Une université d’été réussie

L’Université d’été des Gracques s’est tenue samedi 30 juin au Théâtre de Villette. La journée a été riche d’interventions remarquables. En particulier, les éclairages proposés par les panélistes étrangers (Kemal Dervis, Ana Palacio, Franco Bassanini, Rushanara Ali, John Evans, Gil Rémillard, Enrico Letta et Bozidar Djelic) ont donné aux débats sur la crise une profondeur de champ et un précieux recul.

La brillante synthèse de Lionel Zinsou sur la compétitivité européenne, les échanges de Daniel Cohen et Guillaume Hannezo, le dynamisme de Pierre Vilpoux, les analyses de Jean-Claude Mailly et bien sûr les propos conclusifs de Michel Sapin ont également contribué à cette réussite.

Les Gracques souhaitent remercier à nouveau l’ensemble des invités, des modérateurs et du public pour leur participation à cette université d’été, dont les actes et les vidéos vous seront bientôt proposés sur le site.

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Un autre monde…Discours inaugural de l’Université d’été par Bernard SPITZ

Un autre monde…

Je me souviens, il y a 5 ans, de notre première université d’été, dans ce beau théâtre de la Villette!  L’image que j’en ai gardée, c’est  celle d’un jour parfait avec des débats spontanés, de la vie, de l’envie. Nous avions des visiteurs de marque qui nous disaient que la gauche était défaite, oui, mais qu’elle pouvait se réinventer. Qu’elle devait le faire. Il y avait la gauche italienne qui tentait de se recomposer avec Francesco Rutelli, il y avait Peter Mandelson et bien d’autres…

Bernard Spitz - Université d'été 2012

C’est Antony Giddens qui avait fait le discours inaugural. Il nous avait dit: la voie sociale démocrate est la bonne, à condition de la réinventer. Parce que si nos valeurs sont intactes, si notre envie d’égalité, de solidarité, de justice, demeurent, le monde dans lequel nous vivons a changé.  Il s’est numérisé, il s’est élargi, il s’est démographiquement déplacé. Cela signifie que les postulats de la social-démocratie traditionnelle sont dépassés, que nous sommes en train de nous projeter dans autre chose, une sorte de post social-démocratie qu’il nous faut inventer et assumer. Ce sera l’occasion de notre premier débat de la journée, un débat essentiel puisqu’il pose le cadre intellectuel, en terme de philosophie politique de ce que nous poursuivons. Et je suis heureux pour en parler que nos grands témoins des deuxième et troisième Université, Marcel Gauchet et Kamel Dervis soient avec nous, ainsi qu’Hubert Védrine fidèle lui aussi de nos travaux depuis le début.

Nous vivons déjà dans un autre monde…

Le monde s’est numérisé. Il a  changé avec les nouvelles technologies qui font que le vécu au travail se transforme, dans son exécution, dans sa localisation, dans sa pénibilité, etc… Les besoins et les méthodes de formation ont changé, ce qui conduit à réviser nos rythmes scolaires comme les contenus. Le monde a aussi évidemment changé dans son rapport à l’environnement, à la consommation, à la conception de l’espace urbain et à l’information, pour le meilleur et pour le pire.

Le monde s’est élargi. Avec le passage du G7 au G20, c’est à dire un monde où les pays du Sud ne sont plus forcément ni les plus pauvres, ni les moins avancés, ni les moins stables. Les Brics nous saluent bien; et surtout ils nous prêtent. Car nous vivons, nous Français tout particulièrement, à crédit; et ce sont largement eux qui nous assurent nos fins de mois. Ils regardent notre incapacité à gérer nos affaires en Europe et nous jugent sévèrement. Car ce monde élargi tourne désormais économiquement avec nous, souvent indépendamment de nous,  et parfois sans nous. Les émergents n’ont pas l’impression que le centre de gravité du monde soit en Europe et ils n’attendent plus de savoir ce que nous Français pouvons penser. Leur vie est ailleurs.

Notre monde a aussi une nouvelle géographie des âges. Les pionniers de l’Union européenne y représentent un îlot âgé dans un monde jeune. Et  dans un pays comme le nôtre,  le vieillissement vient bouleverser les idées préconçues : on ne peut plus parler de répartition dans un pays qui a plus d’inactifs que d’actifs comme l’on en parlait il y a 30 ans, quand c’était le contraire. Il va bien falloir parler d’épargne, c’est à dire de capitalisation pour mutualiser  l’effort dans le temps. Et envisager des scénarios économiques neufs en matière de protection sociale. Cela a beaucoup de conséquences, la première étant de nous inciter à arrêter de favoriser les personnes âgées au détriment des jeunes générations, comme on le fait depuis 40 ans. Or les personnes âgées sont de plus en plus nombreuses et ce sont celles qui votent le plus. Voilà qui promet de beaux dilemmes politiques…

Dans ce monde en mouvement, la France a- t-elle changé? La gauche, qui a gagné comme jamais sous la cinquième république, en est où de cette mutation vers la post social-démocratie dont parlait Giddens? Et comment va-t-elle se comporter à l’épreuve du changement : c’est à dire face à la nécessité à la fois de permettre à l’Europe de franchir un cap dramatique, puisque c’est son existence qui est en jeu ; et de conduire les réformes qui permettront à la France de réussir son désendettement et son regain de compétitivité, sans sacrifier ni la croissance ni la protection sociale. Voilà les questions clés, ce sont celles qui marqueront nos débats au fil de cette journée.

Qu’est ce qui a changé en France ,depuis? Dans notre livre, nous disions l’université, essentiellement. Sur les retraites, il fallait bouger mais pas comme ça puisque la réforme des régimes spéciaux est de type grec, elle coûte encore plus cher après qu’avant; et que le débat sur l’âge de la retraite à été pris en otage par la volonté de cliver plutôt que de négocier les solutions. Pour le reste, inutile d’épiloguer : les agences de notation ont sanctionné nos dérives et le peuple français a tranché.  Le résultat c’est que c’est qu’il nous revient de faire en sorte aujourd’hui que cesse  » ce qui ne peut plus durer »

Ce titre vient d’une réflexion de Malraux dans un texte intitulé le Triangle Noir et qui fait le lien entre Laclos, Goya et Saint-Just : un écrivain, un peintre et un homme politique qui expriment, à un moment donné, chacun à leur façon, que l’ordre ancien doit plier ; que nous en sommes arrivés à l’un de ces moments dans l’histoire où le monde bascule parce que chacun en arrive au constat que « cela ne peut plus durer ». Nous nous y sommes risqués,  en partant de ce qui nous a semblé une évidence : que la société française est arrivée à un point où elle attend d’abord du respect de ses dirigeants et de l’exemplarité de la part de ses élites. Ce sont nos deux premiers chapitres! Et de ce point de vue, nous nous retrouvons dans ce qui a été accompli.

Reste la suite. Et donc des révisions dans pas mal de domaines où les Gracques ne disent pas toujours ce qu’il est traditionnel de soutenir à gauche. Nous défendons  la création de richesses et la compétitivité des entreprises ; ce qui nous éloigne des politiques de subventions à court terme qui calment la douleur mais coûtent cher et surtout retardent voire condamnent  la modernisation. Nous encourageons l’imposition sur l’héritage et la réforme du quotient familial parce que ce sont des mesures justes,  mais nous défendons l’épargne et donc les revenus du capital, tout simplement parce que la croissance a besoin de financer les investissements et que nous devons  pour cela encourager les investisseurs.  Nous  soutenons une politique de production en France mais en laissant l’état à distance et en  dénonçant  les monopoles et les situations de rentes, a fortiori quand elles sont financées par le contribuable. Nous appelons de nos vœux  une vraie réforme de l’Etat qui se traduise par de réelles économies et un meilleur service rendu au pays, et  nous allons défendre pour cela des réformes structurelles dans l’éducation, la santé, les transports, le logement….

En disant cela, allons nous choquer ?  On peut espérer que non. Parce que la gauche a muri  et que l’élection de François Hollande change la donne. François Hollande était l’invité d’honneur de notre avant dernière université d’été.  Ceux qui étaient là, boulevard Malesherbes, se rappellent que nous avions été frappés par sa détermination et par la réflexion qu’il avait engagée,  qui n’était  plus celle du premier secrétaire du PS: « Nous avons trop misé sur la demande disait-il notamment, il nous faut réinventer un discours de gauche qui fasse toute sa place à une approche par l’offre ». Il était alors déjà à  sa façon, avec son histoire, sur la voie que nous qualifions de post social-démocrate.

