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Lampedusa : non aux boat-people, oui aux plane-people

À situation d’urgence, solution d’urgence. Pour stopper les naufrages et noyades en Méditerranée, mettons les futurs réfugiés (« would-be refugees » comme dit la presse britannique) dans des avions vers l’Europe.

Depuis un an, environ la moitié des migrants de Méditerranée sont des demandeurs d’asile. L’autre moitié est est formée de migrants économiques. Pour eux, c’est une autre histoire qui n’est pas l’objet de cette tribune.

En 2015, deux migrants sur trois sont des demandeurs d’asile venant de cinq pays : Syrie, Afghanistan, Erythrée, Somalie, Nigeria, selon le UNHCR (Haut-Commissariat de l’Onu pour les Réfugiés).

Sur les barcasses de la mort donc, un migrant sur deux a le droit de venir en Europe. Mieux, l’Europe a le devoir de les protéger. La Convention de Genève de 1951 protège toute personne « craignant, avec raison, d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ». L’Europe protège (cela s’appelle la protection subsidiaire, temporaire) aussi ceux qui prennent des risques graves s’ils décident de rentrer au pays. ..
Problème : tant qu’ils n’ont pas obtenu un statut de réfugié ou de protégé ou au moins un « visa d’asile », ils ne peuvent pas se présenter aux comptoirs des aéroports. Pourtant, le voyage serait moins cher et infiniment moins risqué comme le montre la vidéo du démographe, très pédagoque, Hans Rosling.

La solution de bon sens est accorder le statut de réfugié ou de protégé sur place. Pour cela, il faut répondre à deux questions : qui accorde le statut? Et où, sur place?
Première piste : un centre de l’UNHCR à Tripoli ou ailleurs sur la côte africaine. Avec le pouvoir d’accorder le statut de réfugié ou de protégé, au nom des pays européens.
Seconde piste: une ambassade de l’Union européenne, avec le même pouvoir, dans quelques pays sûrs (et avec des vols vers un pays européen) : Algérie? Tunisie? Maroc? Soudan? Djibouti? Kenya? Liban? Plus sûrs que ceux que fuient les « boat-people »: Erythrée, Syrie (pour la moitié d’entre eux, en 2015). Mais aussi : Somalie, Nigeria, Afghanistan, Irak…
Et tout cela à toute vitesse comme cette situation d’urgence l’exige. Rappelons qu’actuellement, très peu de futurs réfugiés demandent dans un consulat français en Afrique un « visa d’asile » autorisant à venir en France pour ensuite y demander asile ou proection, auprès de l’OFPRA (l’instruction par cet office prend de trois mois à deux ans).
Pour les deux pistes (via l’UNHCR ou via une ambassade de l’Union européenne), restera à répartir le nombre de réfugiés au sein des 28 pays. Par exemple selon deux critères: population, puissance économique (PIB par habitant) et bien sûr langues étrangères parlées par les réfugiés.
Autre avantage de cette solution sur place : diminuer en Europe le grand nombre de demandeurs d’asile refusés et y restant en situation irrégulière (environ 3 sur 4) et précaire.

Voilà dix ans que j’interviewe à Lampedusa de jeunes Africains et Africaines. Durant leur voyage, en théorie « de l’enfer africain au paradis européen », tous ont été volés, rackettés, exploités, certains torturés (voir le documentaire Voyage en barbarie), d’autres violées. Sans parler de tous les morts noyés…
Pourquoi avoir pris de tels risques? Abdi, 15 ans, et Sihan, 17 ans, ont quitté le chaos en Somalie. Mohamed, Erythréen de 18 ans, a refusé l’enrôlement de force et à vie dans l’armée du dictateur. Comme Abel, 16 ans et Rubel, 17 ans. Gift, Nigériane de 18 ans, a fui Boko Haram. Cynthia, orpheline nigériane de 18 ans, a été vendue par son oncle.
Une fois qu’ils m’ont raconté leur histoire, à chaque fois je me suis dit : à leur place, moi aussi j’aurais fui vers la Méditerranée.

François Dufour