6% de la population française n’est pas logée ou l’est de manière indigne. Si ce phénomène ne concerne « que » 3,6 millions de personnes en France, il faut y ajouter 5,1 millions de personne en situation de réelle fragilité de logement à court ou moyen terme, que la crise actuelle peut faire basculer rapidement dans la première catégorie. 13% de la population dans une telle précarité, cela s’appelle une bombe sociale.
Le rôle de l’Etat doit donc être celui d’un démineur dont le travail s’étalerait sur plusieurs années. Le marché du logement ayant un temps caractéristique d’évolution de l’ordre de l’année, l’Etat-démineur ne pourra voir les effets des mesures prises qu’à cet horizon. Tout effet d’annonce ainsi que toute volonté d’une résolution rapide de la crise du logement sera ainsi vaine.
Cette note a pour objectif d’identifier quelques variables clé de la problématique du logement en France et de suggérer des pistes de réflexion afin de détendre le marché. Il est selon nous nécessaire de produire un choc de l’offre sur le marché du logement en agissant sur deux variables principales : le foncier et la réglementation ayant trait à la construction.
UN MARCHE TENDU
Les tensions sur le marché du logement sont multiples. Il est indispensable de bien les comprendre afin de ne pas se laisser aller à des raisonnements trop rapides.
Le manque de logement en France s’explique moins par la démographie que par la modification des comportements sociologiques. De 1968 à 2007, la population française a augmenté de 24% alors que le parc de logements a progressé de 72%. Même si la vitalité démographique a atteint des sommets jamais observés depuis la fin du Baby Boom et que l’INSEE prévoit une augmentation de 157 500 personnes par an d’ici 2050, il semble que l’explication principale ne soit pas à chercher dans cette direction.
Il faut plutôt considérer les conséquences du « Choc sociologique » qui a vu l’éclatement de la cellule familiale[1], la croissance effrénée du nombre de ménages (+67% de 1968 à 2007) dont 65% ne sont constitués que d’une ou deux personnes, l’explosion du nombre de divorces qui entraine (entre autre) une forte augmentation du nombre de familles monoparentales (20% en 2005 contre 9% en 1968) pour expliquer ces tensions quantitatives sur le parc de logement. Si on y ajoute le vieillissement de la population (58% des ménages de personnes vivant seules sont âgées de plus de 55 ans) et les mobilités professionnelles générant des résidences doubles, on comprend mieux pourquoi le marché du logement a du mal à suivre ce choc sociologique.
A ces tensions quantitatives s’ajoutent également des tensions sur les prix des logements. On montrera que ces tensions sont certes corrélées mais que leurs relations de dépendances n’obéissent pas uniquement au schéma classique de l’offre et de la demande.
Les prix moyens des logements neufs ont doublé en 10 ans avec la particularité étonnante que les prix dans l’ancien ont progressé plus vite que les prix du neuf durant la même période alors que le marché de l’ancien n’est pas tributaire des coûts et des délais de production. On constate également que le ratio du prix de l’immobilier rapporté au revenu disponible des ménages a augmenté de 70% depuis le début des années 2000 alors qu’il était quasiment stable depuis 1970. Le taux d’effort[2] est d’autant plus important que le revenu du ménage est faible et que les personnes le constituant sont jeunes.
A ces tensions s’ajoutent enfin des tensions qualitatives sur le parc de logements. Si les conditions sanitaires ont fortement progressé depuis 20 ans[3], il n’en reste pas moins que, selon l’INSEE, 53,2% des ménages ont une « difficulté de confort » au sein de leur résidence principale en 2008. La surface moyenne des logements a augmenté de plus de 15% en 30 ans ce qui a eu pour effet de diminuer le phénomène de surpeuplement, même si 9% des ménages en souffrent encore.
Les efforts pour soulager les tensions qualitatives sur le marché du logement ont été importants depuis 30 ans mais ils vont devoir changer de nature. Le logement étant responsable de 15% des émissions de gaz à effet de serre et de 35% de la consommation d’énergie du pays, il serait souhaitable de mieux prendre en compte les performances énergétiques des bâtiments (à la fois neufs mais surtout anciens) et d’encourager leur mise aux normes si l’Etat souhaite que les objectifs du Grenelle de l’Environnement soient atteints[4].