Bien conduire le changement est d’une immense importance, tant les périls sont nombreux. Il suffit de compter le nombre impressionnant d’articles qui font référence à la crise des années 30, pour se convaincre de la gravité de la situation. Le front de l’euro est fragile. Derrière, ce sont toutes les économies européennes et même mondiales qui sont menacées. Nous écrivions dans un article du Monde intitulé « La bourse ou la vie  » en 2008 : « vous avez aimé la faillite des banques? Si rien n’est fait, dans quelques temps, nous aurons rendez-vous la faillite des États  » Oui , les États font faillite, la Grèce en est d’ailleurs à sa quatrième en 150 ans. Sauf qu’en 2008 Il a suffi qu’une banque tombe pour que la finance mondiale vacille. Après la Grèce, à qui le tour ? Que se passera t-il si les dominos ont la taille des états?

C’est de tout cela que nous allons parler aujourd’hui, sans tabous ni fausse naÏveté; en mettant au service de l’intérêt général à la fois ce que nous savons de la chose publique ; et ce que nous avons appris du monde privé, de l’entreprise, du monde réel où existe ce mot qui ne nous inspire ni peur, ni fascination, qu’est le marché.

Nous allons donc d’abord parler de la post social-démocratie, ce qu’elle implique comme révision politique en France et par rapport au vaste monde. Après, nous allons débattre de la crise économique, celle qui nous fait danser au dessous du volcan. Et puis nous parlerons de croissance, comment la susciter, avec des hommes d’entreprises et des regards amicaux venus d’ailleurs. Ensuite, nous traiterons  de la réalité sociale et de la façon de concilier le besoin de protection et les nouvelles aspirations de la société  avec ce monde qui change. Et enfin, nous conclurons par l’approche politique, en quelque sorte la synthèse opérationnelle : comment fait-on et quel projet la gauche doit-elle aujourd’hui défendre, en France et au-delà; bref, l’objectif et la méthode.

Un grand merci à tous ceux qui se sont donnés du mal pour organiser cette 4 eme université : à Marie, qu’on embrasse. À Jacques Galvani, notre secrétaire général qui animera le débat de cet après midi sur la production. À nos vice présidents Roger Godino et Dominique Villemot qui symbolisent si bien par leur engagement personnel comme professionnel notre fidélité à une certaine idée de la gauche. À toute l’équipe des fondateurs, c’est à dire les jeunes vétérans qui seront les animateurs des table-rondes: Gilles de Margerie, Philippe Tibi , Marie-Laure Sauty de Chalon. Merci à l’équipe des jeunes, qui veillent sur notre site et sur nos débats. Un message amical à ceux qui sont aujourd’hui dans les cabinets, qui bossent. Et un grand merci à nos invités, des vrais fidèles des Gracques: spécialement  à nos invités étrangers et aux ministres qui, malgré leur agenda, ont choisi d’être avec nous. Et puis merci à vous tous d’être venus, parfois de loin. Il y a beaucoup de choses passionnantes à faire un samedi à Paris et de théâtres qui offrent des spectacles plus divertissants. Merci à vous qui avez choisi d’être ici.

Si vous êtes là, c’est parce que vous  savez que la victoire de François Hollande et le résultat  des législatives ne marquent que le signal d’un départ. Le chemin va être long.  Notre rôle n’est plus de contribuer à la victoire de la gauche. C’est fait et les Gracques espèrent que la petite musique que nous avons jouée  a pu y contribuer, aussi modestement cela fût-il. Notre rôle maintenant est de faire que cette victoire soit, non pas un moment entre deux moments, mais l’amorce d’une mutation, à la fois douce et profonde. Nous pensons en effet que l’avènement d’une post social démocratie française est l’enjeu de la nouvelle mandature.

Nous pouvons et nous voulons être un laboratoire de ces idées – là. Au service d’une gauche progressiste et européenne a qui revient le destin historique de faire passer la France de l’avant Bad-Godesberg à l’après Los Cabos : un autre monde…

Le moment post social démocrate est arrivé. Les Gracques continuent !

Quel projet pour la post social démocratie ?: Résumé des débats de l’Université d’été

Kemal Dervis,  vice-président de Brookings Institution, président du Conseil international de Akbank, ancien directeur général du PNUD, ancien ministre turc de l’économie.

Marcel Gauchetphilosophe et historien, directeur d’études à EHESS, rédacteur en chef de la revue Le Débat.

Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères.

Animateur : Gilles de Margerie

Université d'été 2012

Gilles de Margerie :

La nouvelle équipe gouvernementale a conscience des défis futurs (maîtrise de la dette, gestion de la crise), ce qui implique une capacité à redonner à la France un rôle moteur en Europe.

Le compromis qui caractérise la social-démocratie européenne ne s’est jamais ancré dans la pratique politique française : comment pouvons-nous en France inventer un tel projet ?

(Interruption par La Barbe, constatant 21 intervenants masculins sur 24. Les Gracques ont retenu le message. Gilles de Margerie a rappelé que pour la première fois, nous avons un gouvernement qui respecte la parité.)

 

Marcel Gauchet :

Nous sommes les héritiers de la social-démocratie. Si ses recettes ont perdu de leur pertinence, l’héritage de justice sociale conserve toute son actualité. Quels sont les moyens ou les instruments qui peuvent être les siens dans le monde actuel ?

Il est tout d’abord nécessaire de faire le bilan de la social-démocratie, en particulier de ses limites : celles-ci découlent des changements intervenus dans la géographie économique mondiale, les changements dans les systèmes productifs (économie de la connaissance) et dans la société (individualisation par opposition aux classes sociales). La social-démocratie est-elle un socle incontestable ? Le modèle européen est-il encore pertinent ? Celui-ci semble historiquement dépassé puisque l’Europe est en train de s’aligner sur un programme libéral. Cette vision enferme les sociaux-démocrates dans une stratégie défensive. La gauche social-démocrate doit retrouver une audience sur fond d’un grand scepticisme. C’est à cette difficulté que va se trouver confronté, entre autres, le nouveau gouvernement français.

Répondre à ces défis suppose de reformuler un projet social-démocrate adapté au monde dans lequel nous vivons. Il doit reposer sur une gestion rigoureuse mais surtout sur une capacité de proposition.

La rupture sarkozyste constitue un antimodèle. L’échec de la stratégie de réforme sarkozyste est notable. Ainsi, la négociation avec des partenaires sociaux fantomatiques, car peu représentatifs, ne mènera à rien. La Gauche, en tant qu’héritière des Lumières, doit reprendre l’initiative. L’exigence de justice constitue une de ses composantes principales. C’est elle qui lui donnera la capacité de faire adhérer les populations à un projet raisonnable.

Le régime de technocratie bienveillante, ne prenant pas en compte les populations, est à bout de souffle. La décennie passée a consacré le vide doctrinal des gauches sociale-démocrates face à l’évolution de l’idéologie libérale. La crise a bouleversé cet ordre. La pensée sociale-démocrate peut reprendre l’initiative, par l’audace intellectuelle et la discussion sans sectarisme. Il faudra trouver la bonne grille de compréhension pour rendre intelligible la crise.

L’Etat incarne la sacro-sainte notion de service public, à laquelle il faut donner un contenu. Il faudra pour cela rendre les services publics plus efficaces, par opposition à la politique du moindre coût.  Il s’agit de préserver la qualité future de l’hôpital public, pour lequel les Français ont le sentiment d’une dégradation progressive. Il s’agit également de la scolarisation de la petite enfance. Celle-ci ne se réduit pas au problème de garderie des enfants pour favoriser l’activité des femmes, mais constitue aussi une question de justice sociale. La notion de Travail doit être entièrement repensée. Certaines notions ont fait la preuve de leur nocivité : « travail non qualifié », « société post-industrielle ». L’exemple de l’Allemagne montre que ces notions, en plus d’être dégradantes pour les individus, n’ont aucun sens. Il apparaît indispensable que la social-démocratie remette le travail au centre de la société et restaure la dignité des personnes.

