Macron mouille sa chemise
Edito de Laurent Joffrin dans Libération le 28 avril
Plutôt bon, Macron sur TF1. Volontaire, précis, assez humble, rassembleur. Mais trop techno quand il se lance dans des tirades d’inspecteur de Finances. Son argumentation – intéressante – sur la fin de la logique « assurantielle » pour l’indemnisation des chômeurs supposait un degré de concentration plus fréquent dans les séminaires des facs d’économie que devant les écrans de télévision. Dans ces moments-là, il fait plus conseiller technique que candidat à une élection au suffrage universel. Il joue la compétence dans une joute où les « sachants », signe des temps, partent avec une longueur de retard.
Il ne suffit pas d’avoir raison, il faut convaincre, c’est-à-dire émouvoir. Mais c’est aussi une marque de respect pour l’électeur, dont on sollicite l’intelligence. La grosse artillerie déployée par Marine Le Pen à Nice fait contraste. On pense au Joueur d’échecs de Zweig, quand un intellectuel fragile se bat contre un béotien au jeu inné et destructeur. Macron oppose un fleuret à la massue du FN. L’agilité fera-t-elle pièce à la force brute ? Deux conceptions de la vie, en tout cas.
On comprend d’autant moins la tentation de l’abstention qu’on décèle chez certains militants pourtant formés. Peut-on adhérer, par exemple, à la cause des sans-papiers, et hésiter à combattre dans l’urne une candidate qui propose de lancer une chasse féroce aux immigrés en situation irrégulière, de supprimer le droit du sol ou l’aide médicale d’Etat ? Peut-on réprouver la déchéance de nationalité proposée il y a un an et voter blanc ou nul quand le FN prévoit de l’étendre à des milliers de personnes, sur la base d’une simple suspicion ? Peut-on soutenir le mariage pour tous et s’abstenir quand le FN promet de l’abroger ?
Peut-on rejeter Fillon à cause de ses casseroles et rester indifférent aux nombreuses affaires judiciaires dans lesquelles le FN est englué ? Peut-on soutenir Christiane Taubira et rester insensible devant un programme qui prévoit de renforcer comme jamais l’arsenal répressif français ? Peut-on dénoncer le programme économique de Macron mais se soucier comme d’une guigne d’un projet frontiste démagogique à souhait, qui prévoit quelque 80 milliards de dépenses en les finançant par des économies sur l’immigration (alors que la plupart des spécialistes contestent le chiffrage du FN sur ce point) et par la planche à billets ? Abstention ou désertion ? D’autant que l’opposition à Macron a tout loisir de s’exercer aux législatives, qui sont le troisième tour de l’élection.