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Le sucre tue comme l’alcool et le tabac, taxons le comme tel

Un article paru dans Nature, prestigieuse revue scientifique, vient de confirmer le diagnostic que nous faisions dans notre livre : le sucre sera un des plus grands fléaux du 21e siècle. Il est maintenant avéré scientifiquement qu’il est aussi dangereux que l’alcool ou le tabac. Il est temps que les politiques publiques en tiennent compte, et le taxent comme tel.

Dans notre livre, nous proposions une taxe de l’ordre 15 à 30 centimes le litre pour les boissons sucrées, et à réfléchir à une taxation modulable en fonction de la qualité nutritionnelle de l’aliment. L’ampleur du problème, et les recherches récentes, appellent sans doute à aller plus loin. Tout le monde sait en tous cas que la taxe symbolique mise en place par le gouvernement il y a quelques mois, 3 puis 7 centimes par litre n’aura qu’un effet limité.
Mais l’Etat ne doit pas réagir que par l’impôt. Il est aussi nécessaire de changer les perceptions, de faire comprendre les dangers des sucres, en en particulier des mauvais sucres, au grand public. Cela se heurtera à une résistance farouche de la part des industriels, et donnera lieu à des contorsions en tous points semblables à celles des tabagistes de Mad Men…
Si on enlève de l’équation quelques études scientifiques douteuses et commanditées, l’argument principal de ces industries est le pouvoir d’achat. Pourtant, les recherches ont montré que se nourrir sainement n’est pas toujours plus cher… Boire de l’eau du robinet plutôt que du Coca aide le pouvoir d’achat. Les fast-food sont extrêmement chers par rapport à un diner fait maison.
Il faudra le courage politique de ne pas tenir compte de ces intimidations rhétoriques.
Bonnes feuilles de notre livre sur le sujet : « Mieux vaut prévenir (et maigrir) que guérir
Le complément naturel du bouclier sanitaire est la prévention. On parle ici d’abord de l’intérêt des populations : en matière de maladies cardiovasculaires par exemple, il est plausible que le recul de l’infarctus du myocarde, étant associé à une survie plus longue, soit à l’origine de surcoûts de santé liés à des maladies plus coûteuses comme les cancers ou les démences, et à la plus grande fréquence de survenue de dépendance. Mais dans des systèmes de santé où les affections de longue durée représentent l’essentiel des dépenses, la prévention peut diminuer de façon considérable les victimes du diabète comme celles du tabac et de l’alcool.

Ce n’est donc pas seulement pour des raisons économiques qu’il faut faire de la prévention, notamment contre l’obésité. C’est parce que la prévention réduit  les inégalités sociales devant  la maladie, comme le montre le succès du dépistage organisé du cancer du sein. Elle doit se développer là où sont les gens, notamment au travail, pour faire face à la croissance des pathologies professionnelles et l’allongement nécessaire de la durée de vie active

La politique de prévention doit être conçue et conduite avec pertinence et sélectivité, en privilégiant les démarches à succès établies par l’évaluation de pratiques étrangères ou les expérimentations françaises. Elle doit adapter les messages et les modalités aux caractéristiques particulières des populations dont on cherche à influencer les comportements en se rappelant qu’à l’ère d’internet, des réseaux sociaux et des sites médicaux, les messages venus du sommet ne suffisent plus à emporter la conviction du grand public. Elle doit donc s’accompagner d’un professionnalisme dont la campagne pour la vaccination contre la grippe aviaire – dite H1N1- fut le contre-exemple parfait avec au total, une désorganisation générale et un surcoût pour les finances publiques.

La prévention commence dès le plus jeune âge, y compris pour lutter contre certaines maladies graves, notamment les maladies cardiovasculaires ou les cancers. Elle doit prémunir les enfants et adolescents contre les fléaux tels que les addictions et aussi l’obésité, l’un des candidats au titre de « mal du siècle ».

