Réforme des retraites: « Il faudra y revenir »

Pour les Gracques, think tank social-libéral, la réforme est indispensable, mais ne suffira pas. En outre, elle sacrifie les jeunes et n’abolit pas les privilèges.

A peine la réforme des retraites présentée, la France se prépare déjà à une nouvelle crise sociale dont notre pays est coutumier. L’ensemble de la gauche, l’extrême droite et les huit principaux syndicats sont vent debout contre un projet dont ils prétendent ne pas voir l’utilité.

Il y a déjà plus de trente ans, Michel Rocard écrivait dans son Livre blanc sur les retraites qu' »une démocratie comme la nôtre doit être capable de débattre à temps de ses problèmes et d’en traiter sereinement ». Il doit aujourd’hui se retourner dans sa tombe en regardant ce qui reste du Parti socialiste plaider pour un retour de l’âge légal de départ à 60 ans.

Article complet à lire dans Le Point.

PICC, l’acronyme du grand basculement

Le « basculement du monde » décrit par le président de la République a son acronyme. Après les Gafa et autres BRICS, bienvenue dans le monde des PICC ! Quatre lettres pour quatre chocs globaux qui remettent en cause nos fondements démocratiques. Si nous avons déjà rencontré chacun d’eux dans le passé, leur combinaison constitue un défi sans équivalent. Voici donc les quatre piliers du PICC.

P comme pandémie

P comme pandémie. Les grippes asiatiques et espagnoles avaient endeuillé le XXe siècle… Si la découverte rapide d’un vaccin a été un succès scientifique, le Covid a bouleversé, depuis, notre rapport au travail – surtout pour les jeunes. Il a montré à quel point nous sommes vulnérables aux virus, dépendants d’autres régions du monde et a créé de nouvelles attentes difficiles à satisfaire par l’Etat providence.

I comme inflation

I comme inflation. Nous en avions oublié l’existence. Après des décennies de stabilité puis la drogue des intérêts négatifs, l’inversion est brutale. Les banques centrales ont beau augmenter les taux au risque d’une récession économique, l’inflation redevient un facteur majeur dans le comportement des ménages et des entreprises avec des conséquences économiques redoutables.

C comme conflit

C comme conflit. La brutalité de nations s’attaquant à leurs voisins est la trame de l’histoire européenne. Mais le cyber et les médias changent l’équation à l’ère nucléaire. Les démocraties savent que leur éventuelle faiblesse sera exploitée par les démocratures. Inversement, elles mesurent l’asymétrie entre des sanctions qui peinent à ralentir l’agresseur et des opinions publiques divisées, séduites par la vague populiste.

C comme climat

C comme climat. La vague de chaleur sur l’Europe – des températures prévues pour 2050 arrivées dans des villes nordiques non préparées – confirme que la lutte contre le changement climatique est une priorité absolue. Or les principaux responsables – la Chine, les Etats-Unis et l’Inde – ne s’engagent pas assez. Les sommes gigantesques englouties dans la pandémie manquent aujourd’hui cruellement pour financer la transition au rythme nécessaire.

Les rapports de force se sont modifiés

Les PICC menacent un monde de plus en plus fracturé entre démocraties libérales et régimes autoritaires. Ce n’est plus la guerre froide du siècle précédent, c’est un changement de rapports de force qui conteste la domination de l’Occident et teste sa résistance. Au moment où le monde aurait le plus besoin de coopération, puisque le changement climatique et les virus ignorent les frontières, le clivage dogmatique l’emporte : partout les démagogues promettent de rendre leur grandeur à leur pays non pas avec, mais contre les autres, et polarisent leur opinion publique.

L’Europe apparaît particulièrement fragile dans ce contexte. L’excédent de notre balance commerciale représentait 300 milliards de dollars annuellement. Il est tombé à zéro pour la première fois depuis trente ans avec un déficit allemand, un taux record de dette pour l’Italie et la France, la dégradation économique du Royaume-Uni post-Brexit et les craintes des pays voisins de l’Ukraine, comme la Pologne. Les Etats-Unis ne sont focalisés que sur la Chine et engrangent à court terme les bénéfices de la guerre de Poutine. Le blocus de la mer Noire et les obus tombant sur les champs de céréales ukrainiens sont dramatiques pour l’Afrique. Le Printemps arabe, on le sait, a commencé par la faim. Dans le contexte climatique, une nouvelle crise des migrants est probable. Les PICC pourraient ainsi être rejoints par un cinquième choc : le « S » de « social ».

Le monde a besoin d’un nouveau Bretton Woods

Le monde a besoin d’un Bretton Woods pour le XXIe siècle, une conférence qui jetterait les bases d’une collaboration plus inclusive entre nations et institutions internationales, permettant de lutter contre les pandémies, de réduire les émissions de CO2, d’améliorer l’éducation et de décourager les visées expansionnistes. Une telle perspective, soutenue par les syndicats de salariés et les employeurs des sept principaux pays occidentaux, avait été évoquée, il y a trois ans, par Emmanuel Macron avant le G7 de Biarritz. N’est-ce pas le moment d’une telle réinvention, pour répondre aux PICC ?

Bernard Spitz

Article complet à lire dans Les Echos

Le quinquennat de l’inflation ?

Même si nous avons mieux calibré que les Américains notre plan de soutien lors de la crise sanitaire, la guerre en Ukraine a changé la donne et le scénario d’une spirale inflationniste prix-salaires ne peut être écarté. Les Gracques indiquent les mesures que doit prendre le gouvernement pour limiter les dégâts.

