Annoncer d’abord, réfléchir ensuite
Cette perte de confiance, rapide et massive, que traduisent les sondages, dix mois à peine après une élection présidentielle marquée par un regain démocratique, une participation très élevée et un résultat qui conférait à Nicolas Sarkozy une légitimité incontestable, est le produit de deux causes principales, aux effets cumulatifs.
La première est sans nul doute le décalage entre les promesses de la campagne (« Je serai le président du pouvoir d’achat et de l’augmentation des petites retraites ») et la réalité (« Les caisses sont vides ») qui a rattrapé le volontarisme verbal du chef de l’Etat Ce décalage a été accentué par l’affichage ostentatoire du goût du luxe et de l’argent, les vacances sur les yachts ou avec les jets privés des amis milliardaires, l’augmentation – même pour des raisons techniquement fondées – du salaire du Président. Nul doute cependant que l’opinion aurait pardonné cet étalage « strass et paillettes » si, depuis mai 2007, le pouvoir d’achat et les petites retraites avaient été revalorisés de 3 %…
Ce n’est pas (au sens institutionnel du terme) une crise politique, ce n’est pas une crise économique, ce n’est pas une crise sociale, c’est une crise de confiance. Elle n’atteint, de façon significative, ni le Premier ministre, ni les principaux ministres. Elle ne provient pas d’un regain d’attractivité de l’opposition, de son projet ou de ses chefs : comme en 2004, les victoires que la gauche est en mesure d’espérer aux municipales seront des succès par défaut. Non, le problème, c’est le Président, sa façon de gouverner et le doute que cette méthode nourrit sur les finalités de son action.
Cette perte de confiance, rapide et massive, que traduisent les sondages, dix mois à peine après une élection présidentielle marquée par un regain démocratique, une participation très élevée et un résultat qui conférait à Nicolas Sarkozy une légitimité incontestable, est le produit de deux causes principales, aux effets cumulatifs.
La première est sans nul doute le décalage entre les promesses de la campagne (« Je serai le président du pouvoir d’achat et de l’augmentation des petites retraites ») et la réalité (« Les caisses sont vides ») qui a rattrapé le volontarisme verbal du chef de l’Etat Ce décalage a été accentué par l’affichage ostentatoire du goût du luxe et de l’argent, les vacances sur les yachts ou avec les jets privés des amis milliardaires, l’augmentation – même pour des raisons techniquement fondées – du salaire du Président. Nul doute cependant que l’opinion aurait pardonné cet étalage « strass et paillettes » si, depuis mai 2007, le pouvoir d’achat et les petites retraites avaient été revalorisés de 3 %…
La deuxième est dans la multiplication des annonces, non pas tant de réformes, mais de mesures ou de sujets à dimension polémique, selon la technique désormais éprouvée du « storytelling ». Ce mot désigne une méthode de communication, expérimentée sur un mode professionnel par Bill Clinton, importée avec succès en Europe par Tony Blair et son conseiller Alistair Campbell, qui consiste pour le pouvoir à imposer son actualité aux médias pour éviter que ceux-ci ne lui imposent la leur.
D’où les discours sur la place du fait religieux, les promesses faites aux pêcheurs du Guilvinec, aux métallurgistes de Gandrange, le projet de noter les ministres, la conférence de presse de début d’année comportant pêle-mêle la fin des 35 heures souhaitée pour 2008, la fin de la publicité sur les chaînes audiovisuelles du service public et le prochain mariage avec Melle Carla Bruni, le parrainage des enfants juifs martyrs de la Shoah par les élèves de CM2… Peu importe que ces annonces ou ces discours soient, dans les jours suivants, démentis, atténués, corrigés : la polémique entretient la machine à « bruit médiatique ». Un peu comme Salvador Dali le disait aux journalistes : « Parlez de moi, même en bien »…
Seulement, la multiplicité de ces annonces a fini par donner le tournis à l’opinion publique, le mélange de ce qui relève de la vie publique et de la vie privée fait perdre le sens de l’essentiel, les corrections, atténuations et démentis donnent un sentiment chaotique d’improvisation. Parce que l’existence même de l’annonce, aussi éphémère qu’une actualité qui chasse l’autre, l’emporte sur son contenu, la méthode se résume à : on annonce d’abord, on délibère après.
D’où le pataquès autour du rapport Attali, emporté par l’engagement inconsidéré d’en mettre en œuvre « toutes les propositions, sauf trois », par le discours « c’est à prendre ou à laisser » de son auteur, et par… deux journées de manifestation des chauffeurs de taxis : la rupture dans le verbe et la bonne vieille soumission aux corporatismes dans la réalité.
D’où aussi, d’une certaine manière, le pataquès de Neuilly : même pour une population aussi peu encline à la révolte contre ses chefs que l’électorat UMP, le parachutage du favori d’hier, sans débat ni discussion, a fait atteindre le seuil d’acceptabilité de la soumission, et donc de la confiance.
Le brouillard de la méthode est aussi un brouillage du sens et des finalités de l’action : est-il européen le Président qui, sur l’interpellation grossière d’un pêcheur du Guilvinec, jette par-dessus bord tous les accords communautaires en matière de politique de pêche ? Est-il libéral le Président qui propose que l’Etat prenne des participations dans le groupe Arcelor-Mittal ? Est-il laïque le Président qui considère que l’instituteur est moins bien placé que le prêtre pour parler du bien et du mal ? Est-il réformateur le Président qui, après avoir cédé aux chauffeurs de taxis, s’incline devant les buralistes ruraux ?
Pourtant, quelques autres et rares exemples montrent que des réformes peuvent, même s’il y a des conflits inévitables, être acceptées de l’opinion et réussir à faire progresser notre pays : le « Grenelle de l’environnement », l’autonomie des universités ou la réforme des régimes spéciaux sont là pour en témoigner. Ce qui les distingue des annonces à finalité médiatique, c’est que la délibération y a précédé la décision. Comme pour nous rappeler que la délibération est l’essence même de la démocratie et le principal ressort de la confiance politique.