AGIR SUR LE FONCIER
La plupart des acteurs du marché du logement s’accordent pour dire que l’insuffisance de la mobilisation des terrains constructibles est la principale cause de la crise du logement.
S’il est juste de dire le foncier « physiquement disponible » n’est pas rare, force est de constater que c’est l’insuffisance de la production foncière par rapport aux besoins qui est la cause de l’envolée des prix. Pourtant, on n’observe pas de mise en vente massive de foncier dans notre pays.
Ce paradoxe apparent tient au fait que les propriétaires de terrain à bâtir savent que le temps joue pour eux car les terrains ne cessent de prendre de la valeur, contrairement à d’autres produits financiers. Quand on sait que le système fiscal taxe peu la détention des terrains constructibles et impose les plus-values de manière fortement régressive dans le temps, on comprend mieux pourquoi la rétention foncière est un comportement économique rationnel.
La première action à entreprendre serait de taxer fortement le foncier constructible non bâti de sorte que sa détention « passive » procure un rendement médiocre. Cette taxe devrait cesser de s’appliquer aux terrains en cours d’aménagement. Ainsi, les détenteurs de foncier auraient tout intérêt à céder leurs biens ou à y faire construire des logements. Il faut que cesse la situation absurde où celui qui construit est davantage taxé que celui qui détient du foncier constructible sans l’utiliser.
Pour accélérer la fluidification du marché, des mesures fiscales devraient être prises. La première pourrait être un abattement fiscal (sur l’impôt sur les sociétés ou sur les plus values de cession par exemple) pour le cédant si celui-ci vend son terrain à un organisme bâtisseur de logements sociaux. Cet abattement pourrait être modulé en cas de programme de constructions mixtes social/privé. L’idée fondamentale derrière cette mesure est de baisser le coût du foncier pour construire des logements sociaux. Une seconde mesure serait de supprimer les abattements sur le foncier car ils encouragent à la rétention.
Une deuxième action consiste à libérer du foncier détenu par l’Etat et les grandes entreprises publiques. L’effort de recensement des possessions de l’Etat doit être poursuivi en vue d’une cession à un juste prix. Certes, il ne faut pas négliger certaines « cultures ministérielles » ou d’entreprise mais il est grand temps que l’Etat (armée, ministères) et les entreprises publiques (SNCF, RFF, EDF, VNF…) cessent de faire de la rétention. Une autre piste à envisager, si l’Etat ne souhaite pas céder ses terrains, serait de proposer des baux emphytéotiques afin de promouvoir la création de logements sur ce type de terrains.
L’augmentation de la densification des agglomérations est une troisième piste à explorer. La surélévation des bâtiments déjà construits posant des problèmes techniques difficilement supportables, il semble plus opportun d’augmenter le COS dans certains quartiers, sans pour autant créer des immeubles de trente étages en plein centre de Paris ou Lyon.
Enfin, le marché du foncier est peu liquide et très opaque. Si les mesures précédentes visent à le fluidifier, peu de propositions sont faites en ce qui concerne sont opacité. On constate aujourd’hui que le coût de communication des actes n’est pas négligeable et que les fichiers des actes de mutation sont chers et peu accessibles. Cette opacité du marché ne peut que nourrir la spéculation foncière. On pourrait s’inspirer de l’Allemagne ou des Pays Bas où les actes de vente sont transmis aux pouvoirs publics ou encore des Etats Unis ou de l’Angleterre ou les données foncière sont publiques. Un marché du logement liquide et transparent sera ainsi plus efficient et moins sujet à la spéculation.
II. AGIR SUR LA REGLEMENTATION
L’environnement dans lequel évolue le marché immobilier est peu propice à son développement. Sans entrer dans des détails trop techniques, nous pensons que c’est la philosophie générale de la réglementation immobilière qui est à revoir afin que les différents acteurs (promoteurs, investisseurs, pouvoirs publics…) prennent leurs responsabilités de manière sereine.
