Maintenant ou Jamais !
Tribune publiée dans Le Point
Une fois dissipés les miasmes de l’affaire Cahuzac, la situation économique et sociale de la France redeviendra LA question. Revenons-y tout de suite.
Il n’y a aucun mystère à ce que François Hollande soit devenu plus rapidement impopulaire que Nicolas Sarkozy. Il faut le porter à son crédit.
Nicolas Sarkozy avait promis d’être le « Président du pouvoir d’achat», et commencé par en distribuer aux leaders de l’économie et de l’opinion, comme si la richesse ruisselait de haut en bas. François Hollande avait annoncé qu’il commencerait par le redressement, et le redressement a d’abord été fiscal.
Le précédent Président allumait des incendies idéologiques en lançant de grands chantiers qui s’enlisaient devant les intérêts coalisés jusqu’à ce le fer soit porté ailleurs ; de sorte que chacun avait l’impression que la réforme était pour les autres. Son successeur réforme presque par effraction, mais à la fin il l’impose. Le
paradoxe est que la France aura connu en un an plus d’ajustements, souvent douloureux, qu’au cours de la dernière décennie : plus de deux points de réduction du déficit structurel ; une réforme fiscale qui rend l’effort contributif plus lourd que dans aucun autre pays du monde développé, jusqu’à 57% des revenus du travail et 62% -plus l’ISF-des revenus du capital; une réallocation massive de la fiscalité des entreprises sollicitant durement les sièges de grandes sociétés, mais permettant aussi de réduire de 6% le coût du travail pour les salaires de moins de 2500 euros par mois ; une réforme du marché du travail plus profonde que celle de Mario Monti en Italie, qui permet aux entreprises de s’ajuster en étendant la portée de la négociation sociale. Et bientôt, si l’on ne sort pas des rails, la désindexation des retraites hors les plus modestes, l’allongement de la durée de cotisation, la dégressivité des allocations familiales, le choc de simplification pour débarrasser particuliers et entreprises des normes bureaucratiques produites par la suradministration…
Tout cela n’est peut être pas assez pour le redressement des comptes, et déjà trop pour attirer les centres de décision économiques. Mais, contrairement à ce que d’aucuns disent à la gauche de la gauche, ce n’est pas rien. Ce sont des points de rupture qui marquent clairement une triple orientation : une politique de rigueur, une politique de gauche, une politique de l’offre.
Comment se fait-il qu’entre ces points, on ne voie pas la ligne ?
Pendant la campagne électorale François Hollande n’a pas dit qu’il raserait gratis. Au contraire : il avait annoncé deux années d’effort et s’était positionné, dans un monde ouvert, pour une économie de l’offre. C’était courageux. Et cela ne l’a pas empêché de gagner. Quel dommage que la victoire n’ait pas été suivie immédiatement d’un discours clair pour expliquer aux Français où on les conduisait, et à la majorité qu’elle allait devoir renoncer aux vieilles lunes keynésiennes et social-corporatistes !
Dire d’abord la gravité de la crise économique. Une crise qui n’est pas seulement budgétaire, soluble dans une bonne gestion, mais une crise de compétitivité et de balance des paiements, longtemps masquée par les facilités d’endettement offertes par l’euro. Voici dix ans – nos comptes extérieurs étaient équilibrés à l’époque – que notre économie distribue plus de pouvoir d’achat qu’elle ne fait de gains de productivité. Si les Français l’ignorent, c’est parce que ce pouvoir d’achat a été inégalement distribué et capté par les rentes – comme la rente immobilière, paradoxalement favorisée par les aides publiques, fiscales et budgétaires.
Mais aujourd’hui, de quelque côté qu’on regarde l’ajustement – accroître l’investissement et la compétitivité des entreprises, réduire les importations et le déficit budgétaire – il n’y a rien à distribuer. Mieux vaut le dire et abandonner quelques fables. Les fables racontées par la gauche de la gauche, qui voudrait nous faire croire qu’il y a un trésor caché chez les riches, de sorte que la charge de l’effort pourrait être prise par 1% de la population : c’est fait, et cela ne suffit pas. Et celles venant de la droite, qui parle comme si la réduction nécessaire des dépenses publiques n’allait pas affecter le revenu de ceux à qui elles sont versées.