 

Kemal Dervis :

La social-démocratie ne doit subir aucun changement radical : les grands principes demeurent. Dans un contexte globalisé, le défi réel est celui des outils.

Si l’on parle post social-démocratie, il faudrait également parler de post-libéralisme car la Droite est confrontée aux mêmes difficultés que la Gauche, en premier lieu, l’incapacité à alimenter une croissance soutenable dans les pays développés. La dette brute des USA est plus importante que celle de l’Eurozone, relativement à la richesse nationale. Le second problème de la concentration des revenus alarme de plus en plus aux Etats-Unis, où 1% des plus riches ont reçu 24% des revenus en 2007. Ce constat s’applique également à la Chine, tandis que l’Europe fait jusqu’à présent exception. Mais le modèle européen pourrait être contraint de s’aligner du fait de la crise actuelle.

 

Kemal Dervis envisage deux chantiers majeurs pour la social-démocratie :

1er chantier : une réponse social-démocrate à chaque niveau. Dani Rodrik, professeur à Harvard, explique qu’il faut ralentir la mondialisation, qui a pris le pas face à la démocratie. Il faut utiliser la grille des quatre niveaux de gouvernance : niveau local (cité, région), Etat-Nation, continental (surtout en Europe), niveau mondial, pour appliquer à chacun de ces niveaux les principes de la social-démocratie de façon cohérente. Un contre-exemple frappant est la nomination comme conseiller de Barack Obama du CEO de General Motors. Il s’est avéré un peu plus tard que GM ne payait pas d’impôts aux Etats-Unis, ce qui a créé un scandale.

2ème chantier : L’organisation du travail. Celle-ci passe notamment par la formation tout au long de la vie, la flexibilisation de la retraite pour prendre en compte les choix personnels. En matière d’immigration, face à la Droite qui reprend l’initiative (Romney veut accorder des permis de séjours permanents aux étrangers ayant obtenu un diplôme supérieur), la Gauche ne peut se limiter à l’immigration familiale.

 

Hubert Védrine :

Parler de post social-démocratie supposerait qu’elle soit morte. Or, bien qu’il y ait peu de sociaux-démocrates en dehors d’Europe, les sociétés développent ce type d’aspirations. Y a-t-il des sociaux-démocrates dans les pays émergents ? S’ils n’existent pas, il faudra s’allier avec les courants qui leur sont les plus proches.

Rien ne dit à l’avance que ce sont les sociaux-démocrates qui réussiront le mieux à prendre en compte les défis de demain. Réussiront-ils à établir une croissance durable, sans bulles spéculatives, dans laquelle le système financier serait revenu aux fondamentaux ? En outre, la social-démocratie se doit d’introduire la transition écologique, et ne peut la sous-traiter. Cette transition, qui inclurait la comptabilité des stocks et non celle des seuls flux, peut être source de croissance.

Le sentiment d’impuissance ronge la démocratie. La démocratie représentative a besoin d’un nouveau souffle, qui peut prendre la forme de la démocratie participative.

Dans un contexte de compétition internationale, les Européens hésitent entre un paradis moral, éthique ou une entité de puissance raisonnable. Les Européens sont plutôt hostiles à la notion d’Europe puissance mais souhaitent un vaste espace protégé. Ces questions se cristallisent sur celles des mouvements migratoires. Cet enjeu complexe se présente différemment en fonction des régions, avec en particulier la forte croissance des migrations Sud-Sud. Il convient d’ajuster les flux aux capacités d’accueil.

Parce que les occidentaux n’ont plus le monopole de la puissance, les Européens souffrent du sentiment anxiogène de perte de pouvoir, perte de citoyenneté. Ils sont confrontés à un choix : stabiliser la ligne politique et les limites géographiques de l’Union Européenne. En particulier, il sera nécessaire de déterminer une fois pour toutes les limites de l’UE et d’envisager la suppression du commissariat à l’élargissement quand ce processus sera achevé.

 

Gilles de Margerie :

La vie de la société française se caractérise par la faiblesse du dialogue social. L’Etat doit être capable d’insuffler un nouveau souffle aux négociations entre partenaires sociaux. Quelle est la légitimité politique d’une Union Européenne qui s’est dotée des apparences de légitimité démocratique ?

Kemal Dervis :

Les partis politiques sociaux-démocrates devraient compter dans leurs instances dirigeantes au moins un dixième de représentants venus d’autres pays européens.

Hubert Védrine :

Les aspirations doivent trouver un cadre. Rien ne se substituera à la légitimité des institutions nationales. Les divergences nationales sont plus fortes : la langue est une barrière, l’éloignement aussi. La comparaison avec les Etats-Unis a d’importantes limites. Il est donc important d’organiser la complémentarité des niveaux de décision.

Marcel Gauchet :

L’évolution de l’offre politique est allée à rebours de la demande sociale. L’exaltation de la société civile (« dialogue social ») ne signifie rien. Une société hyper-différenciée, individualisée est une société où la capacité d’expression publique est limitée, d’où la crise de la représentation.

Le système de la construction européenne est aujourd’hui dépassé. La Commission européenne ne pourra pas devenir le nouvel exécutif européen. Par rapport au choc de la mondialisation, les institutions européennes sont incapables d’articuler une réponse.

Il existe des contradictions entre les codes génétiques des partis socialistes ou sociaux-démocrates, qui sont essentiellement nationaux. Seront-ils capables de transcender leurs racines nationales ? En particulier, le parti Socialiste français est un parti d’élus, que les questions transnationales les intéressent peu. Il faut faire de l’Europe un espace clivé politiquement.

Kemal Dervis :

Le parti du Travail Brésilien, le parti du Congrès Indien seront des partenaires futurs.

La prise en compte dans la conscience nationale du niveau mondial est un défi comparable à celui de la prise en compte de l’intérêt général. Il s’agit d’un saut de conscience du même ordre.

Face à la crise financière: Résumé des débats de l’Université d’été

Daniel Cohenprofesseur d’économie à l’Ecole Normale Supérieure, membre du Conseil d’Analyse Economique (CAE).

Guillaume Hannezomembre fondateur des Gracques, ancien conseiller économique de François Mitterrand.

Ana Palacioancienne ministre des affaires étrangères d’Espagne, ancienne vice-présidente de la Banque Mondiale.

Animateur : Philippe Tibi

 

Ana Palacio :

(En réponse à La Barbe, Ana Palacio a insisté sur défi de la présence des femmes).

Le défi européen est un défi du centre (social-démocrate ou PPE) : avec la crise, les extrêmes sont dans une situation plus favorable que le centre.

Nous sommes confrontés à un changement de tempo, qui remet en cause les accords économiques établis dans le contexte relativement stable de la guerre froide. La légitimité politique initiale des pères fondateurs a été remplacée par une légitimité fonctionnelle (technocratie de la Commission Européenne), la participation aux élections européennes diminue, le moteur franco-allemand a volé en éclats, personne ne s’est tourné vers la Commission lors de la crise, les institutions ont fait la preuve de leur inefficacité : c’est le pouvoir qui prend le dessus, entraînant une hégémonie allemande. Les concessions allemandes ont été à chaque fois réalisées trop tard pour qu’elles soient efficaces, entraînant une crise de confiance entre le Sud et le Nord. Au débat politique s’est superposé un débat moral (Sud paresseux, Nord rigide). Le sentiment de pessimisme européen est encore plus poussé en France.

Il n’y aura pas d’Union bancaire sans cession de souveraineté.

Au niveau national, il faudra développer des Etats performants et faire le tri entre ce que nous pouvons garder et ce que nous devons réformer.

 

Daniel Cohen :

La crise nous fournit plusieurs enseignements. L’économie et le politique tirent dans des directions opposées. Les crises se propagent, sans aucune force de rappel car le politique a perdu trois moyens de les contrôler :

–        l’abandon de la politique monétaire nationale. Si l’indépendance de la banque centrale face au risque inflationniste n’avait pas été à la base de la construction européenne, nous aurions pu garder des moyens d’intervention. Une monnaie sans Etat ne fonctionne pas.

–        la place devenue trop importante du secteur financier rend le bail-out impossible. Avec la financiarisation de l’économie, les bilans des établissements financiers européens sont de plus de 100% du PIB. On ne peut pas sauver des banques que l’on n’a pas supervisées au préalable (on n’achète pas une police d’assurance quand l’incendie a lieu). Les Allemands ont compris qu’ils allaient financer les banques espagnoles.

