Du remaniement à la présidentielle
Jean-Louis Borloo n’aurait jamais dû se trouver dans la situation de jouer les leurres dans la course à Matignon. Pour deviner l’issue du remaniement, il lui aurait suffi de se remémorer le verdict de Nicolas Sarkozy au salon de l’Agriculture : «L’environnement, ça commence à bien faire.»
Nicolas Sarkozy est un pragmatique pour qui aucune conviction ne résiste à un mauvais sondage. L’ouverture ne parvient plus à semer la zizanie dans le camp d’en face et chagrine l’électorat de droite ? La diversité ne fait plus recette? Les citrons pressés sont jetés sans ménagement. Le débat sur l’identité nationale mobilise l’électorat du Front national au lieu de le neutraliser? A la trappe le ministère qui était censé veiller sur elle ! Les mesures du Grenelle de l’environnement sont sans effet sur l’électorat écologiste et éloignent de l’UMP les deux tiers de l’électorat agricole ? Exit.
A ce compte-là, les jours du bouclier fiscal, «symbole d’injustice», selon les termes de François Baroin, sont comptés. Sarkozy est aussi un réaliste. Il sait qu’une part essentielle de la défaveur de l’exécutif dans l’opinion publique lui est personnellement imputable. Qu’une fraction substantielle de l’électorat de droite, âgé, conservateur, provincial, catholique, éprouve à son endroit un sentiment de rejet. Il lui suffit d’observer l’évolution de sa courbe de popularité et celle de son Premier ministre. Alors, s’inspirant des judokas, il a résolu de transformer ses faiblesses en points d’appui. Fillon pose ses conditions pour rester Premier ministre ? Parfait : il aura davantage de latitude pour diriger le gouvernement, Guéant sera prié de se faire discret. Copé veut prendre la tête de l’UMP, pour éviter que Fillon ne s’en empare avant 2017 ? Soit : l’activisme du nouveau secrétaire général sera mis à profit pour remettre le parti en ordre de marche et faire oublier l’hyperprésidence.
Borloo, vexé de ne pas être à Matignon, veut s’employer à regrouper les rameaux épars de la famille centriste ? Momentanément fâcheux mais au bout du compte profitable : trois, voire quatre candidats potentiels pour cajoler l’électorat centriste dans les dix-huit mois qui viennent, c’est plus qu’il n’en faut. Et si, de Borloo, Morin, Bayrou, voire Villepin, il pouvait en rester deux au premier tour de la présidentielle, ce serait une bonne façon d’atomiser une menace potentielle.
C’est ainsi qu’il faut lire le «remaniement». Opération politique visant à préparer le premier tour de 2012. Après l’échec de la majorité aux élections régionales, Sarkozy avait joué cartes sur table : à l’automne, il y aurait le remaniement, puis on commencerait à «délégiférer». C’est-à-dire à désamorcer les bombes à fragmentation accumulées depuis 2007, à commencer par le bouclier fiscal. Il n’est pas sûr que cela suffise. Les effets de la crise, tant sur les déficits des comptes publics que sur le niveau du chômage, restent très présents. La défiance à l’égard des élites atteint un niveau record. Les lignes de fracture au sein de la société française, entre catégories sociales, générations, territoires, entre exposés, abrités et relégués, demeurent profondes et les marges de manœuvre très réduites. En 2007, Sarkozy avait su donner un sens à son entreprise de conquête du pouvoir ; en 2012, il n’aura plus comme projet que de s’y maintenir, perspective dont il n’est pas certain qu’elle mobilise les enthousiasmes.
Face à cela, le succès de sa stratégie dépendra de ce qu’entreprendra le PS. La gauche est, de son côté, confrontée à un défi : le modèle économique et social de l’Etat-providence sur lequel elle s’est construite est épuisé et elle peine à en inventer un nouveau qui intègre la préservation de l’environnement ; la dégradation des comptes publics disqualifie par avance la multiplication des promesses et elle subit comme la droite le discrédit de la politique ; la société française, vieillissante, demeure majoritairement conservatrice tandis qu’une fraction croissante de la jeunesse et des couches populaires, tenues en lisière de l’emploi, est séduite par la radicalité ; l’Europe, qui a longtemps été moteur de progrès, s’enlise dans les marécages d’un marché bancal et dérégulé.
On voit le défi auquel doit faire face le PS. Ni le rejet de la personne de Sarkozy, ni les bonnes performances dans les élections locales, ni le mouvement social contre la réforme des retraites n’apportent de réponses. La gauche doit à la fois construire un projet fédérateur, qui donne du sens à l’action publique et soit porteur d’espérance, et proposer des solutions qui rétablissent les équilibres économiques et la justice sociale. Elle devra présenter une vision qui conjugue espoir, raison, rigueur et justice.
C’est pour l’y aider que les Gracques proposeront d’ici quelques mois leur contribution à ce projet.