Pour le président de la Bundesbank K.O. Pöhl : « L’inflation, c’est comme le dentifrice – sortie du tube, impossible de l’y faire rentrer. » Son conseil : « Ne pas appuyer trop fort. »

Les Européens, à la différence des Américains, l’ont écouté. Nos plans de soutien pendant la crise sanitaire ont été calibrés au plus juste pour éviter la surchauffe. Cette prudence aurait suffi si la guerre en Ukraine n’avait changé la donne. En avril, l’inflation atteint 7,5 % en zone euro et devrait dépasser 4 % en France sur l’année. Selon les marchés, la probabilité que l’inflation dépasse 4 % sur l’ensemble du quinquennat est désormais de 25 %.

Le scénario d’une spirale inflationniste prix-salaires ne peut donc être écarté. À court terme, mobiliser la politique budgétaire reste la bonne stratégie. Elle joue son rôle d’amortisseur social tout en limitant les demandes salariales. Le « bouclier tarifaire » sur le gaz et l’électricité et la « remise à la pompe » ont réduit l’inflation de 2 points. Alors que dure la guerre, de nouvelles mesures sont indispensables. Pour quel montant et sous quelle forme ?

Une mesure d’urgence sur les logements

L’Insee anticipe une baisse du pouvoir d’achat de 2 % entre décembre 2021 et juin 2022, soit 8 milliards d’euros. Au-delà de l’indexation anticipée des retraites et prestations sociales, un budget de 4 milliards d’euros pourrait financer une nouvelle « indemnité inflation ». Cette indemnité a le mérite de préserver le « signal-prix » nécessaire sur la consommation d’énergie. On devrait la moduler pour aider davantage les ménages modestes les plus exposés à l’inflation alimentaire, et les ménages avec plusieurs enfants.

Nous pensons nécessaire d’y ajouter une mesure d’urgence sur les logements. Première dépense des ménages, les loyers peuvent être revalorisés annuellement par le propriétaire. Une « bombe à retardement » injuste d’autant que l’inflation favorise les propriétaires bailleurs qui ont bénéficié de crédits à taux fixe. Nous proposons de lisser l’indexation des loyers sur plusieurs exercices.

Si l’on peut espérer que les prix ralentissent, il faut se préparer au scénario déplaisant d’une inflation forte et durable. La politique budgétaire et l’encadrement des prix et des loyers devraient alors laisser la place à d’autres stratégies.

Une réflexion sur l’indexation du SMIC

Rappelons-nous 1982 : le blocage des prix et des revenus a été suivi par l’incitation des partenaires sociaux à intégrer dans les négociations salariales non plus l’inflation passée mais l’objectif affiché dans le budget de l’Etat. Nous plaidons pour que le gouvernement crée vite les conditions d’un dialogue tripartite visant à définir des mécanismes de revalorisation salariale non inflationnistes – et laisser le dentifrice dans le tube.

Une réflexion sur l’indexation du SMIC devra en faire partie. Seuls quatre pays de l’OCDE indexent le salaire minimum sur l’inflation, dont la France, qui va au-delà en ajoutant la moitié du gain de pouvoir d’achat du salaire horaire de base ouvrier. Or il n’est pas soutenable que les efforts attendus des salariés et entreprises s’accompagnent d’une compression systématique de la hiérarchie salariale et d’une hausse du coût du travail par l’effet du SMIC. Suspendre l’automaticité de la revalorisation serait un levier pour l’Etat dans la négociation tripartite.

Restent les bénéficiaires de minima sociaux et les retraités, dont les revenus sont indexés sur l’inflation passée.

Viser le meilleur, c’est se préparer au pire

Le niveau de vie des retraités est supérieur de 3 % au reste de la population – 9 % en prenant en compte qu’ils sont souvent propriétaires de leur logement. Les retraités doivent partager l’effort avec les salariés. Au-delà d’un seuil protégeant les plus modestes, les pensions pourraient être revalorisées moins que l’inflation en 2023.

Quant aux minima sociaux, leur pouvoir d’achat devrait être mieux protégé grâce à une indexation sur l’inflation anticipée et non l’inflation observée, comme avant 2016.

Ce n’est évidemment pas un début de quinquennat rêvé. Mais en politique, viser le meilleur passe aussi par la préparation au pire.

Tribune à retrouver dans les Echos

Un RSA vraiment automatique serait une percée majeure contre la précarité

La politique du « en même temps » suppose de combiner des logiciels politiques différents. Au point parfois d’être contradictoires ? C’est ce qui a été reproché au programme du président de la République en matière de minima sociaux : à ma gauche, la mise en place d’un versement automatique des aides sociales (à commencer par le RSA) ; à ma droite, le conditionnement du RSA à la réalisation par l’allocataire de « quinze à vingt heures hebdomadaires d’activité effective permettant l’insertion ». 

Peut-on vouloir simultanément automatiser le RSA et lui appliquer une condition supplémentaire, dont l’application ne manquera pas d’être un peu subjective ? 

On pourra d’abord rappeler que les conditions d’accès à une allocation sont distinctes des modalités de son versement. Donc, il n’y a pas de contradiction par nature à jouer sur les deux tableaux.  

On peut par ailleurs voir une complémentarité d’objectifs entre ces mesures, qui s’attachent aux deux visages du RSA :  

D’une part, le RSA est l’ultime filet de sécurité pour les personnes qui n’ont plus d’autre moyen de subsistance. Dans un rapport récent, la Cour des comptes souligne l’efficacité de cet instrument en dernier ressort de lutte contre la pauvreté. Le problème, c’est que 30% des Français qui auraient droit au RSA ne le demandent pas et donc ne le perçoivent pas. Un RSA vraiment automatique, en minimisant ce taux de non-recours, serait donc une percée majeure contre la précarité en France ! 