La première action à entreprendre serait de diminuer le temps public. Aujourd’hui, les compétences en terme de logement sont éclatés entre l’Etat pour les dispositifs d’aides, les collectivités locales et l’Etat pour les autorisations, les délégataires des aides à la pierre qui ne sont jamais sur le même échelon territorial etc. Il en est de même au niveau de la planification spatiale ou chacun décide de sa politique à son échelle locale, sans cohérence globale. Les décisions publiques se prennent ainsi dans une logique séquentielle où chacune des strates administratives donne son/ses autorisations l’une après l’autre, sans se soucier de ce que diront des autres… Le temps public s’en trouve ainsi fortement ralenti.
Il est donc temps de revenir à un outil de planification pluriannuelle étatique pour les décisions structurantes. Cet outil aurait, au niveau local, des guichets uniques regroupant sur un territoire tous les intervenants publics de l’acte de construire (données statistiques sur les besoins, autorisations, aides). Le but serait que les acteurs publics et privés travaillent ensemble dès la genèse des projets immobiliers, en supprimant la logique séquentielle pour passer dans une logique de prise de décision collégiale. Ainsi, les différents acteurs pourraient travailler ensemble autour d’un Projet et en appréhender toute sa complexité avant même le début de la mise en chantier.
Cet outil centralisé pourrait en outre générer des statistiques pertinentes pour savoir quels types de logements construire sur quels territoires et à quels prix : il s’agit d’inverser les pratiques en ayant une connaissance plus fine des besoins au niveau local. C’est le type de logement à bâtir qui doit s’adapter aux réalités du terrain : il serait bien naïf de se contenter de bâtir sur un territoire des logements inadaptés en espérant que le marché se régulera tout seul…
De manière générale, revenir à une planification étatique pluriannuelle permettrait de rétablir une stabilité réglementaire. En effet, il est inconcevable que la réglementation change tous les ans alors que la réalisation des opérations immobilières prend en moyenne 5 ans. Il en est de même pour la fiscalité sur l’immobilier frappant les acheteurs : promoteurs et investisseurs ont horreur de l’incertitude.
Une seconde action consisterait à créer des procédures accélérées pour des projets d’envergure ou à l’impact social crucial. Après tout, quand il s’agit de construire rapidement pour de grandes manifestations sportives (Jeux d’Albertville, Coupe du monde de football), la France sait très bien le faire…Dans le même esprit, il serait bon de légiférer pour encadrer les recours abusifs et les rackets organisés au permis de construire qui ralentissent considérablement les projets et découragent l’ensemble des acteurs de la filière.
Enfin, il faut agir véritablement sur la fiscalité. Une mesure comme (feu) la déductibilité des intérêts d’emprunts n’a jamais incité personne à investir dans un logement pour le louer alors que son coût (1,2 milliards d’euros par an) était trois fois supérieur au montant des aides à la pierre. Il faut combattre ce type de mesures dont les effets ponctuels et à long terme (à cause de l’inertie du marché) sont dévastateurs.
III. QUE FAIRE SUR UN PARC DEJA CONSTRUIT ?
Il faut cesser les mesures électoralistes et autres coups d’éclats médiatiques dans ce domaine.
Le dernier en date, le blocage des prix des loyers à la relocation, permettra peut être un meilleur taux de rotation dans les logements[5] et un freinage de l’augmentation des loyers. Mais il engendrera à coup sûr une baisse du rendement locatif pour les propriétaires qui ne seront pas encouragés à effectuer des travaux (entretien, améliorations des performances énergétiques etc.). Pire encore, il est possible que les propriétaires, notamment dans les grandes villes, préfèrent louer leur appartement en saison à des touristes ce qui réduirait encore l’offre.
Il serait à notre avis plus efficace de cibler des aides pour ceux qui en ont le plus besoin, en laissant le marché évoluer à la hausse comme à la baisse. Ces aides pourraient être des APL ou bien une contre garantie de l’Etat en ce qui concerne la caution du logement, notamment pour les étudiants. Coupler ces aides à une surveillance accrue des abus[6], quitte à les sanctionner fiscalement (voire juridiquement pour certains) permettrait de revenir à des rapports apaisés entre locataires et propriétaires.
