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Florange, hélas…

Si Durkheim était toujours de ce monde, sans doute s’amuserait-il de voir les Français troquer, quand il s’agit de leurs usines, leurs Lumières pour des totems. La récente épopée de Florange a montré, ces dernières semaines, le prix exorbitant que la France est prête à payer pour le très symbolique maintien de certaines activités sur son territoire.

Notre démocratie sait être rationnelle quand il s’agit de donner un coût à la vie humaine : elle comprend par exemple la retenue du gouvernement lorsqu’il s’agit de payer le prix du sang. Plusieurs de nos compatriotes sont aujourd’hui otages au Mali : on ne peut pas dire que tout le monde s’en moque, mais les Français admettent qu’il faut parfois procéder à un arbitrage entre enjeux politiques (la France ne peut pas systématiquement plier devant le terrorisme) et humains. Les Français comprennent également que cet arbitrage intègre certaines conséquences indirectes : on peut accepter de payer pour des otages, mais pas trop cher, sauf à renchérir la libération des otages futurs.

Nous sommes, de ce point de vue, beaucoup plus mûrs et résilients que les démocraties israélienne ou américaine : placés dans cette situation, les gouvernements de ces pays sont soumis à des pressions terribles des familles, qui les conduisent à des actes non rationnels du point de vue de l’intérêt collectif. On voit ainsi ces puissances libérer des dizaines de prisonniers contre une dépouille de soldat…

Il est donc d’autant plus étrange de voir les sages démocraties européennes perdre leur sang froid quand il s’agit de sauver des emplois, dont la perte est en principe moins dramatique que celle de vies humaines.

De quoi a-t-on parlé à Florange ?

De s’aliéner un groupe qui représente 20 000 emplois en France pour sauver 630 postes, dont les occupants devaient en tout état de cause être reclassés. D’envisager de débourser de 500 millions à 1 milliard d’euros (plus d’1,5 millions par emploi !) pour une nationalisation temporaire, évitée in extremis. Est-ce bien raisonnable pour éviter à des salariés le traumatisme, certes tout à fait réel, de changer de métier ?

La solidarité est un devoir ; mais les fonds de l’Etat ne sont pas sans fond et la poursuite de l’intérêt général exige une forme de proportionnalité dans l’intervention publique. Ne perdons pas de vue que 10 000 emplois se créent et disparaissent (par des fins de contrats temporaires) chaque jour en France. Les Luxembourgeois l’ont bien compris, eux qui ont su transformer, juste de l’autre côté de la frontière, des territoires industriels en zones d’activités largement tertiaires qui emploient de plus en plus de…Français. Selon l’Insee, près de 73 000 lorrains étaient  ainsi travailleurs frontaliers en 2010.

On nous explique que Florange est un « symbole ». Mais il faut nous interroger sur la valeur que la collectivité peut consentir aux symboles et sur la responsabilité du système médiatique qui les produit…