D’autre part, le RSA est censé être un palier de réinsertion vers l’emploi. Rappelons que tous les bénéficiaires sont censés avoir signé un « contrat d’engagement réciproque » avec l’Etat, portant sur une démarche d’insertion et de recherche d’emploi. Mais la Cour des comptes montre que le RSA remplit très mal cette mission de réinsertion, avec à peine un tiers des allocataires en moyenne ayant retrouvé un emploi au bout de sept ans. La principale raison en est la faiblesse du dispositif d’accompagnement mis en place dans les services sociaux et au sein de Pôle Emploi, qui ne sont pas armés pour prendre en charge des personnes parfois très éloignées de l’emploi. 

Les deux mesures proposées par Emmanuel Macron ne sont donc pas philosophiquement incompatibles : l’une, l’automatisation du versement des aides, vise à améliorer l’efficacité du RSA contre la pauvreté ; l’autre, le conditionnement à l’exercice d’une activité d’insertion, s’inscrit dans la logique tremplin vers l’emploi.  

144 allocataires par agent en Seine-Saint-Denis

Mais c’est dans la pratique que les choses se compliquent sérieusement. 

Disons-le franchement : les services d’insertion seraient aujourd’hui bien incapables, de trouver et proposer à tous les bénéficiaires du RSA des contrats d’activité de quinze heures par semaine. Dans un département comme la Seine-Saint-Denis, chaque agent des services d’insertion professionnelle gère en moyenne 144 allocataires… Il serait injuste de durcir les conditions de bénéfice du RSA sans améliorer très significativement les moyens de l’accompagnement : on mettrait alors en péril l’efficacité des minima sociaux contre la pauvreté ! 

De l’autre côté du spectre, le versement automatique des minima sociaux représente un gigantesque chantier de transformation numérique. Le partage de données entre administrations fiscales ou sociales est une nécessité absolue pour améliorer l’efficacité publique, notamment pour automatiser la gestion des droits sociaux. Cela demande du temps, de l’argent et de la volonté politique, mais c’est indispensable quand on réalise que la France n’est classée que 22ème sur 27 pays de l’Union par la Commission européenne en matière d’automatisation de l’utilisation des données par les administrations. 

Les pays mieux classés que nous, à commencer par le plus avancé, l’Estonie, ont totalement repensé leurs services publics grâce, par et pour le digital, allant jusqu’à simplifier la loi pour la rendre applicable par la machine. Il ne s’agit en effet pas seulement de numériser des démarches administratives telles qu’elles existent aujourd’hui, mais bien de les adapter à la gestion automatisée (ce qui est loin d’être le cas pour le RSA). Or la France n’a pas commencé ce travail, qui se fera dans la douleur : qui expliquera aux parlementaires qu’ils ne doivent voter que des textes assez clairs pour être « codables » ? 

Il ne faut donc pas sous-estimer l’effort que représente l’automatisation du RSA et des aides sociales, mais le jeu en vaut la chandelle sur tous les tableaux : justice sociale, lutte contre la fraude, mais aussi économies de fonctionnement. La gestion de ces allocations occupe aujourd’hui des centaines d’emplois publics, qu’il sera possible de redéployer… dans l’insertion professionnelle des allocataires ou dans l’accompagnement numérique des personnes isolées. 

Autrement dit, les deux mesures proposées par Emmanuel Macron sont liées. A condition de mettre en place un Etat plateforme avec des procédures numérisées qui permettront au A du RSA de signifier l' »automaticité » de la gestion des droits et de redéployer les ressources vers l’accompagnement des allocataires vers l’emploi. Même si l’on peut douter qu’un quinquennat y suffise, cette démarche est vertueuse et peut s’appliquer à beaucoup de services publics à condition de respecter l’ordre des facteurs : adapter la loi au numérique, automatiser le versement, redéployer les ressources vers l’accompagnement, et enfin seulement se montrer plus exigeant vis-à-vis des usagers. 

Une tribune à retrouver dans L’Express.

L’héritage en question, par Les Gracques

Le groupe de réflexion, connu pour sa sensibilité sociale-libérale, propose de repenser les dispositifs d’exemption fiscale en ciblant la transmission des patrimoines les plus importants. Et plus largement de préparer un « new deal intergénérationnel » à destination des jeunes.

Article complet à lire dans L’Obs.

Logement : sortir du piège du malthusianisme

Introduction

La politique du logement fait en France l’objet de débats récurrents et légitimes, qui portent principalement sur la nature des interventions publiques (aide à la pierre ou à la personne), leur objet (neuf ou locatif ; logement social), leur efficacité ou leur coût. Mais l’opportunité même de soutenir le logement et la construction apparait en général comme une évidence à la plupart des intervenants.

Or, les derniers débats et arbitrages relatifs au soutien public au logement montrent qu’une thèse nouvelle s’est développée au sein de l’administration, qui ne manque pas de relais dans la société civile et le monde politique.On en trouve une explicitation précise dans plusieurs documents récents de la Direction Générale du Trésor, curieusement passés inaperçus dans le débat public. 

Selon cette thèse, la France disposerait déjà de suffisamment de logements pour satisfaire les besoins des Français (36 millions de logements pour 29 millions de ménages) – et ce y compris dans les zones dites tendues. L’argument principal est que le taux moyen d’occupation des logements est en décrue sur l’ensemble du territoire. Le moment serait donc venu de limiter la politique d’aide à la construction neuve, au profit d’une politique de soutien à la rénovation, principalement énergétique, venant compléter les programmes de réhabilitation des centres villes.

Le débat n’est pas théorique, bien au contraire :à la lecture du plan de relance substantiel annoncé par le gouvernement (100 milliards d’euros sur 3 ans), on ne peut qu’être frappé de constater qu’il est centré non sur la relance du logement neuf mais sur : (i) l’aide à la rénovation énergétique des bâtiments privés (Ma Prime Renov’ pour 2mds€) ; (ii) la rénovation des bâtiments publics (4mds€ dont 300m€ délégués aux régions) et du parc social (500m€). 