–        l’absence de mécanismes fédéraux de péréquation. Aux Etats-Unis, quand la Californie est atteinte, elle peut compter sur des mécanismes fédéraux de péréquation. En Europe, ce n’est pas le cas pour la Grèce. Il aurait fallu penser à cela dès le départ.

Le pouvoir politique s’est enfermé dans ses prérogatives et n’a pas su se dépasser. Le chaos « Merkozy », incapable de gérer la crise, a ouvert la voie au FMI. La réunion de Rome a été un échec basé sur de faux semblants et une fausse prise de décision (10 milliards de recapitalisation de BEI déjà actés). La crise induit un besoin de mesures discrétionnaires. Le sommet européen d’hier a été une excellente surprise. L’accord vise à créer une union bancaire qui soutiendra les banques espagnoles notamment. Une instance de supervision européenne disposera des moyens de recapitaliser les banques en difficulté au niveau fédéral, sans déstabiliser les Etats (droit de tirage sur une caisse mutualisée de 700 milliards d’euros). Ceci va entraîner en retour un besoin de contrôle (d’où un besoin d’instances de légitimité) qui pourra renforcer le poids du Parlement Européen. Mais il faudrait pour cela un sous-groupe représentant uniquement l’Eurozone.

 

Guillaume Hannezo :

Nous nous retrouvons confrontés au vice de conception originel de l’union monétaire, qui a été accentué par le laxisme. L’Union monétaire devait n’être qu’une étape, mais la PECS a volé en éclat, notamment du fait des « laxistes » et des « cyniques ».  De plus, Contrairement à l’aspect budgétaire, la possibilité d’une crise bancaire n’avait pas été pris en compte (les banques avaient alors un poids moins important dans l’économie).
La crise actuelle est une Crise de balance des paiements: les déséquilibres de compétitivité se sont accentués sous le parapluie allemand. Cette crise des balances de paiements ne pourra être règlée que par une politique coordonnée.
En effet, L’Eurozone intégrée serait le seul triple A du monde. Mais elle doit être rééquilibrée: pas avec un président du pouvoir d’achat, mais avec un chancelier du pouvoir d’achat ! Sans cela, les anticipations des marchés, à savoir un éclatement de l’euro, se réaliseront.
Avec le sommet européen d’hier, les spéculateurs pourraient pour une fois perdre de l’argent pour avoir sous-estimé les dirigeants européens (jusqu’à présent, ils étaient continûment en dessous des attentes).

Philippe Tibi :

Y a-t-il une sortie par le haut possible ?
Ana Palacio :

L’Espagne a obtenu le découplement entre dette souveraine et sauvetage des banques. L’Espagne s’est développée très rapidement (à l’instar de Singapour, de l’Irlande), mais ce développement a aussi laissé des asymétries effarantes, en particulier, un Chômage structurel aberrant.

Trois pistes de réforme pour l’Espagne:

les syndicats. En Espagne, les syndicats sont financés par l’Etat, et non par les travailleurs. Ceci les a figé

l’emploi public. l’Espagne ne peut pas de permettre 3 millions d’employés publics, parmi lesquels beaucoup de doublons.

la formation professionnelle. Après Franco, la formation professionnelle avait été démantelée au profit d’une formation universitaire. Ce type de formation devrait être renforcé.
Malgré ces défis, L’Espagne reste un pays avec une vivacité extraordinaire et a les moyens de se redresser.

Philippe Tibi :

La dette va-t-elle tuer l’Etat Providence ?
Daniel Cohen :

L’Etat seul n’est pas responsable ni impacté : l’Irlande, l’Espagne avaient un faible endettement public, et ont pourtant été fortement touchées par la crise. L’Euro a renforcé la crise dans les pays fragiles et appuyé les pays forts.
Nous avons en Europe une Chine, qui accumule les excédents : l’Allemagne (son excédent va dépasser celui de la Chine cette année). L’Allemagne s’est imposée une purge salariale. La purge salariale va-t-elle s’imposer partout ou l’Allemagne va-t-elle augmenter ses salaires ?
Un autre immense danger nous menace : La Commission Européenne, parent pauvre de ces négociations, reprend la main avec des normes rigides (objectifs budgétaires intenables). Ceci renforcerait encore le caractère de plus en plus procyclique de la politique économique européenne.
Guillaume Hannezo :

Il faut d’abord restaurer la confiance. Il faudrait que l’Union Européenne puisse augmenter la TVA dans les Etats qui dérivent.

Les outils de la croissance : Résumé des débats de l’Université d’été

Franco Bassanini, président de la caisse des dépôts et consignations italienne, ancien ministre de la Réforme de l’Etat.

Gil Rémillard, président du Forum économique des Amériques, ancien ministre du Québec.

Pierre Vilpouxvice-président du SYNNOV.

Lionel Zinsouprésident de PAI Partners.

Animateur : Jacques Galvani

 

Université des Gracques 2012

Université des Gracques 2012

Jacques Galvani :

La croissance se décline au niveau macro (grands aggrégats tels que consommation, investissement, dépenses publiques) et microéconomique (innovation, décisions individuelles), et recouvre un caractère exogène (environnement international, chocs technologiques) aussi bien qu’endogène (confiance, …). Il s’agit d’un défi, par nature complexe, inscrit dans l’agenda européen.
Comment établir une politique de croissance consensuelle en Europe ?
Franco Bassanini :

La croissance doit être appréhendée au niveau européen, plutôt qu’au niveau national. Les problèmes de la stabilité financière et de la crise des dettes souveraines ne pourront être résolus dans le moyen et le long terme sans reprendre la voie de la croissance (« a strong, inclusive and sustainable growth » appelée de ses vœux lors de la conclusion du sommet européen).
La crise actuelle a son épicentre en Europe, du fait des déséquilibres macroéconomiques qui demeurent en son sein. Cette situation de crise contraste avec le fait que L’Europe a moins de dettes que la plupart des Etats développés et plus d’épargne.
Malgré les contraintes liées à la crise, poursuivre le chemin de la croissance impose de maintenir des sources de financement de la recherche, des infrastructures, du capital humain. C’est pourquoi Franco Bassanini propose que les règles d’austérité ne s’appliquent pas à certains investissements. Il faudrait favoriser les investissements de long terme (ceux qui présentent des collatéraux, des externalités, qui sont porteurs d’avenir). De même, des règles identiques ne doivent pas s’appliquer aux banques de détail et aux activités de marché.
Comme la crise va durablement limiter les capacités de financement du long terme, particulièrement dans le Sud de l’Europe, Franco Bassanini propose de mieux capter l’excès d’épargne qui provient des pays émergents  (35 000 milliards d’euros, que les systèmes financiers de ces pays ne sont pas encore en mesure d’absorber). Si cela est nécessaire, il faudra penser à la cession de souveraineté nationale aux institutions européennes, afin d’augmenter l’attractivité.

 

Gil Remillard :
Il faut également considérer la situation Nord Américaine, qui n’est guère enviable par rapport à l’Europe et où le besoin d’outils de croissance est également majeur. A l’instar de l’Europe, le Canada aussi vit une crise d’intégration.
Il n’existe pas de conflit entre austérité et croissance, il faut être en mesure de réaliser les deux. Gil Remillard distingue trois facteurs fondamentaux de la croissance: Innovation, Productivité et Compétitivité.

Innovation. L’économie évoluant au même rythme que l’humain, l’innovation est un aspect clé de la croissance. Cette innovation doit également être rendue accessible au plus grand nombre : c’est le défi de la médecine personnalisée par exemple (chacun pourrait obtenir un traitement efficace pour son cancer, mais à condition de pouvoir débourser des dizaines de milliers de dollars par jour !).
L’innovation demande un investissement, qui est particulièrement difficile pour les PME. Il existe aussi des barrières règlementaires au niveau international, dont certaines doivent être levées. A cet égard, Gil Remillard se félicite de l’établissement d’un brevet unique au niveau européen.
Productivité.  Répondre au défi de la recherche du talent nécessite une reconnaissance internationale des qualifications. Gil Remillard a participé à la reconnaissance des qualifications professionnelles entre Québec et France. Développer un pont entre Europe et Amérique, en particulier, permettrait d’utiliser au mieux les complémentarités internationales.
Compétitivité. La compétitivité passe par la montée en gamme des produits. Il s’agit également de prendre en compte l’environnement, pour lequel l’Europe a de l’avance. La compétitivité passe enfin par la monnaie.

