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Réforme de l’Etat

La suppression du contrôle financier a priori

En ce début de mandat présidentiel et de législature, l’heure est au lancement de réformes qui veulent imprimer un nouveau cours. Si la lutte contre l’insécurité, l’encouragement au travail et la rénovation des universités se taillent la part du lion dans les premiers chantiers législatifs, la réforme de l’Etat et de manière générale la modernisation de l’action publique tiennent pour l’instant une place modeste dans le paysage de la réforme.

Le non remplacement d’un agent sur deux partants à la retraite, qui peut se justifier dans certains secteurs, où les besoins diminuent ou peuvent être absorbés par des gains de productivité, mais il ne saurait tenir lieu d’alpha et d’omega d’une réforme de l’Etat qui se voudrait prometteuse pour le public et motivante pour les agents.

La revue générale des politiques publiques annoncée par le Premier Ministre dans sa communication du 20 mai engage de son côté une démarche nécessaire et salubre, mais il s’agit d’un chantier de moyen terme qui ne pourra pas se traduire par des améliorations tangibles dans un proche avenir.

Il serait dommage que la rénovation de l’action publique reste ainsi quasiment à l’écart de la période traditionnelle d’état de grâce dont tout nouveau pouvoir doit savoir tirer le meilleur parti pour donner vite les impulsions qui s’imposent. Car en la matière, l’attente de nos concitoyens est forte, contrairement à ce que pourrait suggérer une lecture trop rapide des études récentes, où les cotes de popularités élevées de beaucoup de services publics traduisent davantage l’attachement de nos concitoyens à leur égard qu’une complète satisfaction sur la manière dont ils fonctionnent au quotidien. L’attente est également réelle au sein même des administrations publiques, parmi tous ceux des cadres et des agents qui sont profondément attachés au service public mais qui sentent aussi que l’immobilisme serait son pire ennemi.

Il faut donc incarner rapidement une volonté de changement par des mesures susceptibles de libérer les énergies et les initiatives dans l’intérêt du service public. Parmi les mesures  qui pourraient très vite illustrer un tel élan, la suppression du contrôle financier à priori aurait plusieurs vertus :

–    elle est simple à mettre en œuvre : il s’agirait d’abroger un décret en conseil des ministres du 26 mai 1955, récemment modifié d’ailleurs par un décret du 10 mai 2005, dans un sens plutôt bien venu qui tarde hélas à se concrétiser. Certes, c’est un décret signé du Président Edgar Faure qu’il s’agirait d’anéantir, mais la modernisation de la gestion publique ne vaut –elle pas ce sacrilège ?

–    elle est aisément compréhensible par tous, de même qu’une famille doit gérer de façon responsable ses dépenses en fonction de ses ressources, il est de la responsabilité des gestionnaires des organismes publics d’utiliser au mieux des enveloppes globales qui leurs sont allouées pour remplir leurs missions, quitte à être sanctionnés à postériori si l’examen de leur gestion fait ressortir des erreurs caractérisées ou à fortiori des écarts encore plus graves.

–    Elle est source d’économies : s’il arrive que le contrôle à priori soit exercé de façon éclairé et très sélective, la confrontation  des expériences au sein de la sphère publique confirme qu’il est encore trop souvent source de coûts de transaction prohibitifs engendrés par les démarches parfois itératives de justification et de négociation pour obtenir des visas. Le tout constitue aujourd’hui un gaspillage administratif difficile à justifier dans un contexte où l’on demande aux managers publics de faire plus et mieux avec autant voire moins de moyens.

–    Elle est conforme à l’esprit de la LOLF : c’est bien en effet l’esprit de la LOLF que de tabler sur la responsabilité de gestion et l’initiative, pour améliorer à la fois l’efficacité et l’efficience de l’utilisation des ressources publiques ; de ce point de vue, le maintien du contrôle à priori fait aujourd’hui figure d’archaïsme.

–    Elle va dans le sens de l’harmonisation européenne : notre pays fait en effet figure d’exception en maintenant un contrôle externe à priori, alors que la plupart de nos partenaires européens soit non jamais connu ce type de contrôle, soit ont pris résolument le cap de la mise en situation de responsabilité de managers publics, dans le cadre de démarches de réforme de l’Etat souvent bien plus avancées que la nôtre et poursuivies au delà des alternances politiques.

Mais, objectera-t-on, abolir une telle forme de contrôle ne revient-il pas à faire un saut dans l’inconnu et à faire prendre des risques financiers aux collectivités publiques en favorisant des dérives au moment même où la plus grande rigueur de gestion s’impose ?

Dans son principe même, cette objection traduit bien la force d’une tradition administrative qui a bâti tout un arsenal de contrôle à priori et à posteriori sur la base d’un postulat de défiance vis-à-vis de l’agent public, soupçonnable à priori de faiblesse ou d’impéritie. Ajoutons tout de suite qu’elle idéalise aussi le système de contrôle traditionnel et notamment sa composante à priori : elle a sûrement empêché bien des petits gaspillages, mais elle a aussi entravé des initiatives de gestion qui auraient pu être fécondes, et elle n’a pas pu prévenir les plus gros sinistres financiers engendrées par des erreurs de gestion, que ce soit dans des entreprises publiques ou dans l’orbite strictement administrative.

En outre et surtout, il est possible d’assortir la suppression du contrôle à priori de garde-fous en exigeant que les gestionnaires des organismes concernés soient dotés pour leur propre pilotage interne et puissent produire périodiquement auprès des autorités de tutelle des tableaux de bord permettant de visualiser non seulement l’évolution de l’activité et les résultats mais aussi de repérer les facteurs de risques. Le contrôle à priori pourrait ainsi être supprimé dans son principe mais rétabli à titre exceptionnel dans des situations de fragilité caractérisée de la gestion interne.

Enfin, la levée du contrôle financier à priori n’aboutirait fort heureusement pas à mettre au chômage l’ensemble du corps du contrôle économique et financier. Outre que bon nombre de ses membres exercent d’ores et déjà aujourd’hui dans des logiques qui ont dépassé la culture traditionnelle du visa, les contrôleurs pourraient être utilement reconvertis, soit vers des fonctions de contrôle de gestion interne, intégrées au management des organismes, qui se rencontrent fréquemment dans des structures étrangères, soit pour renforcer le potentiel d’audit des politiques publiques.

En définitive, le choix rapide d’une telle mesure ne serait pas seulement un signal de confiance dans l’esprit de responsabilité et la capacité de gestion des managers publics. Elle serait aussi et d’abord un choix de raison, pour ne pas dire de bon sens.