendant sur cette page : les Gracques font  une rentrée active, puisqu’elle est pour nous l’occasion de publier un ouvrage (dont nous vous proposons de découvrir l’introduction un peu plus bas) et de lancer un nouveau site plus ouvert, et plus participatif.

Aujourd’hui plus que jamais, il nous semble essentiel de susciter le débat. Le contexte politique, économique, social incite les Français à s’interroger non seulement sur leur présent, mais aussi sur leur avenir. Face à ces questionnements, le contexte électoral qui se dessine laisse peu de place à l’échange constructif.

Si nous voulons avancer vers les changements de paradigmes qui, nous le pensons, sont indispensables,  nous devons le faire ensemble. Grace au débat public qui est l’essence même de la démocratie.

« Ce qui ne peut plus durer », c’est ce que nous avons cherché à identifier au sein de notre ouvrage. Le manque d’exemplarité des élites, les parti-pris erronés ou hypocrites s’agissant d’imposition et de redistribution, les approches conservatrices qui restreignent la croissance sont autant d’exemples d’éléments que nous refusons. D’autant qu’il existe des moyens concrets, mesurables, et actionnables de les dépasser.

Au travers de cet ouvrage, des notes que nous publierons sur ce site, et des événements que nous organiserons au cours des mois à venir, nous espérons nourrir ce précieux débat.

Nous espérons que nos idées seront discutées, bousculées, remises en question. Nous comptons sur vous pour le faire, parce que c’est du débat que naîtra l’élan qui portera la gauche à la victoire et qui nous permettra de construire ensemble, après 2012.

Dans l’attente de vous lire, découvrez ci-après l’introduction de notre nouveau manifeste, « Ce qui ne peut plus durer » (éd. Albin Michel, 2011) disponible dans toutes les librairies dès demain. Vous pourrez aussi en découvrir des bonnes feuilles dans Le Point de cette semaine.

 Les Gracques

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 Introduction de « Ce qui ne peut plus durer« nouveau manifeste des Gracques

 « Les jours heureux. » Ainsi était intitulé le programme du Conseil national de la Résistance au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Le message était clair : après la pluie, le beau temps. Au sortir du plus grand conflit de l’Histoire, la vie des Français ne pouvait qu’être désormais meilleure dans un monde meilleur. À l’instabilité et la peur, succéderaient la paix et le bonheur.

Aujourd’hui, c’est l’inverse. Les jours heureux semblent derrière nous. Jamais aucune génération de Français n’avait aussi bien vécu, jamais elle n’avait vécu aussi longtemps. La séquence ouverte par les Trente Glorieuses, fondée sur l’État-providence et relayée par la construction de l’Europe, aura vu s’effondrer la muraille communiste. Et puis le doute s’est installé : l’exclusion qui ronge, le monde qui s’élargit, les technologies qui s’accélèrent, les tsunamis écologiques et financiers. Après le beau temps, la grisaille ; après la stabilité et la confiance, surviennent les crises et l’anxiété. La France se sent vulnérable… Pourtant, dans les sondages, les Français se disent plutôt heureux de leur situation personnelle. C’est quand il s’agit de porter un jugement sur le futur que le pessimisme et le repli sur soi sont de rigueur. Et c’est ainsi que le peuple le plus heureux de la Terre dans le pays symbole de douceur de vivre manifeste plus que tout autre son angoisse pour l’avenir.

Aujourd’hui la France a pris peur : peur de l’autre, de l’étranger, de l’islam ; peur du déclassement et du chômage ; peur des banlieues et des jeunes ; peur de l’avenir et du progrès. Peur de tout. Le Front national et ses émules font commerce de ce sentiment général de vulnérabilité qui nous entraîne vers une société de défiance, parfois hostile aux mécanismes mêmes de la démocratie. Triste symptôme pour une Nation qui s’est longtemps enorgueillie de son influence universelle et représente encore pour tant de pays émergents – et pour beaucoup de sociétés capitalistes – l’horizon rêvé du progrès.

Ce pays s’est constitué par son État et la crise du modèle français est celle de son État-providence. Ses déficits abyssaux instillent la crainte d’un recul de la protection sociale, pour demain si ce n’est pour aujourd’hui. Ce pessimisme est renforcé par le déni d’une classe gouvernante qui aura dissimulé la gravité des ajustements nécessaires le plus longtemps possible. Elle se retranchait hier derrière l’Europe, elle se défausse aujourd’hui sur la crise, le FMI ou la mondialisation.

Exorciser nos peurs : c’est la noblesse de la tâche du politique, sa responsabilité aussi. Ne promettre que ce que l’on est sûr de tenir. Avoir le courage de faire comprendre la complexité et le besoin de durée dans un monde saisi par le court terme, que ce soit sous le joug des sondages ou de la spéculation financière.

Deux mondes cohabitent aujourd’hui. Dans les pays du Sud, l’optimisme est de rigueur, la croissance élève le niveau de vie. Les ménages font des sacrifices considérables pour l’éducation des enfants et les innovations technologiques. Dans les pays du Nord, en revanche, la crise place les élites en état d’accusation. En Grèce d’abord, puis ailleurs, on demande brutalement au peuple des efforts qu’il trouve aussi injustes qu’incompréhensibles. De cette Europe qui doute, la France doit contribuer au sursaut. La prospérité et le savoir-vivre ensemble sont encore possibles à condition d’accepter de s’adapter au nouveau monde. Voilà l’ambition de ce livre écrit à plusieurs mains, ainsi que des notes et débats à retrouver sur le site des Gracques (www.lesgracques.fr) : dire « ce qui ne peut plus durer » et montrer ce que l’on peut construire, ensemble, après 2012.