 

Pierre Vilpoux :

Pierre Vilpoux a vécu l’Europe comme citoyen, en vivant en France, en Angleterre et en Espagne et comme entrepreneur, en créant des entreprises en France, en Espagne. Pour lui, il existe un fort potentiel de croissance. Synnov, syndicat de l’Innovation, considère ainsi qu’il y a 1 million d’emplois à créer en France à travers l’innovation.
L’enjeu principal est celui de la vitesse d’exécution. Comment accélérer les processus pour une entreprise ? Il convient d’être à l’écoute de l’innovation, de savoir l’utiliser. Beaucoup d’initiatives peuvent être mises en œuvre :
partenariats PME – grands groupes. Auparavant, l’innovation se faisait dans les grands groupes, tandis qu’elle se fait aujourd’hui de plus en plus dans les PME. Faciliter le travail entre grands groupes et PME permettrait de l’accélérer considérablement. Pierre Vilpoux propose un bonus de crédit impôt recherche pour les grands groupes travaillant en partenariat avec des PME.

internationalisation. Alors qu’en France, les PME innovantes ont du mal à être internationales, ce n’est pas le cas en israël et aux Etats-Unis. Il faut mutualiser les représentations économiques européennes ce qui permettra des économies et plus d’efficacité.
simplifier les démarches administratives pour les PME sur l’accès aux financements publics, et résoudre le problème critique de financement des PME innovantes.
s’appuyer sur les écosystèmes locaux et des investissements structurants. Des investissements d’infrastructures doivent être réalisés, qui ne sont pas nécessairement matérielles, et autour desquels va se développer un écosystème d’entreprises innovantes.  Par exemple, la filière « smart grids » permettra de décentraliser les différentes sources de production d’énerie européennes, d’optimiser les besoins en production et de favoriser le développement d’innovations dans un secteur énergétique en pleine mutation.
Concernant les 75% de taxation sur les très hauts revenus, Pierre Vilpoux remarque que cela ne concerne pas réellement les entrepreneurs, car seule une minorité gagne beaucoup. Toutefois, il regrette le message symbolique adressé aux entrepreneurs français, que David Cameron a exploité avec malice, rappelant du même coup que la Grande Bretagne a bien une stratégique de communication vis-à-vis des entrepreneurs, y compris étrangers.
Jacques Galvani :

Comment créer un environnement propice à la croissance ?
Franco Bassanini :

La stabilité règlementaire est essentielle. Il convient également de diminuer les coûts de la bureaucratie par la simplification, sauf pour ce qui est nécessaire. Le financement public doit être réduit, au profit des incitations fiscales. L’instrument de garanties publiques (project bonds) peut également être utilisé.
Lionel Zinsou :

Lionel Zinsou s’associe à Franco Bassanini pour un plaidoyer en faveur de l’épargne longue. Il rappelle qu’il y a dix ans, la France était dans le peloton de tête de la croissance en Europe, avec un excédent commercial. Le Gisement de l’épargne est important en Europe et devrait être mobilisé pour l’investissement.

secteur public. L’agent Etat (en général) crée de l’épargne dès qu’il réalise des économie de frais de fonctionnement. L‘investissement est réalisé principalement par les collectivités territoriales (70% de l’investissement), donc au niveau décentralisé. Dans le même temps,  Le FSI va être régionalisé, ce qui accroît cette dimension locale de l’investissement.
ménages. L’avantage à l’épargne longue sert beaucoup au logement et peu à l’industrie. Quand les ménages épargnent 17%, ils en consacrent plus de la moitié dans l’immobilier. Il existe par conséquent un sur-financement du logement (à l’origine des bulles immobilières) et un sous-financement de l’industrie.
entreprises. Il faudra régler le problème des profits non distribués.
Le partage de la valeur ajoutée pose problème : ce n’est pas le partage entre salaires et marges qui doit être repensé, mais plutôt les inégalités au sein de ces catégories :

profits. Il faudra réfléchir à augmenter les profits des petites et des moyennes entreprises, qui ont vu leur profits se dégrader depuis 10 ans. Il faudra également augmenter la part consacrée à l’investissement.

salaires. Ce n’est pas tant la part des salaires dans la Valeur Ajoutée qui pose problème que les inégalités entre les salaires.
Lionel Zinsou conclut en remarquant que le budget de l’Union Européenne ne représente que 1% du PIB Européen.

Protéger le contrat social face aux chocs économiques : Résumé des débats de l’Université d’été

Rushanara Ali, député du Labour.

Gabriel Cohn-Bendit,président fondateur des Amis d’Europe écologie.

John Evans, secrétaire général de la Commission syndicale consultative auprès de l’OCDE.

Jean-Claude Mailly,secrétaire général de la CGT-FO.

Animateur : Marie-Laure Sauty de Chalon

Rushanara Ali

Rushanara Ali

Rushanara Ali :

Je suis élue depuis 2010 dans une circonscription (Bethnal Green) située entre la City et Canary Wharf, à proximité du village olympique. Cette circonscription est l’une des plus diverses du Royaume-Uni, mais également l’une des plus inégalitaires : la moitié des enfants vivent sous le seuil de pauvreté ; le taux de chômage est également très élevé chez les jeunes actifs. En outre, plus de 2000 familles sont menacées de se retrouver sans logement. L’aspect positif est que cette diversité est également une chance : la circonscription est entourée de richesse et d’activité économique. Cette description n’est pas juste celle de cette circonscription mais celle de tout le Royaume-Uni. Actuellement, le pays compte 3 millions de chômeurs et subit une seconde récession, après celle de 2009.

Dans ce contexte, pour le centre-gauche, la question est de savoir comment permettre la mobilité sociale, même en période de crise. Il est pour cela nécessaire de créer un Etat-providence moderne, pensé pour le XXIème siècle, qui ne conduirait pas ses bénéficiaires à être piégés dans l’assistanat. C’est pourquoi nous devons protéger les deux services publics les plus importants : la santé et l’éducation. Nous devons empêcher le gouvernement de droite d’annihiler ces institutions. Nous devons nous assurer que les réformes en cours ne vont pas nuire à ces institutions. Une autre question cruciale est de savoir comment créer une société innovante et entrepreneuriale, une nouvelle économie, dans laquelle de nouvelles formes d’innovation émergent des récessions.

Voici quelques faits. Depuis que le gouvernement conservateur est au pouvoir, l’austérité a eu des conséquences dramatiques pour les collectivités locales, avec des réductions des budgets de 20 à 25% : des coupes claires ont été réalisées dans les infrastructures, l’école, la police, la petite enfance… L’une des mesures aux conséquences les plus dramatiques a consisté à annuler un programme d’un milliard de livres, qui permettait aux jeunes d’intégrer la vie professionnelle, avec des résultats très intéressants. Des bourses universitaires ont également été annulées. Certes, la gauche reconnait que certaines mesures d’austérité sont nécessaires, mais pas les mesures d’austérité actuelles, qui n’ont même pas réduit le déficit.

Nous sommes donc face à une immense responsabilité : définir ce que doit être le centre gauche, et l’adapter au changement et à l’austérité. Pour cela nous devons prendre en compte la réalité de l’austérité, mais de façon équitable, et également agir en faveur de la croissance et l’emploi. Nous devons donc utiliser l’argent public de façon plus efficace, tout en punissant ceux qui abusent du système, faute de quoi la droite punira tout le monde au prétexte de punir certains. Nous devons aboutir à un consensus sur le rôle de la société civile (le « troisième secteur ») : celle-ci ne doit pas venir seulement en complément de l’Etat.

 

Jean-Claude Mailly :

On ne souligne jamais assez le rôle des syndicats aux niveaux européen et international. En effet beaucoup de problèmes ne peuvent être réglés qu’au niveau européen. Cela posé, explicitons les caractéristiques du contrat social en France. Trois grands facteurs émergent :

–        La structuration des relations sociales, notamment les modalités de négociation (principe de faveur ou hiérarchie des normes). Ainsi, 90% des salariés français sont couverts par des conventions collectives. C’est un élément structurant de l’histoire sociale française.

