COVID-19: premier bilan hospitalier
Un tribune du Professeur Gabriel Steg, co-président du comité de pilotage recherche Covid-19 de l’AP-HP
A trois semaines du début du confinement, il est possible de tirer un premier bilan de l’épidémie et de son impact sur un système de santé qui, malgré ses qualités indéniables, était en difficulté depuis quelques années.
Bien que l’épidémie soit loin d’être terminée, l’hôpital « a tenu », sans être débordé. Il a réussi à se mobiliser et se réorganiser à une vitesse incroyable, triplant, quadruplant, quintuplant parfois les capacités de réanimation, mettant en œuvre en temps réel une réallocation complète des moyens, où des chirurgiens orthopédistes ont accepté de devenir aides-soignants, des spécialistes de se transformer en urgentistes ou infectiologues, des services entiers de changer d’affectation. De nombreux services ont purement et simplement cessé d’exister et ont réalloué leur personnel médical et paramédical aux unités « COVID » créées rapidement. Chaque soir, le bilan faisait apparaitre des réanimations remplies sans lit disponible, et chaque matin, grâce aux équipes de gestion de crise, de nouvelles solutions étaient trouvées pour en créer de nouveaux. Faire face sans céder, c’est aussi gérer les personnels, les volontaires, les locaux, mais surtout les stocks et les approvisionnements en ventilateurs, pyjamas, médicaments, consommables; prévus pour une activité normale mais pas pour une activité multipliée par 4 ou 5 en deux semaines, avec chaque jour la menace d’une nouvelle pénurie. Cela n’a été possible que grâce à un engagement incroyable de l’ensemble des personnels qui font l’hôpital, une solidarité entre professionnels, l’investissement des équipes administratives, et aussi la solidarité entre régions, permettant l’exploit technique de transférer des centaines de patients de réanimation des régions les plus affectées vers celles moins touchées, libérant par la même de précieux lits. Dans cette crise, plus de temps pour les divisions et les obstacles entre les différents acteurs de l’hôpital. L’urgence a prévalu. Cette solidarité a d’ailleurs fait ressurgir au sein de l’hôpital un climat étrange de « bienveillance mutuelle » où ce qui était compliqué et bureaucratique quelques jours plus tôt devenait subitement plus fluide et simple.
On parle volontiers de l’héroïsme des soignants. On doit se méfier du lyrisme. D’abord, l’héroïsme est celui de tous les acteurs de l’hôpital, celui des vigiles qui accueillent le public, celui des personnels de ménage qui se chargent de la gestion des déchets contagieux, au risque de leur propre contamination, en passant par les secrétaires, les ouvriers, les administratifs et bien sûr les soignants. Et puis, malheureusement, s’il y a eu héroïsme, c’est que tous les acteurs de la chaine de soin n’ont pas toujours eu les équipements de protection qu’ils auraient dû avoir. Le manque de masques, en particulier au début de l’épidémie, et tout particulièrement pour les personnels de santé et du secteur médico-social exerçant en ville restera un défaut majeur dont les causes devront être analysées. La responsabilité d’avoir « désarmé » à tort un système de prévention et lutte contre les épidémies, à, la suite des campagnes de presse dirigées contre R Bachelot à l’issue de la grippe H1N1 devra être éclaircie. Il reste aussi à connaître l’impact probablement douloureux de l’épidémie sur les personnes âgées, qu’elles soient en EHPAD ou non, et celui sur les patients souffrant d’autres maladies graves qui n’ont pu être prises en charge ou ont évité l’hôpital et retardé les soins.
Un second constat est que ceux à qui on demande beaucoup en temps normal ont donné encore plus face à la crise. C’est particulièrement éclatant dans le cas des personnels des urgences, en grande difficulté depuis des années et qui ont démultiplié leur activité dans le contexte de la crise. Il faut bien sûr se méfier des raisonnements simplistes : on ne dimensionne pas des services hospitaliers en fonction du pic d’une épidémie centennale, mais il est clair que la variable d’ajustement qui a permis à l’hôpital public de tenir façe à la vague de malades, c’est, outre la solidarité du privé et des autres régions, l’engagement nuit et jour des professionnels à tous les échelons et dans tous les services. Force est de reconnaître qu’il est peu de domaines de l’activité humaine où on demande tant à des personnels habituellement aussi mal payés, au regard de leurs compétences et de leurs responsabilités. A cet égard, les réformes récentes visant à étendre les compétences des professions paramédicales apparaissent incroyablement timorées, imposant un parcours administratif complexe, et avec une gratification financière qu’il faut bien qualifier de symbolique. Il est temps que, dans leur champ d’action et leur rémunération, les professions de santé et en particulier les paramédicaux, rejoignent leurs pairs d’autres pays et d’autres champs professionnels.
Un troisième champ de réflexion est celui de la recherche : nous ne savons pas encore s’il y aura un ou plusieurs traitements ayant une efficacité sur l’infection à coronavirus et ses conséquences. Malgré le contexte épidémique, il a été possible de mettre sur pied, en quelques semaines voire parfois en quelques jours, des dizaines d’études en France (et des centaines dans le Monde), avec des procédures d’évaluation accélérées, qui ont permis d’obtenir en 48 heures les autorisations habituellement obtenues en 3 mois. Mais on ne peut passer sous silence la défaite mémorable pour la santé publique et la culture scientifique du grand public qu’aura été la présentation sur les réseaux sociaux, puis dans une revue scientifique de complaisance, d’études cliniques qui, malgré une présentation tapageuse, ne permettent pas de conclure à une efficacité ou absence d’efficacité. Ce qui est proprement sidérant, c’est que la préférence donnée au jugement des média, du public et des politiques sur l’évaluation rigoureuse par les pairs et la nécessité d’une réplication expérimentale, a été accompagnée de la théorisation de la supériorité de l’empirisme sur la méthode expérimentale, de critiques contre les essais randomisés, jugés non éthiques, et finalement de la préférence donnée à l’argument d’autorité (l’ «Eminence-based medicine ») par rapport à la médecine fondée sur les preuves (« Evidence-based medicine »). Ce qui est présenté comme le combat du « franc-tireur « contre les « mandarins » est en réalité exactement l’inverse : refuser la méthode expérimentale, la vérification, la réplication c’est revenir dans le passé à l’époque des certitudes mandarinales, où l’autorité et l’intuition du patron valait preuve. A l’inverse, la médecine par les preuves, dérivées des essais cliniques randomisés, c’est la possibilité donnée à chaque chercheur, chaque médecin, quel que soit son rang, son pays, sa spécialité, de tester expérimentalement une hypothèse, de la vérifier ou l’infirmer, de répliquer les résultats, et, via la revue par les pairs, de critiquer ou modérer les conclusions qui en sont tirées ; processus de confrontation des doutes, des opinions, processus de vérification. L’avenir dira si la chloroquine et ses dérivés ont une efficacité, même partielle, contre l’infection à coronavirus et ses conséquences chez l’homme. Ce qui est malheureusement déjà établi, c’est qu’il sera durablement plus difficile de réaliser des essais randomisés en France et dans le Monde et par là même de tester les nouveaux traitements.
Ph Gabriel Steg
Hôpital Bichat, Assistance Publique-Hôpitaux de Paris et Université de Paris, Paris.