Douloureux, l’effort d’ajustement est nécessairement impopulaire. Il rompt avec un modèle de croissance artificielle par la demande et l’endettement. Assumons-le. Et à la parole politique de lui donner des marqueurs, un horizon, une direction, un sens.
Les marqueurs montrent que nous avançons. La moitié du chemin est faite sur la réduction du déficit budgétaire structurel, même s’il reste maintenant à s’attaquer à l’inflation des dépenses publiques. Quant au crédit d’impôt, certes d’une complexité encore éloignée du choc de simplification promis, il permettra aux entreprises de regagner une partie de l’écart de coûts unitaires creusé depuis dix ans avec l’Allemagne.
L’horizon, ce n’est pas l’austérité. C’est une croissance tirée par l’initiative, l’innovation, les entrepreneurs et la concurrence. Les expressions répétées de défiance profonde vis-à-vis du monde de l’entreprise, la tolérance pour les excès populistes, la volonté de défendre les situations acquises, l’illusion des 75%, tout cela a sapé l’effort de redressement aux yeux des entrepreneurs français comme des investisseurs étrangers. C’est au contraire en luttant contre les rentes, en réduisant la bureaucratie et les contrôles qu’on favorisera la création d’emplois, qu’on préservera le pouvoir d’achat et qu’on inspirera confiance à nos partenaires.
Poursuivons en rendant du pouvoir d’achat aux habitants des zones denses grâce à un choc massif d’offre de terrains et de construction de logements qui fasse baisser les prix. Avançons dans la fusion de nos échelons territoriaux, au-delà de l’échec symbolique du référendum alsacien, sans imposer un jardin à la française : ce peut être – comme le fait Gérard Collomb à Lyon – aller vers un couple région-métropole; ailleurs, reconnaître que le département reste un échelon utile et fusionner communes et agglomérations
La direction doit être ferme. Qu’elle le soit d’abord sur les dépenses publiques et sur la cohérence de la politique économique. Moins de ministres, une cohésion sur une ligne tranchée, une autorité indiscutée et lisible à Bercy.
Le sens, c’est l’avenir de notre jeunesse. Celle-ci nous envoie un message effroyable en nous disant, à l’occasion d’un récent sondage, qu’elle irait vivre ailleurs si elle le pouvait. Du reste, beaucoup le font déjà : étudiants, jeunes professionnels, jeunes issus de l’immigration, vont chercher hors les frontières la chance qu’on leur refuse ici.
Pourquoi partent-ils ? Parce qu’ils ont le sentiment que les obstacles à leurs aspirations personnelles et professionnelles sont plus élevés en France que partout ailleurs ; qu’une sélection par l’échec règne toujours en maître dès l’école ; que les places sont prises par ceux qui ont construit leurs rentes ; et que l’idée même de réussite n’est nulle part ailleurs aussi suspecte et donc aussi dépréciée…
A François Hollande qui avait accordé sa priorité aux jeunes, ces départs adressent un signal. Ce n’est qu’une petite partie de la jeunesse pour le moment ; mais elle est le symptôme et la traduction de l’état d’esprit de toute une classe d’âge.
Que nous arrive–t-il collectivement ? Est-ce le vertige du déclin qui nous paralyse? Cela suffit, maintenant ! La France doit rompre avec cette trajectoire mortifère. Et pour cela, que la majorité assume la politique sociale-démocrate qu’elle mène, et qu’elle la mène jusqu’au bout.
Alors le triste numéro des duettistes que sont Le Pen et Mélenchon cessera de séduire un public lassé ; alors les messages de l’action publique pourront être entendus, les errements individuels surmontés et la confiance revenir.
Comme le disait un général célèbre : « toutes les défaites se résument en deux mots : trop tard». Monsieur le Président, il est juste encore temps pour gagner. Maintenant.