Cette vision s’impose également chez nombre de responsables locaux de sensibilité écologiste, dont les programmes comportent des engagements de « dédensification » en matière d’urbanisme (Bordeaux, Strasbourg, etc.) – ce qui, aux bornes d’une ville, signifie le choix d’une réduction délibérée des programmes de logements neufs, qu’ils soient privés ou sociaux. Construisons moins, disent les élus écologistes… en tous cas « not in my backyard », ajoutent leurs électeurs.

Que le Trésor produise la théorie de ses économies budgétaires possibles est compréhensible. Mais le plus intéressant est de comprendre les équilibres politiques et sociaux qui ont conduit à ce que le ralentissement délibéré de la construction de logements puisse devenir l’élément d’un programme politique presque consensuel

Comment expliquer un tel changement ?

Depuis trente ans, le marché de l’immobilier se caractérise par une inflation spectaculaire des valeurs de marché, essentiellement concentrée sur les villes centres. Cette hausse des prix est bien connue, ainsi que ses effets sur la concentration du patrimoine, les transferts entre générations et la difficulté d’accès au logement – et a fortiori à la propriété – des nouveaux entrants ne bénéficiant pas de la grâce de l’héritage. 

Trois principaux moteurs la nourrissent : 

  • la baisse continue des taux d’intérêt, qui accroît mécaniquement la valeur de tous les actifs de rente et compense l’effet des hausses de prix sur la solvabilité des accédants ;
  • l’arrivée des générations nombreuses du baby boom à l’âge d’accéder à la propriété ou de s’agrandir ;
  • la « métropolisation », qui concentre les emplois et la valeur d’une société d’innovation et de services sur quelques grandes agglomérations – rappelons que l’immobilier a baissé en euros courants sur les douze dernières années hors des vingt-cinq principales agglomérations françaises.

Le rappel de ces trois moteurs est important, car il permet de se rendre compte qu’ils sont arrivés à bout de souffle : les taux d’intérêt ne peuvent plus baisser, puisqu’ils sont déjà proches de zéro ; les générations du baby boom vont bientôt quitter leur domicile pour les maisons de retraite, devenant ainsi vendeuses nettes d’immobilier ; quant à la métropolisation, il n’est plus certain, aux lendemains de l’épidémie et compte tenu de nos nouvelles habitudes de télétravail et de nos équipements en fibre et 5G, qu’elle soutienne à elle seule un écart croissant de rentes foncières entre les villes centre et les périphéries. 

Le marché de l’immobilier ne paraît donc plus pouvoir compter sur des plus-values mécaniques, ce qui constituerait un changement de paradigme pour tout le monde : pour les propriétaires, qui devront compter sur la valeur d’usage ou le rendement courant plutôt que sur la plus-value finale ; pour les constructeurs, qui devront devenir plus industriels pour construire moins cher ; pour les foncières privées et les bailleurs sociaux, qui devront constituer de grands opérateurs efficaces pour gérer à moindre coût les locataires et les travaux d’entretien ; pour les intermédiaires, qui ne pourront plus prélever des rentes excessives que leurs clients n’acceptent que parce qu’ils espèrent des plus-values confortables.

Tout cela augure de mutations douloureuses. 

Comme toujours à l’aube d’une telle transformation, il faut attendre des joueurs en place qu’ils cherchent une organisation politique et sociale qui préserve l’économie de rente. 

Quelle meilleure manière d’y arriver que d’arrêter de construire ? Limiter l’offre, c’est assurer aux propriétaires en place que les prix ne baisseront pas. C’est leur éviter, de même qu’aux locataires, de nouvelles promiscuités qui peuvent les inquiéter. C’est dispenser les bailleurs, privées ou sociaux, de cet effort de réorganisation et d’optimisation que leur imposerait un marché équilibré. C’est permettre aux notaires et aux villes de continuer à vivre de transactions inflatées et à une multitude de vendeurs d’immobiliers ou de produits fiscaux de modéliser des plus-values confortables pour convaincre les acheteurs. Bref, à part les constructeurs, l’arrêt de la construction est un moindre mal beaucoup d’acteurs. 

Pour autant, il nous semble que ce n’est pas l’intérêt collectif du pays.

Notre conviction est que cette vision, que nous qualifierons de « malthusienne »,ignore très largement que le logement reste : 

  • un secteur créateur d’emplois et de richesses économiques dans un pays qui en aura bien besoin en sortie de crise ;
  • le principal moteur de l’épargne et de l’investissement privé ;
  • la principale composante des inégalités de conditions de vie, a fortiori dans le contexte né de la crise sanitaire. 

Parce qu’elle sous-estime la réalité des besoins, tant quantitatifs que qualitatifs, la vision malthusienne du logement en France est susceptible de poser plusieurs difficultés majeures d’ordre économique aussi bien que social dans les toutes prochaines années. Il est possible et urgent de corriger cette vision.

Intégralité de la note à consulter ici :

Plaidoyer pour la « bonne relance »

Les mesures d’urgence économique prises au printemps dernier ont créé une ligne de défense efficace, en « gelant » temporairement l’économie tout en préservant le revenu disponible des ménages grâce au chômage partiel, au fonds de solidarité et aux prêts garantis par l’Etat.