Une seconde mesure serait d’instaurer une forte taxe sur le non occupé réel. Il y avait environ 7% de logements vacants en 2011 (sur 33,7 millions en 2011), dont une grande partie l’était pour des raisons administratives (succession, vente en cours etc.). Néanmoins, remettre ne serait ce que 10% de ces logements vacants sur le marché représenterait un afflux de 200 000 logements supplémentaires d’un coup, ce qui n’est pas rien !
Le plus gros chantier concerne la rénovation énergétique des bâtiments. En effet, comme le logement est responsable de 35% de la consommation d’une énergie qui deviendra inéluctablement de plus en plus chère, il est nécessaire de proposer des mesures à même d’améliorer l’efficacité thermique des bâtiments. Si de (trop) nombreuses normes existent concernant les constructions neuves, force est de constater que de nombreux bâtiments anciens sont de véritables épaves thermiques. Il incombe aux propriétaires de les rénover. Pour ce faire, il faudrait taxer significativement[7] les bâtiments qui n’obéissent pas aux critères de performances énergétiques afin d’inciter les propriétaires à faire des mises aux normes. Ces travaux pourraient faire l’objet d’un crédit d’impôt. Parmi les mesures envisagées, l’installation de panneaux solaires thermiques[8], destinés à produire de l’eau chaude[9], pourrait diminuer grandement la quantité d’énergie consommée ainsi que les tensions sur les réseaux électriques.
CONCLUSION
Les idées ne manquent pas afin de mettre sur pieds une politique du logement cohérente. Le logement n’est pas un marché comme les autres, régi uniquement par les lois de l’offre et de la demande. Au contraire, il a besoin, pour évoluer de manière raisonnable, d’un cadre général étatique au sein duquel chacun des acteurs exerce sa liberté de construire, d’autoriser ou d’investir de manière libre.
Aux mesures développées dans cette note s’ajoutent des mesures plus techniques destinés à rendre la construction de logements neufs moins chères (réduction de la TVA, des taxes locales et redevances, forfaitisation des honoraires et des dépenses proportionnelles du côté du promoteur, encadrement du tarif des assurances et mise en place d’une assurance étatique spécifique au secteur du logement etc.). C’est une autre condition sine qua non si l’on veut pouvoir proposer des logements neufs à des prix abordables.
L’Etat doit donc revenir aux commandes pour ce qui concerne la politique du logement afin d’apaiser toutes les tensions qui minent ce secteur. La bombe sociale n’a pas encore explosé mais nul doute que si les rangs mal logés continuent à grossir, la déflagration se fera entendre jusque dans les couloirs des ministères !
[1] Le nombre moyen de personnes par logement est passé de 2,8 en 1978 à 2,3 en 2006 soit une chute de 18%.
[2] Rapport entre les revenus et l’ensemble {loyer+charges}
[3] L’inconfort sanitaire touchait 15% des logements en 1984 contre 1,5% des logements en 2006.
[4] Réduction de 38% de la consommation d’énergie et de 50% des émissions des gaz à effet de serres d’ici 2020 selon le plan « Bâtiment » du Grenelle II.
[5] Et ainsi une meilleure adéquation entre le logement (taille/loyer) et ses occupants (revenus, nombre de personnes présentes sous le même toit)
[6] Loyers exorbitants sur les appartements à petites surfaces ou loyers supplémentaires versés au noir exigés par certains propriétaires par exemple.
[7] Imposer une taxe de 500€ par an s’il y a 10 000€ de travaux de rénovations à faire n’incitera jamais un propriétaire à les entreprendre…
[8] Ces panneaux sont fabriqués de façon standard. Le retour sur investissement d’une installation « thermique » est de moins de 2 ans. Ils peuvent être installés sur les toits et, couplés à un « ballon d’eau chaude », ils peuvent proposer de l’eau chaude même hors des périodes d’ensoleillement.
[9] Pour le chauffage, la climatisation ou les machines à laver.