–        La place des services publics. Notre pays n’a jamais eu un vrai débat sur le rôle et les moyens du service public. C’est ainsi que certaines missions du service public ont disparu, sans qu’il y ait eu un débat démocratique.

–        L’organisation du travail. Ces dernières années les syndicats ont beaucoup travaillé sur les conditions de travail, mais peu sur l’organisation du travail. Celle-ci a évolué concomitamment à celle des entreprises, qui se caractérise par un rôle accru des actionnaires. La relation au travail s’est individualisée, y compris entre salariés. Il est donc important de travailler sur des objets concrets comme les entretiens d’évaluation, les objectifs assignés aux salariés. Cette pression accrue sur les travailleurs n’a pas de lien avec les 35h, sauf peut-être à l’hôpital ; les 35h ne sont donc pas une cause majeure de la situation actuelle. L’essentiel réside dans le changement des formes d’organisation vers davantage d’individualisation. Dans ces nouvelles formes d’organisation, les salariés sont divisés en plusieurs classes : CDI, CDD, intérim, stagiaires. En particulier les femmes sont les moins protégées. C’est donc à la fois l’emploi et le travailleur que les syndicats se doivent de protéger.

John Evans :

Nous avons besoin d’une forme de démocratie sociale plus positive que le seul libéralisme. La société actuelle se caractérise par un manque de confiance dans la classe politique ; toutefois il y a beaucoup d’attentes envers le nouveau gouvernement de François Hollande.

Durant la crise, on a imaginé la fin du modèle allemand. Mais les négociations entre patronat et syndicats ont permis de conserver l’emploi, à l’inverse de ce qui s’est fait aux Etats-Unis. La France et l’Allemagne doivent avoir des trajectoires de croissance et de productivité convergentes.

L’une des caractéristiques majeures de la crise est l’augmentation des inégalités. Celles-ci ont contribué à la bulle du crédit aux Etats-Unis. On constate d’ailleurs que ce sont les pays avec le moins d’inégalités qui ont à long terme la croissance la plus forte. En outre, les pays les plus inégalitaires sont ceux avec le moins de mobilité sociale.

Pour terminer sur un mot d’espoir, il doit y avoir un espace pour un nouveau contrat social au niveau européen. Il s’agirait d’un accord sur des pistes concrètes à creuser dans les moins qui viennent, par exemple la qualité de l’apprentissage et des stages, l’investissement dans les entreprises, la réduction des inégalités.

Jean-Gabriel Cohn-Bendit :

Je ne viens pas ici en tant qu’écologiste car l’écologie n’a que peu à dire sur le contrat social. Je souhaiterais toutefois parler de la création d’emplois par l’écologie. Des secteurs entiers de l’économie verte peuvent être créateurs d’emplois. Mais d’autres peuvent aussi être destructeurs d’emploi. L’emploi n’est pas un but ultime, il n’est pas prioritaire sur les enjeux écologiques. Ainsi l’automobile ne ressemblera plus jamais à ce qu’elle a été durant les Trente Glorieuses. Les créations d’emploi seront locales, dans l’éolien, le solaire, le bâtiment… Mais les emplois écologiques ne pourront pas remplacer tous les emplois actuels.

Concernant l’énergie nucléaire, on peut tout à fait être écologique et considérer que le nucléaire est nécessaire pour lutter contre le réchauffement climatique. Toutefois, la part en France de l’électricité d’origine nucléaire est excessive : avec 58 réacteurs en France pour 65 millions d’habitants, cela correspondrait à 1300 réacteurs en Chine, ce que personne n’envisage !

Jean-Claude Mailly :

Le nucléaire doit rester dans le domaine public d’une part car il s’agit d’une énergie particulière, d’autre part car les salariés des sous-traitants doivent avoir les mêmes garanties que ceux des donneurs d’ordres. De plus, assurer la sécurité des salariés et sous-traitants, c’est également assurer la sécurité des populations.

Concernant les créations et destructions d’emploi, en France doit exister une vraie stratégie prévisionnelle : les chefs d’entreprises ne peuvent plus refuser, comme le font certains, de dévoiler la stratégie de leur entreprise et sa trajectoire en matière d’emploi.

John Evans :

A Rio, quatre cent syndicalistes essayaient d’encourager le changement. Globalement, comme il ne peut être question d’accepter des emplois de mauvaise qualité ou polluants, il n’y a pas de contradiction entre écologie et social. Ainsi, suite à la crise, les emplois devront être de meilleure qualité. Un rappel : lors du somment de Pittsburgh, le slogan était «  jobs, green jobs, good jobs ».

Rushanara Ali :

D’où viennent les emplois, les investissements ? Les banques prêtent-elles aux petits entrepreneurs et aux innovateurs ? Dans ma circonscription, je constate au quotidien que si l’on peut donner du travail aux diplômés, on sort des familles entières de la pauvreté.

Jean-Gabriel Cohn-Bendit :

C’est pourquoi l’éducation est fondamentale. Une refondation du système éducatif est nécessaire. Les professeurs en ZEP n’ont pas besoin de primes, mais ont besoin qu’on les laisse enseigner et innover.

Après 1968, l’échelle des salaires devait être de 1 à 7 selon les syndicats, de 1 à 12 selon le patronat. On en est actuellement à 1 pour 200 ! Ce type d’écart n’est pas viable, on se dirige vers une crise de confiance où triompheront les populismes d’extrême-droite ou d’extrême-gauche.

Jean-Claude Mailly :

La confiance ne se décrète pas, elle se constate a posteriori, c’est l’expérience qui permet de la constater. Ainsi, lorsqu’un accord est signé, il est primordial de s’assurer qu’il est respecté par les deux parties. Par exemple, la rupture conventionnelle est dévoyée dans de nombreuses entreprises. Enfin, il ne faut pas avoir peur du débat. Par exemple, tous les transferts de souverainetés européens n’ont pas été l’occasion de débats.

 

Réhabiliter le politique en réussissant le changement : Résumé des débats de l’Université d’été

Rushanara Ali, député du Labour.

Bozidar Djelic, ancien vice-premier ministre de Serbie.

Enrico Letta, député au parlement italien, ancien député européen, ancien ministre de l’industrie et du commerce extérieur.

Michel Sapin, ministre du Travail, de l’Emploi, de la Formation professionnelle et du dialogue social.

Animateur : Bernard Spitz

Enrico Letta :

La situation politique italienne, avec son gouvernement technique, est très étrange. Ce que fait Mario Monti est remarquable. Toutefois, il s’agit désormais de chercher une coalition politique pour les nouvelles élections. Actuellement le gouvernement dispose de 85% de soutien au Parlement, mais les partis qui soutiennent le gouvernement n’ont que 51% de soutien dans l’opinion.

Le premier grand paradoxe est celui « du donné et de l’enlevé ». Jusqu’à présent la politique se disputait sur « à qui donner quelque chose » : aux classes moyennes, aux riches, aux pauvres… Aujourd’hui la question porte sur « à qui enlever des choses ». Cela rend la politique beaucoup plus exigeante. Le Conseil européen a compris que si cela dure les populismes vont gagner du terrain. La France a une chance, du point de vue des institutions : les populismes sont peu représentés. Inversement, en Italie, le même tiers de vote populistes qu’en France risque de rendre le système ingouvernable. Voici trois constats majeurs.

–        Tout d’abord, internet a changé le mot « autorité » (autorevolezza, qui signifie également crédibilité) dans la politique et dans nos vies. Auparavant l’autorité était liée au monopole de l’information. Désormais c’est l’exemple qui donne la crédibilité, l’exemple de la vie personnelle. Les partis démocratiques, du progrès, doivent faire en sorte que le politique gagne en crédibilité, en plus de la seule autorité.

–        Les citoyens sont dans une situation de fatigue vis-à-vis de la politique, notamment sur les thèmes de l’emploi, de l’avenir des jeunes…  Il est donc important que le politique soit aux côtés des citoyens les plus faibles, qu’il leur dise, même s’il ne peut tout résoudre : « you’ll never walk alone ».