En dépit du pessimisme ambiant, les premiers résultats sont là. Si le PIB a baissé de 19 % en France au premier semestre, contre 15 % en zone euro et 12 % en Allemagne, l’activité a fortement repris depuis la sortie du confinement (- 7 % en juillet, contre – 30 % en avril), sous l’effet du rebond de la consommation, qui a aujourd’hui dépassé son niveau d’avant-crise. Un tel retournement n’a qu’un seul précédent historique, celui du troisième trimestre de 1968. Alors que le Gouvernement tablait au début de l’été sur un recul de 11 % du PIB en 2020, les instituts de conjoncture anticipent désormais une baisse de l’ordre de 9 %.

Mais poursuivre dans cette voie défensive ne serait ni soutenable, ni souhaitable. 

La France ne peut se permettre de geler durablement son tissu productif, alors qu’elle a abordé cette crise lourdement endettée et structurellement en déficit, sur le plan budgétaire comme commercial. Rappelons que le Gouvernement s’attend désormais en 2020 à un déficit public de 11,5 % du PIB qui porterait la dette à plus de 120 % du PIB.

Ce serait par ailleurs inefficace économiquement, tant cette crise paraît de nature à accélérer les transformations des modes de consommation, de l’organisation du travail et des équilibres productifs. Si dix ans ont été nécessaires pour porter la part du commerce électronique de produits alimentaires aux Etats-Unis de 6 à 16 %, trois mois ont suffi pour atteindre 26 %. 

La crise entraînera dès lors nécessairement des réallocations qu’il s’agira d’accompagner et non de bloquer : le chiffre de 50 000 salariés touchés par les plans sociaux depuis le début du confinement doit ainsi être mis en regard des 10 000 emplois que l’économie française détruit et crée chaque jour en moyenne.

Le temps de l’offensive par la relance est donc venu. L’objectif, comme nous l’indiquions dès avril, doit être de retrouver en 2022 le PIB de 2019. 

Priorité aux jeunes et à l’investissement 

Churchill disait qu’il fallait voir l’opportunité dans chaque difficulté. Nous y sommes. La contrainte économique nous oblige à être efficace ; la contrainte financière à être sélectif ; la contrainte environnementale à verdir la croissance ; la contrainte technologique à investir dans la numérisation. 

Cette crise, en amplifiant tout par un effet de loupe, met en valeur les forces et les faiblesses de chacun. 

L’Allemagne a pu dépenser sans compter, grâce à un effort de maîtrise de la dépense publique qui lui avait permis de ramener son endettement à 60 % du PIB en 2019, contre 98 % en France.

Si notre pays a su préserver le pouvoir d’achat de l’essentiel des ménages, la situation des jeunes et des indépendants, traditionnellement mal protégés par notre modèle social, apparaît préoccupante. La dégradation du marché du travail au deuxième trimestre a d’abord concerné les jeunes, dont le taux d’emploi a connu une chute sans précédent (- 2,9 pts, à 26,6 %).

Sur le plan productif, si la consommation a fortement rebondi, ce sont les secteurs les plus riches en importations qui en ont été les principaux bénéficiaires. Le commerce extérieur, qui a amputé la croissance de 2,3 points au deuxième trimestre, demeure une source de fragilité. 

A cet égard, le plan de relance doit être l’occasion de remédier à certaines faiblesses des premiers plans de soutien.

Les entreprises ont été moins protégées que les ménages : elles conservent à leur bilan une part substantielle des pertes liées au confinement (24 % selon la Banque de France, 33 % selon l’OFCE). Cela a renforcé leur tendance naturelle à surréagir défensivement en période de crise, en suspendant l’embauche des jeunes et en gelant les investissements. 

Si  le soutien aux entreprises a été moins important, ses modalités ont en outre été marquées par une « préférence pour la dette », via les prêts garantis par l’Etat, au détriment des fonds propres, alors que les leviers sont déjà importants. Il est désormais indispensable de rééquilibrer les bilans, comme nous l’appelions de nos vœux dès le mois d’avril.

A cela s’est ajouté l’inquiétude des dirigeants de PME et ETI face aux risques juridiques, aux problèmes de continuité de certains services publics, aux tentatives d’instrumentalisation du risque sanitaire par certains syndicats et aux contradictions du discours public sur les masques et les tests, qui ont également contribué à la démoralisation nuisible à l’investissement.

En l’état, la crise risque ainsi d’accélérer le déclassement de notre appareil productif : sur l’ensemble de l’année 2020, l’investissement devrait chuter deux fois plus fortement que le PIB (- 20 %) d’après la Banque de France et l’OCDE. L’économie française ne pourra pourtant pas se permettre d’attendre six ans pour que l’investissement industriel retrouve son niveau initial, comme ce fût le cas après la crise financière de 2008.

Ces constats indiquent clairement deux priorités pour la relance : l’emploi des jeunes et l’investissement productif. Car c’est bien des entreprises que viendront les réponses aux questions de l’emploi, de la croissance – a fortiori dans sa composante verte – et du financement des transferts sociaux.

Bon et mauvais plan de relance 

Comme l’a dit Mario Draghi, « La dette créée par la pandémie est sans précédent et devra être remboursée, principalement par les jeunes d’aujourd’hui. Il est donc de notre devoir de leur fournir les moyens d’assurer le service de cette dette ». Il faut donc distinguer la « bonne dette » qui prépare l’avenir en finançant le capital humain, la recherche ou encore l’investissement – de la « mauvaise », qui ne trompera pas indéfiniment les marchés et sera financée à perte par les jeunes générations.

Dans le cas de la France, à quoi ressemblerait un mauvais plan de relance ?

Ce serait le soutien indifférencié à la demande, selon l’approche keynésienne classique, qui aurait un effet modeste sur l’activité tout en nourrissant fortement l’épargne – déjà en hausse de 75 milliards d’euros depuis le confinement – et les importations. Nous ne proposons donc pas de baisser la TVA, comme l’a fait l’Allemagne.