Historiquement, l’homme a évolué dans un monde caractérisé par le manque, et n’a donc pas développé de mécanismes pour lutter contre le trop plein, contre l’excès. Dans cette évolution millénaire, l’année 2010 marque une  rupture : c’est la première fois dans l’histoire du Monde où, à en croire les statistiques de l’ONU sur  l’ensemble de la planète, les complications du surpoids ont fait plus de victimes mortelles que les ravages de la faim. Et, comme s’il y avait une courbe en cloche du progrès, un Américain  a aujourd’hui à la naissance une espérance de vie inférieure à celle de ses parents. A cause de l’obésité.

Ne nous drapons pas derrière le cynisme des stéréotypes : la France est exactement sur la même tendance, elle progresse même plus vite que les Etats-Unis vers l’obésité de masse. Laurent Degos, président de la Haute Autorité de Santé, affirme que « seuls les pays qui auront su maîtriser l’épidémie d’obésité pourront préserver leur système de protection sociale ». L’enjeu n’est donc pas « mince ». Et s’il est extrêmement compliqué de résorber l’obésité adulte, nous sommes en devoir d’en protéger les enfants.

C’est bien sûr l’industrie agro-alimentaire qui est la première responsable de l’épidémie, en proposant des aliments trop caloriques vendus à l’aide de publicités qui ciblent  les enfants et les jeunes pour provoquer l’addiction. Aujourd’hui, le principal client français de Mac Do, Pepsi, ou Ferrero, c’est la Sécurité Sociale, qui paie 14 milliards d’euros par an à éponger les dégâts de la surconsommation de leurs produits.

Il faut donc changer de paradigme. Si la malbouffe et les boissons sucrées tuent autant que le tabac et l’alcool, traitons-les de la même façon ! La publicité pour le tabac est interdite, celle sur l’alcool sévèrement régulée : qu’il en aille de même pour les aliments trop gras et trop sucrés. Le tabac est taxé pour en décourager la surconsommation. Pourquoi pas les sodas ? Les Français  achètent 3,6 milliards de litres de sodas pour un chiffre d’affaire de 2,5 milliards. Taxer 15 à 30 centimes le litre, un taux bien inférieur à celui de l’alcool fort, rapporterait donc à l’Etat entre 0.5 et 1 milliard par an.

Sans plus d’esprit de système que celui des promoteurs de la taxe carbone, on pourrait d’ailleurs imaginer que les impôts indirects sur les produits alimentaires évoluent vers une taxation « lipido-modulable ». Il faut naturellement s’assurer de ne pas grever le budget des plus pauvres, ceux dont l’alimentation est la plus déséquilibrée. Mais la malbouffe est  aussi l’une des pires inégalités d’aujourd’hui ! On n’a pas hésité à  lutter contre le tabac au  prétexte que les ouvriers fumeraient davantage.

Une politique nationale ne suffit pas. L’alimentation est un sujet intime, identitaire, régional, qui doit être traité au niveau local. De même, le manque d’exercice physique, deuxième grande cause d’obésité, est un problème que seules les villes ou les régions peuvent traiter. Il est donc nécessaire de lancer de grandes campagnes d’expérimentation, en récompensant les villes ayant trouvé les meilleurs remèdes. Néanmoins, quelques grands axes de cette politique peuvent déjà être dégagés.

Passer de « Manger Bouger » – qui a fini par devenir « Manger manger » ! – à « Bouger Bouger ». Favoriser la création de pistes cyclables et d’espaces piétons. Développer les heures d’exercice physique dans les écoles, et surtout, donner des cours d’alimentation aux enfants, mais aussi aux femmes enceintes ou aux seniors. Réguler strictement l’installation de fast-foods…

Ce genre de programme a été expérimenté dans des petites villes, et s’est révélé très efficace, pour un coût étonnamment faible (pas plus de 2 à 4 € par habitant et par année, soit 200 millions à l’échelle de la France), finançable par des taxes sur l’industrie agro-alimentaire. Des sommes dérisoires par rapport à l’explosion des coûts de santé qui s’annonce dans les années à venir si nous n’agissions pas aujourd’hui…… «