–        Le saut vers une Europe fédérale est nécessaire. Autrement, la financiarisation de l’économie aura gagné. En effet la finance vit dans le temps court, l’industrie et la politique dans le temps long. Le saut vers une Europe politique nous aidera donc à gérer ce qui ne pourra l’être autrement : la finance. Les Etats-Unis ont maîtrisé la crise car ils ont des institutions fédérales. En Europe, le vote à l’unanimité rend cette réactivité impossible : il a fallu 26 sommets européens avant d’aboutir au mécanisme européen de stabilité. Les institutions européennes ne peuvent plus continuer à être à ce point éclatées, entre M Barroso à la Commission, M Van Rompuy au Conseil Européen, la présidence tournante, et Catherine Ashton en tant que Haut Représentant. Il est indispensable d’établir un interlocuteur unique.

 

Voici maintenant l’intégralité du discours de Bozidar Djelic.

Bozidar Djelic, ancien vice-premier ministre de Serbie.

 

Chers amis,

 

Merci beaucoup pour votre gentille invitation. J’attends depuis dix ans, depuis mon entrée en politique le moment où la gauche sera en même temps au pouvoir dans mes deux pays d’attache, la France et la Serbie… J’ai bien peur que ce soit encore raté…

 

En effet,  malgré un résultat très solide aux législatives du 9 mai de notre Parti Démocrate, la très courte et très inattendue défaite du Président Tadic au second tour de la présidentielle du 20 mai a changé la dynamique politique du pays.

 

Notre allié du gouvernement précédent, le Parti Socialiste de Serbie, appâté par le poste de premier ministre offert par notre concurrent nationaliste, le Parti Progressiste, à son dirigeant Ivica Dacic, a préféré retourner dans le giron où l’avait placé son fondateur Slobodan Milosevic. On ne se refait pas, dirait-on…

 

Du coup, le parti social-démocrate européen qui a connu la plus forte progression ces dix dernières années, en passant de 10 à 30% des voix, notre Parti démocrate serbe, va malheureusement devenir un  parti d’opposition.

Il ne me reste plus qu’à vous demander de rester au pouvoir suffisamment longtemps en France pour que l’on puisse enfin œuvrer ensemble…

 

Le renversement d’alliance qui vient d’avoir lieu, joint aux effets de la crise qui a mené à un taux de chômage insupportable de 25%, ne va pas aider à faire réhabiliter la politique en Serbie. C’est notre sujet d’aujourd’hui.

 

On le sait bien, la politique a mauvaise presse en Europe. Cela a certes toujours été le cas, mais c’est aujourd’hui plus vrai que jamais. Les enquêtes en sont un des témoins.

 

Ainsi, l’Eurobaromètre de l’UE montre depuis 2007 que les habitants de notre continent font preuve d’un pessimisme croissant sur leur perspective de vie et la capacité des politiques d’améliorer cet état de fait.

 

On parle de cinq longues années pendant lesquelles en moyenne les trois quarts des citoyens européens ne voient pas le bout du tunnel et ne croient pas que les élites politiques pourront les sortir du pétrin.

 

Cela étant, en raison du décrochage de la périphérie méditerranéenne par rapport au cœur économique germano-scandinave ces moyennes sont plus trompeuses que jamais. Ainsi, selon le dernier Eurobaromètre, 99% des Grecs, 96% des Espagnols, 91% des Italiens et 86% des Français pensent que cela va mal, alors que 85% des Suédois, 78% des Allemands et 65% des Finlandais et des Autrichiens pensent que les choses vont bien….

 

Si, sans surprise, la politique va mal là où les choses vont mal, on peut en revanche être très surpris de voir que cela ne va guère mieux pour la politique là où les citoyens pensent que les choses ne vont pas si mal. Le renforcement des extrêmes en Grèce peut attrister mais ne peut surprendre. En revanche, l’émergence d’une droite chauvine aux Pays Pas, qui vient de faire tomber le gouvernement, tout comme en Suède, Finlande ou en Autriche, montre que le succès économique n’est pas la seule déterminante du soutien à une politique rassembleuse et tolérante.

 

Par ailleurs, le dernier rapport de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement sur la Transition montre une très forte érosion du soutien à la démocratie et aux valeurs européennes à l’Est du continent, en particulier dans les pays qui ont récemment rejoint l’Union européenne.

Cela non plus n’était pas prévu au programme. L’intégration européenne devait être le grand transformateur politique, le pacificateur dont avaient besoin les sociétés post communistes et post conflits comme en ex-Yougoslavie.

 

Du coup, l’idée rassurante selon laquelle le retour de la croissance et le renforcement dans la douleur de l’Europe vont mécaniquement réhabiliter la politique ne tient pas la route. 

 

Est-ce grave ?

 

Certains disent qu’à l’époque des réseaux sociaux et de l’organisation citoyenne la politique traditionnelle, celle de l’homme d’un certain âge, encravaté délivrant un discours technique par le biais des médias électroniques a fait son chemin.

 

On voit bien que les politiques cherchent de nouveaux formats,  en allant dans les talk shows, en se précipitant sur Twitter, parfois avec des effets surprenants en France d’ailleurs pendant les élections législatives… Mais ils seront les premiers à reconnaître que cela ne change pas les choses sur le fond.

 

La politique est le lien entre les citoyens. L’émiettement des couches sociales, le communautarisme, l’absence de buts communs au niveau national et européen, la tendance qui consiste à accuser l’autre de ses propres maux, qu’il soit Rom ou utilisateur de fonds européens, voilà autant d’évolutions qui ont démontré à quel point elles pouvaient être dangereuses.

 

Donc, oui, la panne de la politique, c’est grave.

 

Oui, il faut réhabiliter la politique au sens propre du terme. Pour la réhabiliter il faut d’abord se demander ce qui pourrait l’habiliter à conduire le changement.

 

Etre habilité, c’est être compétent, être apte, avoir la capacité d’intervenir, de diriger.

 

Le problème avec la politique, c’est que ses méthodes ne sont plus acceptées, que ses capacités sont mises en doute. On voit bien pourquoi, des rayons entiers de livres ont analysé les effets de la mondialisation, l’égoïsme sans précédent de la génération des baby boomers qui refusent de laisser un peu plus d’espace budgétaire à leurs propres enfants, ou encore l’affaiblissement du lien social qui rend toute action collective difficile.

 

Or, cet état de fait est particulièrement dérangeant pour la gauche, les progressistes, car notre fondement même est la croyance en la possibilité de changer le monde, de travailler ensemble pour aider les plus démunis, pour que cela aille mieux pur tout le monde.

 

Que faire pour habiliter et donc réhabiliter la politique, là est évidemment la question centrale.

 

Permettez-moi d’offrir trois pistes pour l’avenir.

 

Tout d’abord, il faut refonder l’action politique en en définissant les nouvelles limites, en particulier dans le social. Ainsi les citoyens sauront à quoi s’en tenir. Les déceptions mutuelles politiques-citoyens seront ainsi mieux évitées. Le rapport Beveridge a redéfini en son temps le champ du politique et le triangle du dialogue social. Il n’est plus opérant, avec la fiscalisation des régimes sociaux et l’effet corrosif et inévitable de la mondialisation, où les syndicats protègent encore mieux ceux qui sont déjà parmi les plus protégés et ne peuvent en fait rien pour ceux dont le poste est concerné par le partage international et non géré du travail.

 

La bonne nouvelle est que cette redéfinition n’est pas seulement dans le sens du moins, moins de protection, moins de droits. Le nouveau rapport Beveridge n’est pas seulement la version tronquée du précédent.

 

Le progrès technologique et la mondialisation font qu’une série de services étatiques sont à présent à la portée du grand nombre. Diagnostic à distance de spécialistes, éducation efficace pour les postes recherchés, l’Etat peut ici faire plus qu’avant. Autant dire clairement où la politique à présent peut faire moins mais aussi plus et définir la nouvelle charte des droits et des obligations, en lien avec le monde réel et tel qu’on le désire.

 

D’autre part, la nécessité d’inclure dans la force de travail les nouvelles générations, celles où une moitié n’a jamais travaillé et où une bonne partie de l’autre moitié a le sentiment de galérer, nous force à hiérarchiser plus honnêtement les objectifs vis-à-vis des jeunes générations.

 

Doit-on vraiment maintenir les objectifs quantitatifs volontaristes record pour l’éducation supérieure classique dans la décennie à venir ? On ne reparlera pas de l’exemple usé jusqu’à la corde de la formation courte puis continue allemande, mais on voit bien qu’entre les besoins cent fois avérés du marché et la préférence sociale il y a encore un fossé.