Ce serait le financement de dépenses courantes pesant durablement sur la situation structurelle des finances publiques, alors que notre situation budgétaire invite au contraire à privilégier les mesures temporaires et réversibles.

Ce serait retarder l’adaptation des entreprises et des services publics aux standards de productivité mondiaux qui décideront de notre place dans le monde de demain, alors qu’il faut au contraire faire de cette crise un levier de transformation pour adapter notre économie aux mutations engagées en matière de consommation, de robotisation, de numérique, de décarbonisation, etc.

Ce serait la poursuite d’une politique industrielle rhétorique, cherchant des champions nationaux et multipliant les procédures éparses et cloisonnées, au lieu d’aligner par un pilotage central tous les guichets financiers publics sur les priorités de compétitivité et de souveraineté économiques, tout en faisant collaborer l’ensemble des acteurs depuis la recherche jusqu’à l’industrialisation, sur le modèle de l’agence américaine DARPA.

Ce serait risquer de priver la France du plein bénéfice du plan européen dont elle a été le promoteur, faute d’une gestion appropriée sachant privilégier les coopérations d’avenir et les projets de dimension européenne quand ils sont plus efficaces. En la matière, une révision de nos méthodes et procédures administratives s’impose pour conserver notre crédibilité, alors que se profilent des sujets importants comme le renforcement de l’action de la Banque européenne d’investissement en matière climatique, l’implication du Fonds européen d’investissement (FEI) dans les fonds propres ou la mise en place de ressources propres nouvelles.

10 principes pour le Plan de relance 

Face aux discours alarmistes et au pessimisme ambiant, l’enjeu du plan de relance nous semble donc autant de faire des choix pertinents sur le plan technique que d’influencer positivement les anticipations des acteurs économiques pour encourager l’investissement et la consommation, nos deux principaux leviers de croissance. 

Pour cela, nous proposons les quelques principes suivants : 

1. Un plan de taille adéquate pour relancer l’activité : la jauge à 100 Md€ annoncée, très supérieure au plan de 2009 (35 Md€), semble bien dimensionnée, à condition que la part des dépenses budgétaires y soit significative (de l’ordre de 40 Md€, soit le niveau attendu des subventions européennes) ;

2. Un plan ciblé sur les secteurs et les publics les plus fragilisés par la crise, calibré pour limiter les effets de fuite par les importations et l’épargne – à l’image de notre proposition de « chèques-déconfinement » fléchés vers l’hébergement-restauration et la culture, à rebaptiser « chèques-relance » ;

3. Un plan qui sécurise les plus vulnérables – indépendants, personnes dépendantes, etc. – par une couverture publique renforcée de la perte d’autonomie et la mise en œuvre d’une assurance-pandémie ;

4. Un plan en faveur de l’investissement productif combinant un volet financier (apport en fonds propres ou prêts participatifs distribués par des professionnels) et un volet fiscal (diminution des impôts de production, suramortissement) donnant priorité à la croissance par la transition énergétique, au développement du numérique et à l’investissement productif ;   

5. Un plan qui soutient également la composante immobilière de l’investissement, compte tenu de son effet de levier important sur la croissance et l’emploi national. Au-delà de la rénovation énergétique du parc, un soutien à la construction apparaît ainsi indispensable pour réussir la reprise, ce qui pourrait passer par notre proposition de prêts à taux négatifs ;

6. Un plan dont le suivi du volet investissement, au cœur des négociations européennes, serait confié à un Haut Commissariat au Plan fusionné avec le Secrétariat général pour l’investissement, ce qui permettrait d’assurer la cohérence des choix, d’associer les partenaires sociaux et les collectivités locales et d’offrir un interlocuteur spécifique à la Commission européenne sur ce sujet ;

7. Un plan qui sanctuarise les baisses d’impôt pour encourager les entreprises à l’investissement, favoriser la réindustrialisation et inciter les ménages à réinjecter dans l’économie l’épargne accumulée depuis le confinement ;

8. Un plan qui constitue un levier de réforme l’Etat par la décentralisation, la déconcentration, la numérisation et un changement de méthode, notamment en matière industrielle ;  

9. Un plan adossé à une stratégie de redressement de la situation des finances publiques à moyen terme afin de préserver la crédibilité de notre politique budgétaire, s’engageant à faire porter l’effort sur les dépenses et à ne pas différer indéfiniment les réformes structurelles (retraite, assurance chômage) ; 

10. Un plan s’appuyant sur une communication publique équilibrée, incitant à l’activité tout en poursuivant la pédagogie de précaution en matière de santé. Cela doit passer par un accompagnement politique adéquat de la part tant de l’exécutif que de l’opposition, dont on espère qu’elle aura à cœur de jouer un rôle constructif dans la crise que traverse le pays.

Consultez l’article du Point : https://www.lepoint.fr/economie/le-plaidoyer-des-gracques-pour-la-bonne-relance-27-08-2020-2389239_28.php#xtmc=gracques&xtnp=1&xtcr=1

Pour une Nouvelle Ambition Industrielle Française

Dans presque tous les domaines, la crise du coronavirus, aura eu un effet de loupe sur les forces et faiblesses françaises. Nos points forts nous ont permis de tenir. Nos points faibles ont gravement compliqué la tâche de chacun. 

Ce constat s’applique particulièrement bien à notre industrie : la crise sanitaire a révélé son caractère lacunaire et notre dépendance industrielle et technologique vis-à-vis de l’étranger, d’un étranger lointain au surplus, sur des segments critiques de la production pharmaceutique et médicale (aspirine, principes actifs pour les tests, machines et tissus non tissés pour les masques etc..). Ce constat particulièrement sévère dans le domaine de la santé vaut pour d’autres secteurs industriels.

Et si les réponses apportées au manque de moyens techniques et la réactivité face à la crise ont été impressionnantes à l’hôpital, elles ont été décevantes, pour dire le moins, dans le domaine industriel: le manque de capacité à fabriquer ou approvisionner rapidement des produits ou des composants stratégiques restera comme un souvenir cuisant de cette crise. 


La crise sanitaire a aussi révélé le manque d’anticipation et de préparation à un événement de nature à paralyser les flux et l’activité économique. A ainsi été mise en lumière la faiblesse de l’Etat stratège. D’où le retour en force de cet impensé des années 2000 : la souveraineté  industrielle et  économique. 

Nous nous retrouvons au XXIème siècle devant des problématiques que la France a déjà connues. Comment sécuriser la réponse de notre économie à la demande de produits industriels ? Comment assurer notre souveraineté stratégique et réduire nos déficits commerciaux massifs ? Comment concilier ces objectifs avec les ambitions environnementales, le cadre et la stratégie de l’Union Européenne ?

L’impératif industriel des Trente Glorieuses revient sur le devant de la scène, comme l’a constaté le Premier ministre dans son discours de politique générale devant le Parlement. Mais il faut trouver un nouvel équilibre entre l’initiative privée et la stimulation publique, entre les initiatives nationales et le cadre européen. Cet équilibre dépend moins, à nos yeux, de l’addition d’outils ou de moyens nouveaux que d’un alignement fort des multiples interventions publiques concourant à la politique industrielle, qui constituent sinon autant d’injonctions contradictoires pour les acteurs privés. 

Des moyens, le gouvernement en annonce de nouveaux, plutôt bien conçus dans l’ensemble : plans sectoriels (aéronautique, automobile) ; suppression d’impôts nuisibles à l’investissement et l’emploi (impôts de production). Manque encore un dispositif complet de soutien aux fonds propres des entreprises, particulièrement nécessaire pour les entreprises industrielles qui sont confrontés à de gros besoins d’investissements de numérisation et de robotisation. Les travaux en cours devraient se traduire en mesures à l’automne, dans un cadre auquel les Gracques ont porté attention à travers diverses propositions.

On reviendra sur ces différentes contributions à la relance de l’impératif industriel.

Mais un point essentiel nous semble être leur cohérence et l’alignement de l’ensemble des interventions publiques dans une seule démarche et avec une ambition centrale : la réindustrialisation. Centrale parce que créatrice de valeur ajoutée et d’emplois dans les territoires, et facteur clef de la souveraineté économique.

La désindustrialisation française depuis une vingtaine d’années a été si brutale, si subie et si caractéristique de l’impuissance publique, qu’il importe d’en rappeler l’ampleur et d’en tirer les leçons pour caractériser ce qu’est aujourd’hui le nouvel impératif industriel français (I).

De là découlent les objectifs d’une stratégie industrielle moderne, axée sur les objectifs clés de compétitivité, d’innovation et de souveraineté, avec des moyens de mise en œuvre qui supposent un aggiornamento complet de l’organisation publique. Seul un changement profond pourrait signifier le retour d’un Etat stratège, enfin aligné avec toutes les parties prenantes  (II). 

C’est alors que pourront être engagées avec quelque efficacité les principales actions permettant d’aligner les politiques publiques sur les priorités essentielles et permanentes de la politique industrielle: la compétitivité et l’innovation, en libérant les entreprises des boulets qui les handicapent et qui pénalisent en même temps l’emploi et l’avenir de nos territoires (III).


L’intégralité de la note ci-dessous :


Vaincre la défiance, Lever les goulots d’étranglement

L’agenda de sortie de crise se dessine maintenant clairement en trois étapes: urgence, reprise, relance. Trois temps distincts qui se succèdent dans une séquence décisive pour notre pays. Avec un objectif : revenir aussi vite que possible à la dynamique de croissance d’avant le Covid. 

La phase d’urgence des deux derniers mois avait pour priorité d’éviter l’effondrement de notre économie et la suppression de centaines de milliers d’emplois: elle a globalement réussi. Le déconfinement actuel lance la seconde phase, celle de la reprise, avec un redémarrage de la production et de la consommation. Viendra plus tard le moment de la relance, qui devra aborder les sujets structurels, dont la question des relocalisations industrielles, et celle du partage de l’effort. 

N’en doutons pas: le temps de la  relance sera le moment d’un nouvel impératif industriel. Les Etats européens, au moment où ils interviennent de façon massive dans l’économie, disposent d’une opportunité unique pour redéfinir leurs orientations de politique industrielle, avec un enjeu majeur de coordination au niveau de l’Union. Telle est la perspective dans laquelle Les Gracques s’engagent et présenteront bientôt leurs propositions. La phase de relance nécessite en effet  une préparation approfondie et concertée – approfondie parce que concertée – ainsi que des modifications du cadre réglementaire et fiscal tant français qu’européen. Elle implique aussi une réorganisation de l’Etat pour lui redonner les moyens de faire ou de “faire faire” à d’autres avec plus d’efficacité. D’ici là, donnons-nous toutes les chances de réussir la reprise.

Nous avons, dans une précédente note, souligné l’urgence des mesures à prendre pour réussir la reprise. Les mesures de soutien aux secteurs économique les plus touchés ne peuvent attendre le paramétrage fin d’un plan de relance à l’automne, sauf à voir une partie de leurs acteurs disparaître entre temps. Le Gouvernement a fait un premier pas en faveur du tourisme et de l’automobile. Mais d’autres activités comme la restauration ou les centres commerciaux restent dans l’incertitude quant aux dates de réouverture; et la pente de la reprise reste une incertitude majeure dans tous les secteurs. 