On ne peut plus faire semblant qu’il n’y a pas de Chine et d’Inde où se trouvent les concurrents directs pour les postes des jeunes des banlieues ou des classes moyennes inquiètes. Tout le monde ne pourra pas sortir par le haut, par une avance technologique, c’est déjà trop tard. Autant prendre le taureau par les cornes et définir sur quels métiers et comment gagner les postes que nous concurrencent les grands acteurs émergents.

 

Enfin, en jouant de sa puissance économique pour devenir un acteur politique, l’Europe pourrait aider la politique nationale à se réhabiliter tout en se sauvant elle-même.

 

Les élites disent que l’Europe est l’espace pertinent pour adoucir les effets de la globalisation. Les citoyens s’en méfient. Les deux ont raison. Peut-être est-ce parce que l’Europe n’a plus gagné de bataille depuis l’Airbus.

 

Les débats durs d’aujourd’hui, du dernier sommet, où le Royaume Uni tout comme les autres ennemis de l’Union politique sortent du jeu, ouvrent peut être une fenêtre d’opportunité. Pour une Europe plus forte car ancrée dans la nécessité. Pour une Europe plus appréciée car autorisée à ne plus être l’éternelle naïve que les Etats Unis et la Chine prennent pour argent comptant, toujours ouverte et jamais suffisamment unie pour faire valoir son droit.

 

Voilà trois débats où les progressistes ont un avantage concurrentiel certain. Autant l’utiliser.

 

Merci beaucoup pour votre attention.

 

Michel Sapin :

La situation en France est plus simple que dans d’autres pays : Président, Parlement et régions sont de la même couleur politique. La question est donc : comment retrouver l’efficacité du politique ? Les constats sont les suivants :

–        Nous vivons dans un monde global.

–        Il se caractérise par la financiarisation, c’est-à-dire le court-termisme de l’information.

–        La multiplication des acteurs. Le syndicalisme (patronal ou salarial) en est l’illustration.

Est-ce pour autant la fin du politique ? C’est l’inverse. C’est parce que le monde devient global, de court terme et avec de nombreux acteurs que le politique est nécessaire. Je souhaite vous faire part de trois constats.

–        La maîtrise du temps. Le manque de maîtrise du temps est le reproche que l’on peut faire à l’Europe, qui agit toujours « trop peu, trop tard ». Avec le dernier sommet  européen, peut-être a-t-on enfin retrouvé un temps d’avance.

–        La question productive. L’ambition d’Alain Madelin, ministre de l’Industrie, était qu’il n’y ait plus de ministère de l’industrie. Cela a changé, il est désormais temps de revenir à une politique industrielle. Les questions stratégiques, de mise en commun, au-delà d’une entreprise ou d’un pays, de l’innovation et de la recherche, rendent leur légitimité à l’Etat stratège.

–        La capacité à trouver un consensus pour répondre aux difficultés majeures du moment. Depuis la fin des Trente Glorieuses le dialogue social a échoué à trouver une solution, on a donc demandé à l’Etat de s’y substituer. L’Etat doit donc surmonter la multiplicité des acteurs pour créer des synergies. Le politique retrouve donc la capacité de proposer des démarches pour mettre en route ces synergies. Ainsi, la grande conférence sociale n’a pas pour objectif d’aboutir à des décisions concrètes, mais de définir un agenda et des procédures : la concertation, l’autonomie totale des partenaires sociaux.

Rushanara Ali :

Chaque parti a sa part de responsabilité dans la perte de crédibilité du politique. Au Royaume-Uni, après le scandale des banques et des écoutes téléphoniques, les institutions ont perdu de leur crédit. Pour restaurer ce crédit, il est important de donner aux jeunes l’exercice des responsabilités, pour éviter que la génération perdue au sens économique ne devienne aussi une génération perdue au sens politique. Les jeunes doivent pouvoir être impliqués dans la politique, dans les partis. En particulier il faut éviter que les énergies ne se perdent à l’issue des élections. La question principale concernant les jeunes est de rendre la politique intéressante et excitante pour eux.

Enrico Letta :

Mario Monti a un rôle politique, au-delà de l’actuel gouvernement technique. Mario Monti avait commencé à chuter dans les sondages ; aujourd’hui il triomphe car les citoyens voient un homme politique qui ne cherche pas quelque chose pour lui, mais au contraire qui inclut un maximum de partenaires. Le couple moteur est désormais Hollande-Monti, car Hollande dispose d’une légitimité que Merkel n’a plus. Concernant le cumul des mandats, la règle actuelle est de trois mandats mais un débat est en cours. Il est important que les citoyens aient des représentants qui ne soient pas uniquement des professionnels de la politique.

Bozidar Djelic :

En Serbie, la loi obligera à ce qu’il y a ait un tiers de femmes au Parlement.

Je me félicite que les financements de l’innovation augmentent. Mais cela ne suffira pas : la Chine produit 25 millions de diplômés par an, dont beaucoup dans les sciences et les techniques. En contrepartie, on espère que la Chine s’embourgeoisera assez rapidement pour ne pas détruire nos systèmes sociaux. C’est déjà en partie le cas. La Serbie, qui a les salaires les plus faibles d’Europe, est, dans certains secteurs, de nouveau compétitive par rapport à la Chine, on observe donc des phénomènes de relocalisation. Il y a là une opportunité de réindustrialisation européenne.

Auparavant la France et l’Allemagne avaient le même surplus commercial dans l’industrie automobile, ensuite leurs situations ont divergé. Que s’est-il passé ? L’Allemagne a joué la carte de l’Europe, beaucoup plus que la France, en délocalisant une partie de son industrie en Europe de l’Est. La France n’avait jusqu’ici quasiment rien délocalisé, elle doit donc, avec la crise, délocaliser massivement.

L’Europe dispose d’un atout, les pays du pourtour méditerranéen. En donnant à ces pays, elle reçoit également, à l’instar de ce qu’a fait l’Allemagne avec l’Europe de l’Est. C’est par cette voie que l’on retrouvera des emplois de qualité en Europe.

Michel Sapin :

Concernant le dialogue social, un fossé se creuse entre ceux qui ont un emploi, bien formalisé et protégé, et ceux qui vivent dans un monde peu formalisé et peu reconnu mais qui devient majoritaire dans la société : CDD, intérim… L’enjeu est que ce monde revienne dans le champ de la négociation sociale.

Au niveau européen, promouvoir l’idée qu’il ne peut y avoir une économie performante sans une société qui fonctionne bien est décisif. Cela ne peut pas de faire dans un seul pays. Par exemple, la notion de salaire minimum doit s’appliquer dans tous les pays européens. Et inversement, ce salaire minimum pourra être assoupli en France, car certains salaires conventionnels peuvent être plus avantageux que le salaire minimum.

Autorevolle’ signifie en italien avoir confiance, donner confiance. C’est donc faire en sorte que le politique, malgré ses difficultés, soit respecté, et que les citoyens aient des attentes envers lui, sur le fond et non sur la forme. Plus on a d’ambition politique, plus on doit avoir de modestie dans l’exercice des responsabilités. Mario Monti en est l’exemple.

Le temps et la durée. Nous avons un avantage en France, qui donne une grande autorité : le fait d’avoir une majorité stable pendant cinq ans. Mais cette force ne doit pas se transformer en usure du temps. Dans l’opposition, on emmagasine du savoir et, au pouvoir, on le régurgite. Puis on s’épuise de nouveau. On ne peut surmonter ce cycle sans s’inscrire dans une durée de dix ans, car c’est à cette échelle de temps que se traduit une politique industrielle, d’éducation… Il faut donc que ceux qui n’exercent pas le pouvoir apportent ce renouvellement continu, afin que la pensée politique soit toujours en avance sur le temps d’aujourd’hui.

Olivier Ferrand

Avec la disparition d’Olivier Ferrand, nous venons de perdre un ami. Un ami avec lequel nous partagions depuis des années l’engagement, les idées, la volonté de rénovation. Nous perdons un Européen convaincu, un serviteur de l’intérêt général et un jeune élu de la Nation.

L’Université d’été des Gracques a observé une minute de silence à sa mémoire.

A sa femme, à sa fille, à ses parents, à tous ses amis, les Gracques adressent leurs plus sincères condoléances.

Les Gracques