D’une façon générale,  la dimension psychologique et les anticipations des acteurs économiques sont un élément clé de la  reprise. Il est bien sûr impossible d’avoir des certitudes macroéconomiques à ce stade. Au moins peut-on s’attacher aux conditions de la reprise au niveau microéconomique, et identifier ce qui peut contribuer à créer une dynamique de confiance chez tous les acteurs économiques: consommateurs, salariés, chefs d’entreprise, investisseurs. Qu’ils disposent d’une visibilité suffisante, qu’ils obtiennent rapidement du soutien financier nécessaire, qu’ils aient confiance dans leur avenir à court et moyen terme, et la consommation, la production et enfin l’investissement repartiront. Sans confiance à l’inverse, il serait vain de déverser des milliards en aides, prêts ou subventions : l’attentisme deviendra la règle et l’absence de dynamique nous fera tout juste passer de l’atonie à une croissance molle, faussement flatteuse dans un premier temps, mais finalement incapable de digérer le choc d’activité autrement que par des mesures d’économie, des coupes dans les investissements et des plans sociaux, au risque d’une profonde déstabilisation économique et sociale. 

C’est ce qui nous a conduit à nous interroger sur les facteurs qui peuvent aujourd’hui freiner la construction de la confiance, ou même créer de la défiance.

La défiance part de haut : à peine le déconfinement lancé, plusieurs ministres faisaient déjà l’objet de dizaines de poursuites pénales devant la Cour de Justice de la République, des associations s’étant constituées à cette seule fin. Que la France soit le pays d’Europe le plus exposé à subir ce phénomène devrait interroger les consciences. Il est évident que cette démarche punitive est délétère sur l’esprit public et ne peut, en inhibant les décideurs, que nuire au bon exercice de leurs responsabilités. Une partie du corps social fonctionne comme un groupe  de supporters qui préfèrent perdre le match pour le seul plaisir de lyncher l’entraîneur, plutôt que de se mobiliser pour gagner la partie. 

Dans la sphère économique, les premiers jours du déconfinement, et les semaines qui l’ont précédé ont montré une dynamique positive dans notre pays. Il existe une volonté réelle de travailler et de repartir de l’avant. Mais nous constatons aussi qu’elle se heurte – plus qu’ailleurs – à des obstacles qui peuvent déprimer les anticipations des acteurs économiques et faire perdre des opportunités. 

L’objet de cette note est d’identifier un certain nombre de leviers pour créer de la confiance, et de proposer des mesures pour lever des obstacles à la reprise, afin d’aborder dans les meilleures conditions possibles la phase suivante de la relance. 

Téléchargez ci-dessous l’intégralité de la note : Gracqindus_Vaincre_la_DéfianceTélécharger

Réussir la Reprise dès le Troisième Trimestre

Le compte à rebours de la reprise a commencé…

Le confinement aura été du point de vue économique le plus grand choc connu par le pays en temps de paix. La perte d’activité instantanée s’élève à un tiers et atteint même 50 % sur le champ marchand. Sur l’ensemble de l’année, le FMI et le Gouvernement anticipent désormais un recul du PIB de près de 8 % en 2020, contre 2,9 % en 2009 pendant la crise financière.

Transférer durablement à l’État le financement d’une économie à l’arrêt n’est ni souhaitable, ni possible. Chaque jour de confinement coûte environ 2 milliards d’euros à l’économie française. Deux mois de confinement représentent déjà une perte de 6 points de PIB annuel, dont environ deux tiers à la charge des administrations publiques, du fait des « stabilisateurs automatiques » et des mesures de soutien mises en œuvre. La situation est d’autant plus critique que la France est entrée dans cette crise sans avoir reconstitué de marges de manœuvres au plan budgétaire : notre endettement excède de 40 points de PIB celui de l’Allemagne, alors qu’ils étaient encore comparables en 2010. Si nous disposons d’un « capital-confiance » précieux sur les marchés, il n’est pas illimité. En l’état, le déficit et la dette atteindraient respectivement 9 % et 115,2 % du PIB fin 2020, sans même que les prévisions gouvernementales n’incluent le coût du futur plan de relance. 

Au moment où se profile la fin du confinement, la question clé est donc d’en réussir la sortieet de la réussir aussi vite que possible : d’abord sanitairement bien sûr, faute de quoi les sacrifices consentis auraient été inutiles et la protection de nos concitoyens resterait non assurée ; budgétairement ensuite, pour limiter le creusement des déficits, insupportable dans la durée, et retrouver la croissance indispensable à la production, l’investissement et l’emploi de la septième puissance mondiale ; économiquement enfin : faute d’un redémarrage rapide de la demande, de nombreuses entreprises risquent de ne pas passer l’été malgré les aides à la trésorerie et n’auront donc pas le temps de mettre en place les financements durables, en fonds propres, ainsi que nous l’avons recommandé dans notre note « Pour une stratégie de fonds propres ».

Il faudrait y ajouter une dimension politique, au sens le plus noble du terme. La crise appelle en effet à ouvrir des perspectives nouvelles, nationalement et internationalement – dont l’aggiornamento européen – qui auront toute leur place pour mobiliser le corps social.

Notre propos ici n’est pas de discuter les conditions sanitaires ou politiques de cette sortie mais de nous concentrer sur les conditions nécessaires à sa réussite au plan économique, une fois définies les règles du déconfinement. Notre analyse est qu’en dépit de toutes les incertitudes actuelles, plus tôt seront prises les mesures de soutien, plus tôt l’activité productive viendra supplanter l’indemnisation du chômage partiel, meilleures seront les anticipations des ménages comme celles des entreprises et mieux nous réussirons la reprise sur l’ensemble des territoires. 

Même si le retour à une situation normale nécessitera un effort de long terme, dès le 11 mai, c’est bien un sprint économique qui est lancé pour rattraper le temps et la croissance perdus.

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